Jazz live
Publié le 30 Juin 2025

Oloron (2): Notes chaudes en échappées belles des Rives du Gave

Des Rives et des Notes, Jazz à Oloron, Oloron (64400)

Espace Jéliote

Samedi 28 juin

Naïssam Jalal (fl), Zaza Desiderio (dm), Clément Petit (cello),  Joachim  Florent (b)

Naïssam Jalal

Un concert comme un voyage de l’intérieur (le sien, le nôtre, le votre) vers l’extérieur (le monde)j jalonné d’étapes comme autant de rituels « Attention ce sont des rituels ouverts, pas de porte, pas de fenêtre pour y entrer… » précise tout de suite Naïssam Jalal. Laquelle nous invite à l’y accompagner en partant d’états d’âme à partager; Chacun de ces points de rendez vous porte un nom, un titre, un référentiel à des éléments de l’univers, une sorte de  cosmogonie traduite en notes, rythmes/pulsions et mélodie. La flûte en est devenue le guide comme par (et avec) enchantement. Car au delà des rythmes, éléments fondateurs dans leurs forces comme dans leurs nuances, la musique exposée sur scène est d’abord une affaire de souffles.

Naîssam Jalal

« Rituel de la Rivière » pour commencer. On y trouve une idée de courant dans lequel s’engouffrent des souffles justement, plus ou moins doux. « Rituel de la Colline » Les cordes cette fois forment le substrat. Mais ce sont les caisses et cymbales qui organisent,  rythment la montée d’un pas, d’un tempo pressé pressant. La flûte en motifs répété à l’infini danse au-dessus Ainsi peuvent se marquer les dits Rituels. Celui du Vent sort de toutes les cordes comme point de départ.  Le flux d’air, les coups de vent jaillissent sous l’archet.  Puis le frottement des doigts sur les cordes (violoncelle joué en mode picking) amplifient l’effet. Selon le panorama, le dessein du morceau les flûtes résonnent de bois ou de métal. Alors la matière choisie modifie la couleur du son, son empreinte, sa chaleur. Sous le sourire, la concentration Naîssam Jalal, cache une maîtrise de force tranquille dans l’expression. 

Clément Petit

Extrait lui aussi de son album « Healing Ritual » celui consacré à la Terre relève d’une sonorité particulière car affirmée d’un sens spécial: « Dans mon esprit il est devenu une sorte de prière, une prière désormais dédiée à Gaza »  Étrange sentiment alors à ces mots, drôle de ressenti : aucune manifestation d’émotion, aucun applaudissement, le silence de la part de l’audience. Sur les planche basse et violoncelle s’accordent à solliciter leurs cordes graves. La musique se fait plus dense frappée de coups de tambours secs, de roulements  L’ensemble  souligne en mode « forte » la voix lancée très tendue, jusqu’au cri brut en final. Là enfin, pris par la force du message musical éclate une salve d’applaudissements «  Vous avez eu un beau silence… » dit Naïssam Jalal avec une gravité certaine. Suivront le » Rituel de la Forêt » pour lequel Zaza Desiderio batteur vrai géniteur de musique construit son petit monde du moment, ombre, rayons et traits de lumière sous la canopée. Celui de la Lune parti de sons sourds sous l’influence de la basse débouchera sur un mix paroxystique emporté par les éclats, les flashs de la flûte explorant dès lors les suraiguës. L’escale du Soleil aussi se voit offert dans un élan rythmique qui tourne rond. « Le Rituel de la Brume » enfin, se construit en deux tableaux « Il y a la brume de terre et la brume de mer » Un univers de sons mêlés en contrastes, du noir, du blanc du gris. Avec toujours cette présence de la voix, ici presque cachée sous un voile de brume, glissant en modulations toutes de finesse

Joachim Florent

Naïssam Jalal dans ce parcours, paraît prioriser sous l’air pulsé une mystique musicale légère, aérienne. Sans conteste frappée d’une poétique certaine.

