Jazz live
Publié le 13 Avr 2015

Lubat & Cie : ça jazzcogne en Dordogne

Deux prestations dont une en solo – « Ça fait quarante ans que je n’ai pas joué un samedi à quatre heures de l’après-midi », plaisantait le pianiste-claviériste-batteur-jeux de moteur – et voilà Bernard Lubat et sa Compagnie prêchant la bonne musique dans deux bleds du sud profond (de la Dordogne) qui ont la particularité de se prénommer pareil : Razac, de Saussignac pour l’un, d’Eymet pour l’autre. Mais d’où qu’ils soient les Razacquois ont tous été rassasiés.

 

Bernard Lubat : « Piano chaos solo »

Samedi 11 avril 2015, “L’Insoliste”, Razac-de-Saussignac.

Compagnie Lubat : « L’impro, c’est pas du ghetto » et « Jazzbal gasconcubin »

Samedi 22 avril 2015, salle des fêtes, Razac-d’Eymet.

Bernard Lubat (p, keyb, voc), Sylvain Roux (fl, fifre), François Corneloup (bs, ss), Michel Macias (acc, voc), Thomas Boudé (g), Fabrice Viera(g, voc), Jules Rousseau (b), Louis Lubat (dm).

A Razac-de-Saussignac, on cultive un petit blanc sec pas piqué des hannetons, ni piqué du tout d’ailleurs (domaine de Castellat, je ne vous dis que ça). A un jet de bouchon de Bergerac, les coteaux sillonnés de vignes ressemblent à une chevelure huilée qui viendrait de subir le labourage d’un peigne. C’est là que vit depuis pas mal d’années le flûtiste Sylvain Roux, qui fit partie de la Compagnie Lubat au début de ce siècle. Il y a aménagé sa maison en résidence pour musicien, certes, mais pas que : écrivains ou chercheurs en manque d’oxygène et d’inspiration peuvent y remédier dans un environnement propice : à défaut de luxe, le calme s’y savoure avec volupté. Et il a donné à ce lieu et à son association un joli nom valise : l’Insoliste.

Le calme, ce n’est pas l’image de marque de Bernard Lubat, pourfendeur des idées pas seulement toutes faites et de la musique considérée comme une tête de gondole. Pourtant, face à piano entièrement remis à flot par un accordeur du coin, Fred Lumen, Lubat a fait œuvre pédagogique, expliquant à une quarantaine de paires d’oreilles que la musique ça n’était pas ça ni ça ni ça (sous entendu le jazz, le folklore, l’avant-garde) mais une sommation à inventer, une sommation à vivre. Démonstration à l’appui, ou plutôt mise en œuvre, concrétisation du propos, selon les univers sus-mentionnés. Parkériades, piano (vite) préparé (le livre Les Pathologies de la démocratie, de Cynthia Fleury couvrant quelques cordes), de tendres coups de mailloche sur le bois ou l’armature du “grand noir” (ainsi appelé dans La Ballade de Bruno S., de Werner Herzog), des évocations comme des asperges de mémoire (C’est Eddy, de Nougaro/Louiss, Goodbye Pork Pie Hat, d’évidemment Mingus), des dissonances rédhibitoires uniquement pour la grincheuse de service (en déplacement à Razac), toujours le swing (délibérément, pour ne pas faire fuir les lapins qui écoutaient à la baie vitrée), toujours la beauté (dans des habits pas encore usés). Et l’hôte vint parachever cette heure pleine de sons et de propos non douteux mais douteurs avec quelques volutes de fifre, instrument obligé de l’avant-guerre que Sylvain Roux ne veut pas voir crever sur le champ de bataille, fût-il jazzistique.

