Jazz live
Publié le 11 Août 2012

Jazz in Marciac. Ultimes envolées

 Le festival touche à sa fin. Les stagiaires ont donné le 9, sur la place de l’Hôtel de Ville, leur concert d’adieu, avant de s’égailler, volée de moineaux, dans toutes les directions. La séparation est toujours émouvante. Rien de tel que la communion musicale pour nouer, en quelques jours, des liens. Etroits ? Superficiels ? Qu’importe. Ce sont les aléas de la rencontre.

 


Eddie Palmieri & His Salsa Orchestra

75th Birthday Celebration Tour. Chapiteau, 9 août.

Ruben Blades & the Roberto Delgado Orchestra From Panama

Cantos y Cuentes Urbano. Chapiteau, 9 août.

Kenny Barron, Mulgrew Miller, Gerald Clayton, Eric Reed (p)

Mostly Monk. Chapiteau, 10 août.

Kurt Elling & the Barcelona Jazz Orchestra. Chapiteau, 10 août.

 

Pour clore le bec à la mélancolie, les salseros d’Eddie Palmieri, puis ceux de Ruben Blades ont donné, le soir même, des fourmis dans les jambes aux nombreux occupants du chapiteau. Le jazz latin a toujours été à l’honneur à Marciac. Il n’est pas dénué de vertus, mais mon incompétence en la matière m’interdit d’analyser en profondeur les mérites des uns et des autres. Encore moins de les comparer, car leurs qualités me semblent quasi identiques. L’un, Palmieri, allume sur scène un énorme havane, sans doute pour donner du panache à son anniversaire. Il compte dans sa phalange deux solides musiciens de pupitre qui sont aussi de bons solistes, Brian Lynch (tp) et Conrad Herwig (tb), qu’il sollicite tour à tour. L’autre, Blades, est le héros de la « salsa sociale ». La contestation pimente ses chansons et ses propos. Le drapeau panaméen flotte sur l’orchestre du bassiste Roberto Delgado qui accompagne les messages du sonero. Un orchestre dont la section de trombones, mordante, figurerait honorablement dans un big band de type classique.

 

Un big band dédié au jazz, comme, par exemple, le Barcelona Jazz Orchestra qui bénéficierait ainsi d’un surcroît de vigueur. Il donne, le lendemain, la réplique à Kurt Elling. Cette solide formation ne fait guère dans la nuance. Pour tout dire, c’est plutôt la lourdeur qui la caractérise. Elle exécute toutefois, avec une conscience appliquée, des arrangements efficaces, tel celui de Benny Carter sur I Can’t Give You Anything But Love. Xavier Figuerola (ts) y trouve l’occasion de s’illustrer et Victor DeDiego (ss) colore à sa manière April In Paris, rebaptisé pour la circonstance April In Marciac par le chanteur.

Ce dernier, dont la tessiture couvre, paraît-il, pas moins de quatre octaves, ne se fait pas faute d’exploiter ce don de la nature. Il sait être enjôleur (You Are Too Beautiful, inusable standard de Richard Rodgers propre à mettre en valeur le charme du crooner), attendrissant (Luiza, de Tom Jobim, qu’il dédie à sa fille), voire se révéler un catalyseur pour les musiciens catalans qu’il s’efforce de galvaniser du geste. Il excelle surtout à jouer de toutes les possibilités offertes par son registre. Se promène avec aisance du grave à l’aigu. De feeling, point. De swing, moins encore. En revanche, le goût de la performance. Et une incontestable virtuosité qu’Il serait injuste de ne pas porter à son actif.

 

De la virtuosité, les quatre pianistes qui avaient occupé la scène avant lui en avaient à revendre. Huit mains, quatre mains, joutes duelles, permutations multiples, affrontements singuliers, solos, toutes les combinaisons, toutes les possibilités offertes par la présence conjointe de deux pianos avaient été exploitées par les « anciens », Kenny Barron, Mulgrew Miller, et les « modernes », Eric Reed, Gerald Clayton. Sur des compositions de Monk, Thelonious, I Mean You, Monk’s Dream, Blue Monk (tel était le thème choisi), mais aussi sur des standards – Love For Sale, My Old Flame, l’émouvant Con Alma de Gillespie -, ils se défient, se provoquent. Plus souvent, se jaugent, se stimulent. Dialogues, conversations passionnées plutôt que véritables confrontations. Croisements d’improvisations. De regards, de sourires où, plus que le défi, se devine l’admiration ou le plaisir. Non que toute émulation soit absente de cette connivence. Chacun se pique manifestement au jeu, prend l’exercice au sérieux, même s’il est hors de question de désigner vainqueur ou vaincu. Tous donnent, manifestement, le meilleur d’eux-mêmes.

