Marc Ducret et l’Orchestre des jeunes de l’ONJ
Cet ONJ bis fut imaginé par Frédéric Maurin durant son mandat afin de faire connaître les instrumentistes de la génération montante sous la direction et/ou sur le répertoire d’anciens chefs de l’ONJ. Hier après-midi, 13 décembre, à Paris au Conservatoire du 20e, c’est un soliste du tout premier ONJ de 1986, qui en présentait la 7ème édition à l’issue d’une première résidence de trois jours.
Guitariste et improvisateur hors du commun, Marc Ducret s’est, dès ses premiers disques, imposé comme un compositeur de “tunes” pour reprendre la nomenclature originale du jazz qui voulait que les jazzmen improvisent d’après des lignes mélodiques le plus souvent tirées d’un répertoire commun de “chorus” (refrains de la comédie musicale). Mais il s’est immédiatement imposé comme un créateur de formes par l’attention qu’il portait à “l’arrangement” de ses compositions, cette notion de forme prenant au fil des années une importance croissante. Et même s’il est resté attaché à l’imaginaire, au format et à la fonction “chanson” (domaine qu’il vénère au point d’avouer avec humour son incompétence dans l’un des “numéros” de son duo avec Christophe Monniot ), même encore si le trio guitare-basse-batterie est longtemps resté au cœur de son activité, il n’a cessé de repenser la forme et l’orchestration de sa musique, au profit d’une “intertextualité” plus large encore : tentet de “Seven Songs from the Sixties” (1992) et hommage aux grands songwriters de l’époque, onztette de “Le Sens de la marche”(2003), déclinaisons orchestrales de “Tower Bridge” autour de l’écriture de Vladimir Nabokov, opéra de Chambre “Lady M” d’après William Shakespeare, “Suite lyrique électrique” pour quatuor à cordes et guitare électrique en écho à la Suite lyrique d’Alban Berg.
C’est tout à la fois ce sens de la forme et de l’orchestration qui me venait à l’esprit en voyant ce 7ème Orchestre des jeunes se mettre en place puis “déployer” la musique de leur chef-compositeur, la notion de “big band” – cet archétype du jazz en grand orchestre – se trouvant bousculée par le positionnement des cuivres placés contre toute habitude au premier rang, devant les “bois” (selon une organologie atypique englobant ici autant d’anches que d’archets au nom des essences qui les constituent du roseau et de l’ébène au pernambouc et à l’épicé) et selon une répartition soulignée par le premier morceau Marche ; or celle-ci me rappela la commande passée en 2004 par le Printemps des Arts de Monaco : trompette, trombone, deux tubas, guitare et batterie, le deuxième tuba étant ici remplacé par un cor. Mais voyons de plus près les rôles et la distribution de cette 7ème édition :
En première ligne : Lucille Moussalli (trompette), Sola Dulat-Makino (trombone), Marianne Billaud (cor), Thomas Mazaud (tuba).
En deuxième ligne : Lucien Lacquement (clarinette), Liam Szymonik (saxophones alto et baryton), Béryl Benveniste (saxophones soprano et ténor), Lisa Murcia (violon), Paul Erdman (violon alto), Matthieu Chambas (violoncelle).
Répartis alentour : Lucas Cord’Homme (vibraphone, marimba), Bettina Martinez (piano), Charles Thuillier (contrebasse, guitare basse électrique), Antonio Barcelona (batterie), Marc Ducret (guitare électrique, direction, composition).
Passé cette ouverture nous rappelant le goût de Ducret pour le cuivre des fanfares et leurs sonneries, on retrouvait Total Machine qui ouvrait l’album “Le Sens de la marche” et je resongeai à cette longue citation de Vladimir Nabokov inscrite à même le compact-disc et qui se terminait au centre du disque par ces mots : « false commonsens must be shot dead. ». Ce en quoi Marc Ducret n’a cessé de tenter d’échapper au sens commun de l’étiquette jazz, constamment pourchassé par elle mais persistant à la tenir à distance, son œuvre résidant en cette distance qu’il sait tenir notamment ici d’avec le format big band et ses sections bien délimitées.
Hier, il y eut d’autres partitions plus récentes et de ces cuivres dépareillés, de ces cordes frottées mêlées aux clarinettes et saxophones, de cette guitare pimentant discrètement la “rythmique” agrémentée de claviers percutés et où le bassiste et la pianiste allaient-venaient de l’acoustique à l’électrique, l’oreille immédiate jouissant de l’instant ”sonné”, tel qu’orchestré, avant d’apprécier la forme dans son développement. D’où j’étais placé à quelques sièges du plateau et presque à son niveau, j’ai aimé ce que j’ai cru être une absence de sonorisation (dont se plaignirent à l’issue du spectacle des auditeurs autrement placés) au prix d’un déficit concernant certains pupitres, notamment les archets, mais au profit d’une “profondeur de son” (comme on dit “profondeur de champ” en photographie) ; car, dans ce domaine, j’ai tendance à préférer le manque de volume à l’excès devenu la norme au prix de l’aplatissement du relief orchestral. Marc Ducret expliquait “en coulisse” à l’issue de ce premier concert de l’orchestre que la sonorisation – citons le nom de son responsable, inscrit à l’effectif de cet “orchestre des jeunes” : Liam Besombes – avait été travaillée en priorité pour l’orchestre, pour lui permettre de “s’entendre”.
Donc, moins un “concert” public que la “restitution” devant témoins de trois jours de travail au Conservatoire du 20e arrondissement, première prise de contact avec un orchestre amené à poursuivre ses travaux et à donner de nouveaux concerts, notamment lors de résidences bretonnes et nouveaux concerts : le 1er mars à Rennes (MJC de Bréquigny), le 22 mars à Spézet (à Korn Boud, école de musique intercommunale) et le 22 mai à Quimper (Théâtre de Cornouaille). On y verra l’orchestre s’affermir et s’épanouir, ses membres se libérer d’une relative fraîcheur hier apparente ; à l’exception de Liam Szymonik dont les plus assidus des auditeurs parisiens connaissent déjà la fiévreuse faconde ; de Sola Dulat-Makino que l’on voyait hier trépigner d’envie d’en découdre avec ces partitions et qui montra qu’il avait les moyens de s’emparer des espaces de liberté qui s’y trouvaient lui être ménagés ; de la pianiste Bettina Martinez dont j’aurais aimé mieux entendre le solo, très prometteur pour ce que j’en perçus, qui lui fut réservé sur une partition avouant l’emprunt fait par Ducret à quelques tournures du répertoire à danser breton. Un nom encore parce que, connaissant déjà son père, le tubiste François Thuillier, il nous tarde d’entendre plus distinctement qu’hier, celui du fils prénommé Charles. Franck Bergerot