Jazz live
Publié le 17 Oct 2022

Marmande: Rhoda et ses Lady, une histoire dans le festival

« Il faut bien dix ans pour ancrer un festival dans un territoire donné » affirme Alain Piarou président d’Action Jazz une association qui œuvre pour le développement de cette musique dans la région Nouvelle Aquitaine. L’an oassé, frémissement notable dans une période post CoVid, à Marmande le public commençait à revenir. Constat de cette année : les organisateurs ont dû batailler pour trouver des places de choix dans le parterre du Théâtre aux VIIP de dénière minute. Un signe ? « Un signal positif certes. Mais pas d’emballement pour autant. Les locations ont véritablement décollé dix jours seulement avant le,début du festival » rappelle avec prudence Marc Souibes une des chevilles ouvrières de l’association Les Z’arts de Garonne porteuse du festival. Les musiques d’un festival racontent des histoires. À bien y regarder un festival à lui tout seul raconte sa propre histoire. En devenir.

« Comment Éric peut il écrire autant de musique, s’impliquer successivement dans autant de projets différents ? » Didier Ithursarry, accordéoniste qui le connaît depuis longtemps, s’interroge à voix haute tandis que le saxophoniste et directeur artistique du festival présente sur la scène du Comédia la première soirée du week end qui clôturera Jazz et Garonne. Quelques minutes plus tard Eric Seva investira les planches de ce même théãtre pour exposer à la tête d’un nouveau groupe «Frère de Songs» son travail sur la musique soul Dans huit jours paraîtra son septième album, Adeo, enregitré en trio avec en invité un quatuor classique cordes et bois « Les projets s’enchainent, oui par un besoin vital d’écrire de la musique. Je ne vois pas d’autre explication plus plausible…»

Festival Jazz et Garonne, Théâtre Comedia , Marmande (47200)

14 octobre

Brass Dance Orchestra
Jean-Louis Pommier (tb), Franck Thuillirr ( tub), Geoffroy Tamusier (tp), Didier Ithursarry (acci)

Didier Ithursarry (acco), François Thuillier (tub)

Il est annoncé comme un orchestre sensé faire revivre des ambiances de bal. Ce quartet de musiciens innervés des veines de jazz se trouve plutôt livré comme un paquet cadeau de cuivres et de souffles mélés, enveloppés dans un écrin de tissus chamarré. Alors bon, on les devine les dites mélodies des chansons ou airs issues de la variété, ou des airs populaires. Pourtant ressort au premier chef l’exercice permanent d’un swing terrible au delà des mélodies mises en valeur. Lesquelles ne cessent de se croiser. Se multiplier: « Nous évoluons dans un monde de la danse » précise Jean-Louis Pommier. Des pas de danse frappés sur des parquets du monde dès lors que se succèdent une «milonga» argentine, une cadence issue des Balkans ou un traditionnel du Pays Basque. Occasion d’une longue introduction alliant trompette et tuba dans une expression contrastée marquée de brut comme de tendre lorsque l’air compréssé jaillit de l’embouchure des cuivres. Reste que ces musiques diverses offrent toutes une richesse certaine de timbres singuliers. Dans cet exercice livré live sur scène chacun joue sa partition (et/ou improvise, bien sûr) en veillant à l’offrir à l’écoute de l’autre. Avec pour objectif final ile dialogue. Ainsi sans doute le public le reçoit-il. Ce type de pari encore faut-il l’oser sur les planches d’un festival à (grand) public ouvert.

L’Atelier du Big Band jazz

Le big band du Conservatoire, direction Jean-Louis Pommier

On retrouve Jean-Louis Pommier sans son trombone ni de baguette de chef d’ailleurs. Il dirige, il conduit là un big band formé avec les élèves du Conservatoire de Marmande. Les solistes, novices dans ce rôle pour la plupiart s’avancent au micro visiblement mpressionnés. Ceci dit le résultat s’affirme déjà pas mal travaillé pour ce qui concerne le son d’ensemble ou encore le rendu du travail des pupitres « J’ai fait trois incusions avec eux avant le concert. Avec du temps de travail chaque fois, cela va de soi. Le boulot effectué en compagnie du trompettiste Éric Bielsa, leur mentor, enclanche une progression. Faudra poursuivre tout ça maintenant » justifie le chef d’orchestre occasionnel, habituellement tromboniste expert. Du boulot pour le conservatoire Maurice Ravel devenu partenaire du festival.

