Jazz live
Publié le 10 Août 2025

Marciac: le blues d’Egberto Gismonti

Hamilton de Holanda (bandolina) Salomäo Soares (clav), Thiago (BIC) Rabello (dm) 

Hamilton de Holanda : bandolina

Un discours mélodique s’impose.sur un fond d’accords travaillés sous cet angle par un clavier version numérique. Sur cet instrument particulier accords, chorus et couleurs n’ont pas le même effet. John Abercrombie, guitariste chercheur fouilleur l’avait vérifié par la pratique. Sylvain Luc le  disait aussi qui avait participé lui au festival de mandoline de Marseille. Sonorité singulière en parallèle d’ailleurs à rapprocher avec le mode d’exercice de cordes de Egberto Gismontii sur sa guitare à 10 cordes (à suivre sur la fin de soirée…) « Saudades do Rio » mot magique de la culture made in « Brazil » en un jeu très rythmique fidèle aux fondamentaux des musiques de cette terre immense.  Par la suite ( « Tamandua », » Vai firme » )  passent encore beaucoup d’interactions avec le clavier, discours de mandoline en quasi osmose avec ligne du synthé et même du Moog nouvelle formule, le tout souligné par une batterie très en volume. Exposé musical parfaitement réalisé, empreint de pas mal de virtuosité. On peut y sentir tout de même là moins d’essence « Brésil » et  plus de procédé « jazz fusion » 

Hamilton de Holanda y repique pourtant rapidement dans une alliance de racines Afrique/ Brésil avec un « Afro choro », genre à configuration de tempo très rapide né à Rio et qui mixe couleurs et rythmes des deux continents. A ce stade, le « bandolinista carioca » (de Rio de Janeiro) glisse une confidence « Pendant la première année de la  pandémie, année bissextile, j’ai composé 366  morceaux pour oublier la marque du temps… »  A l’occasion de l’un d’entr’eux qu’il qualifie de « compositions fraiches » à ses yeux « Fried Chicken », titre éponyme d’un de ses derniers albums enregistrés) l’échange bandolina/clavier – le musicien brésilien se plait à se frotter à des pianistes, il a enregistré avec le cubain Gonzalo Rubalcaba notamment- se fait à vitesse supersonique. Myriade de notes échappées dans l’avant dernière nuit de Marciac. Un festival jumelé cette pour échange avec celui du  MIMO brésilien dans le cadre de la saison culturelle Brésil-France 2025. « A cette occasion j’ai une pensée pour deux de mes maîtres en matière de musique: Egberto Gismonti et Hermeto Pascoal qui sont là aussi, pour Jazz in Marciac. Ce soir, en hommage à ces deux immenses musiciens je vais jouer une composition de chacun, « Homenagens » et « Sol e luz » Pas de compositions « fraiches » peut-être, mais un vrai courant d’airs frais made in Brazli pour conclure le set.

Marciac: Armagnac cadeau

Egberto Gismonti (p, g), Daniel Murray (g)

Une fois les démarches serrées abouties afin de pouvoir franchir les portes des coulisses, Egberto Gismonti devait nous parler  parler de sa musique une demi-heure avant son passage sur scène. Surprise, après l’accord initial il fait un pas en arrière dans un français impeccable « Voilà: le concert de Hamilton est tellement intense, électrique que je dois réfléchir à ce que je dois présenter moi à sa suite. D’autant qu’il va interpréter une de mes compositions. Je dois donc me concentrer vraiment… »  Il rentre alors  derechef dans sa loge.  

Egberto1: tranquille

Il faudra pourtant attendre cinq…dix…trente vingt  minutes au bas mot à la suite de l’annonce de son entrée en scène toujours faite derrière le rideau par Michel Cardoze, moustache en bataille et voix chaude du Monsieur Météo vedette de la télé de Papa, pour voir apparaître le musicien brésilien guitare en main sous le chapiteau. Fort d’une justification immédiate pour ce retard incongru « J’ai reçu un coup de fil du Brésil à propos d’un ami très malade …il est parti soudain. Et j’étais là au téléphone avec son médecin pour des explications qui ne me consolaient pas… 

Egberto 2: touché

J’espère que vous comprendrez…Merci » Une ne forte émotion marque la voix « Je vais lui dédier ce premier morceau » Paradoxalement, alors que Gismonti s’asseyait au piano, tombait sur les téléphones la nouvelle de la mort d’Eddie Palmieri, pianiste américain d’origine portoricaine, figure légendaire du dit  latin jazz et de l’écurie  salsa  du label  «  Fania All Stars »

