Jazz live
Publié le 1 Juin 2014

Jazz en Comminges. Luigi Grasso / Dianne Reeves

Cette douzième édition, et non dixième comme je l’ai étourdiment écrit l’autre jour, s’est achevée hier soir avec le concert très attendu de Dianne Reeves. Achevée, du moins en ce qui concerne le  festival « In ». Car le « Off », lui, se poursuit aujourd’hui encore et mérite une oreille attentive.

 

Lui gi Grasso Quartet

Luigi Grasso (as), Pasquale Grasso (g), Ari Roland (b), Keith Balla (dm)

 

Dianne Reeves

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p, elp), Romero Lubambo (g, elg), Reginald Veal (b, elb), Terreon Gully (dm)

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 31 mai.

 

Trio Henderson

Christian Li (p), Jared Henderson (b), Roberto Giaquinto (dm)

Saint-Gaudens, Médiathèque, 31 mai.

 

S’il est un musicien qui ne saurait renier ses origines, j’entends, bien sûr, ses origines musicales, c’est Luigi Grasso. Chacune des notes qu’il souffle dans son sax alto rend hommage à Charlie Parker. Une de ses compositions s’intitule To Bird With Love. Tout un programme. De son maître, il a hérité sinon la sonorité, au moins le phrasé et cette manière unique de se distancier de la mélodie sans toutefois la perdre de vue. Un pur produit du bop originel, qui arrive précédé d’une solide réputation. Adoubé par Wynton Marsalis alors qu’il n’avait que quatorze ans, il a trouvé en Barry Harris un mentor avisé et s’est produit avec tout ce que le jazz actuel compte de vedettes avant de devenir l’un des piliers du big band de Michel Pastre.

 

J’entends d’ici les ricanements de ceux qui n’ont que sarcasmes pour le revivalisme (sans se rendre compte, les malheureux, qu’on est toujours, et malgré qu’on en ait, l’héritier de quelqu’un – mais le débat  pourrait mener loin). Pour s’en tenir au quartette de Luigi, au sein duquel son frère Pasquale Grasso se révèle un guitariste plein de finesse, improvisateur talentueux, sa musique est rafraîchissante. Un jazz de chambre sans message, sans prétention autre que celle de produire une musique qui charme et donne envie de taper du pied, ce qui n’est pas si mal. Le bassiste newyorkais Ari Roland présente la particularité de jouer tous ses soli à l’archet, exercice dont il se tire avec talent, et son compatriote Keith Balla fait preuve d’une sobriété méritoire, ses interventions toujours bien construites laissant deviner une technique accomplie mais jamais ostentatoire.

 

Au menu, quelques standards, dont la belle ballade My Ideal et un Stompin’ At The Savoy dont le public est amené  à reprendre en chœur le refrain francisé. Sans compter des compositions du leader, Ca marche, titre de son album de 2012, ou encore Let’s Talk. En rappel, un blues fédérateur et, au bout du compte, le sentiment d’avoir passé un moment de grâce dans une simplicité bienvenue.

 

Que dire de Dianne Reeves qui n’ait été maintes fois souligné, l’étendue de son registre, la profondeur de ses graves, la ductilité d’une voix de contralto qui lui permet, notamment dans le scat, des écarts stupéfiants ? Tout cela est bien réel, magnifié encore par l’expérience et une présence scénique indéniable. Elle est, de surcroît, servie par des accompagnateurs de qualité, le guitariste Romero Lubambo, le bassiste Reginald Veal, complice de longue date, le pianiste Peter Martin, avec lesquels elle dialogue tour à tour. Autant de moments privilégiés que l’assistance apprécie à sa juste valeur.

 

D’où vient que son concert me laisse pourtant une impression de décousu ? Sans doute parce qu’on en perçoit mal la ligne directrice. Dianne Reeves mêle le blues et les standards (Stormy Weather, Love Is Here To Stay), la pop, les références à l’Amérique latine et les mélopées venues d’Afrique. Elle enchaîne les rythmes et les climats. Son penchant naturel, sa carrière en témoigne, la porte à explorer toujours plus loin. Telle est, au sens le plus littéral du terme, la world music dont elle fait son territoire et dont le public raffole, au point de lui réserver une belle ovation.

