Jazz live
Publié le 16 Jan 2014

Jean-Charles Richard au Musée de la Chasse et de la Nature

Le 15 janvier, Jean-Charles Richard se produisait en solo au Musée de la chasse et de la nature. Les peintures animalières et la galerie des trophées ont frémi.

 

Musée de la Chasse et de la nature, Paris (75), le 15 janvier 2014.

 

Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton).

 

Blueraie a beau détester de manière convulsive la chasse et les chasseurs, elle en a fait un lieu d’élection. Et bien qu’elle l’appelle plutôt le Musée de la Nature et de la Chasse, je sais qu’elle y prend aussi souvent qu’elle peut la clé des champs pour un petit tour d’école buissionnière, ou plutôt d’école animalière pourrait-on dire. Aussi suis-je arrivé un peu en avance au concert de Jean-Charles Richard car le billet d’entrée, d’un prix modique (6€), donnait accès au musée que j’ai traversé presque en courant, me promettant d’y revenir après avoir aperçu le grand rassemblement de la salle des trophées qui semble attendre le sacrifice  du renard (voir L’Ane culotte d’Henri Bosco) et le cornebrame (ou Machine à faire chanter les cerfs dans la brume), énorme cornemuse faite de la peau d’un cerf dont sa créatrice Marion Laval-Jeantet joue en chevauchant la bête qui, il faut bien le dire, semble encore agoniser. Le Musée de la chasse et de la nature est un lieu de rêve et d’émotion, où le drame côtoie l’humour et l’effroi l’émerveillement.

 

Il y a un peu de tout ça dans le récital solo de Jean-Charles Richard qui reprend quelques grands traits de son album “Faces”, à ceci près qu’il s’interdit le re-recording qu’il y pratiquait et le effets de miroir du sequencer dont aime s’entourer l’un de ses maîtres, John Surman. Et cette nudité, il l’assume avec une maturité qui lui aurait peut-être encore manqué pour s’y livrer sur “Faces”. Seul effet, deux micros (l’un deux réservé aux effets de percussions sur le baryton) qui, sur la pièce d’ouverture abordée prudemment subtone le temps de mouiller l’anche, font entendre non pas le souffle, mais tout le détail de ce que ce souffle implique de bruits, de corporalité, de succion, de secrétions de la commissure des lèvres à la chambre du bec. Et sa version de Sometimes I Feel Like a Motherless Child y prend toute sa dimension de berceuse et semble sortir du Sud profond tel que Toni Morrison a aimé le restituer et dont on croit entendre le vent, un volet qui grince, un battement d’ailes. Hommage à Steve Lacy nous dira Jean-Charles Richard. Je pense surtout, par la façon dont il développe cette mélodie, à la façon dont John Surman déroule la mélodie de Caithness to Kerry dans l’album “Upon Reflection”, encore qu’ici il ne s’agisse pas d’une gigue, mais d’une pure mélodie qui m’invite à m’en chanter une autre en variations, cet air du pays de Baud qui, dans l’entourage de Jacques Pellen, fut joué tant par Riccardo del Fra que par Eric Barret (sous le titre Diet Hi Genein).

 

