Jazz live
Publié le 6 Juin 2014

Le D-Day de Bill Carrothers

Dans le cadre du festival Jazz sous les pommiers, Bill Carrothers et son quintet, épaulés par un impressionnant chœur de 120 enfants, évoquent la guerre et le débarquement. Avec une telle force de frappe, Bill Carrothers allait-il pouvoir préserver le lyrisme secret et pudique qui fait le sel de sa musique?

 

 

BillCa 7

 

 

 

Coutances, salle Marcel Hélie, le 29 mai 2014

Bill Carrothers (pîano, chant, composition), Peg Carrothers (chant) , Dré pallemaerts (batterie), Drew Gress (contrebasse), Max Acree (trombone)

Choeur de la Maîtrise de Caen, dirigé par Olivier Opdebeeck

American Boys Choir dirigé par Fernando Maiva-Ruiz

Chorale du collège Guillaume de Normandie dirigéer par Frédéric Ledru

Chorale du collège Le Fairage de Périers dirigé par Denis Labesse

 

Visuellement, cela donne 120 bambins dans le fond de la salle, vêtus de couleurs vives, portant leurs partitions dans un cahier blanc ou bleu, avec devant eux, dos au public, Olivier Opdebeek, leur chef de chœur. Bill Carrothers est à gauche, rejoint sur plusieurs morceaux par sa femme Peg Carrothers. Il est placé de manière à avoir le chœur dans son champ visuel. Max Acree , le jeune tromboniste recruté spécialement pour l’occasion est à droite avec le batteur Dré Pallemaerts. Drew Gress, le contrebassiste est à peu près au milieu de la scène.

Le concert s’ouvre par Moonlight Serenade, interprété subtilement par Max Acree. Il joue le morceau à l’ancienne, à la manière veloutée d’un Tommy Dorsey, avant d’y instiller un subtil arrière-goût d’angoisse et de morbidité. Bill Carrothers, visage grave, très concentré, ajoute de splendides harmonies en demi-teintes, jouées pianissmo, tandis que le chœur accentue l’angoisse diffuse de ce moonlight serenade par un contrechant très doux au début, plus affirmé ensuite. C’est splendide. Puis Bill et Peg Carrothers chantent la mélodie. C’est la première fois avec ce projet que Bill Carrothers chante en public. Lui et sa femme ont une tessiture étonnamment voisine, et un style vocal assez proche, sans vibrato,  sur le fil de l’émotion.BillCa 3

 

Le deuxième morceau,  This is worth fightin for, est une chanson de propagande réarrangée. Ensuite, A nightingale song confirme cette aptitude à concilier l’intime et le grandiose. Un petit angelot à lunettes vient siffler la mélodie. Il est à peine plus grand que le micro, il peine dans les aigus, mais sa manière de rendre la mélodie est poignante. Bill plaque des accords d’une douceur infinie.BillCa 10

Le programme suit son cours.  On comprend mieux les intentions du compositeur : mêler des standards des années 40 (Love letters, magnifiquement chanté par Peg Carrothers, puis par Bill, White Christmas, chanson écrite en 1941 par Bing Crosby, sur laquelle Dré Pallemaerts froisse délicatement une feuille de papier, et que Bill enrobe d’accords délicatement dissonnants) mais aussi des chansons de propagande, (There’ll be bluebirds over, Any Bond today) et aussi des textes et des mélodies plus rares, qui donnent une dimension plus universelle aux événements. Comme Wait for me, poème écrit par un soldat russe, chanté par Peg Carrothers.

Plus le concert avance, et plus le monde de l’innocence (symbolisé par des standards tels que Moonlight serenade) s’obscurcit. La guerre envahit tout. Bill a composé trois brèves pièces Juno, Utah, Omaha, qui évoquent le fracas des évènements. Dans Utah, le chœur évoque ces vagues de l’océan, qui ballotent les soldats : c’est simple, dépouillé, très beau.

