Jazz sur le Vif : Antoine Berjeaut ‘Chromesthesia’ ; Sylvaine Hélary & l’Orchestre Incandescent

Avant-dernier concert de la saison de jazz de Radio France, et comme toujours deux belles propositions artistiques au carrefour des arts et des langages

photo Maxim François
ANTOINE BERJEAUT «Chromesthesia»
Antoine Berjeaut (trompette, bugle, percussions), Enzo Carniel (piano, piano électrique, synthétiseur basse), Gauthier Toux (synthétiseurs), Csaba Palotaï (guitares, effets), Arnaud Dolmen (batterie)
Invité : Raúl Monsalve (percussions)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 17 mai 2025, 19h
La musique est celle du disque éponyme enregistré en 2020, augmentée d’une nouvelle composition. Elle est conçue sous le signe de la chromesthésie, forme de synesthésie qui produit une perception subjective des couleurs par le son. Le bugle du trompettiste ouvre la cérémonie musicale. Dès l’abord la batterie se pose et s’impose comme une sorte de ferment des dialogues qui se nouent au sein de l’orchestre. Musique tantôt sereine, tantôt tendue, qui peut parfois déboucher, à la faveur d’un solo de synthétiseur de Gauthier Toux, sur une sorte de résurgence du jazz-fusion, véloce autant qu’extraverti, jusqu’à l‘étourdissement. Les improvisations d’Enzo Carniel, moins ostentatoires, ne se révèlent pas moins denses, et musicalement fécondes. Mes oreilles perçoivent des formes et des intensité expressives plutôt que des couleurs, mais c’est probablement parce que je ne suis pas réceptif à la chromesthésie. En tout cas, dans l’alternance de groove foisonnant, de tourneries électrisantes et de soudaines accalmies pleines de mystère, c’est tout un monde qui se déploie, habité par la trompette et le bugle, dans des registres contrastés, parfois attisés par la guitare de Csaba Palotaï, entre solo ‘à l’ancienne’ et soudain éclats du présent le plus vif. Et toujours le battement vivifiant surgi des rythmes foisonnants d’Arnaud Dolmen, soutenu aussi par les percussions de l’invité Raúl Monsalve. Énergie vitale à goûter en réécoutant le direct de l’émission ‘Jazz Club’ sur le site de France Musique

SYLVAINE HÉLARY & l’ORCHESTRE INCANDESCENT
Sylvaine Hélary (flûte, flûte alto, flûte basse, piccolo, voix, clavier, composition), Antonin Rayon (piano électrique, synthétiseurs, clavinet), Élodie Pasquier (clarinette & clarinette basse), Christiane Bopp (trombone, saqueboute), Maëlle Desbrosses (violon alto, viole d’amour), Lynn Cassiers (voix, électronique, claviers), Chloé Lucas (ténor de viole & basse de viole), Guillaume Magne (guitares, voix), Jim Hart (batterie)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 17 mai 2025, 20h25

photo Maxim François
Sylvaine Hélary, qui vient de prendre ses fonctions à la direction artistique de l’Orchestre National de Jazz (avec lequel elle présentera son premier programme ici même en septembre prochain) est ce soir sur scène avec l’orchestre créé en 2023 à Vanves, puis dans plusieurs festivals. La musique est inspirée par les poèmes états-uniens d’Emily Dickinson (1830-1886), inspiratrice ces dernières années de quelques belles propositions artistiques de musiciennes de notre pays. Et aussi par un chanson-poème de la Britannique P.J. Harvey. Ce qui frappe dès que l’orchestre apparaît sur scène, c’est la singularité de l’instrumentation : cordes baroques, claviers électriques et électroniques, instruments acoustiques. Et l’on entend presque instantanément que ce choix est au service d’un projet esthétique et d’une créativité sans faille. Harmonie et mélodie cheminent en méandres, les timbres des instruments sont en dialogue, tensions, conflits et coïncidences. À certains moments un groove profond peut produire une sorte de pop music (très) sophistiquée, post-moderne et dépaysante, puis les cordes baroques en pizzicato vont ouvrir d’autres horizons pour les partenaires, dans une improvisation nourrie de l’écriture et de la forme qui la font advenir. On navigue de la musique répétitive à l’art vocal expérimental ou au rock progressif, du souvenir des musiques anciennes jusqu’à une bouffée de psychédélisme, avec des pirouettes harmoniques au service de l’expressivité. Il y a là du mystère, de la poésie abstraite, mais aussi de la sensualité. Les voix et les textes sont pour beaucoup dans cette intensité. Le tout servi par une belle construction dramaturgique, et des solistes inspirés. Très belle musique qui va se conclure, après quelques détours harmoniques avec résolution, par une mise en suspens, comme un refus de l’impérialisme du retour à la tonique. Beau moment musical, à (re)découvrir lors de sa diffusion sur France Musique le samedi 27 mai à 19h dans l’émission ‘Jazz Club’.
Xavier Prévost