Jazz live
Publié le 9 Mar 2015

Jean-Marie Machado & Danzas “Lagrima Latina” au Café de la Danse

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Jean-Marie Machado et son ensemble Danzas ont fêté samedi au Café de la Danse la sortie de « Lagrima Latina », troisième album après « Fiesta Nocturna » et « La Fête à Boby » (Lapointe). En même temps, Machado veut fêter ce soir-là ses « 30 ans de créations ». Des allures de fête donc, que ne dément pas le plaisir visible et communicatif pris par les 8 instrumentistes et 3 chanteuses à livrer ce programme. Avec des occasions de le jouer sur scène qui se comptent sur les doigts d’une main, on se demande comment Jean-Marie Machado et Danzas seraient parvenus à ce degré de cohésion et de préparation sans l’échéance d’un enregistrement.

 

Jean-Marie Machado (piano, comp), Antonio Placer (livret poétique), Simonetta Soro, Claudia Solal, Sofia Ribeiro (voc), Didier Ithursarry (acc), Jean-Charles Richard (ss, bar), Joce Mienniel (fl), François Thuillier (tu), Cécile Grenier (vla, voc), Claus Stötter (tp, flh), Stracho Temelkovski (perc, mandole). Samedi 7 mars, Café de la Danse (Paris).

 

Force est d’avouer que, si j’ai parfois l’impression que les musiciens de jazz usent et abusent du brassage stylistique, et que cette source pourrait finir se tarir tant on y puise, ce programme en propose un démenti généreux, souriant. Encore faut-il se donner les moyens de cette ambition, et non des moindres, consistant à interroger les identités et les « cultures » Après Jean-Christophe Cholet, le violoniste Jasser Haj Youssef fait partie de ceux qui ont apporté récemment des contributions convaincantes à ce défi.

On évitera l’approche musicologique de ce qui s’est joué, si tant qu’elle trouvât un intérêt ici, ne serait-ce que par prudence et par humilité devant la variété des ingrédients qui semblent entrer dans la « composition » du plat coloré et épicé qui a été servi, dominé par la monodie, la voix, le rythme. Les lignes et les couleurs cherchent leur accord à la faveur de cadres rythmiques toujours renouvelés, rappelant des époques et des contrées musicales pour lesquelles le rythme et les carrures étaient aussi affaire de jeu, et qui savaient se soumettre joyeusement au texte et à sa prosodie. Ces « larmes latines » ont un goût d’Espagne et de Portugal, d’Italie et de Sardaigne, et le compositeur rappelle qu’elles trahissent les difficultés qu’il a lui-même dû surmonter pour trouver sa voie et ses mots entre les cultures de son enfance. (Machado a grandi au Maroc, ses origines familiales sont portugaises, italiennes et espagnoles…On trouvera beaucoup de lectures sur ce sujet, et de musiques qui le reflètent dans son parcours).

Le savant et le populaire, que le jazz brasse à sa façon, s’entrecroisent aussi de façon personnelle ici, de même que sentiment modal et harmonique, improvisation ou écriture des plus strictes. D’autres moyens sont utilisés pour exprimer les paradoxes, les effets de surprise, les ingrédients inattendus de ces rencontres. D’abord, la poétique si musicale d’Antonio Placer (je me suis rué sur le livret du CD pour y revenir, ouf…avec les traductions). Allez, je reproduis juste une strophe traduite de Te Escribo El Mar (Je t’écris la mer).

 

Je compose comme je respire

Dix-huit mots à la minute.

Si tu me donnes une nuit,

Je t’écris la mer

Sur la rive du désir,

Sur ta peau, flaque d’eau, parchemin 

Aux phonèmes hardis,

Avant de me jeter à l’eau.

