Jazz live
Publié le 25 Oct 2014

Otisto 23, aussitôt dit

Comme promis, lisez la suite et découvrez la version “extended” de l’entretien passionnant qu’Otisto 23 nous a accordé (Jazz Magazine Jazzman n° 667), tandis que vient de paraître “Fly Superfly” (Gazebo), l’opus III de ses aventures en duo avec Laurent de Wilde.


 

© Renaud Baur






Photo : © Renand Baur


Comment avez-vous rencontré Laurent de Wilde ?

On est en 1997, je travaille depuis peu comme ingénieur du son et réalisateur avec un groupe de jazzmen barjots et atypiques, Cosmik Connexion, issus du collectif MU, basé à Macon au fameux Crescent, un club, ou plutôt un laboratoire où passaient un grand nombre de musiciens nationaux mais aussi de grandes pointures internationales. Ce duo composé de Gaël Horellou (saxophone alto et machines) et Philippe “Pipon” Garcia (batterie et machines) venait d’intégrer un DJ et chanteur du nom de JahBass (Jérémie Picard). S’est alors profilée l’envie de créer un projet de big band un peu décalé. Il avait pour noyau dur le trio Cosmik Connexion, moi même à la direction artistique, et un nombre important de musiciens de tous horizons, dont Laurent de Wilde. Je le connaissais de nom, puisqu’il commençait de son côté à composer pour son projet “Time For Change”, métissage électro acoustique qu’on appellera plus tard “electro jazz”, une appellation qui nous colle à la peau mais qui dans ses grandes tendances ne correspond pas du tout aux contenus que l’on propose depuis cette époque, avec ou sans Laurent. Je suis tombé littéralement sous le charme de ce pianiste. Il n’a pas froid aux yeux, il n’étale pas sa culture et ressemble plus à l’idée que je me faisais des musiciens de jazz des années 1940/1960 que j’admirais tant : la fête, la danse, la transe, le partage, les clubs… Il ne correspondait pas au cliché du musicien “intello” ou autres qualificatifs que le public utilise – souvent à raison – pour qualifier le jazz ou les jazzmen. J’ai beaucoup apprécié sa simplicité, ses réflexions quant au contenu musical et le fait qu’il accepte de se  mettre en danger pour explorer de nouveaux horizons musicaux, ce qui est extrêmement rare pour un artiste déjà bien installé et soucieux de son image.

 

Dans votre vie de musicien, on imagine qu’il y a un avant et un après votre duo avec Laurent de Wilde. Y a-t-il d’autres collaborations qui vous ont autant marqué ?

Il y a forcément un avant et un après, le temps file pour tout le monde. Mais je vois plutôt ça comme une continuité dans mes recherches. Dans nos recherches. Quelque soit le rôle que l’on rempli dans la musique – compositeur, producteur, ingénieur du son, musicien… –, on apprend toujours, si toutefois on désire progresser. C’est mon cas, car je pars de TRÈS TRÈS loin… J’ai étudié le piano comme beaucoup d’enfants dont les parents sont soucieux de la culture générale, puis la composition et la direction d’orchestre dans un cursus classique. Puis j’ai voulu “monter à Paris”, après avoir fait mes armes dans diverses formations de bal dans ma région, en Provence. J’ai arpenté les fêtes de villages et autres mariages dès mes 13 ans, un accordéon entre les bras ou bien assis derrière un synthé. J’ai donc peaufiné en parallèle ma formation de pianiste en suivant les cours de personnes qui m’ont beaucoup marquées (Yvan Julien, Michel Zénino, Jean Sébastien Simonoviez, Olivier Hutman…) et lorsque j’arrive à Paris, je me rends compte que le niveau est beaucoup plus élevé que ce que je pensais. Je me croyais armé, taillé pour le rôle de pianiste et jazz ou de variétés, et là c’est la grosse claque… En fait, je suis un novice, un jeune musicien en devenir. C’est donc l’ensemble des rencontres que j’ai pu faire ou des collaborations qui m’ont été proposées qui m’ont permis de devenir le musicien que je suis devenu. Mais il a fallu prendre une décision extrêmement difficile : trouver mon instrument. Et c’est évidemment en travaillant avec des pianistes comme Laurent ou en participant à des masterclasses avec des musiciens de ce calibre que je me suis rendu compte que je n’étais pas à la hauteur de mes aspirations. Je savais que j’étais un musicien, que ma vie était au service de la musique, mais pas derrière un piano. Ailleurs… Donc OUI, il y a un avant et un après, en tout cas à ce niveau là, car j’ai trouvé ma voie, j’ai fabriqué mon instrument, l’ordinateur, grâce à ces rencontres ou collaborations. Et tout d’abord un producteur :

– Christian Ferrantini, qui m’a donné confiance en mes capacités à fixer sur bande les compositions des autres et de faire du développement de carrière pour des artistes ;

– Jean-Alain Roussel, qui a révélé les velléités d’arrangeur et de réalisateur que j’exploite depuis. 

– Gaël Horellou, de qui j’apprends toujours beaucoup pour ce qui est de la musique “classique” ;

– 69dB, qui pour la première fois m’a permis de comprendre les méandres de la musique électronique, c’est à dire non produite par un instrument traditionnel ;

– Interlope avec Rimshot, un duo de musique dite drum & bass ;

– Radio Bomb, un grand monsieur du break core ;

– la collaboration avec Laurent de Wilde évidemment, qui me pousse toujours vers le haut ;

– une artiste du nom de Loan (IOT Records), avec laquelle je joue régulièrement dans le cadre de projets aussi divers qu’enrichissants : danse hip hop et contemporaine, bass music et hip hop anglais ; (Loan est par ailleurs devenue ma femme.)

– ainsi que beaucoup d’autres rencontres que j’ai faites lorsque je voyageais beaucoup en Inde et dans la région de Goa, car c’était un point névralgique de la musique électronique dite de Transe, ainsi que durant mon expérience d’ingénieur du son résident au tout début du BATOFAR.

 

Quand on vous voit sur scène jouer aux côtés de Laurent de Wilde, comme immergé dans les projections vidéo, le mystère reste sinon entier, du moins grand. Comment définiriez-vous précisément votre rôle ?

Il évolue avec le temps. Tout d’abord, il est vrai que le mystère fait aussi partie de ce duo qui en fait est un vrai trio. Nous ne sommes que deux musiciens mais le troisième larron, Nicolas XLR Ticot, et plus largement la scénographie et donc la vidéo sont essentiels dans ce projet. Sans ça, nous serions forcés de nous y prendre très différemment. Nous avons commencé par poser des règles très strictes à la construction (je pourrais dire composition, mais construction est très bien adapté à notre cas) de notre répertoire : il fallait créer les sons que nous allions utiliser dans la composition  avec comme base le piano de Laurent, puis créer le matériel musical (boucles rythmiques, accompagnements, gimmicks et mélodies) pour poser le paysage et le canevas sur lequel chacun de nous deux allions apporter notre touche, nos improvisations. Mais tout ça doit paraître naturel, Nous détestons, et je crois que c’est le cas pour beaucoup d’artistes, expliquer le concept pour que le public puisse apprécier le contenu. Ce n’est pas le but. Nous avons donc eu l’idée d’y intégrer la vidéo et, au début de ce projet, un cadreur filmait sur scène, en temps réel, tout le processus de fabrication de chaque morceau, puis une fois tous les éléments enregistrés, nous partions dans la performance de notre musique et des improvisations. Petit à petit nous devenions de plus en plus agiles et rapides à enregistrer ces éléments de composition et d’arrangements et, de fait, le montrer au public devenait futile, voir un peu lourdingue. On a donc supprimé cet aspect là et Nico raconte au public l’histoire et pause l’ambiance du morceau pendant les intros, pendant que nous fabriquons le matériel. Il fait “passer la pilule” en quelque sorte.

