Jazz live
Publié le 18 Mai 2024

Jean-Luc Thomas, ses flûtes, ses Sillons et son invité Pauline Willerval

Hier, 17 mai, débutait à Langonnet, le festival Plancher du Monde , héritier du festival Couleurs du Monde créé par Bertrand Dupont en partenariat avec Françoise Degeorges productrice de l’émission Couleurs du Monde sur France Musique, et désormais dirigé par Perrine Lagrue. Si j’y ai fait un saut le temps d’un concert, est-ce interpelé par le nom du flûtiste Jean-Luc Thomas ou par celui de la joueuse de gadulka Pauline Willerval ? Les deux puisque l’un invitait l’autre.

Voilà une bonne vingtaine d’années que je croise la musique de Jean-Luc Thomas, mon premier souvenir concret étant le disque du trio Kej de 2001. Brillant praticien de la flûte traversière irlandaise, comme on en rencontre en Bretagne sur les scènes des fest-noz, j’ai constaté au fil des années un intérêt élargi aux musiques du monde, l’Afrique de l’Ouest en premier lieu. Ce genre de démarches n’étant pas rares, son nom s’est ajouté à ceux de dizaines de musiciens auxquels je me suis promis au fil des années de prêter une attention plus particulière. Vœux pieux, vieux pieu, les générations se succédant, on ne tient pas toujours promesse, d’autant plus qu’ayant été chassé des pages “musiques du monde” du Monde de la musique et pris du galon dans la presse jazz, j’avais des priorités. Mais je savais Jean-Luc Thomas être d’une des figures singulières de cette scène bretonne que mon départ à la retraite m’a fait considérer plus aisément. Je le savais homme de rencontres, homme de voyages, mais tant se réclament de nos jours de ce qui est devenu un fond commerce un peu facile ! D’une rencontre à l’autre, il attirait néanmoins mon attention, m’interpelait, je devinais une sensibilité, une attention. Hier, il m’a carrément chopé, par cette aisance avec laquelle, des Afriques aux Brésils (hier du maracatu et du chorinho) en passant par l’Inde, il a su constituer un récit personnel, authentique, riche de ces apports et néanmoins cohérent. La Flûte, ses flûtes, le bois de celles-ci, son souffle venant s’y briser ou ses doigts ouvrant et bouchant ses trous avec ce contact direct de la pulpe sur la colonne d’air propre aux flutes sans clés, ces sons, ces gestes, ce feeling sont évidemment au cœur de son programme, porté par les acquis au fil des voyages et des rencontres. Mais il y a là, en plus d’un engagement physique, une écriture coulée dans un art de l’arrangement où les musiciens de son quartette, Sillons, font corps.

Jazz ? Dans ces pages – jazzmagazine.com – la question nous taquine et, pour ma part, je ne suis pas encore parvenu à l’éluder. Improvisateur, certainement : l’assimilation qu’il a de ses langages d’emprunt, les libertés et les initiatives qu’il y prend, son art du placement (même s’il ne s’apparente pas à la tradition du swing) en font un peu l’un des nôtres. Son contrebassiste et son batteur, y contribuent, Simon Le Doaré avec des gestes que ne renieraient pas un Dave Holland ou un Riccardo Del Fra, Hugo Pottin avec l’élégance et la souplesse caractérisant sa façon de faire rouler a batterie d’une assise métrique à l’autre, des tâlas de l’Inde aux toques du maracatu. Et Thimothée Le Net ? Il parvient à faire vivre son petit accordéon diatonique dans ces courants et ces ressacs sonores et à y contribuer par ses accents rythmiques, ses traits mélodiques et ses taches harmoniques.

Tout avait commencé sur un air de fest-noz, comme il se doit dans ce petit village qui, depuis que Bertrand Dupond y ouvrit sa Grand Boutique, vit défiler toutes les cultures du Monde, sans oublier qu’à sa façon Langonnet est le cœur battant de la Bretagne musicale. Après quoi le quartette Sillons fit entrer Pauline Willerval et sa gadulka, violon bulgare piriforme à trois ou quatre cordes, plus un nombre variable de cordes sympathiques. J’ai déjà présenté Pauline Willerval dans ces pages, et dans le monde des musiques improvisées son nom n’est pas inconnu, qu’on la connaisse pour sa gadulka, son violoncelle ou sa voix et son écriture. Sur la scène hier elle était la seule à disposer d’un pupitre qui lui sembla d’une utilité relative. D’emblée sur le premier morceau, évocation de l’Inde s’ouvrant sur un genre d’alap, elle est “dans” la musique, tout à la fois dans la tradition qu’elle est invitée à revisiter avec la flûte, mais aussi dans la vision qu’en a son hôte. Et bien vite, on oubliera qu’elle n’est qu’une invité. Et à ces Sillons – pour reprendre le nom du groupe – elle en ajoute un cinquième qui n’est pas prêt à s’effacer. Franck Bergerot

À l’heure où mon train roule vers Paris, les festivités doivent reprendre à Langonnet, pour se terminer à 23h avec le groupe Kin’Gongolo Kiniata.