 

 Les langues se succèdent (espagnol, italien, français, portugais) voire s’inventent (Kurgaï), parfois s’entrechoquent au sein d’une même chanson, comme les solistes se passent le témoin (presque chacun d’eux se voit attribuer une longue introduction) et s’allient deux à deux ou trois par trois. J’aurais envie de les citer tous, tant pour eux-mêmes que pour leur contribution à l’ensemble : je commencerai par les deux extrémités de la palette avec François Thuillier, souple, feutré et inébranlable, et Joce Mienniel dont les interventions lumineuses se sont déclinées sur toute la gamme des flûtes et jusqu’ à la guimbarde. Claus Stötter incarne bien la brillance et – au bugle – le chatoiement des couleurs que le compositeur/arrangeur met en présence sous bien d’autres formes, entre l’accordéon de Didier Ithursarry et l’alto ample de Cécile Grenier par exemple. Si cette dernière rejoint le trio vocal pour le réjouissant Kurgaï final, tous mettent en œuvre et prolongent avec ou sans leur voix (au soprano de Jean-Charles Richard, par exemple) la dimension chantée de la pièce. Casting parfait, enfin, du côté des trois vocalistes sarde, portugaise et française. Le chaud vibrato de Simonetta Soro, le tranchant subtil et légèrement voilé de Sofia Ribeiro, l’efficacité plus rythmique, parfois dans le murmure, d’une tradition ouvertement jazz chez Claudia Solal. Le tout est porté à incandescence par une combinaison originale de percussions orientales sous les doigts de l’étonnant multi-instrumentiste d’origine macédonienne Stracho Temelkovski, qu’il faut aussi entendre à la mandole, sorte de guitare-mandoline d’origine arabo-andalouse pourvue de cinq double-cordes. Remarquable soliste, Jean-Marie Machado dirige et soutient l’édifice, encadre de toute sa présence physique et rythmique les structures et les couleurs qu’il a projetées sur cette toile ensoleillée, toile sur laquelle il coule sans jamais prendre le rôle principal plusieurs monologues ou dialogues perlés parmi lesquels une très belle introduction en duo avec Stötter. Il semble tout simplement heureux d’être au premier rang de ce spectacle superbe. On le serait à moins. Le CD qui vient de sortir (« Lagrima Latina », Cantabile) ne remplacera pas la joie de le
recevoir en direct, mais on espère vraiment qu’il en favorisera toutes les perspectives de programmation. V.C.

 

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Jean-Marie Machado et son ensemble Danzas ont fêté samedi au Café de la Danse la sortie de « Lagrima Latina », troisième album après « Fiesta Nocturna » et « La Fête à Boby » (Lapointe). En même temps, Machado veut fêter ce soir-là ses « 30 ans de créations ». Des allures de fête donc, que ne dément pas le plaisir visible et communicatif pris par les 8 instrumentistes et 3 chanteuses à livrer ce programme. Avec des occasions de le jouer sur scène qui se comptent sur les doigts d’une main, on se demande comment Jean-Marie Machado et Danzas seraient parvenus à ce degré de cohésion et de préparation sans l’échéance d’un enregistrement.

 

Jean-Marie Machado (piano, comp), Antonio Placer (livret poétique), Simonetta Soro, Claudia Solal, Sofia Ribeiro (voc), Didier Ithursarry (acc), Jean-Charles Richard (ss, bar), Joce Mienniel (fl), François Thuillier (tu), Cécile Grenier (vla, voc), Claus Stötter (tp, flh), Stracho Temelkovski (perc, mandole). Samedi 7 mars, Café de la Danse (Paris).

 

Force est d’avouer que, si j’ai parfois l’impression que les musiciens de jazz usent et abusent du brassage stylistique, et que cette source pourrait finir se tarir tant on y puise, ce programme en propose un démenti généreux, souriant. Encore faut-il se donner les moyens de cette ambition, et non des moindres, consistant à interroger les identités et les « cultures » Après Jean-Christophe Cholet, le violoniste Jasser Haj Youssef fait partie de ceux qui ont apporté récemment des contributions convaincantes à ce défi.