Vient ensuite  un psaume (The lord is my shepherd) qui traduit la foi des soldats venus se battre, et celle de Bill Carrothers lui-même. Il y a de magnifiques effets de diffraction du chant au sein du chœur, la mélodie est répartie entre plusieurs voix, qui se superposent ou se répondent, et l’on se dit alors que Bill Carrothers n’utilise presque jamais la totalité du chœur en même temps. Puis est chanté un poème de Paul Dorey, écrivain caennais, où il s’exprime au nom de la Normandie toute entière : « La douleur m’a brisé, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté ». Ces vers , gravés sur le mémorial de Caen, sont chantés à deux voix par deux choristes, l’un français l’autre américain. Le concert se finit dans la ferveur optimiste et religieuse d’un Happy days chanté à pleine voix, avec la batterie de Dré Pallemaerts pour propulser tout le monde.BillCa

Le concert est fini. Je fais un petit tour en coulisses. Je cherche le petit garçon qui a sifflé nightingale song. Je ne le trouve pas. Je tombe sur un autre garçon prénommé Julien. Il fait partie du chœur français. Il a encore les partitions à la main et me montre les passages les plus difficiles, comme sur Juno , ou Colleville-sur-mer. Il a parfaitement compris l’esprit du projet : « Ce qui est bien c’est qu’on a chanté les mêmes chansons que les soldats américains avaient chanté ».

Bill Carrothers arrive. Il tombe dans les bras du chef de chœur, Olivier. Ses propres enfants sont autour de lui. Il a les traits tirés. Ce projet représente énormément de choses pour lui. Il s’y est totalement investi. Ce qui l’attire dans l’intervention américaine de 1944, c’est peut-être la nostalgie de l’innocence perdue, mais surtout celle d’une époque où l’on combat pour des valeurs strictement et incontestablement morales. Cette chanson qu’il a placée en deuxième position, this is worth fighting for, résume sans doute sa pensée. C’était ce soir la deuxième représentation. Il
y en aura encore une à Sainte-Mère l’Eglise, en plein air. Tout le monde espère qu’il fera beau.

Texte jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

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Dans le cadre du festival Jazz sous les pommiers, Bill Carrothers et son quintet, épaulés par un impressionnant chœur de 120 enfants, évoquent la guerre et le débarquement. Avec une telle force de frappe, Bill Carrothers allait-il pouvoir préserver le lyrisme secret et pudique qui fait le sel de sa musique?

 

 

BillCa 7

 

 

 

Coutances, salle Marcel Hélie, le 29 mai 2014

Bill Carrothers (pîano, chant, composition), Peg Carrothers (chant) , Dré pallemaerts (batterie), Drew Gress (contrebasse), Max Acree (trombone)

Choeur de la Maîtrise de Caen, dirigé par Olivier Opdebeeck

American Boys Choir dirigé par Fernando Maiva-Ruiz

Chorale du collège Guillaume de Normandie dirigéer par Frédéric Ledru

Chorale du collège Le Fairage de Périers dirigé par Denis Labesse

 

Visuellement, cela donne 120 bambins dans le fond de la salle, vêtus de couleurs vives, portant leurs partitions dans un cahier blanc ou bleu, avec devant eux, dos au public, Olivier Opdebeek, leur chef de chœur. Bill Carrothers est à gauche, rejoint sur plusieurs morceaux par sa femme Peg Carrothers. Il est placé de manière à avoir le chœur dans son champ visuel. Max Acree , le jeune tromboniste recruté spécialement pour l’occasion est à droite avec le batteur Dré Pallemaerts. Drew Gress, le contrebassiste est à peu près au milieu de la scène.