La pièce suivante intitulée Si, portrait du saxophone soprano à laquelle Steve Lacy trouva son titre, son auteur aurait tout aussi bien l’intituler Si, portrait de Steve Lacy. Et pourquoi pas La Si ? Parce qu’elle est construite sur la note Si .Tout part d’elle, tenue dans un jeu sur le souffle, le timbre, les harmoniques, l’appoggiature, l’ornement qui s’étend progressivement en variations, en motifs à varier, en négation momentanée dans des moments où Jean-Charles nous rappelle aussi la dette qu’il doit à Dave Liebman, mais où le Si reste en mémoire, soit qu’il soit rappelé ici et là par un bourdon en pointillé, avec des variations sur des bourdons secondaires, soit que la mémoire de l’auditeur le restitue lui-même. Voilà en tout cas ce qui est devenu un classique de l’improvisation solo et dont Steve Lacy était passé maître. Et voilà peut-être l’une des clés de ce travail en solo, que Jean-Charles Richard va introduire dans plusieurs serrures, jouant sinon sur une note d’élection, du moins sur ces bourdons fantômes ou réels, fixes ou modulants, qu’il décline en motifs obstinés qui lui servent de moteur à l’improvisation. Dans ce travail de l’imagination avec des outils qui relèvent chez beaucoup de ses adeptes d’une certaine facilité alors qu’il exige au contraire pour être passionnant de bout en bout un vocabulaire et un maîtrise du discours de premier ordre, Jean-Charles excelle lui aussi, mais dans une veine qui, dans la suite du concert,  décidément me renvoie à John Surman, à l’exception de la belle partition Réflexion sur le langage d’Olivier Messiaen d’Alain Margoni, élève de Messiaen, qui, si elle nous rappelle que Jean-Charles Richard vient d’abord d’un enseignement classique, souligne aussi combien la musique contemporaine et le jazz ont encore de choses à se dire.

 

On entendra des volières, des pépiements de nichées au crépuscule, de minéraux verdiers, de liquides rouge-gorges, des merles forcément moqueurs, des crissements d’effraie, des pies crécelles, des rugissements et feulements, des charges au galop, des tambours (slaps et claquements de tampons sur leurs cheminées, ainsi appelle-t-on les bordures des trous de registres sur lesquels viennent s’appliquer les tampons) animés de savantes polyrythmies sub-sahariennes, il y aura des savanes et des jungles, et le renard glapira une dernière fois sous le couteau de Monsieur Cyprien. En rappel, une dernière danse du grand rassemblement des résidents de la salle trophées au son d’un fauve Caravan ou Jean-Charles combine ses jeux de motifs et de bourdons avec le récit discursif, le flow du jazz sur grille qui fait aussi partie de son arsenal.

 

Franck Bergerot


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Le 15 janvier, Jean-Charles Richard se produisait en solo au Musée de la chasse et de la nature. Les peintures animalières et la galerie des trophées ont frémi.

 

Musée de la Chasse et de la nature, Paris (75), le 15 janvier 2014.

 

Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton).

 

Blueraie a beau détester de manière convulsive la chasse et les chasseurs, elle en a fait un lieu d’élection. Et bien qu’elle l’appelle plutôt le Musée de la Nature et de la Chasse, je sais qu’elle y prend aussi souvent qu’elle peut la clé des champs pour un petit tour d’école buissionnière, ou plutôt d’école animalière pourrait-on dire. Aussi suis-je arrivé un peu en avance au concert de Jean-Charles Richard car le billet d’entrée, d’un prix modique (6€), donnait accès au musée que j’ai traversé presque en courant, me promettant d’y revenir après avoir aperçu le grand rassemblement de la salle des trophées qui semble attendre le sacrifice  du renard (voir L’Ane culotte d’Henri Bosco) et le cornebrame (ou Machine à faire chanter les cerfs dans la brume), énorme cornemuse faite de la peau d’un cerf dont sa créatrice Marion Laval-Jeantet joue en chevauchant la bête qui, il faut bien le dire, semble encore agoniser. Le Musée de la chasse et de la nature est un lieu de rêve et d’émotion, où le drame côtoie l’humour et l’effroi l’émerveillement.