On évitera l’approche musicologique de ce qui s’est joué, si tant qu’elle trouvât un intérêt ici, ne serait-ce que par prudence et par humilité devant la variété des ingrédients qui semblent entrer dans la « composition » du plat coloré et épicé qui a été servi, dominé par la monodie, la voix, le rythme. Les lignes et les couleurs cherchent leur accord à la faveur de cadres rythmiques toujours renouvelés, rappelant des époques et des contrées musicales pour lesquelles le rythme et les carrures étaient aussi affaire de jeu, et qui savaient se soumettre joyeusement au texte et à sa prosodie. Ces « larmes latines » ont un goût d’Espagne et de Portugal, d’Italie et de Sardaigne, et le compositeur rappelle qu’elles trahissent les difficultés qu’il a lui-même dû surmonter pour trouver sa voie et ses mots entre les cultures de son enfance. (Machado a grandi au Maroc, ses origines familiales sont portugaises, italiennes et espagnoles…On trouvera beaucoup de lectures sur ce sujet, et de musiques qui le reflètent dans son parcours).

Le savant et le populaire, que le jazz brasse à sa façon, s’entrecroisent aussi de façon personnelle ici, de même que sentiment modal et harmonique, improvisation ou écriture des plus strictes. D’autres moyens sont utilisés pour exprimer les paradoxes, les effets de surprise, les ingrédients inattendus de ces rencontres. D’abord, la poétique si musicale d’Antonio Placer (je me suis rué sur le livret du CD pour y revenir, ouf…avec les traductions). Allez, je reproduis juste une strophe traduite de Te Escribo El Mar (Je t’écris la mer).

 

Je compose comme je respire

Dix-huit mots à la minute.

Si tu me donnes une nuit,

Je t’écris la mer

Sur la rive du désir,

Sur ta peau, flaque d’eau, parchemin 

Aux phonèmes hardis,

Avant de me jeter à l’eau.

 

 Les langues se succèdent (espagnol, italien, français, portugais) voire s’inventent (Kurgaï), parfois s’entrechoquent au sein d’une même chanson, comme les solistes se passent le témoin (presque chacun d’eux se voit attribuer une longue introduction) et s’allient deux à deux ou trois par trois. J’aurais envie de les citer tous, tant pour eux-mêmes que pour leur contribution à l’ensemble : je commencerai par les deux extrémités de la palette avec François Thuillier, souple, feutré et inébranlable, et Joce Mienniel dont les interventions lumineuses se sont déclinées sur toute la gamme des flûtes et jusqu’ à la guimbarde. Claus Stötter incarne bien la brillance et – au bugle – le chatoiement des couleurs que le compositeur/arrangeur met en présence sous bien d’autres formes, entre l’accordéon de Didier Ithursarry et l’alto ample de Cécile Grenier par exemple. Si cette dernière rejoint le trio vocal pour le réjouissant Kurgaï final, tous mettent en œuvre et prolongent avec ou sans leur voix (au soprano de Jean-Charles Richard, par exemple) la dimension chantée de la pièce. Casting parfait, enfin, du côté des trois vocalistes sarde, portugaise et française. Le chaud vibrato de Simonetta Soro, le tranchant subtil et légèrement voilé de Sofia Ribeiro, l’efficacité plus rythmique, parfois dans le murmure, d’une tradition ouvertement jazz chez Claudia Solal. Le tout est porté à incandescence par une combinaison originale de percussions orientales sous les doigts de l’étonnant multi-instrumentiste d’origine macédonienne Stracho Temelkovski, qu’il faut aussi entendre à la mandole, sorte de guitare-mandoline d’origine arabo-andalouse pourvue de cinq double-cordes. Remarquable soliste, Jean-Marie Machado dirige et soutient l’édifice, encadre de toute sa présence physique et rythmique les structures et les couleurs qu’il a projetées sur cette toile ensoleillée, toile sur laquelle il coule sans jamais prendre le rôle principal plusieurs monologues ou dialogues perlés parmi lesquels une très belle introduction en duo avec Stötter. Il semble tout simplement heureux d’être au premier rang de ce spectacle superbe. On le serait à moins. Le CD qui vient de sortir (« Lagrima Latina », Cantabile) ne remplacera pas la joie de le
recevoir en direct, mais on espère vraiment qu’il en favorisera toutes les perspectives de programmation. V.C.

