Jazz live
Publié le 1 Août 2012

Jazz in Marciac. La soirée des contrastes

Où va le jazz ? Nul ne saurait le dire. Seule certitude, il explore ses entours. Se cherche, comme il l’a souvent fait au cours de son histoire, des chemins nouveaux, sans s’embarrasser d’une quelconque orthodoxie. Passé l’effet de mode, certains déboucheront sans doute sur des impasses. D’autres, en revanche, lui ouvrent des perspectives inattendues. La soirée du 31, avec ses deux parties contrastées, en offre l’illustration.


Youn Sun Nah (voc), Ulf Wakenius (g), Vincent Peirani (acc), Simon Tailleu (b).

 

Wynton Marsalis & Jazz At Lincoln Center Orchestra avec L’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Dwayne Marshall (dir), Wynton Marsalis (tp, dir musical), Ryan Kisor, Marcus Printup, Kenny Rampton, Vincent R. Gardner (tp), Elliot Mason, Chris Crenshaw (tb), Sherman Irby, Ted Nash, Walter Blanding, Victor Goines, Tony Lustic (reeds, fl), Dan Nimmer (p), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm). Chapiteau, 31 juillet.

 

La tentation de la fusion avec la musique classique n’est certes pas nouvelle. Certains compositeurs de jazz, parfois soucieux de se donner un gage de respectabilité, se sont lancés dans l’aventure de ce que Gunther Schuller avait baptisé, au milieu du siècle dernier, Third Stream, Troisième Courant. Le terme a fait florès. On ne saurait dire pour autant que les résultats se soient toujours révélés convaincants. Parallèlement, certains compositeurs classiques ont manifesté pour le jazz, dès le début du vingtième siècle, un intérêt qui transparaît dans plusieurs de leurs oeuvres, sans que cela dépasse vraiment l’anecdote. La chose n’est donc pas nouvelle. Pas davantage une cohabitation, voire un mariage, souhaités ou rêvés par les deux parties.

Wynton Marsalis, pour sa part, n’a jamais renoncé à ce projet ambitieux qu’il remet périodiquement à l’honneur. A preuve sa Marciac Suite, créée ici même, et des oeuvres comme Blues Symphony et Swing Symphony. C’est cette dernière, écrite en 2010, qu’il choisit de présenter ce soir avec le Lincoln, augmenté de l’orchestre du Capitole de Toulouse. De quoi occuper dans son entier la grande scène du chapiteau, les jazzmen se trouvant encerclés (cernés ?) par des musiciens classiques, ces derniers plus habitués à la fosse qu’aux sunlights du podium.

Fruit de cet impressionnant rassemblement ? Il faut bien l’avouer : la déception. Passé le premier moment de curiosité et en dépit de quelques rares fulgurances, un ennui pesant. Malgré les efforts de Dwayne Marshall, meilleur chef d’orchestre que pianiste (il en fera plus tard la démonstration, à quatre mains avec Dan Minner), jamais l’osmose ne s’établit entre des « classiques » s’essayant au swing avec une bonne volonté aussi évidente que leur raideur, et des « jazzmen » à l’étroit dans le carcan des partitions. Pas de véritable joute. A l’inverse, des amorces de dialogue vite avortées, des duels singuliers (timbales contre batterie, section de violons contre saxophones) soigneusement programmés et balisés. Quant à la musique, maintes réminiscences. Debussy, Ravel, et aussi Gershwin, voire Leonard Bernstein. Et puis Ellington, bien entendu. Un patchwork péchant par manque d’unité – comme si le compositeur, voulant trop prouver, s’engouffrait dans de multiples directions sans en suivre vraiment aucune jusqu’au bout. Surtout par manque de flamme, sans que la responsabilité puisse en être imputée à quiconque. Sinon, peut-être, à la nature même du projet.

D’où le manque de respiration d’une oeuvre ambitieuse qui compte, certes, quelques séquences brillantes, mais peine à soutenir d’un bout à l’autre l’attention. S’il fallait choisir un passage réussi, ce serait le deuxième mouvement, repris, du reste, en rappel. Par la suite, le Lincoln, comme libéré de la présence de l’orchestre symphonique, livrera brièvement, grâce à Wynton et à Victor Goines, souverain au soprano, un aperçu de ses véritables talents.

Il va sans dire que ces lignes, écrites à chaud, traduisent seulement les impressions du moment et que d’autres écoutes seraient nécessaires pour formuler un jugement sans doute moins abrupt.