Aujourd’hui, pour le troisième Album de ce projet, “Fly Superfly”’, nous avons décidé de conserver l’exclusivité des sons de piano pour la fabrication de TOUS les éléments des morceaux de notre répertoire, mais nous les avons fabriqués en studio. Nous avons remarqué que ce n’était pas un aspect essentiel pour le public. Le côté “performance” n’a qu’une portée limitée sur l’intérêt du contenu que l’on propose. Nous sommes intransigeants sur le fait que nous faisons de la musique, avant tout. L’aspect technologique n’est pour nous qu’un outil. Il ne doit en aucun cas prendre le pas ou alourdir le but ultime : raconter une histoire, faire voyager l’audience ainsi que nous amener dans des recoins de nos disciplines que nous n’avons pas encore explorés. Nous reproduirons donc les sons enregistrés en studio tout en ajoutant aux morceaux de nouveaux éléments, improvisés à chaque concert en plus des longues plages d’improvisation que nous souhaitons nous octroyer. Le tout évidemment uniquement composé de sons de piano et ce, afin d’être encore plus libres qu’avant ! Nous souhaitons conserver une part de mystère, pas de mensonge ni de cachotterie mais être dissimulés derrière ce tulle, rempli des projections de Nico nous permet de faire tomber la timidité dont un musicien est souvent victime et de nous sentir plus libres, moins pudiques comme si l’on n’était que tous les deux dans le studio de répétition et de TOUT donner, de TOUT oser surtout, sans tabou.

 

À votre avis, qu’avez-vous apporté de décisif au jazzman Laurent de Wilde ?

 Je ne sais pas bien. On se connaît tellement bien. C’est dingue. C’est parfois un peu flippant même… Mais on se surprend mutuellement, on se fait des croches-pattes, on se force mutuellement à aller là où on ne va pas naturellement, quand on est tout seul, ou que l’on joue dans un contexte plus habituel. Je crois qu’en fait, ce que je lui apporte, c’est de NE PAS UTILISER de recette, de toujours abandonner ses réflexes de musiciens, ces phrases ou idiomes grâce auxquels on reconnaît Laurent parmi mille pianistes, au profit de composantes musicales nouvelles. Je le force à prendre encore plus de risques plutôt que se cacher derrière des “Wilderies” trop évidentes à mon goût.

 

D’un autre côté, quelle est la chose la plus importante que Laurent vous a apprise, transmise ?

Composer et jouer avec lui m’apprend tant de choses sur moi même que je vais mettre la fin de ma vie de musicien à les trier et me les approprier. Je crois que la chose la plus marquante est la confiance en moi, en la musique que j’ai dans la tête, dans les veines, dans l’ADN. Il m’a aidé à construire mon identité sonore et musicale. Je me sens plus fort à ses côtés, plus sûr de moi et en plus c’est durable ! Une vraie psychanalyse …

 

Vous êtes tous les deux des improvisateurs. Qui est celui qui prend le plus de risques lors des concerts ?

Je crois qu’on fait jeu égal à ce niveau là. Il risque gros et moi aussi. Les deux éléments, piano et ordi, sont irremplaçables
: si l’un plante, l’autre est tout nu. Le plus grand risque, c’est le plantage d’ordi. Dans ce cas, le concert est interrompu. Ça nous est arrivé une ou deux fois déjà. Mais cela donne un côté humain à notre projet. Sur scène, j’ai une plus grande influence sur l’orientation stylistique des morceaux. Parce que, déjà, c’est en partie moi qui décide des formes, et que je peux donc les modifier sans le prévenir – ou par erreur… Je peux tout filtrer, ou stopper les rythmiques, et le laisser seul, phraser à sa guise. Je peux aussi transformer le son du piano de manière si surprenante qu’il ne pourra plus jouer de son instrument “normalement”, ce qui m’amuse beaucoup ! Nos rôles sont tellement imbriqués qu’il est impossible de nous dissocier lors de nos performances.

 

Qu’est-ce qui “restera” le plus à votre avis de votre travail avec Laurent : vos disques ou vos prestations scéniques ?

Alors là, quelle question… J’avoue que je ne sais pas. Restera t-il quelque chose ? D’un point de vue purement pragmatique, il restera ce qui a été “écrit” sur un support, c’est-à-dire les disques, cd et vinyle ! Mais j’ose espérer que les personnes qui nous auront “vus” sur scène s’en souviendront. Je dis “vus” volontairement, car grâce à Nico Ticot [le vidéaste du duo, NDR], nos concerts se voient ! Il s’écoutent bien sûr, mais la dimension la plus spectaculaire, à mon sens, c’est la scénographie. L’installation est simple mais le savoir-faire de Nico permet de rendre le concert très attractif pour un plus large public. Il permet de s’échapper de la musique à tout moment, et de se raccrocher à une histoire visuelle. Nico nous permet d’aller plus loin dans l’expérimentation, car si l’audience perd un peu le fil de la musique, elle est rattrapée par les images. Nico entend la musique, la connait, sait quand on est à l’aise ou quand on se court après, et il adapte ses projections non seulement en fonction de l’histoire et de l’esthétique du morceau, mais aussi en fonction de l’ambiance dans la salle. 

 

Ce que vous faites avec Laurent, pourriez-vous, aimeriez-vous le faire avec d’autres musiciens ? Et si oui, lesquels ?

Oui. Je joue avec d’autres personnes – heureusement d’ailleurs, on ne pourrait plus se supporter dans le cas contraire –, mais c’est avec Laurent que je développe le plus de “virtuosité” dans le domaine du traitement en temps réel et du sound design d’instrument acoustique. Je joue en duo et en quartette avec Loan, qui évolue dans un style Bass Music, et donc je reçois et remixe en direct des sources diverses telles que des machines (autre ordinateur), une voix et une batterie. On a d’ailleurs invité Laurent à plusieurs reprises au Fender Rhodes et aux synthés. J’ai aussi eu l’occasion de participer à un projet totalement hybride avec un chanteur de reggae, Winston Mc Anuff, et Guillaume Perret au saxophone, où le principe était le même : tous les musiciens du groupe sont branchés non pas sur la sono mais directement dans mes machines et je remixe le groupe, comme on peut remixer un artiste qu’on aime bien à la maison, sauf que moi, je le fais en direct. Là aussi, ce n’est pas un concept dont je suis l’inventeur, loin de là. C’est un principe qui vient de l’époque bénie du dub, où des artistes – ou producteurs, comme on les appelle – tels que Lee Scratch Perry – et plein d’autres… – prenaient les bandes d’un tube de reggae (n’importe quel morceau enregistré en studio sur bandes) et ré-interprétaient le morceau à leur manière, en coupant des parties, en insérant des effets de répétitions. Le résultat est troublant. Aujourd’hui c’est devenu une discipline assez répandue. Certains le font avec des sources sonores très singulières : un chef cuistot en train de couper des légumes, de faire fondre du beurre, puis sauter, touiller, déglacer… Cela donne des ambiances incroyables. Mon but ultime est moins la virtuosité de la performance que le résultat lui même : je tiens absolument à ne pas avoir à expliquer le processus pour que les gens apprécient, je souhaite faire de la musique, pas de la technique. C’est essentiel à mes yeux et on est parfaitement d’accord avec laurent sur ce point.