 

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Jean-Marie Machado et son ensemble Danzas ont fêté samedi au Café de la Danse la sortie de « Lagrima Latina », troisième album après « Fiesta Nocturna » et « La Fête à Boby » (Lapointe). En même temps, Machado veut fêter ce soir-là ses « 30 ans de créations ». Des allures de fête donc, que ne dément pas le plaisir visible et communicatif pris par les 8 instrumentistes et 3 chanteuses à livrer ce programme. Avec des occasions de le jouer sur scène qui se comptent sur les doigts d’une main, on se demande comment Jean-Marie Machado et Danzas seraient parvenus à ce degré de cohésion et de préparation sans l’échéance d’un enregistrement.

 

Jean-Marie Machado (piano, comp), Antonio Placer (livret poétique), Simonetta Soro, Claudia Solal, Sofia Ribeiro (voc), Didier Ithursarry (acc), Jean-Charles Richard (ss, bar), Joce Mienniel (fl), François Thuillier (tu), Cécile Grenier (vla, voc), Claus Stötter (tp, flh), Stracho Temelkovski (perc, mandole). Samedi 7 mars, Café de la Danse (Paris).

 

Force est d’avouer que, si j’ai parfois l’impression que les musiciens de jazz usent et abusent du brassage stylistique, et que cette source pourrait finir se tarir tant on y puise, ce programme en propose un démenti généreux, souriant. Encore faut-il se donner les moyens de cette ambition, et non des moindres, consistant à interroger les identités et les « cultures » Après Jean-Christophe Cholet, le violoniste Jasser Haj Youssef fait partie de ceux qui ont apporté récemment des contributions convaincantes à ce défi.

On évitera l’approche musicologique de ce qui s’est joué, si tant qu’elle trouvât un intérêt ici, ne serait-ce que par prudence et par humilité devant la variété des ingrédients qui semblent entrer dans la « composition » du plat coloré et épicé qui a été servi, dominé par la monodie, la voix, le rythme. Les lignes et les couleurs cherchent leur accord à la faveur de cadres rythmiques toujours renouvelés, rappelant des époques et des contrées musicales pour lesquelles le rythme et les carrures étaient aussi affaire de jeu, et qui savaient se soumettre joyeusement au texte et à sa prosodie. Ces « larmes latines » ont un goût d’Espagne et de Portugal, d’Italie et de Sardaigne, et le compositeur rappelle qu’elles trahissent les difficultés qu’il a lui-même dû surmonter pour trouver sa voie et ses mots entre les cultures de son enfance. (Machado a grandi au Maroc, ses origines familiales sont portugaises, italiennes et espagnoles…On trouvera beaucoup de lectures sur ce sujet, et de musiques qui le reflètent dans son parcours).

Le savant et le populaire, que le jazz brasse à sa façon, s’entrecroisent aussi de façon personnelle ici, de même que sentiment modal et harmonique, improvisation ou écriture des plus strictes. D’autres moyens sont utilisés pour exprimer les paradoxes, les effets de surprise, les ingrédients inattendus de ces rencontres. D’abord, la poétique si musicale d’Antonio Placer (je me suis rué sur le livret du CD pour y revenir, ouf…avec les traductions). Allez, je reproduis juste une strophe traduite de Te Escribo El Mar (Je t’écris la mer).

 

Je compose comme je respire

Dix-huit mots à la minute.

Si tu me donnes une nuit,

Je t’écris la mer

Sur la rive du désir,

Sur ta peau, flaque d’eau, parchemin 

Aux phonèmes hardis,

Avant de me jeter à l’eau.