 

La première partie se situait aux antipodes. Avant la pesanteur, la légèreté. La grâce. La chaleur avant le gel. Il a suffi à Youn Sun Nah d’un premier morceau, My Favorite Things, qu’elle détaille en solo, pour subjuguer un chapiteau abondamment garni. Pour imposer sa voix, d’une exceptionnelle pureté sur toute l’étendue de son registre, de la ténuité au cri guttural. Sans compter son talent de comédienne qui lui permet d »incarner », au sens premier du terme, chacune de ses chansons.

Prêtresse d’une sorte de hiérophanie dont elle seule maîtriserait les rites, elle sculpte l’espace de ses mains, souligne les aspérités de son scat, donne à voir en même temps qu’à entendre. Tour à tour grave et mutine, enjouée ou sombre comme le dénouement d’une chanson d’amour coréenne, elle fait de sa voix un instrument à part entière. Alterne les tempos et les climats. Pour seuls accessoires épisodiques, une chambre d’écho dont elle use, Dieu merci, avec parcimonie, et une petite boîte à musique dont elle déroule sagement le rouleau perforé.

Ses accompagnateurs qu’elle convoque tour à tour, passant du duo au quartette – Ulf Wakenius, stupéfiant d’aisance, multipliant les prouesses techniques, usant d’un verre comme bottleneck ou instrument de percussion, Vincent Peirani, à la discrétion bienvenue, Simon Tailleu, garant imperturbable du tempo – participent activement à la dramaturgie qui conduit d’un thème d’Egberto Gismonti à Pancake, l’un de ses premiers succès, en passant par Avec le temps de Léo Ferré, qu’elle distille avec une rare sensibilité.

Avant le concert, Youn me confiait son trac d’avoir à chanter devant quelque cinq mille personnes. Pari tenu. Le public l’a ovationnée, obtenu d’elle deux rappels, l’a quittée à regret. Lorsqu’elle a remercié Marciac, où elle s’est produite pour la première fois en 2000, des larmes ont ruisselé sur ses joues. Ce n’étaient pas des larmes de comédienne. Le gros plan de son visage, diffusé sur les écrans, en témoignait avec éloquence.

 

Jacques Aboucaya

 

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Où va le jazz ? Nul ne saurait le dire. Seule certitude, il explore ses entours. Se cherche, comme il l’a souvent fait au cours de son histoire, des chemins nouveaux, sans s’embarrasser d’une quelconque orthodoxie. Passé l’effet de mode, certains déboucheront sans doute sur des impasses. D’autres, en revanche, lui ouvrent des perspectives inattendues. La soirée du 31, avec ses deux parties contrastées, en offre l’illustration.


Youn Sun Nah (voc), Ulf Wakenius (g), Vincent Peirani (acc), Simon Tailleu (b).

 

Wynton Marsalis & Jazz At Lincoln Center Orchestra avec L’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Dwayne Marshall (dir), Wynton Marsalis (tp, dir musical), Ryan Kisor, Marcus Printup, Kenny Rampton, Vincent R. Gardner (tp), Elliot Mason, Chris Crenshaw (tb), Sherman Irby, Ted Nash, Walter Blanding, Victor Goines, Tony Lustic (reeds, fl), Dan Nimmer (p), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm). Chapiteau, 31 juillet.

 

La tentation de la fusion avec la musique classique n’est certes pas nouvelle. Certains compositeurs de jazz, parfois soucieux de se donner un gage de respectabilité, se sont lancés dans l’aventure de ce que Gunther Schuller avait baptisé, au milieu du siècle dernier, Third Stream, Troisième Courant. Le terme a fait florès. On ne saurait dire pour autant que les résultats se soient toujours révélés convaincants. Parallèlement, certains compositeurs classiques ont manifesté pour le jazz, dès le début du vingtième siècle, un intérêt qui transparaît dans plusieurs de leurs oeuvres, sans que cela dépasse vraiment l’anecdote. La chose n’est donc pas nouvelle. Pas davantage une cohabitation, voire un mariage, souhaités ou rêvés par les deux parties.

