Jazz live
Publié le 14 Mar 2022

Orthez: Antonio Lizana sax double face

Dans cette petite cité du Béarn, Orthez -laquelle a vu des musiciens faire leur apprentissage tels Paul Lay ou Fidel Fourneyron dans les murs de son excellente Ecole de Musique - le théâtre Francis Planté aura vu défiler depuis plus de vingt ans nombre de noms du jazz français et international au sein de sa programmation annuelle ou du festival de jazz mis sur pied par Jacques Canet. La dite salle va connaître pourtant un double chamboulement. D’abord la fin du festival Jazz Naturel dont la formule ne sera pas reconduite. Ensuite parce que pour cause de travaux de rénovation ses fauteuils rouges dans tous leurs états (!)…vont être mis à la vente. Ainsi va la vie du jazz , coït iterruptus local, à deux pas des eaux du Gave tout à la joie, elles, de poursuivre leurs galipettes de cascades jaillis des Pyrénées toutes proches…

Il s’agit d’une tendance de plus en plus présente dans le jazz. La voix impose sa présence face au concert d’instruments « matière première » En notes et pas forcément en paroles:  Isabelle Sorling, Leila Martial ou Jeane Added, dans un rôle de vigie, en sont des preuves vivantes. En ce sens dans le monde parallèle du flamenco jazz (ou du jazz flamenco ?) Antonio Lizana, jeune musicien  andalou qui, pour s’être produit aux côtés de Snarky Puppy, Marcus Miller ou Arthur O Farill, n’en est pas pour autant plus connu dans l’hexagone, représente un cas singulier. Cantaor (chanteur) autant que saxophoniste il impose de par ses créations un contenu musical double face. Mâtiné de chant autant que d’improvisation sax en mains. Imprimé de lignes de flamenco comme de jazz.

Une découverte à vivre sur scène. Un contenu musical « choc » au sens de Jazz Magazine.

Antonio Lizana (as, voc), Daniel Garcia Diego (p, clav), Shayan Fathi (dm),Arin Keshishi (elb), Mawi de Cadix (voc, palmas, danse)

Théâtre Francis Planté, Orthez (64300)

 

Le « cante »


Ça commence par un cri guttural,  sorte de supplique, quelque chose d’une vibration sonore entre vie et mort telle que l’on peut l’entendre jaillir, la saeta,  des processions mystères/mystiques dans les rues de Séville pendant la période sacrée de la Semana Santa. Puis claquent les talons, les pas de danse du flamenco. Enfin vient le sax alto, des modulations de son épais, volutes denses (Me cambiaron los tiempos). Convocation du jazz dans laquelle se joint le piano de Daniel Garcia.

Daniel Garcia, piano, voix et arrangements

 

Le canevas de cette musique, ses couleurs, ses notes ventilées de bleu et de rouge, vivante, plurielle se trouve désormais clairement exposé. Tissé « de verdad / la vérité vraie » comme on peut l’entendre proféré depuis Cadiz, Grenade, toute l’Andalousie. La voix, littéralement le « cante »  s’impose aussi comme dominante de couleur. Sa voix à Antonio Lizana, personnelle, puissante, timbrée métal brut passé au feu de la forge sort gorgée d’expression, d’émotions fortes. Mais couplée également au besoin, à deux, trois chants entremêlés ( Mawi de Cadix, Daniel Garcia) sur le tremplin des coplas en  ces refrains teintés du blues gitan andalou. La vraie singularité pourtant, l’originalité eu égard à la planète flamenca fut-elle pimentée d’essences de jazz se situe bien dans l’art d’Antonio Lizana à maîtriser en alternance chant et phrases de sax, technique « call and response » appliquée en mode voix/sax. Manière d’introduction saillante  d’un thème en solo pour rebondir au final sur un accompagnement collectif de palmas, paumes ouvertes, chœur mêlés d’un danseur muté vocaliste et des contrechants d’alto.

 

Palmas, paumes ouvertes sur les rytmes rites du flamenco, Antonio Lizana, Mawi de Cádiz

 

Du rarement vu/entendu oui, on se répète, dans l’univers  flamenco. Reste justement l’autre versant du savoir faire chez le musicien de Cadix, instrumental celui là. Un discours sax frappé d’abord d’un lyrisme « latino » ( façon Miguel Zenon), comme autant d’échappés belles en quête de substances musicales vivantes, identitaires. Puis, surprise, le temps d’un duo avec avec les fûts de la batterie ( au passage à noter le côté fortement percussif qui entre également dans la définition du produit fini musical du quartet)  dessinent en ombres portées, lancés plus en tension,  en disharmonie organisée, des accents aigus dignes d’Ornette Coleman. Alors intervient le piano de Daniel Garcia, qui agit en lien avec le rendu collectif (accords et mélodies dessinées en traits fins, No quisimos asi). En contrepoint aussi lorsque vient le temps d’un duo avec le sax soprano cette fois, fiché dans un registre d’aigues saturées. En prolongement enfin dans l’exercice très maîtrisé du solo (Mora)

Sur scène, dans les sauts sans filet de la formule live sans doute davantage encore que dans le dernier album paru (Una realidad diferente /Warner Music Spain) transparaît via le travail orchestral une vraie richesse de timbres autant que de formes. À suivre… à la trace.

 

 

 

Robert Latxague

Concerts: 15/03: Oloron, Salle Jéliote…18/03 : Paris, Sunside 20/03 …Festival Mars en Braconne…22/04 L’Astrada Marciac…23/04 La Milonga del Ángel Nimes…24/04 Festival Flamenco Marseille…