Le concert s’ouvre par Moonlight Serenade, interprété subtilement par Max Acree. Il joue le morceau à l’ancienne, à la manière veloutée d’un Tommy Dorsey, avant d’y instiller un subtil arrière-goût d’angoisse et de morbidité. Bill Carrothers, visage grave, très concentré, ajoute de splendides harmonies en demi-teintes, jouées pianissmo, tandis que le chœur accentue l’angoisse diffuse de ce moonlight serenade par un contrechant très doux au début, plus affirmé ensuite. C’est splendide. Puis Bill et Peg Carrothers chantent la mélodie. C’est la première fois avec ce projet que Bill Carrothers chante en public. Lui et sa femme ont une tessiture étonnamment voisine, et un style vocal assez proche, sans vibrato,  sur le fil de l’émotion.BillCa 3

 

Le deuxième morceau,  This is worth fightin for, est une chanson de propagande réarrangée. Ensuite, A nightingale song confirme cette aptitude à concilier l’intime et le grandiose. Un petit angelot à lunettes vient siffler la mélodie. Il est à peine plus grand que le micro, il peine dans les aigus, mais sa manière de rendre la mélodie est poignante. Bill plaque des accords d’une douceur infinie.BillCa 10

Le programme suit son cours.  On comprend mieux les intentions du compositeur : mêler des standards des années 40 (Love letters, magnifiquement chanté par Peg Carrothers, puis par Bill, White Christmas, chanson écrite en 1941 par Bing Crosby, sur laquelle Dré Pallemaerts froisse délicatement une feuille de papier, et que Bill enrobe d’accords délicatement dissonnants) mais aussi des chansons de propagande, (There’ll be bluebirds over, Any Bond today) et aussi des textes et des mélodies plus rares, qui donnent une dimension plus universelle aux événements. Comme Wait for me, poème écrit par un soldat russe, chanté par Peg Carrothers.

Plus le concert avance, et plus le monde de l’innocence (symbolisé par des standards tels que Moonlight serenade) s’obscurcit. La guerre envahit tout. Bill a composé trois brèves pièces Juno, Utah, Omaha, qui évoquent le fracas des évènements. Dans Utah, le chœur évoque ces vagues de l’océan, qui ballotent les soldats : c’est simple, dépouillé, très beau.

Vient ensuite  un psaume (The lord is my shepherd) qui traduit la foi des soldats venus se battre, et celle de Bill Carrothers lui-même. Il y a de magnifiques effets de diffraction du chant au sein du chœur, la mélodie est répartie entre plusieurs voix, qui se superposent ou se répondent, et l’on se dit alors que Bill Carrothers n’utilise presque jamais la totalité du chœur en même temps. Puis est chanté un poème de Paul Dorey, écrivain caennais, où il s’exprime au nom de la Normandie toute entière : « La douleur m’a brisé, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté ». Ces vers , gravés sur le mémorial de Caen, sont chantés à deux voix par deux choristes, l’un français l’autre américain. Le concert se finit dans la ferveur optimiste et religieuse d’un Happy days chanté à pleine voix, avec la batterie de Dré Pallemaerts pour propulser tout le monde.BillCa

Le concert est fini. Je fais un petit tour en coulisses. Je cherche le petit garçon qui a sifflé nightingale song. Je ne le trouve pas. Je tombe sur un autre garçon prénommé Julien. Il fait partie du chœur français. Il a encore les partitions à la main et me montre les passages les plus difficiles, comme sur Juno , ou Colleville-sur-mer. Il a parfaitement compris l’esprit du projet : « Ce qui est bien c’est qu’on a chanté les mêmes chansons que les soldats américains avaient chanté ».

Bill Carrothers arrive. Il tombe dans les bras du chef de chœur, Olivier. Ses propres enfants sont autour de lui. Il a les traits tirés. Ce projet représente énormément de choses pour lui. Il s’y est totalement investi. Ce qui l’attire dans l’intervention américaine de 1944, c’est peut-être la nostalgie de l’innocence perdue, mais surtout celle d’une époque où l’on combat pour des valeurs strictement et incontestablement morales. Cette chanson qu’il a placée en deuxième position, this is worth fighting for, résume sans doute sa pensée. C’était ce soir la deuxième représentation. Il
y en aura encore une à Sainte-Mère l’Eglise, en plein air. Tout le monde espère qu’il fera beau.

