Jazz live
Publié le 13 Jan 2024

Norma Winstone & Thierry Péala au Sunside

Un moment de grâce arraché au diktat de la pénurie des transports publics : comme c’est le cas depuis 3 ans, plus de RER en fin de soirée sur ma ligne, je suis donc condamné à n’écouter que le premier set, et je me dépêche de profiter de ce bonheur furtif, d’autant que Norma Winstone se fait rare dans nos contrées, et que ce duo complice est un événement

NORMA WINSTONE & THIERRY PÉALA avec Pierre de Bethmann Trio

Norma Winstone & Thierry Péala (voix), Pierre de Bethmann (piano), Christophe Wallemme (contrebasse), Karl Jannuska (batterie)

Paris, Sunside, 12 janvier 2024, 21h30

Les deux vocalistes partagent une relation privilégiée avec le trompettiste-compositeur Kenny Wheeler. Norma Winstone nous fait remarquer que le lendemain, 13 janvier, sera le 94ème anniversaire de la naissance du musicien (disparu en 2014), avec une incertitude sur la date réelle, 13 ou 14 janvier, car le trompettiste avouait un doute (mais les dictionnaires ont opté pour le 14….). Thierry Péala précise que Kenny reconnaissait que sa mère ne se souvenait plus très bien si c’était avant ou après minuit, d’où l’incertitude. Et c’est avec la musique de Kenny Wheeler que le concert va commencer : sinuosité mélodique et harmonique, le diapason est mis à rude épreuve mais l’assurance s’installe, et l’expressivité fait le reste, pour des échanges pleins de nuances et de complicité. On sent bien que l’une et l’autre sont ici dans un territoire musical de grande familiarité. Il faut dire que tous deux ont partagé, avec le trompettiste de Toronto, et la scène, et le disque. J’ai le souvenir, en novembre 2000, d’avoir présenté sur scène à Radio France, et sur l’antenne de France Musique, le quintette de Thiérry Péala dont le trompettiste était…. Kenny Wheeler. Il avait d’ailleurs chanté deux ou trois titres qu’il donne ce soir avec Norma Winstone, laquelle avait chanté les mêmes titres auprès du trompettiste en diverses occasions. Bref on est bien en territoire de parfaite complicité, et cela s’entend. La salle est comble, et compte quelques apprentis vocalistes qui seront sans doute, le lendemain après-midi dans ce même lieu, pour la master-class donnée par la chanteuse ; dans le public aussi des ami.e.s, comme la chanteuse (et pédagogue) Michele Hendricks. Sur The Glide de Ralph Towner (un thème que la chanteuse avait enregistré en duo avec le pianiste John Taylor), les vocalistes partent en scat, et ça barde ! Au fil du concert Pierre de Bethmann donne quelques improvisations étourdissantes : variété des traits, constant renouvellement des valeurs rythmiques et des accents, sans esbroufe aucune, mais dans une superlative musicalité. Christophe Wallemme n’est pas en reste, qui délivre de très beaux solos ; quant à Karl Jannuska, dans court solo comme dans l’accompagnement, il fait merveille, finesse et pertinence associées. Norma Winstone chante, accompagnée par le trio, une sorte de bossa mélancolique, suivie d’une chanson que Leonard Bernstein avait écrite pour la comédie musicale On the Town, et qui avait été reprise notamment par Tony Bennett avec Bill Evans.

Puis c’est au tour de Thierry Péala de chanter seul, avec le trio, un thème de Kenny Wheeler encore inédit dans cette version vocale. Le plaisir du public, chroniqueur compris, est palpable depuis le début du premier set. Quand le chanteur commence le titre suivant, qui sera probablement le dernier de ce premier set, le chroniqueur s’aperçoit qu’il risque de rater le dernier RER. Alors, la mort dans l’âme, il cavale vers le métro pour rallier dans les temps Magenta-Gare du Nord

In extremis : l’ultime RER part dans deux minutes, ce qui permet d’échapper à l’alternative par le métro jusqu’à Bobigny, puis l’attente d’un hypothétique bus, pendant une demi-heure, voire plus : la température est descendue au-dessous de zéro degré centigrade ; à mon âge ce serait déraisonnable ! Enfin, je suis heureux malgré tout d’avoir goûté, même partiellement, ce beau moment de musique

Xavier Prévost