Wynton Marsalis, pour sa part, n’a jamais renoncé à ce projet ambitieux qu’il remet périodiquement à l’honneur. A preuve sa Marciac Suite, créée ici même, et des oeuvres comme Blues Symphony et Swing Symphony. C’est cette dernière, écrite en 2010, qu’il choisit de présenter ce soir avec le Lincoln, augmenté de l’orchestre du Capitole de Toulouse. De quoi occuper dans son entier la grande scène du chapiteau, les jazzmen se trouvant encerclés (cernés ?) par des musiciens classiques, ces derniers plus habitués à la fosse qu’aux sunlights du podium.

Fruit de cet impressionnant rassemblement ? Il faut bien l’avouer : la déception. Passé le premier moment de curiosité et en dépit de quelques rares fulgurances, un ennui pesant. Malgré les efforts de Dwayne Marshall, meilleur chef d’orchestre que pianiste (il en fera plus tard la démonstration, à quatre mains avec Dan Minner), jamais l’osmose ne s’établit entre des « classiques » s’essayant au swing avec une bonne volonté aussi évidente que leur raideur, et des « jazzmen » à l’étroit dans le carcan des partitions. Pas de véritable joute. A l’inverse, des amorces de dialogue vite avortées, des duels singuliers (timbales contre batterie, section de violons contre saxophones) soigneusement programmés et balisés. Quant à la musique, maintes réminiscences. Debussy, Ravel, et aussi Gershwin, voire Leonard Bernstein. Et puis Ellington, bien entendu. Un patchwork péchant par manque d’unité – comme si le compositeur, voulant trop prouver, s’engouffrait dans de multiples directions sans en suivre vraiment aucune jusqu’au bout. Surtout par manque de flamme, sans que la responsabilité puisse en être imputée à quiconque. Sinon, peut-être, à la nature même du projet.

D’où le manque de respiration d’une oeuvre ambitieuse qui compte, certes, quelques séquences brillantes, mais peine à soutenir d’un bout à l’autre l’attention. S’il fallait choisir un passage réussi, ce serait le deuxième mouvement, repris, du reste, en rappel. Par la suite, le Lincoln, comme libéré de la présence de l’orchestre symphonique, livrera brièvement, grâce à Wynton et à Victor Goines, souverain au soprano, un aperçu de ses véritables talents.

Il va sans dire que ces lignes, écrites à chaud, traduisent seulement les impressions du moment et que d’autres écoutes seraient nécessaires pour formuler un jugement sans doute moins abrupt.

 

La première partie se situait aux antipodes. Avant la pesanteur, la légèreté. La grâce. La chaleur avant le gel. Il a suffi à Youn Sun Nah d’un premier morceau, My Favorite Things, qu’elle détaille en solo, pour subjuguer un chapiteau abondamment garni. Pour imposer sa voix, d’une exceptionnelle pureté sur toute l’étendue de son registre, de la ténuité au cri guttural. Sans compter son talent de comédienne qui lui permet d »incarner », au sens premier du terme, chacune de ses chansons.

Prêtresse d’une sorte de hiérophanie dont elle seule maîtriserait les rites, elle sculpte l’espace de ses mains, souligne les aspérités de son scat, donne à voir en même temps qu’à entendre. Tour à tour grave et mutine, enjouée ou sombre comme le dénouement d’une chanson d’amour coréenne, elle fait de sa voix un instrument à part entière. Alterne les tempos et les climats. Pour seuls accessoires épisodiques, une chambre d’écho dont elle use, Dieu merci, avec parcimonie, et une petite boîte à musique dont elle déroule sagement le rouleau perforé.

Ses accompagnateurs qu’elle convoque tour à tour, passant du duo au quartette – Ulf Wakenius, stupéfiant d’aisance, multipliant les prouesses techniques, usant d’un verre comme bottleneck ou instrument de percussion, Vincent Peirani, à la discrétion bienvenue, Simon Tailleu, garant imperturbable du tempo – participent activement à la dramaturgie qui conduit d’un thème d’Egberto Gismonti à Pancake, l’un de ses premiers succès, en passant par Avec le temps de Léo Ferré, qu’elle distille avec une rare sensibilité.

Avant le concert, Youn me confiait son trac d’avoir à chanter devant quelque cinq mille personnes. Pari tenu. Le public l’a ovationnée, obtenu d’elle deux rappels, l’a quittée à regret. Lorsqu’elle a remercié Marciac, où elle s’est produite pour la première fois en 2000, des larmes ont ruisselé sur ses joues. Ce n’étaient pas des larmes de comédienne. Le gros plan de son visage, diffusé sur les écrans, en témoignait avec éloquence.