 

Un passage par la médiathèque avait permis, dans l’après-midi, la découverte d’un trio dont on entendra à coup sûr parler : celui du bassist
e Jared Henderson flanqué du pianiste Christian Li et du batteur Roberto Giaquinto. Trois jeunes musiciens américains fraîchement diplômés de la prestigieuse Berklee School de Boston et qui entament par Saint-Gaudens une tournée européenne. Elle les conduira, avec des groupes à géométrie variable, en Italie, en Suisse et en Autriche, et les organisateurs de Jazz en Comminges ont été bien inspirés de les inviter au festival « Off » qu’ils ont contribué à animer.

 

Ces jeunes gens talentueux (on mesure ce que signifie le passage par la Berklee !) jouent, composent, arrangent. Ils ont appris la musique auprès de professeurs prestigieux, entre autres, et pour ne citer qu’eux, les saxophonistes Joe Lovano et Joshua Redman, le pianiste Danilo Perez, le bassiste John Patitucci, ou encore Terri Lyne Carrington qui a retrouvé ici, le 29, son élève.  Le trio qu’ils forment brille déjà par une cohésion que pourraient leur envier des groupes plus aguerris et la technique de chacun est irréprochable. Les développements de Christian Li sont souvent empreints d’un romantisme qui évoque Brad Mehldau. Jared Henderson  parvient à tirer la quintessence d’une contrebasse pourtant exténuée. Roberto Giaquinto, jeu foisonnant, relances impeccables,  soutient le tout sans défaillance.

 

Que leur manque-t-il ? L’expérience, qu’ils ne tarderont pas à acquérir. Sans doute leur soufflera-t-elle qu’ils gagneraient à ne pas se cantonner dans le tempo medium-lent qui est celui de quasiment toutes leurs interprétations. Il n’est certes pas dépourvu d’attraits mais peut engendrer une certaine  monotonie. Quoi qu’il en soit, il faut retenir leurs noms. Ils brilleront demain, à coup sûr, en haut de l’affiche.

 

Aujourd’hui, clôture avec, notamment, l’Orchestre du Conservatoire de Musique Guy Lafitte sous la direction de Wilfrid Arexis et le groupe Jambalaya.


Jacques Aboucaya

|

Cette douzième édition, et non dixième comme je l’ai étourdiment écrit l’autre jour, s’est achevée hier soir avec le concert très attendu de Dianne Reeves. Achevée, du moins en ce qui concerne le  festival « In ». Car le « Off », lui, se poursuit aujourd’hui encore et mérite une oreille attentive.

 

Lui gi Grasso Quartet

Luigi Grasso (as), Pasquale Grasso (g), Ari Roland (b), Keith Balla (dm)

 

Dianne Reeves

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p, elp), Romero Lubambo (g, elg), Reginald Veal (b, elb), Terreon Gully (dm)

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 31 mai.

 

Trio Henderson

Christian Li (p), Jared Henderson (b), Roberto Giaquinto (dm)

Saint-Gaudens, Médiathèque, 31 mai.

 

S’il est un musicien qui ne saurait renier ses origines, j’entends, bien sûr, ses origines musicales, c’est Luigi Grasso. Chacune des notes qu’il souffle dans son sax alto rend hommage à Charlie Parker. Une de ses compositions s’intitule To Bird With Love. Tout un programme. De son maître, il a hérité sinon la sonorité, au moins le phrasé et cette manière unique de se distancier de la mélodie sans toutefois la perdre de vue. Un pur produit du bop originel, qui arrive précédé d’une solide réputation. Adoubé par Wynton Marsalis alors qu’il n’avait que quatorze ans, il a trouvé en Barry Harris un mentor avisé et s’est produit avec tout ce que le jazz actuel compte de vedettes avant de devenir l’un des piliers du big band de Michel Pastre.

 

J’entends d’ici les ricanements de ceux qui n’ont que sarcasmes pour le revivalisme (sans se rendre compte, les malheureux, qu’on est toujours, et malgré qu’on en ait, l’héritier de quelqu’un – mais le débat  pourrait mener loin). Pour s’en tenir au quartette de Luigi, au sein duquel son frère Pasquale Grasso se révèle un guitariste plein de finesse, improvisateur talentueux, sa musique est rafraîchissante. Un jazz de chambre sans message, sans prétention autre que celle de produire une musique qui charme et donne envie de taper du pied, ce qui n’est pas si mal. Le bassiste newyorkais Ari Roland présente la particularité de jouer tous ses soli à l’archet, exercice dont il se tire avec talent, et son compatriote Keith Balla fait preuve d’une sobriété méritoire, ses interventions toujours bien construites laissant deviner une technique accomplie mais jamais ostentatoire.

