L’Oreille du Perche, à partir de ce soir 24 juillet…

… et jusqu’à ce dimanche 27 juillet, quatre concerts avec le Vortice 4tet de Claude Tchamitchian, My Own Ravel d’Andy Emler, le duo Superklang et le Jacky Molard 4tet, dans les églises de Verrières et de Mauves-sur-Huisne.
Ce 24 juillet (20h30), à l’Église Saint-Ouen de Verrières : Vortice
Le 20 septembre 2024, j’écrivais à propos de la création de ce quartette au festival Les Émouvantes à Marseille :
Un enchantement sous la forme du retour à l’enfance, des joies candides de la fête foraine et ses attractions, ses chevaux de bois et trains fantômes, ses barbes à papa et pommes d’amour… promesses et illusions, réjouissances et pincements de cœur, illusions perdues retrouvées, sensations douces amères et vertiges délicieux. Pour rester dans la métaphore cinématographique, c’est candide et savamment imaginé, élaboré, comme du Tati (Jour de fête), Fellini (81/2, Amarcord), Prévert et Marcel Carné (la déambulation sur le Boulevard du Crime des Enfants du Paradis), Georges Méliès (tout Méliès). Les acteurs ? On ne pouvait imaginer mieux : Bruno Angelini au piano (avec quelque chose du pouvoir d’évocation de Ran Blake), Catherine Delaunay et sa clarinette limonaire, Christophe Monniot qui entre sur scène en poursuivant un insecte volant avec des airs du mime Marceau avant que ses saxophones (alto et sopranino) ne se fassent montagnes russes ou palais des glaces. Sans oublier Claude Tchamitchian, sa contrebasse et son écriture qui se joue des fausses homophonies entre saxophone et clarinettes, des faux rythmes de valse, de marche ou de polka imaginaires, et qui, de cette orchestration minimale, tire une féérie de limonaire et de femme à barbe.
Ce 25 juillet (2h30), à l’Église Saint-Ouen de Verrières : My Own Ravel par Andy Emler
Le 5 août 2017 à propos du concert donné en clôture du Tremplin Jazz d’Avignon :
On se souvient qu’Andy Emler assura la partie musicale du très beau spectacle d’Anne-Marie Lazarini sur le texte sublime de Jean Echenoz, Ravel. Il s’est donné pour défi de poursuivre seul l’aventure en improvisant un programme qui serait une sorte de Maurice Ravel imaginaire. Et, effectivement, il y met tous ses doigts, les idées affluent, se succédant à train d’enfer avec les citations sans nous laisser le temps de respirer (et de les identifier, ce qui peut être un parti pris), emprunts à Maurice Ravel, à ses contemporains (Debussy, Stravinsky), mais aussi à Bach, Beethoven, Brel, Baden Powell, voire quelque comptine de son enfance. C’est aussi ce qui fait le charme de cette évocation carracolante qu’Andy Emler interrompt ici et là pour raconter Ravel et tout particulièrement cette partie fort émouvante de la fin de vie du compositeur, telle que racontée par Echenoz. Il le fait avec un humour et une tendresse pour son personnage qui contribue à la qualité de cette étonnante.