 

Jacques Aboucaya

 

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Où va le jazz ? Nul ne saurait le dire. Seule certitude, il explore ses entours. Se cherche, comme il l’a souvent fait au cours de son histoire, des chemins nouveaux, sans s’embarrasser d’une quelconque orthodoxie. Passé l’effet de mode, certains déboucheront sans doute sur des impasses. D’autres, en revanche, lui ouvrent des perspectives inattendues. La soirée du 31, avec ses deux parties contrastées, en offre l’illustration.


Youn Sun Nah (voc), Ulf Wakenius (g), Vincent Peirani (acc), Simon Tailleu (b).

 

Wynton Marsalis & Jazz At Lincoln Center Orchestra avec L’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Dwayne Marshall (dir), Wynton Marsalis (tp, dir musical), Ryan Kisor, Marcus Printup, Kenny Rampton, Vincent R. Gardner (tp), Elliot Mason, Chris Crenshaw (tb), Sherman Irby, Ted Nash, Walter Blanding, Victor Goines, Tony Lustic (reeds, fl), Dan Nimmer (p), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm). Chapiteau, 31 juillet.

 

La tentation de la fusion avec la musique classique n’est certes pas nouvelle. Certains compositeurs de jazz, parfois soucieux de se donner un gage de respectabilité, se sont lancés dans l’aventure de ce que Gunther Schuller avait baptisé, au milieu du siècle dernier, Third Stream, Troisième Courant. Le terme a fait florès. On ne saurait dire pour autant que les résultats se soient toujours révélés convaincants. Parallèlement, certains compositeurs classiques ont manifesté pour le jazz, dès le début du vingtième siècle, un intérêt qui transparaît dans plusieurs de leurs oeuvres, sans que cela dépasse vraiment l’anecdote. La chose n’est donc pas nouvelle. Pas davantage une cohabitation, voire un mariage, souhaités ou rêvés par les deux parties.

Wynton Marsalis, pour sa part, n’a jamais renoncé à ce projet ambitieux qu’il remet périodiquement à l’honneur. A preuve sa Marciac Suite, créée ici même, et des oeuvres comme Blues Symphony et Swing Symphony. C’est cette dernière, écrite en 2010, qu’il choisit de présenter ce soir avec le Lincoln, augmenté de l’orchestre du Capitole de Toulouse. De quoi occuper dans son entier la grande scène du chapiteau, les jazzmen se trouvant encerclés (cernés ?) par des musiciens classiques, ces derniers plus habitués à la fosse qu’aux sunlights du podium.

Fruit de cet impressionnant rassemblement ? Il faut bien l’avouer : la déception. Passé le premier moment de curiosité et en dépit de quelques rares fulgurances, un ennui pesant. Malgré les efforts de Dwayne Marshall, meilleur chef d’orchestre que pianiste (il en fera plus tard la démonstration, à quatre mains avec Dan Minner), jamais l’osmose ne s’établit entre des « classiques » s’essayant au swing avec une bonne volonté aussi évidente que leur raideur, et des « jazzmen » à l’étroit dans le carcan des partitions. Pas de véritable joute. A l’inverse, des amorces de dialogue vite avortées, des duels singuliers (timbales contre batterie, section de violons contre saxophones) soigneusement programmés et balisés. Quant à la musique, maintes réminiscences. Debussy, Ravel, et aussi Gershwin, voire Leonard Bernstein. Et puis Ellington, bien entendu. Un patchwork péchant par manque d’unité – comme si le compositeur, voulant trop prouver, s’engouffrait dans de multiples directions sans en suivre vraiment aucune jusqu’au bout. Surtout par manque de flamme, sans que la responsabilité puisse en être imputée à quiconque. Sinon, peut-être, à la nature même du projet.

D’où le manque de respiration d’une oeuvre ambitieuse qui compte, certes, quelques séquences brillantes, mais peine à soutenir d’un bout à l’autre l’attention. S’il fallait choisir un passage réussi, ce serait le deuxième mouvement, repris, du reste, en rappel. Par la suite, le Lincoln, comme libéré de la présence de l’orchestre symphonique, livrera brièvement, grâce à Wynton et à Victor Goines, souverain au soprano, un aperçu de ses véritables talents.

Il va sans dire que ces lignes, écrites à chaud, traduisent seulement les impressions du moment et que d’autres écoutes seraient nécessaires pour formuler un jugement sans doute moins abrupt.