 

Au menu, quelques standards, dont la belle ballade My Ideal et un Stompin’ At The Savoy dont le public est amené  à reprendre en chœur le refrain francisé. Sans compter des compositions du leader, Ca marche, titre de son album de 2012, ou encore Let’s Talk. En rappel, un blues fédérateur et, au bout du compte, le sentiment d’avoir passé un moment de grâce dans une simplicité bienvenue.

 

Que dire de Dianne Reeves qui n’ait été maintes fois souligné, l’étendue de son registre, la profondeur de ses graves, la ductilité d’une voix de contralto qui lui permet, notamment dans le scat, des écarts stupéfiants ? Tout cela est bien réel, magnifié encore par l’expérience et une présence scénique indéniable. Elle est, de surcroît, servie par des accompagnateurs de qualité, le guitariste Romero Lubambo, le bassiste Reginald Veal, complice de longue date, le pianiste Peter Martin, avec lesquels elle dialogue tour à tour. Autant de moments privilégiés que l’assistance apprécie à sa juste valeur.

 

D’où vient que son concert me laisse pourtant une impression de décousu ? Sans doute parce qu’on en perçoit mal la ligne directrice. Dianne Reeves mêle le blues et les standards (Stormy Weather, Love Is Here To Stay), la pop, les références à l’Amérique latine et les mélopées venues d’Afrique. Elle enchaîne les rythmes et les climats. Son penchant naturel, sa carrière en témoigne, la porte à explorer toujours plus loin. Telle est, au sens le plus littéral du terme, la world music dont elle fait son territoire et dont le public raffole, au point de lui réserver une belle ovation.

 

Un passage par la médiathèque avait permis, dans l’après-midi, la découverte d’un trio dont on entendra à coup sûr parler : celui du bassist
e Jared Henderson flanqué du pianiste Christian Li et du batteur Roberto Giaquinto. Trois jeunes musiciens américains fraîchement diplômés de la prestigieuse Berklee School de Boston et qui entament par Saint-Gaudens une tournée européenne. Elle les conduira, avec des groupes à géométrie variable, en Italie, en Suisse et en Autriche, et les organisateurs de Jazz en Comminges ont été bien inspirés de les inviter au festival « Off » qu’ils ont contribué à animer.

 

Ces jeunes gens talentueux (on mesure ce que signifie le passage par la Berklee !) jouent, composent, arrangent. Ils ont appris la musique auprès de professeurs prestigieux, entre autres, et pour ne citer qu’eux, les saxophonistes Joe Lovano et Joshua Redman, le pianiste Danilo Perez, le bassiste John Patitucci, ou encore Terri Lyne Carrington qui a retrouvé ici, le 29, son élève.  Le trio qu’ils forment brille déjà par une cohésion que pourraient leur envier des groupes plus aguerris et la technique de chacun est irréprochable. Les développements de Christian Li sont souvent empreints d’un romantisme qui évoque Brad Mehldau. Jared Henderson  parvient à tirer la quintessence d’une contrebasse pourtant exténuée. Roberto Giaquinto, jeu foisonnant, relances impeccables,  soutient le tout sans défaillance.

 

Que leur manque-t-il ? L’expérience, qu’ils ne tarderont pas à acquérir. Sans doute leur soufflera-t-elle qu’ils gagneraient à ne pas se cantonner dans le tempo medium-lent qui est celui de quasiment toutes leurs interprétations. Il n’est certes pas dépourvu d’attraits mais peut engendrer une certaine  monotonie. Quoi qu’il en soit, il faut retenir leurs noms. Ils brilleront demain, à coup sûr, en haut de l’affiche.

 

Aujourd’hui, clôture avec, notamment, l’Orchestre du Conservatoire de Musique Guy Lafitte sous la direction de Wilfrid Arexis et le groupe Jambalaya.


