Jazz live
Publié le 11 Août 2025

Jazz In Marciac 47

La 47ème édition de Jazz in Marciac (JIM) vient de se terminer. Du 21 juillet au 7 août, dans la petite commune de Marciac (1100 habitants !) l’étonnant, à plus d’un titre, festival gersois a proposé 16 « grands » concerts sous un immense chapiteau (6000 places assises, 10000 debout) dressé sur le stade municipal. Et chaque après-midi, pendant les 18 jours du festival, lors de concerts gratuits,de nombreux groupes de tous styles se sont produits devant beaucoup de monde au Festival Bis. Celui-ci avait lieu, sous un grand velum, sur la place centrale de la bastide. Sans oublier débats, restitutions de stages (jazz et danse à claquettes…) et moult animations.

L’Astrada salle permanente de 550 places (confortable et climatisée…) avait programmé de son côté 10 étonnants concerts présentant des groupes en pleine ascension (Mark Priore, Grégory Privat, Airelle Besson…).

Le jazz dans les festivals… de jazz.

« Pourquoi n’y a-t-il plus de jazz dans les festivals… de jazz ? », le 24 juin 2025 le quotidien Libération avait titré ainsi, de manière provocatrice, un article copieux et bien documenté. Démontrant, à partir de nombreux exemples que la plupart des grands festivals de jazz « historiques » sont devenus des « fourre-tout ». « Jazz à l’Ile de Ré », au mois d’août, ayant même carrément programmé… Sheila !

Jazz in Marciac était « épargné » dans cet article. Car, si comme depuis fort longtemps, la programmation marciacaise de cette année était assez largement ouverte aux musiques voisines et cousines, elle affichait une belle tonalité globale… jazz. Quelques exceptions certes, comme la présence surprenante de Robert Plant (« le » chanteur emblématique de Led Zeppelin…) ! Robert Plant fait partie, avec Santana également programmé, de ce que le fondateur et président de Jim, Jean-Louis Guilhaumon, appelait depuis quelques années « les grands évènements » de JIM, hors jazz stricto sensu. Mais J.-L. Guilhaumon a décidé de ne plus utiliser ce label. Place désormais à « L’Eté à Marciac »  car « Nous souhaitons désormais nous adresser à des publics nouveaux ». « L’été à Marciac ira du 14 juillet au 15 août et nous permettra de nous exprimer dans des registres autres que celui de la musique de jazz et des musiques cousines » (J.-L.G.).

L’installation et le fonctionnement de l’immense chapiteau, à la sonorisation et aux lumières haut de gamme, coûtent cher. Or ici, comme partout en France, à de très rares exceptions, peu de « purs » jazzmen (débat … qu’est ce qu’un pur jazzman ?) sont susceptibles d’emplir un lieu aussi vaste. C’est là sans doute que se situe le nœud de l’affaire, et le hic de l’histoire : à force d’avoir des jauges de plus en plus vastes, les festivals d’été ont dû concevoir des programmations susceptibles de faire belle recette.

Les responsables de la programmation de JIM s’efforcent donc de « dénicher » des « noms » qui génèrent un nombre d’entrées payantes permettant d’ « amortir » les frais engagés… D’autant plus que dans le budget de JIM, à la différence de Jazz à Vienne, il y a un très faible pourcentage de subventions publiques. JIM s’autofinance à 88 %.

Présent cette année seulement pour quelques soirées, mais ayant collecté moult avis d’amis jazzfans premium et de « collègues » jazzcritics beaucoup plus assidus, je propose dans cette chronique quelques focus…

Le triomphe de Sophie Alour, séduisante, brillante et créative.

Sophie Alour (sax), Guillaume Latil (violoncelle), Pierre Perchaud (guitare), Anne Paceo (drums)

Pour la première soirée (le 21/07) Sophie Alour en quartet, avec son projet « Le temps virtuose », était programmée en première partie de Robert Plant (avec son groupe très acoustique « Saving Grace »). Surprenant : la salle n’est pas pleine. Les fans de Led Zepelin savaient-ils que Plant désormais propose des climats beaucoup plus apaisés que… dans le temps ?

Le pari de programmer S.Alour avant Plant me paraissait à priori fort risqué… Et pourtant… dès le premier morceau la saxophoniste a enthousiasmé la salle… Où l’on peut imaginer que peu de gens la connaissaient! S. Alour avec son étonnant quartet : Guillaume Latil (violoncelle), Pierre Perchaud (guitare) et la stimulante Anne Paceo (drums). Anne qui chemine depuis longtemps aux côtés de Sophie. Le quartet joue le répertoire de son cd « Le Temps Virtuose ». Qui a été salué comme l’album de la maturité rayonnante de Sophie et a reçu de nombreuses distinctions (choc Jazzmag, 3 clés Télérama …). Grâce à ses mélodies lyriques Sophie Alour a dessiné pour nous, un paysage sensible qui ne peut laisser indifférent. Ses compositions supérieurement agencées ménagent espaces et initiatives. Sophie aime Coltrane et le montre à sa manière personnelle : chaleureuse et maîtrisée. Comme l’a écrit Philippe Carles : « Elle est à l’aise dans les graves élégants ». Sophie Alour depuis le début de sa carrière (il y a maintenant, déjà, plus de 20 ans) a toujours aimé les défis : cheminer en équilibre sur les frontières du jazz et des musiques du monde. Explorer de nouveaux terrains de jeux. Douceur, espièglerie, puissance du souffle: le son de son ténor et de sa flûte bruissent d’émotions… Et à l’arrivée grand et chaleureux triomphe… Salle debout. Rappels.