Dimanche 29 juin

Espace Jéliote 17 h

Malika Zara (voc, percu, electr) , Leonardo Montana (p)

Leonardo Montana

On reçoit certains concerts non sans effet de surprise. De par leur contenu, de par le rythme de leur déroulé. de par la découverte d’un savoir faire jusqu’ici partiellement voire intégralement ignoré. Bref l’originalité du propos fait partie des doses émotionnelles possiblement injectées par la musique live en intraveineuse. Ce duo inédit -quasiment leur premier concert- assemble deux personnalités issus de milieux musicaux différents. Réunis sous le boisseau de l’improvisation comme moteur du projet. Ici pas de partition établie. Mais du partage de lignes directrices, de l’engagement, et un sens certifié de la participation en commun. La voix comme le piano se plaisent à une divagation maîtrisée. Témoin dès le coup d’envoi cette première houle d’accords de la part de Leonardo Montana, regard concentré, très attentif vis à vis de la prestation de sa complice chanteuse lancée tout de go sans filet dans une scansion ferme en langues du Maghreb ( Feen)  – Malika Zara née dans le sud marocain revendique aussi des origines berbères. Le pianiste de jazz lui même pleinement métissé dans son approche savante musicale (Brésil, Antilles) se lance dans un déroulé étiré de notes frappées de sur-brillance histoire de bien appréhender les modulations, couleurs orientales d’un chant signé d’un compositeur yéménite. Malika Zara qui dans son parcours initiatique a fait un passage par les Etats Unis (son dernier album- produit et arrangé par Aliune Wade a partiellement été enregistré à New York) exhume aussi d’autres tours de magie techno cachés dans son sac de voyages. Aussi s’ingénue-t-elle au besoin -malgré quelques petits hics techniques- à faire passer sa voix claire, puissante au travers d’un modulateur de son, souffle trafiqué, cris, ahanements, mots susurrés viaé ces filtres numériques (All the same) Le piano lui demeuré toujours nature évolue dans un schéma rythmique affirmé, voix poussée en phrase plus swing. Les thèmes, les chants nécessitent de l’espace, une certaine longueur de cordes. Justement, Léo joue maintenant à cordes bloquées dans le ventre du piano. Malka elle, enchaine sur un scat d’onomatopées avant que lkes deux parties prenantes ne de se rejoignent dans un tourbillon de notes et mots combinés. La chanteuse marocaine ne s’affiche pas en militante mais dit clairement vivre avec son temps « Une femme d’aujourd’hui doit pouvoir dire non.  J’ai écrit ce texte intitulé La, non en marocain… » 

Malika Zarra

Dans ce travail musical livré en direct, dans sa version scénique, les deux matières traitées, voix comme piano s’affichent très mobiles, changeantes en variations instantanées. L’échange est permanent avec le piano. À l’écoute on vit une joute, un pari, un défi question équilibres. Le tout offert en complicité, en interplay. L’aspect fortement rythmique, les motifs répétitifs découpés en angle au piano, l’appui de petites percussions utilisées à dessein ponctuellement par la chanteuse, tout porte à la danse (Zrigh) Ce qui n’obère en rien la possibilité d’espaces propices à de longs chorus de piano, croisements de lignes par éléments mélodiques fouillés, accords superposés avec brio. Dès son retour la voix se trouve aussitôt intégrée. dans le mouvement. Caractéristique de ce duo encore neuf: il est saisissant comme le chant parvient sans cesse à trouver sa juste place dans les espaces pourtant créés très fluctuants. 

Reflets

Final aux couleurs et rythmes dansants d’un chant traditionnel de la région de Taroudant, sud marocain aux portes du désert (Mamalia): « Le texte écrit par un écrivain malgache vante la force du sourire et du sentiment d’espoir. Je le dédie à ma mère » Message reçu avec acclamation à l’ombre de la salle oloronnaise protégée en cet après midi du poids écrasant d’une chaleur saharienne.

Espace Jéliote, 21 h

Stefano Di Batista (as, ss), Mateo Cutello (tp), Fred Nardin (p), Daniele Sorrentino (b), Luigi Del Prete (dm)

Stefano Di Batista

On retrouve sans surprise la sonorité de l’alto, très droite, directe, tendue, reconnaissable pour sûr depuis le temps que le saxophoniste italien fréquente les scènes festivalières ou non de l’hexagone. On peut découvrir en revanche celui tout aussi travaillé d’un jeune trompettiste sicilien teinté dans la même veine du hard bop avec, spécificité de Matteo Cutello, des échappées belles volontaristes vers les tutti d’aiguës extrêmes. Déjà vu ce we aux côtés d’un autre altiste, Gaêl Horellou, le pianiste Fred Nardin donc se met à la hauteur du projet du jour, main gauche et main droite aussi agiles en expression directe (il est l’arrangeur attitré du dernier album paru du saxophoniste, La dolce vita dont  la plupart des titres joués ici sont tirés)