Jacques Aboucaya

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Cette douzième édition, et non dixième comme je l’ai étourdiment écrit l’autre jour, s’est achevée hier soir avec le concert très attendu de Dianne Reeves. Achevée, du moins en ce qui concerne le  festival « In ». Car le « Off », lui, se poursuit aujourd’hui encore et mérite une oreille attentive.

 

Lui gi Grasso Quartet

Luigi Grasso (as), Pasquale Grasso (g), Ari Roland (b), Keith Balla (dm)

 

Dianne Reeves

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p, elp), Romero Lubambo (g, elg), Reginald Veal (b, elb), Terreon Gully (dm)

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 31 mai.

 

Trio Henderson

Christian Li (p), Jared Henderson (b), Roberto Giaquinto (dm)

Saint-Gaudens, Médiathèque, 31 mai.

 

S’il est un musicien qui ne saurait renier ses origines, j’entends, bien sûr, ses origines musicales, c’est Luigi Grasso. Chacune des notes qu’il souffle dans son sax alto rend hommage à Charlie Parker. Une de ses compositions s’intitule To Bird With Love. Tout un programme. De son maître, il a hérité sinon la sonorité, au moins le phrasé et cette manière unique de se distancier de la mélodie sans toutefois la perdre de vue. Un pur produit du bop originel, qui arrive précédé d’une solide réputation. Adoubé par Wynton Marsalis alors qu’il n’avait que quatorze ans, il a trouvé en Barry Harris un mentor avisé et s’est produit avec tout ce que le jazz actuel compte de vedettes avant de devenir l’un des piliers du big band de Michel Pastre.

 

J’entends d’ici les ricanements de ceux qui n’ont que sarcasmes pour le revivalisme (sans se rendre compte, les malheureux, qu’on est toujours, et malgré qu’on en ait, l’héritier de quelqu’un – mais le débat  pourrait mener loin). Pour s’en tenir au quartette de Luigi, au sein duquel son frère Pasquale Grasso se révèle un guitariste plein de finesse, improvisateur talentueux, sa musique est rafraîchissante. Un jazz de chambre sans message, sans prétention autre que celle de produire une musique qui charme et donne envie de taper du pied, ce qui n’est pas si mal. Le bassiste newyorkais Ari Roland présente la particularité de jouer tous ses soli à l’archet, exercice dont il se tire avec talent, et son compatriote Keith Balla fait preuve d’une sobriété méritoire, ses interventions toujours bien construites laissant deviner une technique accomplie mais jamais ostentatoire.

 

Au menu, quelques standards, dont la belle ballade My Ideal et un Stompin’ At The Savoy dont le public est amené  à reprendre en chœur le refrain francisé. Sans compter des compositions du leader, Ca marche, titre de son album de 2012, ou encore Let’s Talk. En rappel, un blues fédérateur et, au bout du compte, le sentiment d’avoir passé un moment de grâce dans une simplicité bienvenue.

 

Que dire de Dianne Reeves qui n’ait été maintes fois souligné, l’étendue de son registre, la profondeur de ses graves, la ductilité d’une voix de contralto qui lui permet, notamment dans le scat, des écarts stupéfiants ? Tout cela est bien réel, magnifié encore par l’expérience et une présence scénique indéniable. Elle est, de surcroît, servie par des accompagnateurs de qualité, le guitariste Romero Lubambo, le bassiste Reginald Veal, complice de longue date, le pianiste Peter Martin, avec lesquels elle dialogue tour à tour. Autant de moments privilégiés que l’assistance apprécie à sa juste valeur.

 

D’où vient que son concert me laisse pourtant une impression de décousu ? Sans doute parce qu’on en perçoit mal la ligne directrice. Dianne Reeves mêle le blues et les standards (Stormy Weather, Love Is Here To Stay), la pop, les références à l’Amérique latine et les mélopées venues d’Afrique. Elle enchaîne les rythmes et les climats. Son penchant naturel, sa carrière en témoigne, la porte à explorer toujours plus loin. Telle est, au sens le plus littéral du terme, la world music dont elle fait son territoire et dont le public raffole, au point de lui réserver une belle ovation.