 

Photo : © Renand Baur

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Vous êtes, dit-on, l’un des pionniers du logiciel Ableton Live. En quelques mots, si possible : comment ça marche et à quoi cela sert-il ?

Alors, ce n’est pas tout à fait exact ! Je préfère corriger un peu le tir afin qu’on ne dise pas que je me la pète. Je suis arrivé dans l’aventure Ableton avec un peu de retard. Je me suis intéressé à ce logiciel lors de la sortie de sa version 4 (en général les concepteurs de logiciels sortent 1 nouvelle version tous les 12 ou 18 mois, quand ils ont corrigé ou amélioré la version précédente). Pour info, on en est à la version 9 aujourd’hui, et ce logiciel est sorti il y a douze ans environ. Ce qui est vrai c’est que j’ai été le premier Français à avoir passé la certification et à devenir certified trainer. Tous les éditeurs ont un programme de formation qui permet à des novices d’apprendre plus rapidement ou aux utilisateurs expérimentés de connaître les trucs et astuces, ou les fonctionnalités avancées, souvent cachées pour ne pas brouiller les pistes. En fait, il s’agit d’un logiciel de Musique Assistée par Ordinateur (MAO) qui possède deux visages distincts mais interactifs. La première interface ressemble à tous les autres logiciels MAO (Protools, Logic Pro, Cubase…) et permet simplement d’enregistrer des instruments acoustiques (via un micro et une carte son traditionnels) ou MIDI (synthétiseurs, samplers, etc.), et donc de composer et arranger ses morceaux de musique tel qu’on le fait en studio et/ou à la maison depuis les années 1990 de manière extrêmement courante (90% des disques comportent des parties enregistrées ou écrites dans un ordin

ateur). Il s’agit en quelque sorte d’une partition linéaire qui défile sur une timeline, c’est à dire avec un début et une fin. La particularité de Live, c’est sa deuxième interface qu’on appelle “Session”. Là, tout fout le camp… On ne travaille plus du tout comme on a l’habitude de le faire dans un logiciel courant. On a toujours la notion de piste (une piste de rythme, une de basse, une de piano…) mais maintenant on travaille de manière verticale et le temps absolu n’a plus d’importance. La “bande” ne défile plus… C’est nous qui déclenchons des parties musicales (qu’on peut appeler patterns ou boucles) en fonction de nos envies. C’est une manière beaucoup plus spontanée d’envisager la Musique Assistée par Ordinateur, puisque l’on peut changer de pattern comme bon nous semble, on peut mélanger les parties des différentes pistes de notre projet et ainsi faire varier à volonté l’arrangement du morceau. Ce qui est assez nouveau. Je vous épargne les détails mais on a la possibilité de transformer TRÈS facilement tous les sons que l’on enregistre et/ou que l’on importe dans nos projets. Il y a même la notion de “looper” qui existait depuis longtemps pour les guitaristes par exemple, mais dans le domaine de l’informatique musicale, c’est aussi un concept qui est très récent. Pour ma part, ce logiciel a changé ma vie de musicien électronique. Live permet même, grâce à un autre logiciel partenaire de fabriquer (informatiquement) des outils (de transformation sonore, des effets ou simplement des sources de sons) et de les utiliser immédiatement dans le projet. Ça a été – et c’est toujours – une VRAIE révolution dans l’industrie des Logiciels MAO. De nombreux concurrents intègrent aujourd’hui des fonctionnalités de Live. Il est aussi très intuitif et ludique. Mes fils de 13 et 6 ans se régalent avec ! Sans notion de solfège ou autre technique d’instrument, on peut très vite arriver à s’amuser, à produire de petites pièces de musique très intéressante.

J’utilise ce logiciel pour composer, arranger mais aussi jouer les morceaux sur scène, c’est un des seuls qui permette une interaction aussi spontanée avec le contenu sonore et musical numérique. Ce n’est évidemment pas le seul, mais il tient aujourd’hui un rôle majeur dans la production musicale électronique (ou pas d’ailleurs). Il m’arrive, quand pour des raisons particulière j’ai besoin de traitements assez “electro”, d’enregistrer et de mixer des albums de jazz, de rock et même de classique dans Live.

 

Otisto 23, quel étrange (sur)nom : d’où vient-il  et quelle est sa signification ?

J’en étais sûr… Il fallait que cette question tombe ! C’est plus une private joke qu’une vraie histoire intéressante. Mais allons y !

Pour le nombre 23 :

– c’est un nombre premier lui même composé de deux nombres premiers ;

– comme 13, le 23 est parfois considéré comme un nombre de la malchance ;

– un code signalant une coupure de ligne chez les télégraphes ; 

– le numéro atomique du vanadium, un métal de transition ;

– au début du XXe siècle, aux États-Unis, 23 signifiait en argot déguerpir, quitter un endroit (de l’expression 23 skiddoo, dont les origines sont en grande partie inconnues) ;

– le nombre sacré (avec 17 et 5) d’Eris, déesse de la discorde, selon le Principia Discordia ; c’est le nombre de l’Illuminati ;

– la Terre est inclinée sur son orbite d’un angle d’un peu plus de 23° par rapport au plan de l’écliptique ;

– le nombre de chromosomes dans une cellule humaine germinale ;

– le nombre d’Avogadro, mesurant en gros le rapport du monde microscopique (celui des atomes) au monde macroscopique, vaut à peu près 6.1023 ;

– pour les musulmans, le Coran fut révélé à Mahomet en 23 ans ;

– 23 est un nombre récurrent dans l’univers virtuel de Gorillaz ;

– 23 est le nombre de membres d’une même famille de Téhéran décédés à tout juste 52 ans, et dont le chromosome 12 serait porteur d’une mutation génétique rare aujourd’hui à l’étude.

– 2/3 = 0,667 rappelle le “chiffre du diable”.

Bref, tout un tas de raisons très ésotériques et personnelles…

 

Pour Otisto, c’est plus simple : ça ressemble à autiste en ital

ien TRÈS simplifié… Jour de l’an 2000, je devais jouer à minuit, à Bologne dans un squat, le Livello57, bien connu des teuffeurs. Je stresse à MORT ! C’est historiquement un de mes premiers gros live sets, tout seul, dans un lieu mythique. Jusqu’alors je m’appelle Freaks Friendly, l’Ami des Freaks, surnom qu’on donne aux monstres mais aussi aux gens de la teuf qui se comportent comme tel. Donc : l’ami des monstres. Bref, comme je stresse et que les musiciens ou DJ qui se trouvent avec moi sur le line up sont des gens que j’admire, je décide monter mon matériel dans une pièce isolée et de travailler toute la journée au casque. Quelqu’un entre violemment dans la pièce, il me cherchait visiblement depuis un long moment. Excédé, il m’interpelle en italien : « Eh ! L’autiste ! [autista.] Tu comptes monter ton matériel sur scène un de ces quat’ ?!? » En effet il était une heure du matin, je n’avais pas vu l’heure passer et je jouais comme ça, seul et pour moi même depuis plus de huit heures !!! Dès le lendemain je décidais de changer de nom et tous les copains m’ont surnommé Otisto, ça faisait plus masculin… Du coup, ça donne la possibilité à certains amis (ou détracteurs) de bien se marrer sur mon dos :

– O bistro 23 ;

– Obispo 23…

 

Les musiciens de la sphère électronique prennent souvent des pseudonymes. Pourquoi ?