Eric Seva (bas, ss) Michaël Robinson (voc), Christophe Cravero (elp), Daniel Zimmerman (tb), Julie Saury (dm)

Eric Seva, Daniel Zimmerman

Saxophone baryton et trombone placés tout contre: c’est comme un duel, ces fameux “chase” de cuivres partie prenante de la légende du jazz. Sauf qu’ils sonnent gonflés d’un fort courant électrique car chaque iinstrument joue sous le filtre d’une pédale d’effets, «wah wah» et/ou variateur de volume. De quoi sentir un gros grooove chaud bouillant s’installer en feeling majeur. Dominant. Le projet Brothers of songs est né d’un échange entre Éric Seva et Michaël Robinson lorsque tous deux participaient á l’enregistrement de Body and Soul, album grave par le saxophoniste de Marmande en 2017 « Lui, Michael originaire de Chicago a de toujours été attiré par le blues! Moi par les thèmes soul sur lesquels je faisais danser les gens dans les bals au sein de l’orchestre de mon père…» explique Éric Seva. Sur ce Brothers of songs qui ouvre le bal, c’est le cas de le dire, ce soir, la voix soprano “soul” mais pas trop du chanteur chicagoan inscrit des nuances dans les intonations. De quoi déployer une profondeur certaine dans son registre vocal favori, celui des aigus . «Bivouac» thème suivant est justement repris du contenu de Body & Blues. La tonalité du sax soprano et de la voix y fonctionnent en accord (velours) parfait. Eric Seva qui le manie depuis vingt ans l’a choisi en conséquence. Dans cette formule à l’égal d’autres, quelque soit le contexte Christophe Cravero trouve le joint, le moyen explicite de placer la mélodie à sa vraie place. On parle de son «soul global», on entend maintenant sa version «punchy» labellisée «funk» Les riffs sax baryton / trombone débouchent alors sur solo décalé de Daniel Zimmerman imprimé d’une sonorité de trombone amortie par la sourdine. Les accords électrisés du Fender Rhodes tranchent tels des lames.

Christophe Cravero

On reste bien ancré dans le contexte, le décor musique «noire». Aussitôt dit aussitôt fait: Agochic acronyme de Chicago moule une séquence bluesy, sur tempo médium portant la voix de façon très naturelle, sans coup de collier, sans nul coup de force • And the wind is blowin’ softly to the trees…» conte Michael Robinson qui dans ses mots sollicite les caresses du vent dans les arbres. Julie Saury, dans la nuance, accompagne fort judicieusement le mouvement. Cette musique sonne «soul» comme disait Michel Jonas. Oui vraiment. Et dans cette partition le saxophone baryton, la puissance de sa colonne d’air, son amplitude de tessiture sous le souffle expert d’Eric Seva en est bien la tête de pont. De quoi laisser une trace de ce chemin qui solderait une influence, un pan de formation, une part d’héritage pour le saxophoniste de toujours amoureux de King Cutis. Un enregistrement à venir peut-être ? On en reparlera…

Michael Robinson, Julie Saury

15 octobre
Théâtre Comedia

Périne Fifaldgi (voc), Rija Randrianivosa (g), Ersoj Kasimov (percu), (cello)

Périne Fifadji, voix danse

Une découverte. Chanteuse d’origine béninoise installée á Bordeaux elle n’est pas familière du circuit des festivals de jazz. Remarquée par Patrick Duval, boss du Rocher de Palmer à Cenon sur la rive droite bordelaise de la Garonne, le message est passé auprès du festival Jazz et…Garonne á Marmande. Un fleuve, un courant passeur, une histoire qui se transmet…
Un chant en forme de prière en mode d’introduction, un petit salut sentimental «à tous ceux qui sont partis», un hommage explicite « à tous les peuples qui restent debout », la mélopée douce d’un vieux vieux chant traditionnel béninois (Mama): sur ces matériaux profindément humains la résonnance de la langue africaine, déjà, fait musique. Pourtant, au delà des mots, de leur sens caché, le petit évènement, l’originalité se situe ailleurs. Sur scène précisément. Perrine Fifadji dans son costume de mille couleurs s’affiche explosive. Explosive dans le mouvement, dans la voix, la gestuelle, les postures. Jaillit en elle une voix danse. S’exprime dans sa bouche une danse de la voix africaine, à tout coup. La chanteuse béninoise impose une présence, une silhouette mobile, un mouvement perpétuel qui capte le regard.

Rija Randrianivosoa (g), Ersoj Kazimov (perc)

Source majeure de la musique ainsi offerte, officie à son côté un guitariste savant : Rija Randrianivosa bâtit le contexte musical à coup de figures de couleurs, d’enchaînement d’accords, de sèquences de «picking» sur les cordes de sa guitare. Soit une litanie d’actions chargées d’expression autant que d’émotion. Le violoncelle à son tour vibre en contrechants discrets.
Le travail de percussions empruntant à la fois aux univers de l’orient et de l’Afrique, par sa gamme de frappes à main nue (avec même, au passage un épisode surprise de bruits de bouche) agit en variateur de couleurs et lumières.
Le public venu en nombre pour célébrer l’organiste aux pieds nus, bluffé par ce show introductif en redemandera, petit supplément d’émotion instantanné made in Africa.