Deuxième partie en deux parties. “L’impro, c’est pas du ghetto”, musique insaisissable, anti répétitive, anti ennuyeuse, des éclablouissements qui jaillissent au fil d’un feu d’artifice qui sent tout de même le happening préparé (mais « on ne s’improvise pas improvisateur », comme dit le maître de cérémonie entre deux scats occitanisés tétanisant de vitesse). Le plus remarquable, ce fut peut-être cette distribution des rôles, je veux dire ces moments où chaque partie du tout, chaque membre de la compagnie lance sa fusée personnelle. On a encore à l’oreille quelques lancées de François Corneloup, invité de renommée jazz, peut-être un peu désarçonné par la frénésie ambiante (toujours sous contrôle) mais ne tombant jamais de cheval. A son côté, Sylvain Roux et ses flûtes d’un autre temps, ou plutôt d’un temps autre, réussit à fusionner avec le tourbillon dans une espèce de porosité active. Troisième invité, Michel Macias, parut un petit peu en retrait, la faute sans doute à quelques problèmes dûs à une sono récalcitrante. Dommage, car ses lignes mélodiques, prioritaires dans son jeu ce soir-là, sonnaient particulièrement originales (pour ce que nous en avons entendu). Nous reste aussi un solo de guitare de Thomas Boudé, sonorité électrique sèche, hard, précise et peut-être même incluant une citation de Lonely Woman. L’autre guitariste, Fabrice Viera, se fit remarquer surtout par sa voix, imitatrice, provocatrice, perforante de bonne humeur et d’excellent humour : ainsi une balle de ping-pong orange (à moins qu’il se soit agi d’un nez de clown) fut-elle catapultée dans le public comme une espèce de fusée d’alerte. Jules Rousseau avait quant à lui un rôle discret mais essentiel dans cette floraison spectaculaire : il garantissait la germination. Enfin, la batterie du fiston (Louis Lubat) est parfaitement en ligne, se faisant un cache-col d’une partie de quatre-quatre très enlevée. Et Bernard Lubat himself ? A vrai dire, il a l’air de diriger davantage le public (qui ne demande que ça) que ses musiciens (qui savent se débrouiller). Capitaine Nemo d’un Nautilus cabriolant, il donne priorité à sa Compagnie, joie collective, émulation, gaieté primordiale fabriquant de l’architecture sonore.

En seconde partie de cette deuxième phase razacienne, bal : “Jazzbal Gasconcubin” pour être précis. Le public rassemblé dans la belle et spacieuse (de plafond plutôt que de plancher) salle des fêtes de Razac-d’Eymet n’était pas de l’authentique paysannerie gasconne d’autrefois. Plutôt classe moyenne. Mais très heureux de pouvoir remettre ses pas dans ceux des parents, grands parents, peut-être même arrière grands parents… Musette, cha-cha-cha, ronde d’Aquitaine, valse, polka, mazurka, certes, mais revues et augmentées par des musiciens improvisateurs. Avec ce Lubat-là, c’est comme si le passé et l’avenir s’étaient donné rendez-vous dans ce lieu-moment
nommé présent. FRS

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Deux prestations dont une en solo – « Ça fait quarante ans que je n’ai pas joué un samedi à quatre heures de l’après-midi », plaisantait le pianiste-claviériste-batteur-jeux de moteur – et voilà Bernard Lubat et sa Compagnie prêchant la bonne musique dans deux bleds du sud profond (de la Dordogne) qui ont la particularité de se prénommer pareil : Razac, de Saussignac pour l’un, d’Eymet pour l’autre. Mais d’où qu’ils soient les Razacquois ont tous été rassasiés.

 

Bernard Lubat : « Piano chaos solo »

Samedi 11 avril 2015, “L’Insoliste”, Razac-de-Saussignac.

Compagnie Lubat : « L’impro, c’est pas du ghetto » et « Jazzbal gasconcubin »

Samedi 22 avril 2015, salle des fêtes, Razac-d’Eymet.

Bernard Lubat (p, keyb, voc), Sylvain Roux (fl, fifre), François Corneloup (bs, ss), Michel Macias (acc, voc), Thomas Boudé (g), Fabrice Viera(g, voc), Jules Rousseau (b), Louis Lubat (dm).

A Razac-de-Saussignac, on cultive un petit blanc sec pas piqué des hannetons, ni piqué du tout d’ailleurs (domaine de Castellat, je ne vous dis que ça). A un jet de bouchon de Bergerac, les coteaux sillonnés de vignes ressemblent à une chevelure huilée qui viendrait de subir le labourage d’un peigne. C’est là que vit depuis pas mal d’années le flûtiste Sylvain Roux, qui fit partie de la Compagnie Lubat au début de ce siècle. Il y a aménagé sa maison en résidence pour musicien, certes, mais pas que : écrivains ou chercheurs en manque d’oxygène et d’inspiration peuvent y remédier dans un environnement propice : à défaut de luxe, le calme s’y savoure avec volupté. Et il a donné à ce lieu et à son association un joli nom valise : l’Insoliste.