J’avoue que je n’en ai AUCUNE IDÉE. Pour ma part, car je ne me considère pas comme le porte parole de la fédération internationale des DJ et liveurs electro, je dirais que c’est pour des raisons purement schizophréniques. Ça me permet de séparer de manière très marquée les différents personnages qui composent ma personnalité : Dominique POUTET c’est celui qui va faire ses courses, qui va s’inscrire à la sécu, qui prend une assurance pour sa voiture ou sa maison. Dume (souvent accompagné de DTC), c’est le copain, l’ami, le producteur, le réalisateur, celui qu’on appelle pour l’apéro ou lui demander s’il peut venir te chercher à la gare. Otisto23, c’est le musicien électronique, le compositeur, celui qui peut aussi danser jusqu’au matin devant un GROS SON et un DJ ou un Live comme RadioBOMB, Dual Snake, Pushy ! ou Loan…

 

Quels sont les cinq disques (tous styles confondus) qui vous ont le plus marqué ?

“Hors Not” de Pushy ! Incroyable compositeur/producteur. J’ai eu la chance de réaliser un album (“Epiderme Synthétique”, DTC Records). Ce disque qui doit dater du début des années 2000 a toujours le même impact sur moi. Il est magique, les deux d’ailleurs : l’album et le producteur. Une fois qu’il a posé un sample, qu’il l’a fait sonner comme il l’entend, IL NE FAUT RIEN TOUCHER !!!! Ou presque (c’est un mixeur qui vous parle), c’est  à dire que quelque soit la manière dont tu t’y prends pour essayer de faire sonner, ce sera toujours moins bien que ce qu’il t’a donné … Une leçon de puzzle … un Tetris musical, tu enlèves une brindille et TOUT s’écroule. Finalement une manière très moderne de composer et une sorte de rêve chez moi : composer et arranger sans avoir besoin de connaître une seule notion de théorie musicale. Le sampling dans sa plus simple expression pour un résultat d’une efficacité redoutable, d’une poésie rare et une identité musicale unique. On le reconnait à la première note. Bravo !

 

“October” et/ou “Boy” et/ou “War” de U2. Hé oui… Je sais, ça peut paraître bizarre pour quelqu’un qui a une image d’un dévoreur d’electro, mais c’est la vérité, ne riez pas ! En fait j’ai découvert U2 et la musique quasiment en même temps. Auparavant, j’entendais (je dis bien j’entendais et non j’écoutais) la musique qui passait là où je me trouvais : la voiture de mes parents, la télé, la radio, mais à la maison, quand j’étais gamin, la musique n’occupait pas une place importante, ni la télé, mes parents étaient concentrés sur notre éducation, leur boulot, et j’ai tiré mon aversion des médias de masse de mes parents. La musique j’en faisais au conservatoire et ça me gonflait assez comme ça… Mon père a gagné un lecteur CD en 1983 ou 1984 (c’est à dire quasiment au début) et je suis allé au magasin de disque de mon bled. Le gars m’a conseillé d’acheter “Boy” qui m’a terrassé, puis je suis devenu un peu fan en fait… J’écoutais au casque, en cachette, parce que je ne savais pas trop si j’avais le droit d’utiliser cet objet qui reposait au fond d’un placard de la salle de jeu… ç’a été le déclic, ensuite j’ai voulu devenir musicien, enfin plutôt une rock star ! Et ça ne m’a plus jamais quitté. En revanche, j’avoue que j’ai un peu lâché l’affaire avec U2, en découvrant le punk !

 

“Never Mind The Bollocks” des Sex Pistols . Yeah ! Qui n’est pas passé par là à l’adolescence ? Moi j’étais un “adoléchiant”, je n’avais QUE ce mot là à la bouche : M.U.S.I.Q.U.E. Je dirais que c’est plus pour le côté rebelle et contestataire, que réellement pour la qualité de la musique… Mais cette débauche d’énergie, ce contraste avec la rigueur de mon apprentissage au conservatoire, et malgré tout le fait que ça avait fonctionné, en dépit du jemenfoutisme apparent, ça roulait… Je ne sais franchement pas si aucun des membres de ce groupe mythique avait déjà fait de la musique avant l’enregistrement de ce disque, mais ça claquait ! Et puis il y a quand même deux tubes énormes : God Save The Queen et Anarchy In The U.K.… Ah, il était balaise ce Malcolm McLaren, un génie du management d’artiste.

 

“Kind Of Blue” de Miles Davis. Tu connais ? Hé hé… C’est à travers ce disque que j’ai découvert le jazz. Y a pire comme porte d’entrée. Je l’écoutais en boucle, je m’en souviens comme si c’était hier … D’abord le son ! Super vast

e, profond, doux, mat mais pas sourd… De l’espace et on entend les instruments comme si on est à côté des musiciens, et puis le casting, laisse tomber. Mais ça, je n’en prendrai connaissance que bien plus tard. L’approche modale aussi, c’était tout nouveau pour moi, je n’y comprenais rien, mais je sentais une puissance, une maîtrise ainsi qu’une liberté qui m’impressionnaient beaucoup. Je n’avais aucune idée de la manière dont on pouvait se libérer des partitions à ce point, en fait je croyais que c’était écrit, comme une œuvre classique. Je n’avais aucune notion d’improvisation d’ailleurs. Bref ça a été une vraie révélation. En fait l’effet que ça m’a fait été assez proche de celui que j’ai ressenti en écoutant les Sex Pistols. Ça paraît étrange ? Hé bien pas pour moi. Ça faisait tomber tous les codes que j’étais en train d’apprendre, non sans peine, au conservatoire. Je commençais alors à sentir qu’il fallait que je finisse au plus vite mon cursus classique et que je désapprenne tout ça, trouvant un professeur qui saurait m’expliquer ce qu’est un accord, une grille (suite d’accord composant un morceau de musique) et surtout comment se promener sur cette grille et raconter sa propre histoire ! Toute une vie.

 

“Now He Sings, Now He Sobs” de Chick Corea. Là, je n’ai pas honte de le dire, j’ai compris qu’il fallait que je trouve mon instrument, que je me serve de toutes mes années d’études musicales comme un tremplin et un outil mais que le piano c’était fini. Certaines personnes savent se servir de cet objet d’une manière tellement magistrale et dont la technique dépasse de si loin mon entendement qu’il était inutile à mes yeux et pour ma petite personne, ne serait-ce que d’essayer de s’en approcher. Je suivais des cours à l’IMFP, une école de musique plutôt orientée jazz, dirigée par Michel Barot (trompettiste), j’avais de super Professeurs (Ivan Julien en composition, Michel Zenino en impro, Olivier Hutman et Jean-Sébastien Simonoviez en classe de piano) et petit à petit, grâce à eux et à de grands pianistes que j’admirais, que bien qu’étant réellement habité par la musique et des ambitions clairement affichées, je me rendais compte (non sans une bonne couche de regrets tout de même, mais avec une envie et une faim sans limite) que je devais trouver ma voie, mon instrument, une manière personnelle de vivre et de livrer la musique.


