Jazz live
Publié le 4 Nov 2022

Le Québec rue des Lombards avec Alain Bédard et Yannick Rieu

Salué à contre-temps de quatre étoiles dans notre numéro de mars, l’album “Loguslabusmuzikus” du Jazzlab Orchestra d’Alain Bédard était célébré hier au Sunset pour sa sortie française en date du 30 septembre chez le distributeur Socadisc. À la même affiche, un étage au-dessus, Yannick Rieu et son Génération Quartet.

Cet ambitieux projet orchestral d’Alain Bédard, il nous tardait de l’entendre en concert, rodé à l’épreuve de la scène. L’enchaînement d’une tournée canadienne et d’une tournée franco-italienne constituait une belle occasion. Retenu en début de soirée par une obligation administrative, je débarque au Sunset alors que vient de débuter le second set, plongé sans transition d’un vote de budget à un ardent solo de ténor de Claire Devlin (nouvelle venue par rapport au personnel crédité sur le disque, à l’occasion sopraniste), sans avoir pris le temps de réaliser que l’octette est ici réduit à la taille d’un sextette, deux de ses membres ayant déclaré forfait pour raison de santé. Mais si Alain Bédard a dû, sur la route, réécrire ses partitions orchestrales – jusqu’à celle d’un quintette lorsque l’altiste Mario Allard, heureusement présent ce soir, a dû retourner au Québec pour honorer deux engagements –, l’écriture n’a rien perdu de son relief et, si se trouve contredite cette impression consignée dans ma chronique du disque « On pourrait le prendre pour un big band, tant on peine à en ordonner les voix soumises à des échanges et déplacements difficilement identifiables. », c’est peut-être plutôt par le démenti du regard, ce sens tellement plus développé chez l’Humain que l’ouïe, qui toutes oreilles bouchées reconnaît un sextette d’un octette au premier coup d’œil bien avant qu’il n’en ait détaillé les timbres et les voies les yeux fermés.

L’écoute jouit ici d’une écriture vive, tout en contraste, pleins et déliés, ombres et lumières, monts et vallées, d’échanges et recombinaisons rapides et réjouissantes entre pupitres, entre partitions et parties solistes, l’une de celles-ci s’isolant ici ou là avec la seule contrebasse ou la seule batterie de Michel Lambert, ce dernier jouant moins la carte démonstrative du “solodebatterie” que celle du flux partagé avec l’improvisateur échappé de la front line. Emmenée par le trompettiste Jacques Kuba Seguin, celle-ci fait preuve d’une force de frappe dans le tutti et de pénétration dans la percée soliste stimulée par Félix Stüssi qui semble penser le piano en termes de visions. Quant à Alain Bédard, il porte cet ensemble aux connotations mingusiennes avec cette compétence et cet enthousiasme dont il fait preuve depuis des lustres tant comme contrebassiste que comme compositeur, meneur d’hommes, producteur et patron de label (Effendi Records). Demain Rome, puis la Suisse, retour au Québec et bientôt la Guadeloupe. Bon voyage !

À l’étage, le saxophoniste Yannick Rieu, également québécois, présente également une production Effendi « Qui qu’en grogne », à la tête de son Génération Quartet : Gentiane Michaud-Gagnon (piano), Guy Boisvert (contrebasse), Louis-Vincent Hamel (batterie), un premier set ayant été assuré par Alain Jean-Marie, Nicolas Rageau et Philippe Soirat. Grande affluence, Sunside des grands soirs, comme je n’en avais pas connus depuis longtemps.

Grande affluence, grande dissipation. Yannick Rieu a beaucoup d’amis sur la place parisienne, et près du bar l’écoute est active, commentée, exclamée : Lionel Belmondo, Franck Amsallem, Laurent Fickelson, Sammy Thiébault, les membres du Jazzlab Orchestra et d’autres encore. Tandis que ce petit monde trinque allègrement aux amitiés franco-québécoise, je tâche de concentrer mon attention sur l’écran au-dessus du bar. Up tempo flambloyant proposant l’une des mille manières de faire vivre l’héritage coltranien, ballades caressantes magnifiées par la qualité de l’émission en un délicat mélange de vent et de roseau qui semble inspirer une rythmique élégante. Soudain dans le coin inférieur droit de l’écran paraît Stéphane Belmondo. Que dire du solo qui s’en suit ? Qui, quelle star américaine faudrait-il m’annoncer dans l’heure au Baiser salé ou au Duc des Lombards voisins pour que j’y cours m’arrachant soudain à l’ascension fiévreuse de cette improvisation qui embrase les fraîcheurs de la ballade ? Peut-être la programmation impromptue d’un troisième set du Jazzlab Orchestra à l’étage en-dessous me ferait-elle dévaler l’escalier du Sunside au Sunset. Franck Bergerot