Mon ami André Clergeat, dont une longue expérience a rassis le jugement, condamne ces brillances. Il y décèle du clinquant, en dénonce la vanité, la superficialité. Au nom de la mesure, dont il est un fervent zélateur. Sa rigueur me semble excessive. Quand Barron, aiguillonné par les accords que concocte le jeune Clayton, se lance à corps perdu dans une brillante paraphrase de Bright Mississippi que Monk avait tiré du vieux Sweet Georgia Brown, quand Eric Reed manifeste une telle joie de jouer qu’il s’invite, lors du second set, sur le premier morceau du big band catalan, on se dit que l’imprévu et la spontanéité ont toujours, quoi qu’il semble, droit de cité. Tel est, en définitive, l’incomparable charme du jazz.

 

Jacques Aboucaya

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 Le festival touche à sa fin. Les stagiaires ont donné le 9, sur la place de l’Hôtel de Ville, leur concert d’adieu, avant de s’égailler, volée de moineaux, dans toutes les directions. La séparation est toujours émouvante. Rien de tel que la communion musicale pour nouer, en quelques jours, des liens. Etroits ? Superficiels ? Qu’importe. Ce sont les aléas de la rencontre.

 


Eddie Palmieri & His Salsa Orchestra

75th Birthday Celebration Tour. Chapiteau, 9 août.

Ruben Blades & the Roberto Delgado Orchestra From Panama

Cantos y Cuentes Urbano. Chapiteau, 9 août.

Kenny Barron, Mulgrew Miller, Gerald Clayton, Eric Reed (p)

Mostly Monk. Chapiteau, 10 août.

Kurt Elling & the Barcelona Jazz Orchestra. Chapiteau, 10 août.

 

Pour clore le bec à la mélancolie, les salseros d’Eddie Palmieri, puis ceux de Ruben Blades ont donné, le soir même, des fourmis dans les jambes aux nombreux occupants du chapiteau. Le jazz latin a toujours été à l’honneur à Marciac. Il n’est pas dénué de vertus, mais mon incompétence en la matière m’interdit d’analyser en profondeur les mérites des uns et des autres. Encore moins de les comparer, car leurs qualités me semblent quasi identiques. L’un, Palmieri, allume sur scène un énorme havane, sans doute pour donner du panache à son anniversaire. Il compte dans sa phalange deux solides musiciens de pupitre qui sont aussi de bons solistes, Brian Lynch (tp) et Conrad Herwig (tb), qu’il sollicite tour à tour. L’autre, Blades, est le héros de la « salsa sociale ». La contestation pimente ses chansons et ses propos. Le drapeau panaméen flotte sur l’orchestre du bassiste Roberto Delgado qui accompagne les messages du sonero. Un orchestre dont la section de trombones, mordante, figurerait honorablement dans un big band de type classique.

 

Un big band dédié au jazz, comme, par exemple, le Barcelona Jazz Orchestra qui bénéficierait ainsi d’un surcroît de vigueur. Il donne, le lendemain, la réplique à Kurt Elling. Cette solide formation ne fait guère dans la nuance. Pour tout dire, c’est plutôt la lourdeur qui la caractérise. Elle exécute toutefois, avec une conscience appliquée, des arrangements efficaces, tel celui de Benny Carter sur I Can’t Give You Anything But Love. Xavier Figuerola (ts) y trouve l’occasion de s’illustrer et Victor DeDiego (ss) colore à sa manière April In Paris, rebaptisé pour la circonstance April In Marciac par le chanteur.

Ce dernier, dont la tessiture couvre, paraît-il, pas moins de quatre octaves, ne se fait pas faute d’exploiter ce don de la nature. Il sait être enjôleur (You Are Too Beautiful, inusable standard de Richard Rodgers propre à mettre en valeur le charme du crooner), attendrissant (Luiza, de Tom Jobim, qu’il dédie à sa fille), voire se révéler un catalyseur pour les musiciens catalans qu’il s’efforce de galvaniser du geste. Il excelle surtout à jouer de toutes les possibilités offertes par son registre. Se promène avec aisance du grave à l’aigu. De feeling, point. De swing, moins encore. En revanche, le goût de la performance. Et une incontestable virtuosité qu’Il serait injuste de ne pas porter à son actif.