En tant que producteur, ingénieur du son et réalisateur, avez-vous des modèles, des influences ? Aussi bien dans le domaine du jazz, du rock ou des musiques électroniques…

J’imagine que oui, dire que non serait tellement prétentieux ! Mais d’après moi, cela se fait de manière totalement spontanée, ou plutôt irréfléchie. J’ai un son dans l’oreille et il vient très certainement de ma culture, de toutes ces musiques qui m’ont fait grandir, avec lesquelles j’ai évolué, qui m’ont fait vibrer, pleurer, danser… Je fais partie de ceux qui pensent qu’on n’invente rien. Que tout est en nous, ou dans l’air (partout, omniprésent) et que nous attrapons les idées, les couleurs, mais que ça ne nous appartient pas. On est le résultat de l’ensemble de nos expériences. Je suis incapable, par exemple de me dire : « Tiens, je vais composer un morceau à la Thom Yorke, Herbie Hancock ou encore à la Quincy Jones. » Mais en revanche, ce son là est stocké quelque part et la maîtrise des outils, avec lesquels je fais ou produis de la musique, permet de piocher, sans y réfléchir consciemment et d’atteindre le résultat qui conviendra à la fois à ma sensibilité et à celle de l’artiste dont je réalise le disque. Je pense aussi très sincèrement qu’imiter (et non plagier) un producteur ou un artiste est un exercice excellent quand on démarre le métier de réalisateur, car cela oblige à avoir une écoute analytique, pragmatique de la musique. On ne peux pas composer, arranger ou produire “mieux” que celui qui l’a fait pour la première fois, mais on peut tout à fait, et c’est très utile pour développer sa propre personnalité musicale essayer de décoder la logique de l’arrangement (ex : harmonie, types d’instruments utilisés, découpage rythmique,) et de la production phonographique (ex : mode de prise de son ou d’enregistrement, de mixage, les effets, les couleurs de sons). C’est une technique que je conseille souvent aux réalisateurs en devenir, car il est de plus en plus difficile aujourd’hui pour un jeune qui démarre dans le métier, de trouver un mentor qui nous donne ses hints, tricks and tips. C’était encore le cas quand j’ai démarré, j’ai assisté un réalisateur, compositeur, arrangeur très demandé et ça m’a permis d’observer non seulement comment lui bossait, mais aussi tous les collaborateurs à qui il faisait appel tout au long du processus de production. C’est un peu regrettable, bien qu’il y ait aussi des avantages à cette carence. C’est pour cette raison que je ne refuse jamais, je suis même flatté, lorsqu’un jeune qui sort d’une école de son ou plus simplement dont je sens qu’il est animé de cette envie de servir la musique, vient me voir et me demande de faire un stage. C’est la meilleure manière d’apprendre, je le mets donc au boulot IMMEDIATEMENT ! Mais les impératifs de la société d’aujourd’hui, la vitesse à laquelle on dévore la musique, les enjeux financiers personnels font qu’on a de moins en moins de temps à consacrer à la passation de savoir, l’isolement que procure l’ordinateur aussi est un obstacle et pas des moindres. Je ne me plaint pas, je déteste les « c’était mieux avant », mais je mentirais si je disais le contraire. C’est pour cette raison et quasiment uniquement que j’aime tant collaborer avec des musiciens ou des réalisateurs de tous horizons. Et quand on a trouvé un compère comme Laurent, je vous promet qu’on n’a pas le temps de réfléchir et d’appliquer des recettes, mais que c’est le cœur qui parle, riche de toutes les expériences passées, des influences et des modèles inconscients.

Téléconnexion : Frédéric Goaty

 

CD Laurent de Wilde / Otisto 23 : “Fly Superfly” (Gazebo, Choc Jazz Magazine Jazzman).

Concerts Le 28 novembre à Paris (New Morning), le 29 à Lyon (Le Périscope), le 16 décembre à Meylan (L’Hexagone). 

Net otisto23.com, laurentdewilde.com.


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#spécialbonus

La biographie autorisée de Dominique Poutet alias Dume alias Otisto 23

Otisto 23, connu également sous le nom de Dominique Poutet aka Dume, est né à Cannes en 1974 . Elève doué du Conservatoire de Draguignan en classe de piano, il débute dès ses quinze ans une carrière d’accompagnateur de variétés pour des artistes tels que Jean-Luc Lahaye ou Rachid Bahri. (C’est de cette époque que date une longue amitié avec The Cure qu’il finira par sonoriser lors de leurs venues en France et accompagner parfois au clavier) Néanmoins attiré vers d’autres univers musicaux, il s’inscrit à l’institut musical de Michel Barro à  Salon de Provence en parallèle de la classe jazz du conservatoire d’Aix pour y développer sa pratique du jazz, puis commence à s’intéresser au son et, au cours des années 90, produit en tant qu’ingénieur et réalisateur un grand nombre d’albums pour des artistes tels que Eric Bibb, Fred Wesley, Lunatic Asylum, Dixie Frog ou Interlope.

C’est aussi à cette époque qu’il participe à l’aventure extraordinaire du cirque Footsbarn dont il enregistre le disque et pour qui il produit des bandes à jouer en temps réel – c’est à la lumière de cette expérience qu’il réalise qu’une expression artistique non conventionnelle peut rencontrer un grand succès public – il travaillera par la suite avec leur manager Malcom McLaren pour qui il réalisera la musique de plusieurs de ses émissions, The biology of Machines.

Sa rencontre avec Gaël Horellou et Jeremie Picard  lui permet d’intégrer le groupe Cosmik Connection et achèvera d’aiguiser sa curiosité pour le monde de la musique électronique. Il entame les années 2000 avec une créativité redoublée : acteur incontournable des rave-parties en Europe et en Inde où il séjourne régulièrement, il fonde en 2002 le label DTC produisant de nombreux artistes de la scène underground, ainsi que le label Arambol Experience en écho à ses rencontres musicales indiennes. Il tient également durant deux ans la console de mixage au tout jeune Batofar qui ne tardera pas à devenir à devenir à Paris le point de référence de la musique électronique et expérimentale.

Véritable pionnier du logiciel Ableton Live dont il est le premier français à obtenir la certification, il met ses connaissances en pratique dès 2006 dans sa collaboration avec Laurent de Wilde dont il traite les sons de piano en temps réel, ouvrant la voie à une longue collaboration scénique et discographique dont le troisième enregistrement, “Fly Superfly”, vient de paraître. C’est également lui qui réalisera l’enregistrement tous les disques acoustiques et électroniques de Laurent de Wilde depuis 2004. Toujours producteur, Otisto 23 mixe et réalise de nombreux disques dont l’un des derniers a révélé le saxophoniste Guillaume Perret au grand public.