Ce 26 juillet (20h30), à l’église de Mauves-sur-Huisne : Superklang
Le 23 septembre 2023, sous le coup de l’enthousiasme, j’avais écrit une tartine de texte d’où j’extraie ces quelques lignes :
Super Klang… quésaco ? Un drôle de duo qui fait « Klang » et beaucoup d’autres sons, constitué de Frédéric Aurier (violon, nyckelharpa, klang, pfff, etc.) et Sylvain Lemêtre (zarb, klang, tssst, etc.). C’est cependant par une partition que débuta le concert, partition de frappes à l’origine, Lemêtre l’ayant d’abord écrite pour le zarb avant d’y ajouter des hauteurs de note pour le violon, unisson exigeant une précision diabolique tant ses contours sont virtuoses, intitulée Bonsoir en ouverture du concert et, moyennant quelque variante, Au revoir en coda. Avec quelque chose évoquant le côté ludique de la troisième des trois pièces pour clarinette solo d’Igor Stravinsky. La lecture et l’improvisation sont en concurrence tout au long de ce programme réglé justement comme du papier à musique où l’on voit Lemêtre passer derrière un capharnaüm de percussions et idiophones en tous genres, de ceux que l’on trouve au magasin de musique comme aux rayons ustensiles et bricolage, dont une petite table de cuisine où durant tout le concert Lemêtre passera son temps à « mettre et remettre la table », disposant, échangeant, redisposant bols et assiettes en divers matériaux. Oscillant entre mémoire du patrimoine musical auvergnat et abstractions sonores, les thèmes et variations du violon dialoguent avec un délicate polyrythmie déployée autour de trois percussions graves « enclavées » l’une à l’autre qui nous incitent à scruter le dispositif du percussionniste à la recherche de quelque séquenceur jusqu’à ce que l’on se rende à l’évidence de ce que ces frappes sont trop humaines pour avoir été programmées en boucle et que l’on découvre dans l’obscurité sous la table un diabolique jeu de pieds sur les pédales actionnant grosse caisse, cajon et autres calebasses.
Tout relève dans leur déplacement d’une précise mise en scène, l’humour et le théâtre étant au rendez-vous, également millimétré et pince sans rire, avec quelque chose qui tient de la rencontre entre le clown Grock et Maurizio Kagel. Et nos deux Super Klang de mêler à leurs coups d’archet et de cymbales digitales, à leurs pizzicati et à leur flexatone des tsssst et des pffff produit d’entre leurs lèvres. Triomphe à l’applaudimètre de 7 à 77 ans.
Ce 27 juillet (18h), à l’église de Mauves-sur-Huisne : Jacky Molard 4tet
Le 18 avril 2024, à l’occasion d’un concert à l’Atelier du Plateau, j’écrivais ceci :
Vingt et bientôt cinquante ans que le violoniste breton, formé à l’école des fest-noz, défend sa culture tout en la nourrissant de ce qu’il été voir au-delà des mers et des terres : Irlande, Écosse, Balkans, Inde, Afrique, plus cette Amérique où s’est inventé cet art de l’assimilation, de la digestion trans-culturelle, de la réconciliation des contraires, racines et projection vers l’avant, oralité et écriture, art de l’instant improvisé et de l’éternel culturel… le jâse. Au fil des années, bien loin de s’essouffler, ces longues suites haletantes imaginées par Jacky Molard ont gagné en souffle par la maîtrise de ce répertoire oral – rien d’écrit, tout de mémoire jusqu’aux arrangements les plus prolixes – fait d’emprunts et d’originaux qui s’enchaînent en variations individualisées mais solidaires de la propulsion collective qui emporte l’auditeur comme un torrent tumultueux mais inexorable. Hélène Labarrière y a affirmé son placement face à la motricité fiévreuse de l’accordéon diatonique de Janick Martin sur ces vertigineuses asymétries rythmiques, y introduisant des tournemains acquis à la pratique de l’improvisation interactive dans le cadre tant du jazz moderne que des avant-gardes européennes. S’y mêlaient pièces déjà anciennes et nouveautés, telle cette audacieuse Asphyxie Climatique signée Labarrière qui, dans une grande suspension onirique, révèle plus que jamais le métier d’improvisateur du saxophoniste Yannick Jory. Et cet autre point d’orgue sur une mélodie exposée par Jacky Molard avec des ornements qui font dresser mon oreille “irlando-écossaise”, The Maid of Coolmore, réveillant un souvenir enfoui : peut-être le premier disque du groupe irlandais The Bothy Band, quoique me semble plus familière la version chantée en 1954 par la chanteuse écossaise Sheila Stewart (“Songs and Ballads From Pergthshire Field Recordings of the 1950s” Greentrax Recordings). Instant de grâce, suivi d’un moment de complicité particulière du violon à l’unisson de l’accordéon diatonique.
Franck Bergerot