Le calme, ce n’est pas l’image de marque de Bernard Lubat, pourfendeur des idées pas seulement toutes faites et de la musique considérée comme une tête de gondole. Pourtant, face à piano entièrement remis à flot par un accordeur du coin, Fred Lumen, Lubat a fait œuvre pédagogique, expliquant à une quarantaine de paires d’oreilles que la musique ça n’était pas ça ni ça ni ça (sous entendu le jazz, le folklore, l’avant-garde) mais une sommation à inventer, une sommation à vivre. Démonstration à l’appui, ou plutôt mise en œuvre, concrétisation du propos, selon les univers sus-mentionnés. Parkériades, piano (vite) préparé (le livre Les Pathologies de la démocratie, de Cynthia Fleury couvrant quelques cordes), de tendres coups de mailloche sur le bois ou l’armature du “grand noir” (ainsi appelé dans La Ballade de Bruno S., de Werner Herzog), des évocations comme des asperges de mémoire (C’est Eddy, de Nougaro/Louiss, Goodbye Pork Pie Hat, d’évidemment Mingus), des dissonances rédhibitoires uniquement pour la grincheuse de service (en déplacement à Razac), toujours le swing (délibérément, pour ne pas faire fuir les lapins qui écoutaient à la baie vitrée), toujours la beauté (dans des habits pas encore usés). Et l’hôte vint parachever cette heure pleine de sons et de propos non douteux mais douteurs avec quelques volutes de fifre, instrument obligé de l’avant-guerre que Sylvain Roux ne veut pas voir crever sur le champ de bataille, fût-il jazzistique.

Deuxième partie en deux parties. “L’impro, c’est pas du ghetto”, musique insaisissable, anti répétitive, anti ennuyeuse, des éclablouissements qui jaillissent au fil d’un feu d’artifice qui sent tout de même le happening préparé (mais « on ne s’improvise pas improvisateur », comme dit le maître de cérémonie entre deux scats occitanisés tétanisant de vitesse). Le plus remarquable, ce fut peut-être cette distribution des rôles, je veux dire ces moments où chaque partie du tout, chaque membre de la compagnie lance sa fusée personnelle. On a encore à l’oreille quelques lancées de François Corneloup, invité de renommée jazz, peut-être un peu désarçonné par la frénésie ambiante (toujours sous contrôle) mais ne tombant jamais de cheval. A son côté, Sylvain Roux et ses flûtes d’un autre temps, ou plutôt d’un temps autre, réussit à fusionner avec le tourbillon dans une espèce de porosité active. Troisième invité, Michel Macias, parut un petit peu en retrait, la faute sans doute à quelques problèmes dûs à une sono récalcitrante. Dommage, car ses lignes mélodiques, prioritaires dans son jeu ce soir-là, sonnaient particulièrement originales (pour ce que nous en avons entendu). Nous reste aussi un solo de guitare de Thomas Boudé, sonorité électrique sèche, hard, précise et peut-être même incluant une citation de Lonely Woman. L’autre guitariste, Fabrice Viera, se fit remarquer surtout par sa voix, imitatrice, provocatrice, perforante de bonne humeur et d’excellent humour : ainsi une balle de ping-pong orange (à moins qu’il se soit agi d’un nez de clown) fut-elle catapultée dans le public comme une espèce de fusée d’alerte. Jules Rousseau avait quant à lui un rôle discret mais essentiel dans cette floraison spectaculaire : il garantissait la germination. Enfin, la batterie du fiston (Louis Lubat) est parfaitement en ligne, se faisant un cache-col d’une partie de quatre-quatre très enlevée. Et Bernard Lubat himself ? A vrai dire, il a l’air de diriger davantage le public (qui ne demande que ça) que ses musiciens (qui savent se débrouiller). Capitaine Nemo d’un Nautilus cabriolant, il donne priorité à sa Compagnie, joie collective, émulation, gaieté primordiale fabriquant de l’architecture sonore.

En seconde partie de cette deuxième phase razacienne, bal : “Jazzbal Gasconcubin” pour être précis. Le public rassemblé dans la belle et spacieuse (de plafond plutôt que de plancher) salle des fêtes de Razac-d’Eymet n’était pas de l’authentique paysannerie gasconne d’autrefois. Plutôt classe moyenne. Mais très heureux de pouvoir remettre ses pas dans ceux des parents, grands parents, peut-être même arrière grands parents… Musette, cha-cha-cha, ronde d’Aquitaine, valse, polka, mazurka, certes, mais revues et augmentées par des musiciens improvisateurs. Avec ce Lubat-là, c’est comme si le passé et l’avenir s’étaient donné rendez-vous dans ce lieu-moment
nommé présent. FRS

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Deux prestations dont une en solo – « Ça fait quarante ans que je n’ai pas joué un samedi à quatre heures de l’après-midi », plaisantait le pianiste-claviériste-batteur-jeux de moteur – et voilà Bernard Lubat et sa Compagnie prêchant la bonne musique dans deux bleds du sud profond (de la Dordogne) qui ont la particularité de se prénommer pareil : Razac, de Saussignac pour l’un, d’Eymet pour l’autre. Mais d’où qu’ils soient les Razacquois ont tous été rassasiés.