 

 Les langues se succèdent (espagnol, italien, français, portugais) voire s’inventent (Kurgaï), parfois s’entrechoquent au sein d’une même chanson, comme les solistes se passent le témoin (presque chacun d’eux se voit attribuer une longue introduction) et s’allient deux à deux ou trois par trois. J’aurais envie de les citer tous, tant pour eux-mêmes que pour leur contribution à l’ensemble : je commencerai par les deux extrémités de la palette avec François Thuillier, souple, feutré et inébranlable, et Joce Mienniel dont les interventions lumineuses se sont déclinées sur toute la gamme des flûtes et jusqu’ à la guimbarde. Claus Stötter incarne bien la brillance et – au bugle – le chatoiement des couleurs que le compositeur/arrangeur met en présence sous bien d’autres formes, entre l’accordéon de Didier Ithursarry et l’alto ample de Cécile Grenier par exemple. Si cette dernière rejoint le trio vocal pour le réjouissant Kurgaï final, tous mettent en œuvre et prolongent avec ou sans leur voix (au soprano de Jean-Charles Richard, par exemple) la dimension chantée de la pièce. Casting parfait, enfin, du côté des trois vocalistes sarde, portugaise et française. Le chaud vibrato de Simonetta Soro, le tranchant subtil et légèrement voilé de Sofia Ribeiro, l’efficacité plus rythmique, parfois dans le murmure, d’une tradition ouvertement jazz chez Claudia Solal. Le tout est porté à incandescence par une combinaison originale de percussions orientales sous les doigts de l’étonnant multi-instrumentiste d’origine macédonienne Stracho Temelkovski, qu’il faut aussi entendre à la mandole, sorte de guitare-mandoline d’origine arabo-andalouse pourvue de cinq double-cordes. Remarquable soliste, Jean-Marie Machado dirige et soutient l’édifice, encadre de toute sa présence physique et rythmique les structures et les couleurs qu’il a projetées sur cette toile ensoleillée, toile sur laquelle il coule sans jamais prendre le rôle principal plusieurs monologues ou dialogues perlés parmi lesquels une très belle introduction en duo avec Stötter. Il semble tout simplement heureux d’être au premier rang de ce spectacle superbe. On le serait à moins. Le CD qui vient de sortir (« Lagrima Latina », Cantabile) ne remplacera pas la joie de le
recevoir en direct, mais on espère vraiment qu’il en favorisera toutes les perspectives de programmation. V.C.

 

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Jean-Marie Machado et son ensemble Danzas ont fêté samedi au Café de la Danse la sortie de « Lagrima Latina », troisième album après « Fiesta Nocturna » et « La Fête à Boby » (Lapointe). En même temps, Machado veut fêter ce soir-là ses « 30 ans de créations ». Des allures de fête donc, que ne dément pas le plaisir visible et communicatif pris par les 8 instrumentistes et 3 chanteuses à livrer ce programme. Avec des occasions de le jouer sur scène qui se comptent sur les doigts d’une main, on se demande comment Jean-Marie Machado et Danzas seraient parvenus à ce degré de cohésion et de préparation sans l’échéance d’un enregistrement.

 

Jean-Marie Machado (piano, comp), Antonio Placer (livret poétique), Simonetta Soro, Claudia Solal, Sofia Ribeiro (voc), Didier Ithursarry (acc), Jean-Charles Richard (ss, bar), Joce Mienniel (fl), François Thuillier (tu), Cécile Grenier (vla, voc), Claus Stötter (tp, flh), Stracho Temelkovski (perc, mandole). Samedi 7 mars, Café de la Danse (Paris).

 

Force est d’avouer que, si j’ai parfois l’impression que les musiciens de jazz usent et abusent du brassage stylistique, et que cette source pourrait finir se tarir tant on y puise, ce programme en propose un démenti généreux, souriant. Encore faut-il se donner les moyens de cette ambition, et non des moindres, consistant à interroger les identités et les « cultures » Après Jean-Christophe Cholet, le violoniste Jasser Haj Youssef fait partie de ceux qui ont apporté récemment des contributions convaincantes à ce défi.