Texte jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

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Dans le cadre du festival Jazz sous les pommiers, Bill Carrothers et son quintet, épaulés par un impressionnant chœur de 120 enfants, évoquent la guerre et le débarquement. Avec une telle force de frappe, Bill Carrothers allait-il pouvoir préserver le lyrisme secret et pudique qui fait le sel de sa musique?

 

 

BillCa 7

 

 

 

Coutances, salle Marcel Hélie, le 29 mai 2014

Bill Carrothers (pîano, chant, composition), Peg Carrothers (chant) , Dré pallemaerts (batterie), Drew Gress (contrebasse), Max Acree (trombone)

Choeur de la Maîtrise de Caen, dirigé par Olivier Opdebeeck

American Boys Choir dirigé par Fernando Maiva-Ruiz

Chorale du collège Guillaume de Normandie dirigéer par Frédéric Ledru

Chorale du collège Le Fairage de Périers dirigé par Denis Labesse

 

Visuellement, cela donne 120 bambins dans le fond de la salle, vêtus de couleurs vives, portant leurs partitions dans un cahier blanc ou bleu, avec devant eux, dos au public, Olivier Opdebeek, leur chef de chœur. Bill Carrothers est à gauche, rejoint sur plusieurs morceaux par sa femme Peg Carrothers. Il est placé de manière à avoir le chœur dans son champ visuel. Max Acree , le jeune tromboniste recruté spécialement pour l’occasion est à droite avec le batteur Dré Pallemaerts. Drew Gress, le contrebassiste est à peu près au milieu de la scène.

Le concert s’ouvre par Moonlight Serenade, interprété subtilement par Max Acree. Il joue le morceau à l’ancienne, à la manière veloutée d’un Tommy Dorsey, avant d’y instiller un subtil arrière-goût d’angoisse et de morbidité. Bill Carrothers, visage grave, très concentré, ajoute de splendides harmonies en demi-teintes, jouées pianissmo, tandis que le chœur accentue l’angoisse diffuse de ce moonlight serenade par un contrechant très doux au début, plus affirmé ensuite. C’est splendide. Puis Bill et Peg Carrothers chantent la mélodie. C’est la première fois avec ce projet que Bill Carrothers chante en public. Lui et sa femme ont une tessiture étonnamment voisine, et un style vocal assez proche, sans vibrato,  sur le fil de l’émotion.BillCa 3

 

Le deuxième morceau,  This is worth fightin for, est une chanson de propagande réarrangée. Ensuite, A nightingale song confirme cette aptitude à concilier l’intime et le grandiose. Un petit angelot à lunettes vient siffler la mélodie. Il est à peine plus grand que le micro, il peine dans les aigus, mais sa manière de rendre la mélodie est poignante. Bill plaque des accords d’une douceur infinie.BillCa 10

Le programme suit son cours.  On comprend mieux les intentions du compositeur : mêler des standards des années 40 (Love letters, magnifiquement chanté par Peg Carrothers, puis par Bill, White Christmas, chanson écrite en 1941 par Bing Crosby, sur laquelle Dré Pallemaerts froisse délicatement une feuille de papier, et que Bill enrobe d’accords délicatement dissonnants) mais aussi des chansons de propagande, (There’ll be bluebirds over, Any Bond today) et aussi des textes et des mélodies plus rares, qui donnent une dimension plus universelle aux événements. Comme Wait for me, poème écrit par un soldat russe, chanté par Peg Carrothers.

Plus le concert avance, et plus le monde de l’innocence (symbolisé par des standards tels que Moonlight serenade) s’obscurcit. La guerre envahit tout. Bill a composé trois brèves pièces Juno, Utah, Omaha, qui évoquent le fracas des évènements. Dans Utah, le chœur évoque ces vagues de l’océan, qui ballotent les soldats : c’est simple, dépouillé, très beau.