 

Un passage par la médiathèque avait permis, dans l’après-midi, la découverte d’un trio dont on entendra à coup sûr parler : celui du bassist
e Jared Henderson flanqué du pianiste Christian Li et du batteur Roberto Giaquinto. Trois jeunes musiciens américains fraîchement diplômés de la prestigieuse Berklee School de Boston et qui entament par Saint-Gaudens une tournée européenne. Elle les conduira, avec des groupes à géométrie variable, en Italie, en Suisse et en Autriche, et les organisateurs de Jazz en Comminges ont été bien inspirés de les inviter au festival « Off » qu’ils ont contribué à animer.

 

Ces jeunes gens talentueux (on mesure ce que signifie le passage par la Berklee !) jouent, composent, arrangent. Ils ont appris la musique auprès de professeurs prestigieux, entre autres, et pour ne citer qu’eux, les saxophonistes Joe Lovano et Joshua Redman, le pianiste Danilo Perez, le bassiste John Patitucci, ou encore Terri Lyne Carrington qui a retrouvé ici, le 29, son élève.  Le trio qu’ils forment brille déjà par une cohésion que pourraient leur envier des groupes plus aguerris et la technique de chacun est irréprochable. Les développements de Christian Li sont souvent empreints d’un romantisme qui évoque Brad Mehldau. Jared Henderson  parvient à tirer la quintessence d’une contrebasse pourtant exténuée. Roberto Giaquinto, jeu foisonnant, relances impeccables,  soutient le tout sans défaillance.

 

Que leur manque-t-il ? L’expérience, qu’ils ne tarderont pas à acquérir. Sans doute leur soufflera-t-elle qu’ils gagneraient à ne pas se cantonner dans le tempo medium-lent qui est celui de quasiment toutes leurs interprétations. Il n’est certes pas dépourvu d’attraits mais peut engendrer une certaine  monotonie. Quoi qu’il en soit, il faut retenir leurs noms. Ils brilleront demain, à coup sûr, en haut de l’affiche.

 

Aujourd’hui, clôture avec, notamment, l’Orchestre du Conservatoire de Musique Guy Lafitte sous la direction de Wilfrid Arexis et le groupe Jambalaya.


Jacques Aboucaya

|

Cette douzième édition, et non dixième comme je l’ai étourdiment écrit l’autre jour, s’est achevée hier soir avec le concert très attendu de Dianne Reeves. Achevée, du moins en ce qui concerne le  festival « In ». Car le « Off », lui, se poursuit aujourd’hui encore et mérite une oreille attentive.

 

Lui gi Grasso Quartet

Luigi Grasso (as), Pasquale Grasso (g), Ari Roland (b), Keith Balla (dm)

 

Dianne Reeves

Dianne Reeves (voc), Peter Martin (p, elp), Romero Lubambo (g, elg), Reginald Veal (b, elb), Terreon Gully (dm)

Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 31 mai.

 

Trio Henderson

Christian Li (p), Jared Henderson (b), Roberto Giaquinto (dm)

Saint-Gaudens, Médiathèque, 31 mai.

 

S’il est un musicien qui ne saurait renier ses origines, j’entends, bien sûr, ses origines musicales, c’est Luigi Grasso. Chacune des notes qu’il souffle dans son sax alto rend hommage à Charlie Parker. Une de ses compositions s’intitule To Bird With Love. Tout un programme. De son maître, il a hérité sinon la sonorité, au moins le phrasé et cette manière unique de se distancier de la mélodie sans toutefois la perdre de vue. Un pur produit du bop originel, qui arrive précédé d’une solide réputation. Adoubé par Wynton Marsalis alors qu’il n’avait que quatorze ans, il a trouvé en Barry Harris un mentor avisé et s’est produit avec tout ce que le jazz actuel compte de vedettes avant de devenir l’un des piliers du big band de Michel Pastre.

 

J’entends d’ici les ricanements de ceux qui n’ont que sarcasmes pour le revivalisme (sans se rendre compte, les malheureux, qu’on est toujours, et malgré qu’on en ait, l’héritier de quelqu’un – mais le débat  pourrait mener loin). Pour s’en tenir au quartette de Luigi, au sein duquel son frère Pasquale Grasso se révèle un guitariste plein de finesse, improvisateur talentueux, sa musique est rafraîchissante. Un jazz de chambre sans message, sans prétention autre que celle de produire une musique qui charme et donne envie de taper du pied, ce qui n’est pas si mal. Le bassiste newyorkais Ari Roland présente la particularité de jouer tous ses soli à l’archet, exercice dont il se tire avec talent, et son compatriote Keith Balla fait preuve d’une sobriété méritoire, ses interventions toujours bien construites laissant deviner une technique accomplie mais jamais ostentatoire.