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Comme promis, lisez la suite et découvrez la version “extended” de l’entretien passionnant qu’Otisto 23 nous a accordé (Jazz Magazine Jazzman n° 667), tandis que vient de paraître “Fly Superfly” (Gazebo), l’opus III de ses aventures en duo avec Laurent de Wilde.


 

© Renaud Baur






Photo : © Renand Baur


Comment avez-vous rencontré Laurent de Wilde ?

On est en 1997, je travaille depuis peu comme ingénieur du son et réalisateur avec un groupe de jazzmen barjots et atypiques, Cosmik Connexion, issus du collectif MU, basé à Macon au fameux Crescent, un club, ou plutôt un laboratoire où passaient un grand nombre de musiciens nationaux mais aussi de grandes pointures internationales. Ce duo composé de Gaël Horellou (saxophone alto et machines) et Philippe “Pipon” Garcia (batterie et machines) venait d’intégrer un DJ et chanteur du nom de JahBass (Jérémie Picard). S’est alors profilée l’envie de créer un projet de big band un peu décalé. Il avait pour noyau dur le trio Cosmik Connexion, moi même à la direction artistique, et un nombre important de musiciens de tous horizons, dont Laurent de Wilde. Je le connaissais de nom, puisqu’il commençait de son côté à composer pour son projet “Time For Change”, métissage électro acoustique qu’on appellera plus tard “electro jazz”, une appellation qui nous colle à la peau mais qui dans ses grandes tendances ne correspond pas du tout aux contenus que l’on propose depuis cette époque, avec ou sans Laurent. Je suis tombé littéralement sous le charme de ce pianiste. Il n’a pas froid aux yeux, il n’étale pas sa culture et ressemble plus à l’idée que je me faisais des musiciens de jazz des années 1940/1960 que j’admirais tant : la fête, la danse, la transe, le partage, les clubs… Il ne correspondait pas au cliché du musicien “intello” ou autres qualificatifs que le public utilise – souvent à raison – pour qualifier le jazz ou les jazzmen. J’ai beaucoup apprécié sa simplicité, ses réflexions quant au contenu musical et le fait qu’il accepte de se  mettre en danger pour explorer de nouveaux horizons musicaux, ce qui est extrêmement rare pour un artiste déjà bien installé et soucieux de son image.

 

Dans votre vie de musicien, on imagine qu’il y a un avant et un après votre duo avec Laurent de Wilde. Y a-t-il d’autres collaborations qui vous ont autant marqué ?

Il y a forcément un avant et un après, le temps file pour tout le monde. Mais je vois plutôt ça comme une continuité dans mes recherches. Dans nos recherches. Quelque soit le rôle que l’on rempli dans la musique – compositeur, producteur, ingénieur du son, musicien… –, on apprend toujours, si toutefois on désire progresser. C’est mon cas, car je pars de TRÈS TRÈS loin… J’ai étudié le piano comme beaucoup d’enfants dont les parents sont soucieux de la culture générale, puis la composition et la direction d’orchestre dans un cursus classique. Puis j’ai voulu “monter à Paris”, après avoir fait mes armes dans diverses formations de bal dans ma région, en Provence. J’ai arpenté les fêtes de villages et autres mariages dès mes 13 ans, un accordéon entre les bras ou bien assis derrière un synthé. J’ai donc peaufiné en parallèle ma formation de pianiste en suivant les cours de personnes qui m’ont beaucoup marquées (Yvan Julien, Michel Zénino, Jean Sébastien Simonoviez, Olivier Hutman…) et lorsque j’arrive à Paris, je me rends compte que le niveau est beaucoup plus élevé que ce que je pensais. Je me croyais armé, taillé pour le rôle de pianiste et jazz ou de variétés, et là c’est la grosse claque… En fait, je suis un novice, un jeune musicien en devenir. C’est donc l’ensemble des rencontres que j’ai pu faire ou des collaborations qui m’ont été proposées qui m’ont permis de devenir le musicien que je suis devenu. Mais il a fallu prendre une décision extrêmement difficile : trouver mon instrument. Et c’est évidemment en travaillant avec des pianistes comme Laurent ou en participant à des masterclasses avec des musiciens de ce calibre que je me suis rendu compte que je n’étais pas à la hauteur de mes aspirations. Je savais que j’étais un musicien, que ma vie était au service de la musique, mais pas derrière un piano. Ailleurs… Donc OUI, il y a un avant et un après, en tout cas à ce niveau là, car j’ai trouvé ma voie, j’ai fabriqué mon instrument, l’ordinateur, grâce à ces rencontres ou collaborations. Et tout d’abord un producteur :

– Christian Ferrantini, qui m’a donné confiance en mes capacités à fixer sur bande les compositions des autres et de faire du développement de carrière pour des artistes ;

– Jean-Alain Roussel, qui a révélé les velléités d’arrangeur et de réalisateur que j’exploite depuis. 

– Gaël Horellou, de qui j’apprends toujours beaucoup pour ce qui est de la musique “classique” ;

– 69dB, qui pour la première fois m’a permis de comprendre les méandres de la musique électronique, c’est à dire non produite par un instrument traditionnel ;

– Interlope avec Rimshot, un duo de musique dite drum & bass ;

– Radio Bomb, un grand monsieur du break core ;

– la collaboration avec Laurent de Wilde évidemment, qui me pousse toujours vers le haut ;

– une artiste du nom de Loan (IOT Records), avec laquelle je joue régulièrement dans le cadre de projets aussi divers qu’enrichissants : danse hip hop et contemporaine, bass music et hip hop anglais ; (Loan est par ailleurs devenue ma femme.)

– ainsi que beaucoup d’autres rencontres que j’ai faites lorsque je voyageais beaucoup en Inde et dans la région de Goa, car c’était un point névralgique de la musique électronique dite de Transe, ainsi que durant mon expérience d’ingénieur du son résident au tout début du BATOFAR.

 

Quand on vous voit sur scène jouer aux côtés de Laurent de Wilde, comme immergé dans les projections vidéo, le mystère reste sinon entier, du moins grand. Comment définiriez-vous précisément votre rôle ?

Il évolue avec le temps. Tout d’abord, il est vrai que le mystère fait aussi partie de ce duo qui en fait est un vrai trio. Nous ne sommes que deux musiciens mais le troisième larron, Nicolas XLR Ticot, et plus largement la scénographie et donc la vidéo sont essentiels dans ce projet. Sans ça, nous serions forcés de nous y prendre très différemment. Nous avons commencé par poser des règles très strictes à la construction (je pourrais dire composition, mais construction est très bien adapté à notre cas) de notre répertoire : il fallait créer les sons que nous allions utiliser dans la composition  avec comme base le piano de Laurent, puis créer le matériel musical (boucles rythmiques, accompagnements, gimmicks et mélodies) pour poser le paysage et le canevas sur lequel chacun de nous deux allions apporter notre touche, nos improvisations. Mais tout ça doit paraître naturel, Nous détestons, et je crois que c’est le cas pour beaucoup d’artistes, expliquer le concept pour que le public puisse apprécier le contenu. Ce n’est pas le but. Nous avons donc eu l’idée d’y intégrer la vidéo et, au début de ce projet, un cadreur filmait sur scène, en temps réel, tout le processus de fabrication de chaque morceau, puis une fois tous les éléments enregistrés, nous partions dans la performance de notre musique et des improvisations. Petit à petit nous devenions de plus en plus agiles et rapides à enregistrer ces éléments de composition et d’arrangements et, de fait, le montrer au public devenait futile, voir un peu lourdingue. On a donc supprimé cet aspect là et Nico raconte au public l’histoire et pause l’ambiance du morceau pendant les intros, pendant que nous fabriquons le matériel. Il fait “passer la pilule” en quelque sorte.