 

Il y a un peu de tout ça dans le récital solo de Jean-Charles Richard qui reprend quelques grands traits de son album “Faces”, à ceci près qu’il s’interdit le re-recording qu’il y pratiquait et le effets de miroir du sequencer dont aime s’entourer l’un de ses maîtres, John Surman. Et cette nudité, il l’assume avec une maturité qui lui aurait peut-être encore manqué pour s’y livrer sur “Faces”. Seul effet, deux micros (l’un deux réservé aux effets de percussions sur le baryton) qui, sur la pièce d’ouverture abordée prudemment subtone le temps de mouiller l’anche, font entendre non pas le souffle, mais tout le détail de ce que ce souffle implique de bruits, de corporalité, de succion, de secrétions de la commissure des lèvres à la chambre du bec. Et sa version de Sometimes I Feel Like a Motherless Child y prend toute sa dimension de berceuse et semble sortir du Sud profond tel que Toni Morrison a aimé le restituer et dont on croit entendre le vent, un volet qui grince, un battement d’ailes. Hommage à Steve Lacy nous dira Jean-Charles Richard. Je pense surtout, par la façon dont il développe cette mélodie, à la façon dont John Surman déroule la mélodie de Caithness to Kerry dans l’album “Upon Reflection”, encore qu’ici il ne s’agisse pas d’une gigue, mais d’une pure mélodie qui m’invite à m’en chanter une autre en variations, cet air du pays de Baud qui, dans l’entourage de Jacques Pellen, fut joué tant par Riccardo del Fra que par Eric Barret (sous le titre Diet Hi Genein).

 

La pièce suivante intitulée Si, portrait du saxophone soprano à laquelle Steve Lacy trouva son titre, son auteur aurait tout aussi bien l’intituler Si, portrait de Steve Lacy. Et pourquoi pas La Si ? Parce qu’elle est construite sur la note Si .Tout part d’elle, tenue dans un jeu sur le souffle, le timbre, les harmoniques, l’appoggiature, l’ornement qui s’étend progressivement en variations, en motifs à varier, en négation momentanée dans des moments où Jean-Charles nous rappelle aussi la dette qu’il doit à Dave Liebman, mais où le Si reste en mémoire, soit qu’il soit rappelé ici et là par un bourdon en pointillé, avec des variations sur des bourdons secondaires, soit que la mémoire de l’auditeur le restitue lui-même. Voilà en tout cas ce qui est devenu un classique de l’improvisation solo et dont Steve Lacy était passé maître. Et voilà peut-être l’une des clés de ce travail en solo, que Jean-Charles Richard va introduire dans plusieurs serrures, jouant sinon sur une note d’élection, du moins sur ces bourdons fantômes ou réels, fixes ou modulants, qu’il décline en motifs obstinés qui lui servent de moteur à l’improvisation. Dans ce travail de l’imagination avec des outils qui relèvent chez beaucoup de ses adeptes d’une certaine facilité alors qu’il exige au contraire pour être passionnant de bout en bout un vocabulaire et un maîtrise du discours de premier ordre, Jean-Charles excelle lui aussi, mais dans une veine qui, dans la suite du concert,  décidément me renvoie à John Surman, à l’exception de la belle partition Réflexion sur le langage d’Olivier Messiaen d’Alain Margoni, élève de Messiaen, qui, si elle nous rappelle que Jean-Charles Richard vient d’abord d’un enseignement classique, souligne aussi combien la musique contemporaine et le jazz ont encore de choses à se dire.

 

On entendra des volières, des pépiements de nichées au crépuscule, de minéraux verdiers, de liquides rouge-gorges, des merles forcément moqueurs, des crissements d’effraie, des pies crécelles, des rugissements et feulements, des charges au galop, des tambours (slaps et claquements de tampons sur leurs cheminées, ainsi appelle-t-on les bordures des trous de registres sur lesquels viennent s’appliquer les tampons) animés de savantes polyrythmies sub-sahariennes, il y aura des savanes et des jungles, et le renard glapira une dernière fois sous le couteau de Monsieur Cyprien. En rappel, une dernière danse du grand rassemblement des résidents de la salle trophées au son d’un fauve Caravan ou Jean-Charles combine ses jeux de motifs et de bourdons avec le récit discursif, le flow du jazz sur grille qui fait aussi partie de son arsenal.