 

Bernard Lubat : « Piano chaos solo »

Samedi 11 avril 2015, “L’Insoliste”, Razac-de-Saussignac.

Compagnie Lubat : « L’impro, c’est pas du ghetto » et « Jazzbal gasconcubin »

Samedi 22 avril 2015, salle des fêtes, Razac-d’Eymet.

Bernard Lubat (p, keyb, voc), Sylvain Roux (fl, fifre), François Corneloup (bs, ss), Michel Macias (acc, voc), Thomas Boudé (g), Fabrice Viera(g, voc), Jules Rousseau (b), Louis Lubat (dm).

A Razac-de-Saussignac, on cultive un petit blanc sec pas piqué des hannetons, ni piqué du tout d’ailleurs (domaine de Castellat, je ne vous dis que ça). A un jet de bouchon de Bergerac, les coteaux sillonnés de vignes ressemblent à une chevelure huilée qui viendrait de subir le labourage d’un peigne. C’est là que vit depuis pas mal d’années le flûtiste Sylvain Roux, qui fit partie de la Compagnie Lubat au début de ce siècle. Il y a aménagé sa maison en résidence pour musicien, certes, mais pas que : écrivains ou chercheurs en manque d’oxygène et d’inspiration peuvent y remédier dans un environnement propice : à défaut de luxe, le calme s’y savoure avec volupté. Et il a donné à ce lieu et à son association un joli nom valise : l’Insoliste.

Le calme, ce n’est pas l’image de marque de Bernard Lubat, pourfendeur des idées pas seulement toutes faites et de la musique considérée comme une tête de gondole. Pourtant, face à piano entièrement remis à flot par un accordeur du coin, Fred Lumen, Lubat a fait œuvre pédagogique, expliquant à une quarantaine de paires d’oreilles que la musique ça n’était pas ça ni ça ni ça (sous entendu le jazz, le folklore, l’avant-garde) mais une sommation à inventer, une sommation à vivre. Démonstration à l’appui, ou plutôt mise en œuvre, concrétisation du propos, selon les univers sus-mentionnés. Parkériades, piano (vite) préparé (le livre Les Pathologies de la démocratie, de Cynthia Fleury couvrant quelques cordes), de tendres coups de mailloche sur le bois ou l’armature du “grand noir” (ainsi appelé dans La Ballade de Bruno S., de Werner Herzog), des évocations comme des asperges de mémoire (C’est Eddy, de Nougaro/Louiss, Goodbye Pork Pie Hat, d’évidemment Mingus), des dissonances rédhibitoires uniquement pour la grincheuse de service (en déplacement à Razac), toujours le swing (délibérément, pour ne pas faire fuir les lapins qui écoutaient à la baie vitrée), toujours la beauté (dans des habits pas encore usés). Et l’hôte vint parachever cette heure pleine de sons et de propos non douteux mais douteurs avec quelques volutes de fifre, instrument obligé de l’avant-guerre que Sylvain Roux ne veut pas voir crever sur le champ de bataille, fût-il jazzistique.