Aujourd’hui, pour le troisième Album de ce projet, “Fly Superfly”’, nous avons décidé de conserver l’exclusivité des sons de piano pour la fabrication de TOUS les éléments des morceaux de notre répertoire, mais nous les avons fabriqués en studio. Nous avons remarqué que ce n’était pas un aspect essentiel pour le public. Le côté “performance” n’a qu’une portée limitée sur l’intérêt du contenu que l’on propose. Nous sommes intransigeants sur le fait que nous faisons de la musique, avant tout. L’aspect technologique n’est pour nous qu’un outil. Il ne doit en aucun cas prendre le pas ou alourdir le but ultime : raconter une histoire, faire voyager l’audience ainsi que nous amener dans des recoins de nos disciplines que nous n’avons pas encore explorés. Nous reproduirons donc les sons enregistrés en studio tout en ajoutant aux morceaux de nouveaux éléments, improvisés à chaque concert en plus des longues plages d’improvisation que nous souhaitons nous octroyer. Le tout évidemment uniquement composé de sons de piano et ce, afin d’être encore plus libres qu’avant ! Nous souhaitons conserver une part de mystère, pas de mensonge ni de cachotterie mais être dissimulés derrière ce tulle, rempli des projections de Nico nous permet de faire tomber la timidité dont un musicien est souvent victime et de nous sentir plus libres, moins pudiques comme si l’on n’était que tous les deux dans le studio de répétition et de TOUT donner, de TOUT oser surtout, sans tabou.

 

À votre avis, qu’avez-vous apporté de décisif au jazzman Laurent de Wilde ?

 Je ne sais pas bien. On se connaît tellement bien. C’est dingue. C’est parfois un peu flippant même… Mais on se surprend mutuellement, on se fait des croches-pattes, on se force mutuellement à aller là où on ne va pas naturellement, quand on est tout seul, ou que l’on joue dans un contexte plus habituel. Je crois qu’en fait, ce que je lui apporte, c’est de NE PAS UTILISER de recette, de toujours abandonner ses réflexes de musiciens, ces phrases ou idiomes grâce auxquels on reconnaît Laurent parmi mille pianistes, au profit de composantes musicales nouvelles. Je le force à prendre encore plus de risques plutôt que se cacher derrière des “Wilderies” trop évidentes à mon goût.

 

D’un autre côté, quelle est la chose la plus importante que Laurent vous a apprise, transmise ?

Composer et jouer avec lui m’apprend tant de choses sur moi même que je vais mettre la fin de ma vie de musicien à les trier et me les approprier. Je crois que la chose la plus marquante est la confiance en moi, en la musique que j’ai dans la tête, dans les veines, dans l’ADN. Il m’a aidé à construire mon identité sonore et musicale. Je me sens plus fort à ses côtés, plus sûr de moi et en plus c’est durable ! Une vraie psychanalyse …

 

Vous êtes tous les deux des improvisateurs. Qui est celui qui prend le plus de risques lors des concerts ?

Je crois qu’on fait jeu égal à ce niveau là. Il risque gros et moi aussi. Les deux éléments, piano et ordi, sont irremplaçables
: si l’un plante, l’autre est tout nu. Le plus grand risque, c’est le plantage d’ordi. Dans ce cas, le concert est interrompu. Ça nous est arrivé une ou deux fois déjà. Mais cela donne un côté humain à notre projet. Sur scène, j’ai une plus grande influence sur l’orientation stylistique des morceaux. Parce que, déjà, c’est en partie moi qui décide des formes, et que je peux donc les modifier sans le prévenir – ou par erreur… Je peux tout filtrer, ou stopper les rythmiques, et le laisser seul, phraser à sa guise. Je peux aussi transformer le son du piano de manière si surprenante qu’il ne pourra plus jouer de son instrument “normalement”, ce qui m’amuse beaucoup ! Nos rôles sont tellement imbriqués qu’il est impossible de nous dissocier lors de nos performances.

 

Qu’est-ce qui “restera” le plus à votre avis de votre travail avec Laurent : vos disques ou vos prestations scéniques ?

Alors là, quelle question… J’avoue que je ne sais pas. Restera t-il quelque chose ? D’un point de vue purement pragmatique, il restera ce qui a été “écrit” sur un support, c’est-à-dire les disques, cd et vinyle ! Mais j’ose espérer que les personnes qui nous auront “vus” sur scène s’en souviendront. Je dis “vus” volontairement, car grâce à Nico Ticot [le vidéaste du duo, NDR], nos concerts se voient ! Il s’écoutent bien sûr, mais la dimension la plus spectaculaire, à mon sens, c’est la scénographie. L’installation est simple mais le savoir-faire de Nico permet de rendre le concert très attractif pour un plus large public. Il permet de s’échapper de la musique à tout moment, et de se raccrocher à une histoire visuelle. Nico nous permet d’aller plus loin dans l’expérimentation, car si l’audience perd un peu le fil de la musique, elle est rattrapée par les images. Nico entend la musique, la connait, sait quand on est à l’aise ou quand on se court après, et il adapte ses projections non seulement en fonction de l’histoire et de l’esthétique du morceau, mais aussi en fonction de l’ambiance dans la salle. 

 

Ce que vous faites avec Laurent, pourriez-vous, aimeriez-vous le faire avec d’autres musiciens ? Et si oui, lesquels ?

Oui. Je joue avec d’autres personnes – heureusement d’ailleurs, on ne pourrait plus se supporter dans le cas contraire –, mais c’est avec Laurent que je développe le plus de “virtuosité” dans le domaine du traitement en temps réel et du sound design d’instrument acoustique. Je joue en duo et en quartette avec Loan, qui évolue dans un style Bass Music, et donc je reçois et remixe en direct des sources diverses telles que des machines (autre ordinateur), une voix et une batterie. On a d’ailleurs invité Laurent à plusieurs reprises au Fender Rhodes et aux synthés. J’ai aussi eu l’occasion de participer à un projet totalement hybride avec un chanteur de reggae, Winston Mc Anuff, et Guillaume Perret au saxophone, où le principe était le même : tous les musiciens du groupe sont branchés non pas sur la sono mais directement dans mes machines et je remixe le groupe, comme on peut remixer un artiste qu’on aime bien à la maison, sauf que moi, je le fais en direct. Là aussi, ce n’est pas un concept dont je suis l’inventeur, loin de là. C’est un principe qui vient de l’époque bénie du dub, où des artistes – ou producteurs, comme on les appelle – tels que Lee Scratch Perry – et plein d’autres… – prenaient les bandes d’un tube de reggae (n’importe quel morceau enregistré en studio sur bandes) et ré-interprétaient le morceau à leur manière, en coupant des parties, en insérant des effets de répétitions. Le résultat est troublant. Aujourd’hui c’est devenu une discipline assez répandue. Certains le font avec des sources sonores très singulières : un chef cuistot en train de couper des légumes, de faire fondre du beurre, puis sauter, touiller, déglacer… Cela donne des ambiances incroyables. Mon but ultime est moins la virtuosité de la performance que le résultat lui même : je tiens absolument à ne pas avoir à expliquer le processus pour que les gens apprécient, je souhaite faire de la musique, pas de la technique. C’est essentiel à mes yeux et on est parfaitement d’accord avec laurent sur ce point.