 

Franck Bergerot


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Le 15 janvier, Jean-Charles Richard se produisait en solo au Musée de la chasse et de la nature. Les peintures animalières et la galerie des trophées ont frémi.

 

Musée de la Chasse et de la nature, Paris (75), le 15 janvier 2014.

 

Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton).

 

Blueraie a beau détester de manière convulsive la chasse et les chasseurs, elle en a fait un lieu d’élection. Et bien qu’elle l’appelle plutôt le Musée de la Nature et de la Chasse, je sais qu’elle y prend aussi souvent qu’elle peut la clé des champs pour un petit tour d’école buissionnière, ou plutôt d’école animalière pourrait-on dire. Aussi suis-je arrivé un peu en avance au concert de Jean-Charles Richard car le billet d’entrée, d’un prix modique (6€), donnait accès au musée que j’ai traversé presque en courant, me promettant d’y revenir après avoir aperçu le grand rassemblement de la salle des trophées qui semble attendre le sacrifice  du renard (voir L’Ane culotte d’Henri Bosco) et le cornebrame (ou Machine à faire chanter les cerfs dans la brume), énorme cornemuse faite de la peau d’un cerf dont sa créatrice Marion Laval-Jeantet joue en chevauchant la bête qui, il faut bien le dire, semble encore agoniser. Le Musée de la chasse et de la nature est un lieu de rêve et d’émotion, où le drame côtoie l’humour et l’effroi l’émerveillement.

 

Il y a un peu de tout ça dans le récital solo de Jean-Charles Richard qui reprend quelques grands traits de son album “Faces”, à ceci près qu’il s’interdit le re-recording qu’il y pratiquait et le effets de miroir du sequencer dont aime s’entourer l’un de ses maîtres, John Surman. Et cette nudité, il l’assume avec une maturité qui lui aurait peut-être encore manqué pour s’y livrer sur “Faces”. Seul effet, deux micros (l’un deux réservé aux effets de percussions sur le baryton) qui, sur la pièce d’ouverture abordée prudemment subtone le temps de mouiller l’anche, font entendre non pas le souffle, mais tout le détail de ce que ce souffle implique de bruits, de corporalité, de succion, de secrétions de la commissure des lèvres à la chambre du bec. Et sa version de Sometimes I Feel Like a Motherless Child y prend toute sa dimension de berceuse et semble sortir du Sud profond tel que Toni Morrison a aimé le restituer et dont on croit entendre le vent, un volet qui grince, un battement d’ailes. Hommage à Steve Lacy nous dira Jean-Charles Richard. Je pense surtout, par la façon dont il développe cette mélodie, à la façon dont John Surman déroule la mélodie de Caithness to Kerry dans l’album “Upon Reflection”, encore qu’ici il ne s’agisse pas d’une gigue, mais d’une pure mélodie qui m’invite à m’en chanter une autre en variations, cet air du pays de Baud qui, dans l’entourage de Jacques Pellen, fut joué tant par Riccardo del Fra que par Eric Barret (sous le titre Diet Hi Genein).

 