 

La première partie se situait aux antipodes. Avant la pesanteur, la légèreté. La grâce. La chaleur avant le gel. Il a suffi à Youn Sun Nah d’un premier morceau, My Favorite Things, qu’elle détaille en solo, pour subjuguer un chapiteau abondamment garni. Pour imposer sa voix, d’une exceptionnelle pureté sur toute l’étendue de son registre, de la ténuité au cri guttural. Sans compter son talent de comédienne qui lui permet d »incarner », au sens premier du terme, chacune de ses chansons.

Prêtresse d’une sorte de hiérophanie dont elle seule maîtriserait les rites, elle sculpte l’espace de ses mains, souligne les aspérités de son scat, donne à voir en même temps qu’à entendre. Tour à tour grave et mutine, enjouée ou sombre comme le dénouement d’une chanson d’amour coréenne, elle fait de sa voix un instrument à part entière. Alterne les tempos et les climats. Pour seuls accessoires épisodiques, une chambre d’écho dont elle use, Dieu merci, avec parcimonie, et une petite boîte à musique dont elle déroule sagement le rouleau perforé.

Ses accompagnateurs qu’elle convoque tour à tour, passant du duo au quartette – Ulf Wakenius, stupéfiant d’aisance, multipliant les prouesses techniques, usant d’un verre comme bottleneck ou instrument de percussion, Vincent Peirani, à la discrétion bienvenue, Simon Tailleu, garant imperturbable du tempo – participent activement à la dramaturgie qui conduit d’un thème d’Egberto Gismonti à Pancake, l’un de ses premiers succès, en passant par Avec le temps de Léo Ferré, qu’elle distille avec une rare sensibilité.

Avant le concert, Youn me confiait son trac d’avoir à chanter devant quelque cinq mille personnes. Pari tenu. Le public l’a ovationnée, obtenu d’elle deux rappels, l’a quittée à regret. Lorsqu’elle a remercié Marciac, où elle s’est produite pour la première fois en 2000, des larmes ont ruisselé sur ses joues. Ce n’étaient pas des larmes de comédienne. Le gros plan de son visage, diffusé sur les écrans, en témoignait avec éloquence.

 

Jacques Aboucaya

 

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Où va le jazz ? Nul ne saurait le dire. Seule certitude, il explore ses entours. Se cherche, comme il l’a souvent fait au cours de son histoire, des chemins nouveaux, sans s’embarrasser d’une quelconque orthodoxie. Passé l’effet de mode, certains déboucheront sans doute sur des impasses. D’autres, en revanche, lui ouvrent des perspectives inattendues. La soirée du 31, avec ses deux parties contrastées, en offre l’illustration.


Youn Sun Nah (voc), Ulf Wakenius (g), Vincent Peirani (acc), Simon Tailleu (b).

 

Wynton Marsalis & Jazz At Lincoln Center Orchestra avec L’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Dwayne Marshall (dir), Wynton Marsalis (tp, dir musical), Ryan Kisor, Marcus Printup, Kenny Rampton, Vincent R. Gardner (tp), Elliot Mason, Chris Crenshaw (tb), Sherman Irby, Ted Nash, Walter Blanding, Victor Goines, Tony Lustic (reeds, fl), Dan Nimmer (p), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm). Chapiteau, 31 juillet.

 

La tentation de la fusion avec la musique classique n’est certes pas nouvelle. Certains compositeurs de jazz, parfois soucieux de se donner un gage de respectabilité, se sont lancés dans l’aventure de ce que Gunther Schuller avait baptisé, au milieu du siècle dernier, Third Stream, Troisième Courant. Le terme a fait florès. On ne saurait dire pour autant que les résultats se soient toujours révélés convaincants. Parallèlement, certains compositeurs classiques ont manifesté pour le jazz, dès le début du vingtième siècle, un intérêt qui transparaît dans plusieurs de leurs oeuvres, sans que cela dépasse vraiment l’anecdote. La chose n’est donc pas nouvelle. Pas davantage une cohabitation, voire un mariage, souhaités ou rêvés par les deux parties.

