Jazz live
Publié le 31 Oct 2025

Michele Rabbia à l’initiative

C’est Michele Rabbia qui relance le trio initié par Roberto Negro avec Nicolas Crosse en 2021 et désormais devenu quartette avec l’intégration de l’ingénieure du son Céline Grangey. Après Rome le 23 octobre en résidence à la Casa del jazz, ils étaient hier au Triton.

Je m’installe côté piano de façon à voir ses mains, lui un peu profil, avec cette satisfaction de me dire qu’avec Roberto Negro c’est toujours bien, et cette autre satisfaction de penser qu’à chacun de ses nouveaux programmes on ne sait jamais pourquoi ça va être bien. Et que – tiens ! devant la page blanche – ça pourrait déjà faire un bon début de compte rendu. Sauf que, ce soir, l’initiative revient à Michele Rabbia… car – je me le ferai conter à la sortie du concert, mais j’aurais pu me donner la peine d’ouvrir à la bonne page le programme de 56 pages du Triton – si le pianiste est à l’origine de ce trio qui, depuis 2021, les associe tous deux à Nicolas Crosse (élève de la classe de contrebasse de Jean-Paul Celea au CNSMDP où il enseigne depuis 2016), si ce trio s’est associé pour le programme “Newborn” à une délégation de l’Ensemble intercontemporain par l’entremise de Nicolas Crosse qui y a son pupitre, au service d’une volonté de Roberto Negro de transgresser les frontières entre écriture et improvisation, élan jazzistique et tradition savante européenne, acoustique et électronique, cette histoire étant derrière eux, c’est Michele Rabbia qui a invité ses deux complices à réunir le trio pour écrire de nouvelles pages de son histoire.

Sauf que – et là, la seule lecture de l’intitulé de la soirée aurait dû m’alerter – profitant notamment ce soir du nouveau dispositif de diffusion immersive du son dont s’est doté le Triton, le trio renaît sous la forme d’un quartette avec l’adoption de l’ingénieure du son Céline Grangey, quatrième musicienne de l’orchestre par ses initiatives de transformation du son, ce que l’on ne peut que deviner, dans la mesure où elle agit hors-scène.

Ainsi, voyant Roberto Negro commencer le concert par des effleurements des touches du Fazioli, faisant tinter ses ongles sur “l’ivoire” et “l’ébène” d’un revers de la main, laissant entendre d’insolites micro-enfoncements, on peut imaginer que ces espèces de patch collés sur le meuble au-dessus du clavier ne sont pas là pour rien. Le pianiste est certes entouré par deux petits claviers électroniques, voire un troisième qui n’en est peut-être pas un, plus derrière lui un ordinateur à l’écran allumé, mais l’œil est rapidement attiré par les sonorités qui viennent de l’opposé de la scène, où Michele Rabbia est entouré de son bazar électronique et de son fourre-tout – d’un simple sac en plastique à froisser à un petits troupeau de souris-jouets pour chat qu’il lâche sur la peau de sa caisse claire. Évidemment, ça donne à voir, mais – comme disait l’autre – l’œil écoute et la contrebasse, d’abord discrète au centre du dispositif nous rappelle à l’ordre. Nicolas Crosse est le seul à disposer d’un pupitre – une partition minimale faite de fragments et de motifs clés, et dont le son est le plus dépendant des interventions de Céline Grangey, Rabbia restant le plus autonome des trois instrumentistes (son attirail se suffit bien à lui-même, lui qui ira même chercher de son micro tendu le son de la contrebasse pour l’inclure à une sorte de drone qu’il vient de produire).

On se laisse embarquer par ces récits d’abord comme chuchotés, suggérés, n’excluant pas de grands fortissimo, par ces éparpillements convergents ici et là en un soudain unisson en forme de point final provisoire, récits d’évènements sonores, de couleurs, de granulations, d’explosions, où le non idiomatique et le bruitisme n’exclut ni le contour timbral exact de l’instrument ni l’irruption mélodique minimale (les ostinatos de le contrebasse) ou fugitive sous les effleurements de clavier.

Soudain, en pleine initiative du piano, un violent orage électroniques survient, ses craquements crépitant tout autour du public sur le réseau de hauts parleurs immersif, puis s’éloigne progressivement comme le fait le tonnerre dans la vraie vie… Panne de sono. La fin se joue acoustique ; de toute façon on y était presque. L’ombre d’une ombre d’un vent de panique, la musique suit son cours, jusqu’à délicate extinction.

J’avais prévu de filer au 38 Riv’ voir au moins la fin du concert de 21h du quatuor Kaija de Maëlle Desbrosses accueillant Mark Priore, mais celui du Triton ayant commencé avec une demie heure de retard, je renonce préférant prendre le temps d’un échange au bar du Triton. Ce soir, si mon emploi du temps m’y autorise, je serai de retour au Triton pour entendre le trio d’Emmanuel Bex, Glenn Ferris et Simon Goubert. Je croise les doigts. Franck Bergerot