Vient ensuite  un psaume (The lord is my shepherd) qui traduit la foi des soldats venus se battre, et celle de Bill Carrothers lui-même. Il y a de magnifiques effets de diffraction du chant au sein du chœur, la mélodie est répartie entre plusieurs voix, qui se superposent ou se répondent, et l’on se dit alors que Bill Carrothers n’utilise presque jamais la totalité du chœur en même temps. Puis est chanté un poème de Paul Dorey, écrivain caennais, où il s’exprime au nom de la Normandie toute entière : « La douleur m’a brisé, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté ». Ces vers , gravés sur le mémorial de Caen, sont chantés à deux voix par deux choristes, l’un français l’autre américain. Le concert se finit dans la ferveur optimiste et religieuse d’un Happy days chanté à pleine voix, avec la batterie de Dré Pallemaerts pour propulser tout le monde.BillCa

Le concert est fini. Je fais un petit tour en coulisses. Je cherche le petit garçon qui a sifflé nightingale song. Je ne le trouve pas. Je tombe sur un autre garçon prénommé Julien. Il fait partie du chœur français. Il a encore les partitions à la main et me montre les passages les plus difficiles, comme sur Juno , ou Colleville-sur-mer. Il a parfaitement compris l’esprit du projet : « Ce qui est bien c’est qu’on a chanté les mêmes chansons que les soldats américains avaient chanté ».

Bill Carrothers arrive. Il tombe dans les bras du chef de chœur, Olivier. Ses propres enfants sont autour de lui. Il a les traits tirés. Ce projet représente énormément de choses pour lui. Il s’y est totalement investi. Ce qui l’attire dans l’intervention américaine de 1944, c’est peut-être la nostalgie de l’innocence perdue, mais surtout celle d’une époque où l’on combat pour des valeurs strictement et incontestablement morales. Cette chanson qu’il a placée en deuxième position, this is worth fighting for, résume sans doute sa pensée. C’était ce soir la deuxième représentation. Il
y en aura encore une à Sainte-Mère l’Eglise, en plein air. Tout le monde espère qu’il fera beau.

Texte jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët

|

Dans le cadre du festival Jazz sous les pommiers, Bill Carrothers et son quintet, épaulés par un impressionnant chœur de 120 enfants, évoquent la guerre et le débarquement. Avec une telle force de frappe, Bill Carrothers allait-il pouvoir préserver le lyrisme secret et pudique qui fait le sel de sa musique?

 

 

BillCa 7

 

 

 

Coutances, salle Marcel Hélie, le 29 mai 2014

Bill Carrothers (pîano, chant, composition), Peg Carrothers (chant) , Dré pallemaerts (batterie), Drew Gress (contrebasse), Max Acree (trombone)

Choeur de la Maîtrise de Caen, dirigé par Olivier Opdebeeck

American Boys Choir dirigé par Fernando Maiva-Ruiz

Chorale du collège Guillaume de Normandie dirigéer par Frédéric Ledru

Chorale du collège Le Fairage de Périers dirigé par Denis Labesse

 

Visuellement, cela donne 120 bambins dans le fond de la salle, vêtus de couleurs vives, portant leurs partitions dans un cahier blanc ou bleu, avec devant eux, dos au public, Olivier Opdebeek, leur chef de chœur. Bill Carrothers est à gauche, rejoint sur plusieurs morceaux par sa femme Peg Carrothers. Il est placé de manière à avoir le chœur dans son champ visuel. Max Acree , le jeune tromboniste recruté spécialement pour l’occasion est à droite avec le batteur Dré Pallemaerts. Drew Gress, le contrebassiste est à peu près au milieu de la scène.