Deuxième partie en deux parties. “L’impro, c’est pas du ghetto”, musique insaisissable, anti répétitive, anti ennuyeuse, des éclablouissements qui jaillissent au fil d’un feu d’artifice qui sent tout de même le happening préparé (mais « on ne s’improvise pas improvisateur », comme dit le maître de cérémonie entre deux scats occitanisés tétanisant de vitesse). Le plus remarquable, ce fut peut-être cette distribution des rôles, je veux dire ces moments où chaque partie du tout, chaque membre de la compagnie lance sa fusée personnelle. On a encore à l’oreille quelques lancées de François Corneloup, invité de renommée jazz, peut-être un peu désarçonné par la frénésie ambiante (toujours sous contrôle) mais ne tombant jamais de cheval. A son côté, Sylvain Roux et ses flûtes d’un autre temps, ou plutôt d’un temps autre, réussit à fusionner avec le tourbillon dans une espèce de porosité active. Troisième invité, Michel Macias, parut un petit peu en retrait, la faute sans doute à quelques problèmes dûs à une sono récalcitrante. Dommage, car ses lignes mélodiques, prioritaires dans son jeu ce soir-là, sonnaient particulièrement originales (pour ce que nous en avons entendu). Nous reste aussi un solo de guitare de Thomas Boudé, sonorité électrique sèche, hard, précise et peut-être même incluant une citation de Lonely Woman. L’autre guitariste, Fabrice Viera, se fit remarquer surtout par sa voix, imitatrice, provocatrice, perforante de bonne humeur et d’excellent humour : ainsi une balle de ping-pong orange (à moins qu’il se soit agi d’un nez de clown) fut-elle catapultée dans le public comme une espèce de fusée d’alerte. Jules Rousseau avait quant à lui un rôle discret mais essentiel dans cette floraison spectaculaire : il garantissait la germination. Enfin, la batterie du fiston (Louis Lubat) est parfaitement en ligne, se faisant un cache-col d’une partie de quatre-quatre très enlevée. Et Bernard Lubat himself ? A vrai dire, il a l’air de diriger davantage le public (qui ne demande que ça) que ses musiciens (qui savent se débrouiller). Capitaine Nemo d’un Nautilus cabriolant, il donne priorité à sa Compagnie, joie collective, émulation, gaieté primordiale fabriquant de l’architecture sonore.

En seconde partie de cette deuxième phase razacienne, bal : “Jazzbal Gasconcubin” pour être précis. Le public rassemblé dans la belle et spacieuse (de plafond plutôt que de plancher) salle des fêtes de Razac-d’Eymet n’était pas de l’authentique paysannerie gasconne d’autrefois. Plutôt classe moyenne. Mais très heureux de pouvoir remettre ses pas dans ceux des parents, grands parents, peut-être même arrière grands parents… Musette, cha-cha-cha, ronde d’Aquitaine, valse, polka, mazurka, certes, mais revues et augmentées par des musiciens improvisateurs. Avec ce Lubat-là, c’est comme si le passé et l’avenir s’étaient donné rendez-vous dans ce lieu-moment
nommé présent. FRS

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Deux prestations dont une en solo – « Ça fait quarante ans que je n’ai pas joué un samedi à quatre heures de l’après-midi », plaisantait le pianiste-claviériste-batteur-jeux de moteur – et voilà Bernard Lubat et sa Compagnie prêchant la bonne musique dans deux bleds du sud profond (de la Dordogne) qui ont la particularité de se prénommer pareil : Razac, de Saussignac pour l’un, d’Eymet pour l’autre. Mais d’où qu’ils soient les Razacquois ont tous été rassasiés.

 

Bernard Lubat : « Piano chaos solo »

Samedi 11 avril 2015, “L’Insoliste”, Razac-de-Saussignac.

Compagnie Lubat : « L’impro, c’est pas du ghetto » et « Jazzbal gasconcubin »

Samedi 22 avril 2015, salle des fêtes, Razac-d’Eymet.

Bernard Lubat (p, keyb, voc), Sylvain Roux (fl, fifre), François Corneloup (bs, ss), Michel Macias (acc, voc), Thomas Boudé (g), Fabrice Viera(g, voc), Jules Rousseau (b), Louis Lubat (dm).

A Razac-de-Saussignac, on cultive un petit blanc sec pas piqué des hannetons, ni piqué du tout d’ailleurs (domaine de Castellat, je ne vous dis que ça). A un jet de bouchon de Bergerac, les coteaux sillonnés de vignes ressemblent à une chevelure huilée qui viendrait de subir le labourage d’un peigne. C’est là que vit depuis pas mal d’années le flûtiste Sylvain Roux, qui fit partie de la Compagnie Lubat au début de ce siècle. Il y a aménagé sa maison en résidence pour musicien, certes, mais pas que : écrivains ou chercheurs en manque d’oxygène et d’inspiration peuvent y remédier dans un environnement propice : à défaut de luxe, le calme s’y savoure avec volupté. Et il a donné à ce lieu et à son association un joli nom valise : l’Insoliste.