La pièce suivante intitulée Si, portrait du saxophone soprano à laquelle Steve Lacy trouva son titre, son auteur aurait tout aussi bien l’intituler Si, portrait de Steve Lacy. Et pourquoi pas La Si ? Parce qu’elle est construite sur la note Si .Tout part d’elle, tenue dans un jeu sur le souffle, le timbre, les harmoniques, l’appoggiature, l’ornement qui s’étend progressivement en variations, en motifs à varier, en négation momentanée dans des moments où Jean-Charles nous rappelle aussi la dette qu’il doit à Dave Liebman, mais où le Si reste en mémoire, soit qu’il soit rappelé ici et là par un bourdon en pointillé, avec des variations sur des bourdons secondaires, soit que la mémoire de l’auditeur le restitue lui-même. Voilà en tout cas ce qui est devenu un classique de l’improvisation solo et dont Steve Lacy était passé maître. Et voilà peut-être l’une des clés de ce travail en solo, que Jean-Charles Richard va introduire dans plusieurs serrures, jouant sinon sur une note d’élection, du moins sur ces bourdons fantômes ou réels, fixes ou modulants, qu’il décline en motifs obstinés qui lui servent de moteur à l’improvisation. Dans ce travail de l’imagination avec des outils qui relèvent chez beaucoup de ses adeptes d’une certaine facilité alors qu’il exige au contraire pour être passionnant de bout en bout un vocabulaire et un maîtrise du discours de premier ordre, Jean-Charles excelle lui aussi, mais dans une veine qui, dans la suite du concert,  décidément me renvoie à John Surman, à l’exception de la belle partition Réflexion sur le langage d’Olivier Messiaen d’Alain Margoni, élève de Messiaen, qui, si elle nous rappelle que Jean-Charles Richard vient d’abord d’un enseignement classique, souligne aussi combien la musique contemporaine et le jazz ont encore de choses à se dire.

 

On entendra des volières, des pépiements de nichées au crépuscule, de minéraux verdiers, de liquides rouge-gorges, des merles forcément moqueurs, des crissements d’effraie, des pies crécelles, des rugissements et feulements, des charges au galop, des tambours (slaps et claquements de tampons sur leurs cheminées, ainsi appelle-t-on les bordures des trous de registres sur lesquels viennent s’appliquer les tampons) animés de savantes polyrythmies sub-sahariennes, il y aura des savanes et des jungles, et le renard glapira une dernière fois sous le couteau de Monsieur Cyprien. En rappel, une dernière danse du grand rassemblement des résidents de la salle trophées au son d’un fauve Caravan ou Jean-Charles combine ses jeux de motifs et de bourdons avec le récit discursif, le flow du jazz sur grille qui fait aussi partie de son arsenal.

 

Franck Bergerot


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Le 15 janvier, Jean-Charles Richard se produisait en solo au Musée de la chasse et de la nature. Les peintures animalières et la galerie des trophées ont frémi.

 

Musée de la Chasse et de la nature, Paris (75), le 15 janvier 2014.

 

Jean-Charles Richard (saxes soprano et baryton).

 

Blueraie a beau détester de manière convulsive la chasse et les chasseurs, elle en a fait un lieu d’élection. Et bien qu’elle l’appelle plutôt le Musée de la Nature et de la Chasse, je sais qu’elle y prend aussi souvent qu’elle peut la clé des champs pour un petit tour d’école buissionnière, ou plutôt d’école animalière pourrait-on dire. Aussi suis-je arrivé un peu en avance au concert de Jean-Charles Richard car le billet d’entrée, d’un prix modique (6€), donnait accès au musée que j’ai traversé presque en courant, me promettant d’y revenir après avoir aperçu le grand rassemblement de la salle des trophées qui semble attendre le sacrifice  du renard (voir L’Ane culotte d’Henri Bosco) et le cornebrame (ou Machine à faire chanter les cerfs dans la brume), énorme cornemuse faite de la peau d’un cerf dont sa créatrice Marion Laval-Jeantet joue en chevauchant la bête qui, il faut bien le dire, semble encore agoniser. Le Musée de la chasse et de la nature est un lieu de rêve et d’émotion, où le drame côtoie l’humour et l’effroi l’émerveillement.