Wynton Marsalis, pour sa part, n’a jamais renoncé à ce projet ambitieux qu’il remet périodiquement à l’honneur. A preuve sa Marciac Suite, créée ici même, et des oeuvres comme Blues Symphony et Swing Symphony. C’est cette dernière, écrite en 2010, qu’il choisit de présenter ce soir avec le Lincoln, augmenté de l’orchestre du Capitole de Toulouse. De quoi occuper dans son entier la grande scène du chapiteau, les jazzmen se trouvant encerclés (cernés ?) par des musiciens classiques, ces derniers plus habitués à la fosse qu’aux sunlights du podium.

Fruit de cet impressionnant rassemblement ? Il faut bien l’avouer : la déception. Passé le premier moment de curiosité et en dépit de quelques rares fulgurances, un ennui pesant. Malgré les efforts de Dwayne Marshall, meilleur chef d’orchestre que pianiste (il en fera plus tard la démonstration, à quatre mains avec Dan Minner), jamais l’osmose ne s’établit entre des « classiques » s’essayant au swing avec une bonne volonté aussi évidente que leur raideur, et des « jazzmen » à l’étroit dans le carcan des partitions. Pas de véritable joute. A l’inverse, des amorces de dialogue vite avortées, des duels singuliers (timbales contre batterie, section de violons contre saxophones) soigneusement programmés et balisés. Quant à la musique, maintes réminiscences. Debussy, Ravel, et aussi Gershwin, voire Leonard Bernstein. Et puis Ellington, bien entendu. Un patchwork péchant par manque d’unité – comme si le compositeur, voulant trop prouver, s’engouffrait dans de multiples directions sans en suivre vraiment aucune jusqu’au bout. Surtout par manque de flamme, sans que la responsabilité puisse en être imputée à quiconque. Sinon, peut-être, à la nature même du projet.

D’où le manque de respiration d’une oeuvre ambitieuse qui compte, certes, quelques séquences brillantes, mais peine à soutenir d’un bout à l’autre l’attention. S’il fallait choisir un passage réussi, ce serait le deuxième mouvement, repris, du reste, en rappel. Par la suite, le Lincoln, comme libéré de la présence de l’orchestre symphonique, livrera brièvement, grâce à Wynton et à Victor Goines, souverain au soprano, un aperçu de ses véritables talents.

Il va sans dire que ces lignes, écrites à chaud, traduisent seulement les impressions du moment et que d’autres écoutes seraient nécessaires pour formuler un jugement sans doute moins abrupt.

 

La première partie se situait aux antipodes. Avant la pesanteur, la légèreté. La grâce. La chaleur avant le gel. Il a suffi à Youn Sun Nah d’un premier morceau, My Favorite Things, qu’elle détaille en solo, pour subjuguer un chapiteau abondamment garni. Pour imposer sa voix, d’une exceptionnelle pureté sur toute l’étendue de son registre, de la ténuité au cri guttural. Sans compter son talent de comédienne qui lui permet d »incarner », au sens premier du terme, chacune de ses chansons.

Prêtresse d’une sorte de hiérophanie dont elle seule maîtriserait les rites, elle sculpte l’espace de ses mains, souligne les aspérités de son scat, donne à voir en même temps qu’à entendre. Tour à tour grave et mutine, enjouée ou sombre comme le dénouement d’une chanson d’amour coréenne, elle fait de sa voix un instrument à part entière. Alterne les tempos et les climats. Pour seuls accessoires épisodiques, une chambre d’écho dont elle use, Dieu merci, avec parcimonie, et une petite boîte à musique dont elle déroule sagement le rouleau perforé.

Ses accompagnateurs qu’elle convoque tour à tour, passant du duo au quartette – Ulf Wakenius, stupéfiant d’aisance, multipliant les prouesses techniques, usant d’un verre comme bottleneck ou instrument de percussion, Vincent Peirani, à la discrétion bienvenue, Simon Tailleu, garant imperturbable du tempo – participent activement à la dramaturgie qui conduit d’un thème d’Egberto Gismonti à Pancake, l’un de ses premiers succès, en passant par Avec le temps de Léo Ferré, qu’elle distille avec une rare sensibilité.

Avant le concert, Youn me confiait son trac d’avoir à chanter devant quelque cinq mille personnes. Pari tenu. Le public l’a ovationnée, obtenu d’elle deux rappels, l’a quittée à regret. Lorsqu’elle a remercié Marciac, où elle s’est produite pour la première fois en 2000, des larmes ont ruisselé sur ses joues. Ce n’étaient pas des larmes de comédienne. Le gros plan de son visage, diffusé sur les écrans, en témoignait avec éloquence.

 

Jacques Aboucaya