Jazz live
Publié le 4 Juil 2019

Le Roi René à l’Alcazar de Marseille

Dans le cadre de l’Alcajazz qui annonce le festival de jazz de Marseille, nous pouvions assister hier, mercredi 3 juillet, au vernissage en musique de l’exposition de quarante photos d’Alain Chevrier, extraites de la collection Francis Paudras, en partenariat avec l’Académie du Jazz, en présence de son président François Lacharme...

LE ROI RENE A L’ALCAZAR de MARSEILLE

Dans le cadre de l’Alcajazz https://www.marseillejazz.com/cpt_programmation/alcajazz-expo-france-usa/ qui annonce le festival de jazz de Marseille, nous pouvions assister hier au vernissage en musique de l’exposition de quarante photos d’Alain Chevrier, extraites de la collection Francis Paudras,  en partenariat avec l’Académie du Jazz, en présence de son président François Lacharme.

France-USA, 1952-1957, Bibliothèque Médiathèque Alcazar, Cours Belsunce, 13001 Marseille, du 2 juillet au 14 août, du mardi au samedi de 11 h à 19 h .

 

Les années de foisonnement intense, de cohabitation pacifique, fructueuse et joyeuse entre vedettes US en tournée, jazzmen étatsuniens ayant choisi de s’installer en France où ils sont reconnus et respectés (Kenny Clarke, Don Byas, Bud Powell, Sidney Bechet…) et la jeune classe du jazz hexagonal ont eu un témoin privilégié, Alain Chevrier.
Au plus près des musiciens, ce photographe méconnu a capté leurs expressions, leurs émotions, leur complicité, leur joie de vivre et de jouer. Ces 40 documents, présentés ici ensemble pour la première fois, nous plongent au cœur d’une époque historique du jazz, quand Paris rivalisait avec New York.
(L’Academie du jazz, texte de présentation).

Grand admirateur de Charlie Parker et de Bud Powell, s’inscrivant dans la lignée du bop, le jeune pianiste René Urtreger a dédié son premier CD à Bud Powell.

( photo Alain Chevrier)

D’où l’idée bienvenue de l’inviter à la médiathèque marseillaise pour le vernissage de l’exposition photo.
D’autant que René Urtreger a fait partie, pour l’anniversaire des soixante ans de l’Académie du Jazz, d’un septette exceptionnel constitué de la fine fleur du jazz hexagonal, de musiciens  avec lesquels il a joué par ailleurs (Henri Texier, Sylvain Goubert, Stéphane Guillaume, Pierrick Pedron, Airelle Besson, Géraldine Laurent, Eric Le Lann).
Il a reçu de multiples distinctions, du prix Django Reinhardt en 1960 à celui de l’Académie Charles Cros en 1974 in honorem jazz.
C’est une figure du jazz français de la grande époque dont le témoignage précieux a été recueilli par la romancière Agnès Desarthe à laquelle il s’est confié. Elle a transformé sa vie aventureuse, flamboyante et pleine de rebondissements, souvent dramatiques, en un vrai roman du jazz qui court sur plusieurs décennies. ( Le Roi René, éditions Odile Jacob, avril 2016).

Avec son exceptionnel jeu de main droite, René Urtreger fut remarqué très jeune par Miles Davis qui l’entraîna dans son Ascenseur pour l’échafaud en 1957. René Urtreger a tourné avec Don Byas, enregistré avec Chet Baker, Lester Young ou Dizzy Gillespie, tourné en trio avec Pierre Michelot à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie. Les trois compères ont rejoué tous les vingt ans au trio HUM, que le label Sketch de Philippe Ghielmetti a reconstitué sous forme discographique avec un triple cd déclinant le triangle de musiciens en 1960, 1979 et 1999.
“Le plus étonnant de l’histoire, c’est que les trois HUM ont le même âge. Disons vingt ans tous les vingt ans. Non pas les vingt ans d’il y a vingt ans ou d’il ya deux fois vingt ans, mais obstinément les vingt ans du jour où on les redécouvre.”(Alain Gerber)

J’ai eu l’occasion de rencontrer René URTREGER lors d’un Avignon jazz festival au Cloître des Carmes, en 2002 à l’occasion d’une soirée SKETCH. Il revenait en solo avec un superbe album Onirica qui m’est resté en mémoire. Et d’ailleurs pour mon plus grand plaisir, dans ce mini concert qu’il nous offre ce soir, il attaque avec l’une de ses compositions, “la Fornarina” issue de cet album de 2001. Puis il enchaîne avec une composition très connue de Bud, “Celia” et poursuit plus sentimental avec  « Everytime we say Goodbye » de Cole Porter et “Love for sale” de Gershwin.


Mélodique et toujours alerte, René URTREGER suit le fil de ses pensées en laissant aller son sens de l’improvisation. En solo il dévoile le thème avec finesse, se laissant parfois aller au jeu des associations libres, qui lui permettent de démarrer une piste. Il n’est pas rare que John Lewis ou Bud Powell revivent sous ses doigts avec des citations pertinentes. D’où une étrange familiarité que l’on ressent dès la première écoute, comme des rappels d‘un autre temps, réminiscences d’une histoire aimée, celle du jazz.