 

Il y a un peu de tout ça dans le récital solo de Jean-Charles Richard qui reprend quelques grands traits de son album “Faces”, à ceci près qu’il s’interdit le re-recording qu’il y pratiquait et le effets de miroir du sequencer dont aime s’entourer l’un de ses maîtres, John Surman. Et cette nudité, il l’assume avec une maturité qui lui aurait peut-être encore manqué pour s’y livrer sur “Faces”. Seul effet, deux micros (l’un deux réservé aux effets de percussions sur le baryton) qui, sur la pièce d’ouverture abordée prudemment subtone le temps de mouiller l’anche, font entendre non pas le souffle, mais tout le détail de ce que ce souffle implique de bruits, de corporalité, de succion, de secrétions de la commissure des lèvres à la chambre du bec. Et sa version de Sometimes I Feel Like a Motherless Child y prend toute sa dimension de berceuse et semble sortir du Sud profond tel que Toni Morrison a aimé le restituer et dont on croit entendre le vent, un volet qui grince, un battement d’ailes. Hommage à Steve Lacy nous dira Jean-Charles Richard. Je pense surtout, par la façon dont il développe cette mélodie, à la façon dont John Surman déroule la mélodie de Caithness to Kerry dans l’album “Upon Reflection”, encore qu’ici il ne s’agisse pas d’une gigue, mais d’une pure mélodie qui m’invite à m’en chanter une autre en variations, cet air du pays de Baud qui, dans l’entourage de Jacques Pellen, fut joué tant par Riccardo del Fra que par Eric Barret (sous le titre Diet Hi Genein).

 

La pièce suivante intitulée Si, portrait du saxophone soprano à laquelle Steve Lacy trouva son titre, son auteur aurait tout aussi bien l’intituler Si, portrait de Steve Lacy. Et pourquoi pas La Si ? Parce qu’elle est construite sur la note Si .Tout part d’elle, tenue dans un jeu sur le souffle, le timbre, les harmoniques, l’appoggiature, l’ornement qui s’étend progressivement en variations, en motifs à varier, en négation momentanée dans des moments où Jean-Charles nous rappelle aussi la dette qu’il doit à Dave Liebman, mais où le Si reste en mémoire, soit qu’il soit rappelé ici et là par un bourdon en pointillé, avec des variations sur des bourdons secondaires, soit que la mémoire de l’auditeur le restitue lui-même. Voilà en tout cas ce qui est devenu un classique de l’improvisation solo et dont Steve Lacy était passé maître. Et voilà peut-être l’une des clés de ce travail en solo, que Jean-Charles Richard va introduire dans plusieurs serrures, jouant sinon sur une note d’élection, du moins sur ces bourdons fantômes ou réels, fixes ou modulants, qu’il décline en motifs obstinés qui lui servent de moteur à l’improvisation. Dans ce travail de l’imagination avec des outils qui relèvent chez beaucoup de ses adeptes d’une certaine facilité alors qu’il exige au contraire pour être passionnant de bout en bout un vocabulaire et un maîtrise du discours de premier ordre, Jean-Charles excelle lui aussi, mais dans une veine qui, dans la suite du concert,  décidément me renvoie à John Surman, à l’exception de la belle partition Réflexion sur le langage d’Olivier Messiaen d’Alain Margoni, élève de Messiaen, qui, si elle nous rappelle que Jean-Charles Richard vient d’abord d’un enseignement classique, souligne aussi combien la musique contemporaine et le jazz ont encore de choses à se dire.

 

On entendra des volières, des pépiements de nichées au crépuscule, de minéraux verdiers, de liquides rouge-gorges, des merles forcément moqueurs, des crissements d’effraie, des pies crécelles, des rugissements et feulements, des charges au galop, des tambours (slaps et claquements de tampons sur leurs cheminées, ainsi appelle-t-on les bordures des trous de registres sur lesquels viennent s’appliquer les tampons) animés de savantes polyrythmies sub-sahariennes, il y aura des savanes et des jungles, et le renard glapira une dernière fois sous le couteau de Monsieur Cyprien. En rappel, une dernière danse du grand rassemblement des résidents de la salle trophées au son d’un fauve Caravan ou Jean-Charles combine ses jeux de motifs et de bourdons avec le récit discursif, le flow du jazz sur grille qui fait aussi partie de son arsenal.

 

Franck Bergerot