Le calme, ce n’est pas l’image de marque de Bernard Lubat, pourfendeur des idées pas seulement toutes faites et de la musique considérée comme une tête de gondole. Pourtant, face à piano entièrement remis à flot par un accordeur du coin, Fred Lumen, Lubat a fait œuvre pédagogique, expliquant à une quarantaine de paires d’oreilles que la musique ça n’était pas ça ni ça ni ça (sous entendu le jazz, le folklore, l’avant-garde) mais une sommation à inventer, une sommation à vivre. Démonstration à l’appui, ou plutôt mise en œuvre, concrétisation du propos, selon les univers sus-mentionnés. Parkériades, piano (vite) préparé (le livre Les Pathologies de la démocratie, de Cynthia Fleury couvrant quelques cordes), de tendres coups de mailloche sur le bois ou l’armature du “grand noir” (ainsi appelé dans La Ballade de Bruno S., de Werner Herzog), des évocations comme des asperges de mémoire (C’est Eddy, de Nougaro/Louiss, Goodbye Pork Pie Hat, d’évidemment Mingus), des dissonances rédhibitoires uniquement pour la grincheuse de service (en déplacement à Razac), toujours le swing (délibérément, pour ne pas faire fuir les lapins qui écoutaient à la baie vitrée), toujours la beauté (dans des habits pas encore usés). Et l’hôte vint parachever cette heure pleine de sons et de propos non douteux mais douteurs avec quelques volutes de fifre, instrument obligé de l’avant-guerre que Sylvain Roux ne veut pas voir crever sur le champ de bataille, fût-il jazzistique.

Deuxième partie en deux parties. “L’impro, c’est pas du ghetto”, musique insaisissable, anti répétitive, anti ennuyeuse, des éclablouissements qui jaillissent au fil d’un feu d’artifice qui sent tout de même le happening préparé (mais « on ne s’improvise pas improvisateur », comme dit le maître de cérémonie entre deux scats occitanisés tétanisant de vitesse). Le plus remarquable, ce fut peut-être cette distribution des rôles, je veux dire ces moments où chaque partie du tout, chaque membre de la compagnie lance sa fusée personnelle. On a encore à l’oreille quelques lancées de François Corneloup, invité de renommée jazz, peut-être un peu désarçonné par la frénésie ambiante (toujours sous contrôle) mais ne tombant jamais de cheval. A son côté, Sylvain Roux et ses flûtes d’un autre temps, ou plutôt d’un temps autre, réussit à fusionner avec le tourbillon dans une espèce de porosité active. Troisième invité, Michel Macias, parut un petit peu en retrait, la faute sans doute à quelques problèmes dûs à une sono récalcitrante. Dommage, car ses lignes mélodiques, prioritaires dans son jeu ce soir-là, sonnaient particulièrement originales (pour ce que nous en avons entendu). Nous reste aussi un solo de guitare de Thomas Boudé, sonorité électrique sèche, hard, précise et peut-être même incluant une citation de Lonely Woman. L’autre guitariste, Fabrice Viera, se fit remarquer surtout par sa voix, imitatrice, provocatrice, perforante de bonne humeur et d’excellent humour : ainsi une balle de ping-pong orange (à moins qu’il se soit agi d’un nez de clown) fut-elle catapultée dans le public comme une espèce de fusée d’alerte. Jules Rousseau avait quant à lui un rôle discret mais essentiel dans cette floraison spectaculaire : il garantissait la germination. Enfin, la batterie du fiston (Louis Lubat) est parfaitement en ligne, se faisant un cache-col d’une partie de quatre-quatre très enlevée. Et Bernard Lubat himself ? A vrai dire, il a l’air de diriger davantage le public (qui ne demande que ça) que ses musiciens (qui savent se débrouiller). Capitaine Nemo d’un Nautilus cabriolant, il donne priorité à sa Compagnie, joie collective, émulation, gaieté primordiale fabriquant de l’architecture sonore.

En seconde partie de cette deuxième phase razacienne, bal : “Jazzbal Gasconcubin” pour être précis. Le public rassemblé dans la belle et spacieuse (de plafond plutôt que de plancher) salle des fêtes de Razac-d’Eymet n’était pas de l’authentique paysannerie gasconne d’autrefois. Plutôt classe moyenne. Mais très heureux de pouvoir remettre ses pas dans ceux des parents, grands parents, peut-être même arrière grands parents… Musette, cha-cha-cha, ronde d’Aquitaine, valse, polka, mazurka, certes, mais revues et augmentées par des musiciens improvisateurs. Avec ce Lubat-là, c’est comme si le passé et l’avenir s’étaient donné rendez-vous dans ce lieu-moment
nommé présent. FRS