On évitera l’approche musicologique de ce qui s’est joué, si tant qu’elle trouvât un intérêt ici, ne serait-ce que par prudence et par humilité devant la variété des ingrédients qui semblent entrer dans la « composition » du plat coloré et épicé qui a été servi, dominé par la monodie, la voix, le rythme. Les lignes et les couleurs cherchent leur accord à la faveur de cadres rythmiques toujours renouvelés, rappelant des époques et des contrées musicales pour lesquelles le rythme et les carrures étaient aussi affaire de jeu, et qui savaient se soumettre joyeusement au texte et à sa prosodie. Ces « larmes latines » ont un goût d’Espagne et de Portugal, d’Italie et de Sardaigne, et le compositeur rappelle qu’elles trahissent les difficultés qu’il a lui-même dû surmonter pour trouver sa voie et ses mots entre les cultures de son enfance. (Machado a grandi au Maroc, ses origines familiales sont portugaises, italiennes et espagnoles…On trouvera beaucoup de lectures sur ce sujet, et de musiques qui le reflètent dans son parcours).

Le savant et le populaire, que le jazz brasse à sa façon, s’entrecroisent aussi de façon personnelle ici, de même que sentiment modal et harmonique, improvisation ou écriture des plus strictes. D’autres moyens sont utilisés pour exprimer les paradoxes, les effets de surprise, les ingrédients inattendus de ces rencontres. D’abord, la poétique si musicale d’Antonio Placer (je me suis rué sur le livret du CD pour y revenir, ouf…avec les traductions). Allez, je reproduis juste une strophe traduite de Te Escribo El Mar (Je t’écris la mer).

 

Je compose comme je respire

Dix-huit mots à la minute.

Si tu me donnes une nuit,

Je t’écris la mer

Sur la rive du désir,

Sur ta peau, flaque d’eau, parchemin 

Aux phonèmes hardis,

Avant de me jeter à l’eau.

 

 Les langues se succèdent (espagnol, italien, français, portugais) voire s’inventent (Kurgaï), parfois s’entrechoquent au sein d’une même chanson, comme les solistes se passent le témoin (presque chacun d’eux se voit attribuer une longue introduction) et s’allient deux à deux ou trois par trois. J’aurais envie de les citer tous, tant pour eux-mêmes que pour leur contribution à l’ensemble : je commencerai par les deux extrémités de la palette avec François Thuillier, souple, feutré et inébranlable, et Joce Mienniel dont les interventions lumineuses se sont déclinées sur toute la gamme des flûtes et jusqu’ à la guimbarde. Claus Stötter incarne bien la brillance et – au bugle – le chatoiement des couleurs que le compositeur/arrangeur met en présence sous bien d’autres formes, entre l’accordéon de Didier Ithursarry et l’alto ample de Cécile Grenier par exemple. Si cette dernière rejoint le trio vocal pour le réjouissant Kurgaï final, tous mettent en œuvre et prolongent avec ou sans leur voix (au soprano de Jean-Charles Richard, par exemple) la dimension chantée de la pièce. Casting parfait, enfin, du côté des trois vocalistes sarde, portugaise et française. Le chaud vibrato de Simonetta Soro, le tranchant subtil et légèrement voilé de Sofia Ribeiro, l’efficacité plus rythmique, parfois dans le murmure, d’une tradition ouvertement jazz chez Claudia Solal. Le tout est porté à incandescence par une combinaison originale de percussions orientales sous les doigts de l’étonnant multi-instrumentiste d’origine macédonienne Stracho Temelkovski, qu’il faut aussi entendre à la mandole, sorte de guitare-mandoline d’origine arabo-andalouse pourvue de cinq double-cordes. Remarquable soliste, Jean-Marie Machado dirige et soutient l’édifice, encadre de toute sa présence physique et rythmique les structures et les couleurs qu’il a projetées sur cette toile ensoleillée, toile sur laquelle il coule sans jamais prendre le rôle principal plusieurs monologues ou dialogues perlés parmi lesquels une très belle introduction en duo avec Stötter. Il semble tout simplement heureux d’être au premier rang de ce spectacle superbe. On le serait à moins. Le CD qui vient de sortir (« Lagrima Latina », Cantabile) ne remplacera pas la joie de le
recevoir en direct, mais on espère vraiment qu’il en favorisera toutes les perspectives de programmation. V.C.