 

De la virtuosité, les quatre pianistes qui avaient occupé la scène avant lui en avaient à revendre. Huit mains, quatre mains, joutes duelles, permutations multiples, affrontements singuliers, solos, toutes les combinaisons, toutes les possibilités offertes par la présence conjointe de deux pianos avaient été exploitées par les « anciens », Kenny Barron, Mulgrew Miller, et les « modernes », Eric Reed, Gerald Clayton. Sur des compositions de Monk, Thelonious, I Mean You, Monk’s Dream, Blue Monk (tel était le thème choisi), mais aussi sur des standards – Love For Sale, My Old Flame, l’émouvant Con Alma de Gillespie -, ils se défient, se provoquent. Plus souvent, se jaugent, se stimulent. Dialogues, conversations passionnées plutôt que véritables confrontations. Croisements d’improvisations. De regards, de sourires où, plus que le défi, se devine l’admiration ou le plaisir. Non que toute émulation soit absente de cette connivence. Chacun se pique manifestement au jeu, prend l’exercice au sérieux, même s’il est hors de question de désigner vainqueur ou vaincu. Tous donnent, manifestement, le meilleur d’eux-mêmes.

Mon ami André Clergeat, dont une longue expérience a rassis le jugement, condamne ces brillances. Il y décèle du clinquant, en dénonce la vanité, la superficialité. Au nom de la mesure, dont il est un fervent zélateur. Sa rigueur me semble excessive. Quand Barron, aiguillonné par les accords que concocte le jeune Clayton, se lance à corps perdu dans une brillante paraphrase de Bright Mississippi que Monk avait tiré du vieux Sweet Georgia Brown, quand Eric Reed manifeste une telle joie de jouer qu’il s’invite, lors du second set, sur le premier morceau du big band catalan, on se dit que l’imprévu et la spontanéité ont toujours, quoi qu’il semble, droit de cité. Tel est, en définitive, l’incomparable charme du jazz.

 

Jacques Aboucaya

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 Le festival touche à sa fin. Les stagiaires ont donné le 9, sur la place de l’Hôtel de Ville, leur concert d’adieu, avant de s’égailler, volée de moineaux, dans toutes les directions. La séparation est toujours émouvante. Rien de tel que la communion musicale pour nouer, en quelques jours, des liens. Etroits ? Superficiels ? Qu’importe. Ce sont les aléas de la rencontre.

 


Eddie Palmieri & His Salsa Orchestra

75th Birthday Celebration Tour. Chapiteau, 9 août.

Ruben Blades & the Roberto Delgado Orchestra From Panama

Cantos y Cuentes Urbano. Chapiteau, 9 août.

Kenny Barron, Mulgrew Miller, Gerald Clayton, Eric Reed (p)

Mostly Monk. Chapiteau, 10 août.

Kurt Elling & the Barcelona Jazz Orchestra. Chapiteau, 10 août.

 

Pour clore le bec à la mélancolie, les salseros d’Eddie Palmieri, puis ceux de Ruben Blades ont donné, le soir même, des fourmis dans les jambes aux nombreux occupants du chapiteau. Le jazz latin a toujours été à l’honneur à Marciac. Il n’est pas dénué de vertus, mais mon incompétence en la matière m’interdit d’analyser en profondeur les mérites des uns et des autres. Encore moins de les comparer, car leurs qualités me semblent quasi identiques. L’un, Palmieri, allume sur scène un énorme havane, sans doute pour donner du panache à son anniversaire. Il compte dans sa phalange deux solides musiciens de pupitre qui sont aussi de bons solistes, Brian Lynch (tp) et Conrad Herwig (tb), qu’il sollicite tour à tour. L’autre, Blades, est le héros de la « salsa sociale ». La contestation pimente ses chansons et ses propos. Le drapeau panaméen flotte sur l’orchestre du bassiste Roberto Delgado qui accompagne les messages du sonero. Un orchestre dont la section de trombones, mordante, figurerait honorablement dans un big band de type classique.