Un signe qui ne trompe pas : à la fin du concert Sophie a signé pendant 45 minutes ses vinyls et CD ! Chaque acheteur lui dit des petits mots amicaux. Après le départ du dernier acheteur je la félicite pour ce concert maîtrisé et serein. Paradoxalement, elle me répond : « J’étais tellement stressée qu’à la fin du premier morceau j’avais l’impression de ne plus avoir une goutte de salive ! ».

Le 22 juillet, en première partie Madeleine Perroux a donné un concert très engagé (le monde du jazz, c’est clair, n’aime pas Trump !). Ses fans étaient ravis. Elle n’était pas venue depuis 2007 ici. Elle présente les morceaux en français (ses lointaines origines?). Elle se révolte contre l’injustice, les inégalités, l’intolérance mais elle adoucit ses propos de messages de paix, de fraternité, d’amour. Elle honore Gisèle Pelicot. Avec Let’s walk, sa chanson fétiche, le public l’ovationne : femme libre au poing levé.

En deuxième partie beaucoup de monde sur scène pour le programme original « Marciac Celebration », une reprise d’un concept imaginé par le Théatre du Chatelet et la station TSF Jazz. Un big band (Amazing Keystone Big Band) et de nombreux souffleurs et vocalistes. Et, en excellente MC, chanteuse et conteuse : China Moses (oui…. la fille de Dee Dee Bridgewater). Superbe plateau. Le répertoire : 25 grands thèmes de jazz choisis par les auditeurs de TSF Jazz. Au menu, entre autres : Take Five, My baby just cares, Naima, What a wonderful word, Georgia on my mind… Sacrée soirée !

Santana et Ben Harper font le plein…

Les 24 et 25 juillet ont eu lieu les 2 concerts de JIM 2025 qui ont fait le plein absolu.

Santana, l’inoxydable (enfin presque… il a joué souvent assis) avait attiré 10000 personnes en configuration debout… Enormes embouteillages dans le petit village à la sortie du concert…

Ben Harper a empli le chapiteau mais… en configuration places assises. 6000 c’est quand même impressionnant.

Les habitués de Marciac…

Du 26 au 30 juillet étaient à l’affiche : Gregory Porter, Wynton Marsalis, Herbie Hancock, Roberto Fonseca… Tous très appréciés ici et depuis fort longtemps. Comme toujours ils ont séduit « leur » public. Marsalis, parrain du festival, avec un nouveau sextet et un nouveau répertoire a assuré en grand professionnel. Fonseca a dédié sobrement son beau concert à Ibrahim Ferrer.

Lors du concert Hommage à Oscar Peterson, Sullivan Fortner a étonné… en laissant entrer les silences dans son jeu. Là où Peterson était en flux continus, Fortner propose des espaces de respiration… Belle idée pour un hommage original.

Vive les « Ladies du jazz »… et les gentlemen.. !

le 1er Août Rhoda Scott et Dee Dee Bridgewater étaient à l’affiche.

Rhoda est très appréciée à Marciac. En 2022 elle avait triomphé en première partie d’Ibrahim Maalouf (qui ce soir là avait saboté un hommage à Henri Salvador !). Médias et public n’avaient retenu de cette soirée que la magnifique prestation de Rhoda ! Cette année nouveau triomphe pour Rhoda et ses ladies. Mais avec aussi… 3 gentlemen chanteurs ! L’idée de réunir Rhoda et des jazzwomen date de 2004. Elle est de Jean-Pierre Vignola qui les avait programmées au Festival de Vienne. Depuis Rhoda a donné de très nombreux concerts dans différentes formules (le plus souvent en quartet mais aussi quand les budgets des organisateurs le permettaient avec beaucoup plus de protagonistes). A Marciac, les grooves solaires de Rhoda ont déclenché de nombreuses ovations. A 87 ans Rhoda est toujours aussi entousiaste et son jeu est toujours aussi fluide et swinguant. Les deux souffleuses (Sophie Alour et Lisa Cat-Bero) ont été, comme à chaque concert, superbes. Julie Saury à la batterie est omniprésente. Solo flamboyant… Mais les gentlemen ont été aussi à la hauteur! Comme toujours, Hugh Coltman a « crooné » voluptueusement. A 60 ans David Lynx à la fois puissant et sensible nous a une nouvelle fois étonné. Mais surprise, Emmanuel Pi Djob (à la guitare et au chant) que nous découvrions, a mis le feu au chapiteau. Entre autres sur un gospel repris par la salle debout. Déclenchant une longue ovation et l’exigence d’un rappel…