 

Au menu, quelques standards, dont la belle ballade My Ideal et un Stompin’ At The Savoy dont le public est amené  à reprendre en chœur le refrain francisé. Sans compter des compositions du leader, Ca marche, titre de son album de 2012, ou encore Let’s Talk. En rappel, un blues fédérateur et, au bout du compte, le sentiment d’avoir passé un moment de grâce dans une simplicité bienvenue.

 

Que dire de Dianne Reeves qui n’ait été maintes fois souligné, l’étendue de son registre, la profondeur de ses graves, la ductilité d’une voix de contralto qui lui permet, notamment dans le scat, des écarts stupéfiants ? Tout cela est bien réel, magnifié encore par l’expérience et une présence scénique indéniable. Elle est, de surcroît, servie par des accompagnateurs de qualité, le guitariste Romero Lubambo, le bassiste Reginald Veal, complice de longue date, le pianiste Peter Martin, avec lesquels elle dialogue tour à tour. Autant de moments privilégiés que l’assistance apprécie à sa juste valeur.

 

D’où vient que son concert me laisse pourtant une impression de décousu ? Sans doute parce qu’on en perçoit mal la ligne directrice. Dianne Reeves mêle le blues et les standards (Stormy Weather, Love Is Here To Stay), la pop, les références à l’Amérique latine et les mélopées venues d’Afrique. Elle enchaîne les rythmes et les climats. Son penchant naturel, sa carrière en témoigne, la porte à explorer toujours plus loin. Telle est, au sens le plus littéral du terme, la world music dont elle fait son territoire et dont le public raffole, au point de lui réserver une belle ovation.

 

Un passage par la médiathèque avait permis, dans l’après-midi, la découverte d’un trio dont on entendra à coup sûr parler : celui du bassist
e Jared Henderson flanqué du pianiste Christian Li et du batteur Roberto Giaquinto. Trois jeunes musiciens américains fraîchement diplômés de la prestigieuse Berklee School de Boston et qui entament par Saint-Gaudens une tournée européenne. Elle les conduira, avec des groupes à géométrie variable, en Italie, en Suisse et en Autriche, et les organisateurs de Jazz en Comminges ont été bien inspirés de les inviter au festival « Off » qu’ils ont contribué à animer.

 

Ces jeunes gens talentueux (on mesure ce que signifie le passage par la Berklee !) jouent, composent, arrangent. Ils ont appris la musique auprès de professeurs prestigieux, entre autres, et pour ne citer qu’eux, les saxophonistes Joe Lovano et Joshua Redman, le pianiste Danilo Perez, le bassiste John Patitucci, ou encore Terri Lyne Carrington qui a retrouvé ici, le 29, son élève.  Le trio qu’ils forment brille déjà par une cohésion que pourraient leur envier des groupes plus aguerris et la technique de chacun est irréprochable. Les développements de Christian Li sont souvent empreints d’un romantisme qui évoque Brad Mehldau. Jared Henderson  parvient à tirer la quintessence d’une contrebasse pourtant exténuée. Roberto Giaquinto, jeu foisonnant, relances impeccables,  soutient le tout sans défaillance.

 

Que leur manque-t-il ? L’expérience, qu’ils ne tarderont pas à acquérir. Sans doute leur soufflera-t-elle qu’ils gagneraient à ne pas se cantonner dans le tempo medium-lent qui est celui de quasiment toutes leurs interprétations. Il n’est certes pas dépourvu d’attraits mais peut engendrer une certaine  monotonie. Quoi qu’il en soit, il faut retenir leurs noms. Ils brilleront demain, à coup sûr, en haut de l’affiche.

 

Aujourd’hui, clôture avec, notamment, l’Orchestre du Conservatoire de Musique Guy Lafitte sous la direction de Wilfrid Arexis et le groupe Jambalaya.


Jacques Aboucaya