 

Un big band dédié au jazz, comme, par exemple, le Barcelona Jazz Orchestra qui bénéficierait ainsi d’un surcroît de vigueur. Il donne, le lendemain, la réplique à Kurt Elling. Cette solide formation ne fait guère dans la nuance. Pour tout dire, c’est plutôt la lourdeur qui la caractérise. Elle exécute toutefois, avec une conscience appliquée, des arrangements efficaces, tel celui de Benny Carter sur I Can’t Give You Anything But Love. Xavier Figuerola (ts) y trouve l’occasion de s’illustrer et Victor DeDiego (ss) colore à sa manière April In Paris, rebaptisé pour la circonstance April In Marciac par le chanteur.

Ce dernier, dont la tessiture couvre, paraît-il, pas moins de quatre octaves, ne se fait pas faute d’exploiter ce don de la nature. Il sait être enjôleur (You Are Too Beautiful, inusable standard de Richard Rodgers propre à mettre en valeur le charme du crooner), attendrissant (Luiza, de Tom Jobim, qu’il dédie à sa fille), voire se révéler un catalyseur pour les musiciens catalans qu’il s’efforce de galvaniser du geste. Il excelle surtout à jouer de toutes les possibilités offertes par son registre. Se promène avec aisance du grave à l’aigu. De feeling, point. De swing, moins encore. En revanche, le goût de la performance. Et une incontestable virtuosité qu’Il serait injuste de ne pas porter à son actif.

 

De la virtuosité, les quatre pianistes qui avaient occupé la scène avant lui en avaient à revendre. Huit mains, quatre mains, joutes duelles, permutations multiples, affrontements singuliers, solos, toutes les combinaisons, toutes les possibilités offertes par la présence conjointe de deux pianos avaient été exploitées par les « anciens », Kenny Barron, Mulgrew Miller, et les « modernes », Eric Reed, Gerald Clayton. Sur des compositions de Monk, Thelonious, I Mean You, Monk’s Dream, Blue Monk (tel était le thème choisi), mais aussi sur des standards – Love For Sale, My Old Flame, l’émouvant Con Alma de Gillespie -, ils se défient, se provoquent. Plus souvent, se jaugent, se stimulent. Dialogues, conversations passionnées plutôt que véritables confrontations. Croisements d’improvisations. De regards, de sourires où, plus que le défi, se devine l’admiration ou le plaisir. Non que toute émulation soit absente de cette connivence. Chacun se pique manifestement au jeu, prend l’exercice au sérieux, même s’il est hors de question de désigner vainqueur ou vaincu. Tous donnent, manifestement, le meilleur d’eux-mêmes.

Mon ami André Clergeat, dont une longue expérience a rassis le jugement, condamne ces brillances. Il y décèle du clinquant, en dénonce la vanité, la superficialité. Au nom de la mesure, dont il est un fervent zélateur. Sa rigueur me semble excessive. Quand Barron, aiguillonné par les accords que concocte le jeune Clayton, se lance à corps perdu dans une brillante paraphrase de Bright Mississippi que Monk avait tiré du vieux Sweet Georgia Brown, quand Eric Reed manifeste une telle joie de jouer qu’il s’invite, lors du second set, sur le premier morceau du big band catalan, on se dit que l’imprévu et la spontanéité ont toujours, quoi qu’il semble, droit de cité. Tel est, en définitive, l’incomparable charme du jazz.

 

Jacques Aboucaya

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 Le festival touche à sa fin. Les stagiaires ont donné le 9, sur la place de l’Hôtel de Ville, leur concert d’adieu, avant de s’égailler, volée de moineaux, dans toutes les directions. La séparation est toujours émouvante. Rien de tel que la communion musicale pour nouer, en quelques jours, des liens. Etroits ? Superficiels ? Qu’importe. Ce sont les aléas de la rencontre.

 


Eddie Palmieri & His Salsa Orchestra

75th Birthday Celebration Tour. Chapiteau, 9 août.

Ruben Blades & the Roberto Delgado Orchestra From Panama

Cantos y Cuentes Urbano. Chapiteau, 9 août.

Kenny Barron, Mulgrew Miller, Gerald Clayton, Eric Reed (p)

Mostly Monk. Chapiteau, 10 août.

Kurt Elling & the Barcelona Jazz Orchestra. Chapiteau, 10 août.