Rhoda Scott (org), Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berrio ( as) Julie Saury (dm)

Quand on a déjà entendu cet été ce même répertoire joué sous le sceau du Lady All Stars Big Band, par une douzaine de musiciennes, un quartet paraît un espace un peu resserré … Mais bon ne jouons pas les boomers blasés « Nous sommes le Lady Quartet. Et ça va faire bientôt 20 ans que note histoire dure ! » Morceau d’introduction en copie conforme -air de scène live vivifiant en bonus- de celui qui ouvre l’album du même nom. Un groove sérieux s’installe déjà dans le collectuf féminin pluriel. Les figures de basses frappées de ses pieds nus mythiques sur le pédalier du Hammond B3, son orgue de toujours, ne se seront pas fait attendre. Elle poursuit par une «valse illico mutée swing, évidemment. Et ainsi de suite.
Dans le déroulé du concert on retiendra la version de «We free queens» livré sous un jeu de mots énoncè à partir d’une composition du saxophoniste Rahsaan Roland Kirk intitulé originellement «We, free kings». Du roi à la reine, Lisa Cat Berro s’en est inspiré pour bâtir en décalé un titre de composition simplement…féminisé. Et puis en toute subjectivité on se réjouit surtout du sentiment de plénitude ressenti le temps d’une version du «Que reste-t-il de nos amours», illustration de la chanson de Trenet apte à faire éprouver dans la qualité du son du sax ténor, le plaisir direct du souffle soyeux de Sophie Alour.
Chacun dans le public aura eu le loisir d’apprécier en conclusion cette dédicace délicate de Rhoda Scott à l’adresse des bénévoles du festival «Un grand merci à eux sans qui ici on serait mal !» La classe, Rhoda.

Sophie Alour (ts), Lisa Cat-Berro (as)

16 octibre
Église de Fourques dur Garonne (47200)

Franc Bearzatti ts, cla), Federico Casagrande (g)

Francesco Bearzatti

Habituel décor de fin du festival marmandais, le concert de clôture investit la petite église de ce village sis en bord de canal de la Garonne. La scène au pied de l’autel. La sacristie en guise de loges. « Ces morceaux que nous jouons, au départ je ne les avais encore jamais figés sur un disque. Je tenais à les réserver à ce duo » Ceci précisé Francesco Bearzatti part sur une sonorité de ténor en douceur et profondeur (Nirvanina). Mais il peut tout aussi bien la transformer, en forcer le trait au besoin le temps de moments de court paroxysme. En vis à vis, entre une statue de la Madonne posés à même la pierre et un tableau du Christ roi fixé sur un pilier, les parties de guitare de Federico Casagrande tombent aussi en une pluie douce, note par note égrenée ( Cricket in the head )

Federico Casagrande

On entend des mélodies lancées en spirale. Ils s’écoutent, ils se croisent, ils se rejoignent en des rendez-vous ponctuels à priori improbables les deux musiciens italiens. Ils en conçoivent de beaux sons naturels. Dans la foulée ils fabriquent quelques unissons histoire de bien situer la marque de leur chant/champ instrumental. Ils en rient, ils en sourient de satisfaction immédiate, spontanée une fois le morceau terminé.
Accords de guitare plus traits de sax ténor superposés: de cette physique de l’improvisation les deux musiciens italiens en tirent matière. En toute complicité bue, assumée. Les thèmes s’enchaînent en des colorations plutôt pastel. Ce concert tient plus de l’histoire contée en continu, sans phase de rupture sèche ou de retournement inattendu. N’en déplaise au décor «sacré» du lieu point d’accroche à une «Divine comédie» pour autant. Les notes restent légères sous la nef. Le momentum du récit musical advient pour faire référence à Fellini et son univers onirique, le temps d’un scénario final en figures mélodiques expressionnistes, petites phrases hachurées proche du babillement de notes détachées les unes des autres à la façon Ennio Morricone s’il fallait se risquer à une comparaison obligée. Dans ce scénario improvisé la guitare étale des arpèges tranquilles. La clarinette y opêre comme un couteau (des aiguës pour trancher) ou par contraste tel un pinceau (nappes de graves en apesanteur)
Et comme il sied à des transalpins, le concert se termine via une référence culinaire «Harry’s banana» composé en hommage à Tony Scott «d’origine sicilienne il fut le clarinettiste de l’orchestre d’Harry Belafonte». Occasion pour Bearzatti de nous livrer en dessert une tranche de clarinette joyeuse, primesautière.

Robert Latxague