Le concert s’ouvre par Moonlight Serenade, interprété subtilement par Max Acree. Il joue le morceau à l’ancienne, à la manière veloutée d’un Tommy Dorsey, avant d’y instiller un subtil arrière-goût d’angoisse et de morbidité. Bill Carrothers, visage grave, très concentré, ajoute de splendides harmonies en demi-teintes, jouées pianissmo, tandis que le chœur accentue l’angoisse diffuse de ce moonlight serenade par un contrechant très doux au début, plus affirmé ensuite. C’est splendide. Puis Bill et Peg Carrothers chantent la mélodie. C’est la première fois avec ce projet que Bill Carrothers chante en public. Lui et sa femme ont une tessiture étonnamment voisine, et un style vocal assez proche, sans vibrato,  sur le fil de l’émotion.BillCa 3

 

Le deuxième morceau,  This is worth fightin for, est une chanson de propagande réarrangée. Ensuite, A nightingale song confirme cette aptitude à concilier l’intime et le grandiose. Un petit angelot à lunettes vient siffler la mélodie. Il est à peine plus grand que le micro, il peine dans les aigus, mais sa manière de rendre la mélodie est poignante. Bill plaque des accords d’une douceur infinie.BillCa 10

Le programme suit son cours.  On comprend mieux les intentions du compositeur : mêler des standards des années 40 (Love letters, magnifiquement chanté par Peg Carrothers, puis par Bill, White Christmas, chanson écrite en 1941 par Bing Crosby, sur laquelle Dré Pallemaerts froisse délicatement une feuille de papier, et que Bill enrobe d’accords délicatement dissonnants) mais aussi des chansons de propagande, (There’ll be bluebirds over, Any Bond today) et aussi des textes et des mélodies plus rares, qui donnent une dimension plus universelle aux événements. Comme Wait for me, poème écrit par un soldat russe, chanté par Peg Carrothers.

Plus le concert avance, et plus le monde de l’innocence (symbolisé par des standards tels que Moonlight serenade) s’obscurcit. La guerre envahit tout. Bill a composé trois brèves pièces Juno, Utah, Omaha, qui évoquent le fracas des évènements. Dans Utah, le chœur évoque ces vagues de l’océan, qui ballotent les soldats : c’est simple, dépouillé, très beau.

Vient ensuite  un psaume (The lord is my shepherd) qui traduit la foi des soldats venus se battre, et celle de Bill Carrothers lui-même. Il y a de magnifiques effets de diffraction du chant au sein du chœur, la mélodie est répartie entre plusieurs voix, qui se superposent ou se répondent, et l’on se dit alors que Bill Carrothers n’utilise presque jamais la totalité du chœur en même temps. Puis est chanté un poème de Paul Dorey, écrivain caennais, où il s’exprime au nom de la Normandie toute entière : « La douleur m’a brisé, la fraternité m’a relevé, de ma blessure a jailli un fleuve de liberté ». Ces vers , gravés sur le mémorial de Caen, sont chantés à deux voix par deux choristes, l’un français l’autre américain. Le concert se finit dans la ferveur optimiste et religieuse d’un Happy days chanté à pleine voix, avec la batterie de Dré Pallemaerts pour propulser tout le monde.BillCa

Le concert est fini. Je fais un petit tour en coulisses. Je cherche le petit garçon qui a sifflé nightingale song. Je ne le trouve pas. Je tombe sur un autre garçon prénommé Julien. Il fait partie du chœur français. Il a encore les partitions à la main et me montre les passages les plus difficiles, comme sur Juno , ou Colleville-sur-mer. Il a parfaitement compris l’esprit du projet : « Ce qui est bien c’est qu’on a chanté les mêmes chansons que les soldats américains avaient chanté ».

Bill Carrothers arrive. Il tombe dans les bras du chef de chœur, Olivier. Ses propres enfants sont autour de lui. Il a les traits tirés. Ce projet représente énormément de choses pour lui. Il s’y est totalement investi. Ce qui l’attire dans l’intervention américaine de 1944, c’est peut-être la nostalgie de l’innocence perdue, mais surtout celle d’une époque où l’on combat pour des valeurs strictement et incontestablement morales. Cette chanson qu’il a placée en deuxième position, this is worth fighting for, résume sans doute sa pensée. C’était ce soir la deuxième représentation. Il
y en aura encore une à Sainte-Mère l’Eglise, en plein air. Tout le monde espère qu’il fera beau.

Texte jean-François Mondot

Dessins : Annie-Claire Alvoët