 

Pour clore le bec à la mélancolie, les salseros d’Eddie Palmieri, puis ceux de Ruben Blades ont donné, le soir même, des fourmis dans les jambes aux nombreux occupants du chapiteau. Le jazz latin a toujours été à l’honneur à Marciac. Il n’est pas dénué de vertus, mais mon incompétence en la matière m’interdit d’analyser en profondeur les mérites des uns et des autres. Encore moins de les comparer, car leurs qualités me semblent quasi identiques. L’un, Palmieri, allume sur scène un énorme havane, sans doute pour donner du panache à son anniversaire. Il compte dans sa phalange deux solides musiciens de pupitre qui sont aussi de bons solistes, Brian Lynch (tp) et Conrad Herwig (tb), qu’il sollicite tour à tour. L’autre, Blades, est le héros de la « salsa sociale ». La contestation pimente ses chansons et ses propos. Le drapeau panaméen flotte sur l’orchestre du bassiste Roberto Delgado qui accompagne les messages du sonero. Un orchestre dont la section de trombones, mordante, figurerait honorablement dans un big band de type classique.

 

Un big band dédié au jazz, comme, par exemple, le Barcelona Jazz Orchestra qui bénéficierait ainsi d’un surcroît de vigueur. Il donne, le lendemain, la réplique à Kurt Elling. Cette solide formation ne fait guère dans la nuance. Pour tout dire, c’est plutôt la lourdeur qui la caractérise. Elle exécute toutefois, avec une conscience appliquée, des arrangements efficaces, tel celui de Benny Carter sur I Can’t Give You Anything But Love. Xavier Figuerola (ts) y trouve l’occasion de s’illustrer et Victor DeDiego (ss) colore à sa manière April In Paris, rebaptisé pour la circonstance April In Marciac par le chanteur.

Ce dernier, dont la tessiture couvre, paraît-il, pas moins de quatre octaves, ne se fait pas faute d’exploiter ce don de la nature. Il sait être enjôleur (You Are Too Beautiful, inusable standard de Richard Rodgers propre à mettre en valeur le charme du crooner), attendrissant (Luiza, de Tom Jobim, qu’il dédie à sa fille), voire se révéler un catalyseur pour les musiciens catalans qu’il s’efforce de galvaniser du geste. Il excelle surtout à jouer de toutes les possibilités offertes par son registre. Se promène avec aisance du grave à l’aigu. De feeling, point. De swing, moins encore. En revanche, le goût de la performance. Et une incontestable virtuosité qu’Il serait injuste de ne pas porter à son actif.

 

De la virtuosité, les quatre pianistes qui avaient occupé la scène avant lui en avaient à revendre. Huit mains, quatre mains, joutes duelles, permutations multiples, affrontements singuliers, solos, toutes les combinaisons, toutes les possibilités offertes par la présence conjointe de deux pianos avaient été exploitées par les « anciens », Kenny Barron, Mulgrew Miller, et les « modernes », Eric Reed, Gerald Clayton. Sur des compositions de Monk, Thelonious, I Mean You, Monk’s Dream, Blue Monk (tel était le thème choisi), mais aussi sur des standards – Love For Sale, My Old Flame, l’émouvant Con Alma de Gillespie -, ils se défient, se provoquent. Plus souvent, se jaugent, se stimulent. Dialogues, conversations passionnées plutôt que véritables confrontations. Croisements d’improvisations. De regards, de sourires où, plus que le défi, se devine l’admiration ou le plaisir. Non que toute émulation soit absente de cette connivence. Chacun se pique manifestement au jeu, prend l’exercice au sérieux, même s’il est hors de question de désigner vainqueur ou vaincu. Tous donnent, manifestement, le meilleur d’eux-mêmes.

Mon ami André Clergeat, dont une longue expérience a rassis le jugement, condamne ces brillances. Il y décèle du clinquant, en dénonce la vanité, la superficialité. Au nom de la mesure, dont il est un fervent zélateur. Sa rigueur me semble excessive. Quand Barron, aiguillonné par les accords que concocte le jeune Clayton, se lance à corps perdu dans une brillante paraphrase de Bright Mississippi que Monk avait tiré du vieux Sweet Georgia Brown, quand Eric Reed manifeste une telle joie de jouer qu’il s’invite, lors du second set, sur le premier morceau du big band catalan, on se dit que l’imprévu et la spontanéité ont toujours, quoi qu’il semble, droit de cité. Tel est, en définitive, l’incomparable charme du jazz.

 

Jacques Aboucaya