Lisa Cat-Bero, Sophie Alour, Julie Saury, Rhoda Scott
Julie Saury, Sophie Alour, Lisa Cat-Bero, Hugh Colman, Rhoda Scott, David Lynx, Pi Djob… des spectateurs sont venus photographier tout prêt de la scène …

En deuxième partie Dee Dee Bridgwater nous a dit à plusieurs reprises combien elle était heureuse de chanter ici. Où elle a été très souvent programmée. A 75 ans, vêtue d’une étonnante et splendide tenue chamarrée, elle « pète le feu » (comme on dit…).

Elle est très en colère et le fait savoir. Elle improvise, joue, raconte, interpelle son public. Avec son excellent nouveau trio (3 jazzwomen), en féministe militante, elle revisite l’histoire politique des jazzwomen afro-américaines (évoquant, entre autres Nina Simone et Roberta Flack). Elle a écrit son thème ‟We Exist!” en réaction contre les injustices, les luttes sociales, les inégalités, le racisme, les bombardements de Gaza. Elle envisage même de devenir française, tant elle rejette ce que devient son pays. Surprise : elle invite son fils, Gabe Zinq (guitare et vocal) qui était programmé au Festival Off à la rejoindre sur scène… Deuxième surprise : Dee Dee a chanté au concert de Gabe Zinq sur la place !

Dee Dee …

Les soirées des 4 et 5 août étaient dédiés aux guitaristes et saxophonistes. Amis et jazzcritics m’ont dit que ce fut de très haut niveau. Quelques vidéos diffusées par le site JIM sur facebook le confirment…

Guitaristes et saxophonistes…

Bireli Lagrène avec Martin Taylor et Ulf Wakenius tous trois toujours aussi virtuoses et créatifs.

Stefano Di Battista, comme partout ces temps çi, avec son programme « La Dolce Vita », a séduit en donnant des versions étonnantes de célèbres mélodies italiennes… Au final : Stefano Di Battista est descendu dans le public, suivi par son jeune et excellent trompettiste Mateo Cutello, pour un tour de piste à la Fellini !

Joshua Redman (ss et st) a présenté son dernier album « Words fall short » aux thèmes très variés passant de la ballade, avec le mélancolique et cathartique « A Message To Unsend », au free jazz, avec l’énergique et tendu « She Knows »… Superbe concert « récompensé » par deux rappels…

Brésil…

Jazz In Marciac avait cette année un partenariat avec le festival brésilien MIMO (en lien avec la très officielle Saison Croisée Brésil-France 2025) quatre concerts étaient programmés dans ce cadre. Deux en nocturne, gratuits, sur la place centrale et deux sous le grand chapiteau avec en têtes d’affiches Egberto Gismonti et Hermeto Pascoal. Robert Latxague a publié le 10 août sur jazzmagazine.com une très belle chronique sur « Le blues d’Egberto Gismonti » dans laquelle il évoque aussi les conditions dans lesquelles se sont déroulés les concerts d’Hermeto Pascoal lors de sa tournée estivale en Europe : en fauteuil roulant, avec une bouteille d’oxygène, incapable d’articuler… Heureusement ses jeunes musiciens ont assuré…

Au festival Bis.

Cette annéela programmation (concerts gratuits d’après midi sur la place) du festival bis était de très haut niveau et a enthousiasmé les centaines de spectateurs présents chaque jour sous un grand velum…

Mentions spéciales pour le trompettiste Nicolas Gardel en quartet, la pianiste Leïla Olivesi Quintet, Etienne Manchon (le pianiste qui monte… en trio), la violoniste Aurore Voilqué en quintet…

Conclusion de cette chronique: JIM 2025 un bon cru !

Pierre-Henri Ardonceau

Photos Pierre-Henri Ardonceau












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La
47ème édition de Jazz in Marciac (JIM) vient de se terminer. Du 21
juillet au 7 août, dans la petite commune de Marciac (1100
habitants !) l’étonnant, à plus d’un titre, festival
gersois a proposé 16 « grands » concerts sous un immense
chapiteau (6000 places assises, 10000 debout) dressé sur le stade
municipal. Et chaque après-midi, pendant les 18 jours du festival,
lors de concerts gratuits,
de nombreux groupes de tous styles se sont produits devant
beaucoup de monde au Festival Bis. Celui-ci avait lieu, sous un grand
velum, sur la place centrale de la bastide. Sans oublier débats,
restitutions de stages (jazz et danse à claquettes…) et moult
animations.

L’Astrada
salle permanente de 550 places (confortable et climatisée…) avait
programmé de son côté 10 étonnants concerts présentant des
groupes en pleine ascension (Mark Priore, Grégory Privat, Airelle
Besson…).