Au piano donc, Egberto Gismonti pour commencer. Il parle « juste de petites chansons » histoire d’éponger ses larmes. Le temps, au passage, de répercuter sur son piano quelques échos des leçons concrètes de Nadia Boulanger suivies à Paris, d’évoquer qui sait Ravel,  Satie ou même les reliefs de claviers tourmentés d’un Bernard Lubat si par quelque hasard il en avait eu connaissance…Piano encore: voilà qu’une une petite mélodie intimiste voyage vers une cantate et bifurque au final sur une cadence de danse appuyée sur quelques notes bien envoyées. Piano toujours mais rejoint par une guitare cette fois: une ligne de notes chaudes nous entraîne vers un Spain ou tout autre titre passé au filtre « latin » épicé de Chick Corea. Soit un traitement de formes très décalées, une structure initiale un peu désossée pour laisser piano et guitare se croiser et recroiser. Aussi lorsque Daniel Murray, le guitariste reste seul sur la scène et en acoustique pure on le trouve un peu sage, presque timide dans l’exercice par rapport au précèdent moment. 

Egberto 3: dix cordes

Ça y est, le moment est arrivé: Gismonti laisse le piano pour la guitare. On retrouve quelques caractéristiques de son art original du manche: passages d’accords fréquents, harmoniques sur cordes bloquées. Apparaît ainsi un canevas de sonorités partagées mais avec des guitares différentes. 10 cordes pour celle de Gismonti, la qualité du doigté particulier, l’inspiration dans l’impro qui conduisent à un festival surprise de percussions cordes et caisses. C’est le cas de le dire on se trouve vraiment dans le jeu. Vis à vis de son partenaire Egberto Gismonti lance, relance, provoque. Il a l’initiative, il garde  la maîtrise. Et termine sur un épisode de frevo, moment de frénésie dans la substance, façon sonorité & rythmes du Brésil. Topique qui l’a fait connaître. Reconnaître.

Amaro Freitas (p) Sidiel Weira (b), Rodrigo Digão Braz (dm)

Amaro Freitas

Une basse qui joue tous temps, sur des mesures non binaires, une circularité calculée générant un tempo d’enfer: l’attention mise sur l’ntensité rythmique chez ce jeune pianiste vaut marque de fabrique De quoi capter en force façon vent tourbillonnant un public de Marciac assommé par les 40 degrés régnants au dehors…Stratégie payante. Explosion d’applaudissements nourris. On a retrouvé là un vrai trio. Et lui, jeune pianiste en liberté totale, explose la structure. Piano jazz vivant, vivifiant. A présent il bloque les cordes dans le ventre du piano pour une expérience de percussions improvisées sur les touches noires ou blanches. Energie transmise au trio pour une longue séquence tenue à un rythme d’enfer. Batteur moteur. On songe aux chevauchées d’un Don Pullen hystérisant les architectures de Mingus ou à  Cecil Taylor et sa tectonique des plaques désagrégeantes pour les pianos utilisés Du jazz canal historique free. 

Ce qui n’empêche nullement le pianiste de repasser ensuite par les couleurs et formes expressionnistes des territoires du Brésil remises en partage ( sur les traces d’Hermeto. Oui mais ça c’était celui d’avant…celui d’aujourd’hui hélas!…) Resté muet jusqu’à présent Amaro Freitas prend la parole:  « Pour moi c’est un rêve. Par les images j’ai vu des légendes du jazz sur cette scène…Et ce soir, moi ici… » Sur son piano il impulse, il joue à cache cache avec la mélodie, il construit, il improvise avec une facilité de faire déconcertante. Première avec brio pour lui; bonne pioche pour ceux -pas si  nombreux eu égard à la jauge du chapiteau en cette soirée de clôture- qui ont fait le choix de venir découvrir une personnalité nouvelle à Jazz in Marciac.

Cérémonial

Talent de jeu. Engagé également Freitas, comme porteur d’un message en défense des peuples indigènes de son pays  en danger suite aux dégâts de la tempête destructrice Bolsonaro et juste en status quo avec le retour der Lula « Je veux être en osmose avec l’Amazonie, une terre sacrée…je veux jouer en accord avec le merveilleux de ces rivières, ces forêts, cette nature,  ces peuples indigènes… » En progression monte alors un chant construit avec le concours d’échos et autres loops électroniques sur lesquels il improvise une mélodie. Le tout muté au fur et à mesure en hymne à partir de collages originaux. Cinq minutes pour ce travail d’intro en solo pour aboutir à un final en sifflets, flûtes, appeaux réverbérés et mis en boucle pour retrouver le mystère d’un chant incantatoire…

Chanson en cri de vie dédié à la forēt ou cérémonial mode magie initiatique du candomblé? Les deux à la fois ?…

A cet instant on était entré par une porte dérobée dans l’univers naturel propre à celui des folies douces de l’Hermeto Pascoal de toujours…Pourtant je n’ai pas voulu le retrouver à Jazz in Marciac. L’expérience désastreuse, indigne vécue à San Sebastian dix jours auparavant m’avait suffi. Vacciné… Confère le compte rendu sur ce concert d’Hermeto dans le jazz live de fin juillet…

Robert Latxague