Mais bon avant que d’essayer d’évoquer la musique du quintet parlons du personnage. Dès sa première présentation du thème initial, éponyme de celui de son disque, le ton est donné. Avec un accent français piqué au vif par les douces rondeurs de l’idiome transalpin -et qui ne dépareillerait pas dans une comedia del arte cinématographique-, Stefano fait le show à sa mesure. Innarrêtable ! Blagounettes, jeux sur les mots ou les situations, approximations dans les formules: son inépuisable bavardage n’a de cesse d’aller chercher l’assentiment de son public vite conquis il est vrai par l’humour gentil tout plein, les moqueries qu’il sait retourner à son encontre et à son avantage. Par les allusions répétées  même un peu lourdingues, caricaturales, vachardes aux régions sud de la Botte. Par son recours aux saveurs de la cuisine italienne, par les vertus indéfectibles de la Pizza, etc etc. 

Fred Nardin

Revenu au bec, à la colonne d’air de son saxophone il enfile les notes de « la Vita e bella » musique tirée d’un film de (et avec) Roberto Benigni nanti d’une volubilité, d’une aisance naturelle qui lui sied parfaitement. Même cause même effet sur le « Caruso » de Lucia Dalla, mélodie de ralenti, soyeuse qui a fait le tour du monde et des salles de bal lors des sessions de « slow » en particulier. Sur ce tempo de pas lent, il laisse d’abord le soin au trompettiste en introduction d’improviser en solo absolu sur une ligne de notes légères, lyrique à plein. De quoi prendre la main ensuite dans un parfait continuum, lui même, mais au sax soprano. L’imprimatur d’un chant.

Matteo Cutello

avec un lot d’unissons séduisants sax/trompette/piano concoctés par le savoir faire de Fred Nardin. L’alto prolonge la ligne frappée d’une certaine sobriété dans le débit. Sauf qu’alors voilà la rythmique (deux napolitains boutefeux soudain possédés (?) par le  volcanisme) qui s’enflamme. Au total avec une telle quinte flush de chauds latins, dans le public pris dans l’histoire on se retrouve dans une ambiance de club en surchauffe, cris, échanges de poussées de fièvre communicative, interactions scène salle en mode lâchers d’adrénaline, encouragements   (solo de batterie un peu long mais pétri de roulements en éruptions)…Une balade vient tout même en forme d’apaisement. Di Batista à son tour seul en stop chorus travaille sur le grain du son, épaisseur, force donnée en nuances, profondeur cuivrée.

Daniele Sorrentino (b), Luigi Del Prete dm), de Napoli

 Mais rapidement le besoin d’accroche, d’adhésion des yeux et des oreilles fait nécessité. « Il Buono, Il Brutto e Il Cattivo, extrait de la bande originale du film de Sergio Leone devenue hit planétaire inscrit au frontispice western spaghetti du temple d’Ennio Morricone fait l’affaire bien sûr. Le lancement du thème mélodique à deux souffles de cuivres étroitement imbriqués produit son effet immédiat. Nino Rota, il ne manquait plus que lui pour faire, de musiques, un cinema « paradisio » Pour conclure et magnifier ce tour d’horizon des B.O. des oscars du ciné made in Italie,  Stefano Di Battista et son jeune trompettiste sicilien partent quasi bras dessus-bras dessous faire vibrer leur instrument respectif à même le public. « Ciao ! »

Jazz au marché

Important quand même de préciser en conclusion que dans une volonté de prolonger cet esprit festif du « in » du festival -le dit  off se tiendra sur une place contigüe  dès les jours prochains- les organisateurs ont décidé de prolonger les festivités par des concerts ou manifestations musicales dans d’autres lieux de la ville. Et inauguré cette année des « After « à même le hall de l’Espace Jéliote. Avec en particulier un trio de choc derrèire un Gael Horellou déchainé sur ses machines électroniques en prolongement de ses sax, décidé à muter cette nuit festivalière en formule de clubbing. Très haut niveau sonore favorable aux déhanchements garanti sans facture…supplémentaire !

Jazz au club: Pierre Fabre Quartet
Gaêl Horellou: short beak full clubbing !!!

Robert Latxague