Accompagné du photographe Christian Ducasse, chez lui à Marseille, François Lacharme va ensuite évoquer la singularité du jazz, cette musique d’une « large minorité », qui exalte l’invention de soi au sein d’un collectif. Il commente avec force anecdotes,  toujours truculentes, chacune des photos de l’exposition, aidé des interventions  pertinentes et souvent drôles de René Urtreger, qui relie, s’il en était besoin, Bud Powell ( il lui a consacré son premier disque ) à Lester Young ( il a joué dans le dernier album de Lester).

« Le jazz était partout. Notre musique était l’équivalent de ce qu’est la pop ou le rock aujourd’hui »témoigne-t-il. L’exposition est passionnante pour qui s’intéresse à l’histoire du jazz.

Ainsi que le souligne le texte de présentation de l’Académie du jazz, « Paris était vraiment une fête pour le jazz, ou plutôt les jazz. Les interprètes du tout nouveau bebop croisaient les adeptes du style New Orleans en pleine renaissance. Les stars américaines (Louis Armstrong, Duke Ellington, Count Basie… mais aussi Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Billie Holiday, trois divinités du vocal) côtoyaient les jeunes hérauts de la note bleue (Miles Davis, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie…). Ces noms aujourd’hui incontestables tenaient l’affiche dans les grandes salles de concerts: l’Olympia, le Théâtre des Champs Elysées, la Salle Pleyel… Dans la foulée, en after, dirait-on maintenant, ils «tapaient le bœuf» -improvisaient de conserve- dans les caves avec les jazzmen français, les Pierre Michelot, Georges Arvanitas, Barney Wilen, René Urtreger, Martial Solal, Claude Luter, Sacha Distel et quelques autres dont Marseille a également gardé un précieux souvenir ! »

Les photos de l’exposition sont un témoignage passionnant de tous ces clubs, de la  rive gauche souvent, aujourd’hui disparus et de l’activité intense du jazz dans la capitale. Défilent Ray Brown, Percy Heath, John Lewis, J.J Johnson, Gerry Mulligan, Christian Chevallier, Claude Luter, Barney Wilen…
On y voit aussi le pianiste marseillais Georges Arvanitas ou le trompettiste parisien Guy Longnon qui créa à Marseille la première classe de jazz dans un conservatoire national de musique. Qu’on se le dise!

François Lacharme rappela d’ailleurs en introduction que Marseille (ceci n’est pas toujours connu) fut une ville très importante pour le jazz. Se reporter d’ailleurs au livre de Michel SAMSON et Gilles Suzanne A FOND DE CALE. (1917-2011). Un siècle de jazz à Marseille ( Editions WILD PROJECT, 2012).

Une autre photo est aussi digne d’intérêt, prise au studio Blue Note reconstruit à Epinay sur Seine, par le grand Alexandre Trauner ( le décorateur des films de Carné) pendant le tournage de Round MIDNIGHT. Elle nous fait nous souvenir de Francis PAUDRAS :

(Bertrand Tavernier, Francis Paudras et Dexter Gordon)

En 1986, Francis PAUDRAS décrit dans La danse des Infidèles (Editions Le mot et le reste) son passionnant et entêtant compagnonnage avec Bud POWELL, un récit mélancolique soulignant l’amitié entre ces deux hommes; montrant ce qui peut traverser la tête embrumée de l’un des inventeurs du be bop…. Avec quelques incidents des plus dramatiques. Totalement égaré dans la vie quotidienne, Bud Powell a été secouru par le jeune Paudras qui ne l’a pas quitté de 1959 à 1966…contribuant à son retour à la vie artistique. Un ange gardien en somme… “Bud était tout pour moi”.

Bud Powell ( Place Fürstenberg, Paris, 1957. )

Ce livre  allait inspirer à Bertrand Tavernier, cinéphile-cinéaste, connaisseur de toutes les musiques, et du jazz en particulier, l’un des meilleurs films sur cette musique Autour de Minuit. Il eut l’idée géniale de choisir Dexter Gordon qui joua avec Bud, pour incarner cette aventure. Et la B.O de ce film très inspiré fut signée par Herbie Hancock qui obtint un oscar 1986 avec certains titres phares comme “The Peacocks” de Jimmy Rowles qu’il interprétait avec Pierre Michelot, Billy Higgins, Wayne Shorter. D’autres titres permettaient d’entendre la vocaliste Lonette Mc Kee, le guitariste John McLaughlin, le vibraphoniste Bobby Hutcherson, le trompettiste Freddie Hubbard ( qui dans le film est remplacé par le jeune Eric Lelann). Bertrand Tavernier avait décidé que toute la musique serait enregistrée live, sur magnéto 24 pistes, ce qui était une première à l’époque. Sans dupliquer la musique des années cinquante, sinon les disques Blue Note auraient été autrement plus indiqués. Ce film qui se bonifie encore avec le temps est l’un des témoignages les plus émouvants et justes sur cet engagement passionné d’un amateur et la vie des musiciens américains à Paris dans ces années là..

Quel moment passionnant que ce vernissage qui s’est prolongé tardivement, puisque René Urtreger en compagnie de l’autre pianiste marseillais Christian Gaubert ( Ligne SUD), un arrangeur des plus doués de Charles Aznavour, Francis Laï  ont aussi évoqué leurs souvenirs musicaux et égréné quelques belles mélodies de musiques de films….

(Christian Gaubert et René Urtreger)

Sophie Chambon