 

Photo : © Renand Baur

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Vous êtes, dit-on, l’un des pionniers du logiciel Ableton Live. En quelques mots, si possible : comment ça marche et à quoi cela sert-il ?

Alors, ce n’est pas tout à fait exact ! Je préfère corriger un peu le tir afin qu’on ne dise pas que je me la pète. Je suis arrivé dans l’aventure Ableton avec un peu de retard. Je me suis intéressé à ce logiciel lors de la sortie de sa version 4 (en général les concepteurs de logiciels sortent 1 nouvelle version tous les 12 ou 18 mois, quand ils ont corrigé ou amélioré la version précédente). Pour info, on en est à la version 9 aujourd’hui, et ce logiciel est sorti il y a douze ans environ. Ce qui est vrai c’est que j’ai été le premier Français à avoir passé la certification et à devenir certified trainer. Tous les éditeurs ont un programme de formation qui permet à des novices d’apprendre plus rapidement ou aux utilisateurs expérimentés de connaître les trucs et astuces, ou les fonctionnalités avancées, souvent cachées pour ne pas brouiller les pistes. En fait, il s’agit d’un logiciel de Musique Assistée par Ordinateur (MAO) qui possède deux visages distincts mais interactifs. La première interface ressemble à tous les autres logiciels MAO (Protools, Logic Pro, Cubase…) et permet simplement d’enregistrer des instruments acoustiques (via un micro et une carte son traditionnels) ou MIDI (synthétiseurs, samplers, etc.), et donc de composer et arranger ses morceaux de musique tel qu’on le fait en studio et/ou à la maison depuis les années 1990 de manière extrêmement courante (90% des disques comportent des parties enregistrées ou écrites dans un ordin

ateur). Il s’agit en quelque sorte d’une partition linéaire qui défile sur une timeline, c’est à dire avec un début et une fin. La particularité de Live, c’est sa deuxième interface qu’on appelle “Session”. Là, tout fout le camp… On ne travaille plus du tout comme on a l’habitude de le faire dans un logiciel courant. On a toujours la notion de piste (une piste de rythme, une de basse, une de piano…) mais maintenant on travaille de manière verticale et le temps absolu n’a plus d’importance. La “bande” ne défile plus… C’est nous qui déclenchons des parties musicales (qu’on peut appeler patterns ou boucles) en fonction de nos envies. C’est une manière beaucoup plus spontanée d’envisager la Musique Assistée par Ordinateur, puisque l’on peut changer de pattern comme bon nous semble, on peut mélanger les parties des différentes pistes de notre projet et ainsi faire varier à volonté l’arrangement du morceau. Ce qui est assez nouveau. Je vous épargne les détails mais on a la possibilité de transformer TRÈS facilement tous les sons que l’on enregistre et/ou que l’on importe dans nos projets. Il y a même la notion de “looper” qui existait depuis longtemps pour les guitaristes par exemple, mais dans le domaine de l’informatique musicale, c’est aussi un concept qui est très récent. Pour ma part, ce logiciel a changé ma vie de musicien électronique. Live permet même, grâce à un autre logiciel partenaire de fabriquer (informatiquement) des outils (de transformation sonore, des effets ou simplement des sources de sons) et de les utiliser immédiatement dans le projet. Ça a été – et c’est toujours – une VRAIE révolution dans l’industrie des Logiciels MAO. De nombreux concurrents intègrent aujourd’hui des fonctionnalités de Live. Il est aussi très intuitif et ludique. Mes fils de 13 et 6 ans se régalent avec ! Sans notion de solfège ou autre technique d’instrument, on peut très vite arriver à s’amuser, à produire de petites pièces de musique très intéressante.

J’utilise ce logiciel pour composer, arranger mais aussi jouer les morceaux sur scène, c’est un des seuls qui permette une interaction aussi spontanée avec le contenu sonore et musical numérique. Ce n’est évidemment pas le seul, mais il tient aujourd’hui un rôle majeur dans la production musicale électronique (ou pas d’ailleurs). Il m’arrive, quand pour des raisons particulière j’ai besoin de traitements assez “electro”, d’enregistrer et de mixer des albums de jazz, de rock et même de classique dans Live.

 

Otisto 23, quel étrange (sur)nom : d’où vient-il  et quelle est sa signification ?

J’en étais sûr… Il fallait que cette question tombe ! C’est plus une private joke qu’une vraie histoire intéressante. Mais allons y !

Pour le nombre 23 :

– c’est un nombre premier lui même composé de deux nombres premiers ;

– comme 13, le 23 est parfois considéré comme un nombre de la malchance ;

– un code signalant une coupure de ligne chez les télégraphes ; 

– le numéro atomique du vanadium, un métal de transition ;

– au début du XXe siècle, aux États-Unis, 23 signifiait en argot déguerpir, quitter un endroit (de l’expression 23 skiddoo, dont les origines sont en grande partie inconnues) ;

– le nombre sacré (avec 17 et 5) d’Eris, déesse de la discorde, selon le Principia Discordia ; c’est le nombre de l’Illuminati ;

– la Terre est inclinée sur son orbite d’un angle d’un peu plus de 23° par rapport au plan de l’écliptique ;

– le nombre de chromosomes dans une cellule humaine germinale ;

– le nombre d’Avogadro, mesurant en gros le rapport du monde microscopique (celui des atomes) au monde macroscopique, vaut à peu près 6.1023 ;

– pour les musulmans, le Coran fut révélé à Mahomet en 23 ans ;

– 23 est un nombre récurrent dans l’univers virtuel de Gorillaz ;

– 23 est le nombre de membres d’une même famille de Téhéran décédés à tout juste 52 ans, et dont le chromosome 12 serait porteur d’une mutation génétique rare aujourd’hui à l’étude.

– 2/3 = 0,667 rappelle le “chiffre du diable”.

Bref, tout un tas de raisons très ésotériques et personnelles…

 

Pour Otisto, c’est plus simple : ça ressemble à autiste en ital

ien TRÈS simplifié… Jour de l’an 2000, je devais jouer à minuit, à Bologne dans un squat, le Livello57, bien connu des teuffeurs. Je stresse à MORT ! C’est historiquement un de mes premiers gros live sets, tout seul, dans un lieu mythique. Jusqu’alors je m’appelle Freaks Friendly, l’Ami des Freaks, surnom qu’on donne aux monstres mais aussi aux gens de la teuf qui se comportent comme tel. Donc : l’ami des monstres. Bref, comme je stresse et que les musiciens ou DJ qui se trouvent avec moi sur le line up sont des gens que j’admire, je décide monter mon matériel dans une pièce isolée et de travailler toute la journée au casque. Quelqu’un entre violemment dans la pièce, il me cherchait visiblement depuis un long moment. Excédé, il m’interpelle en italien : « Eh ! L’autiste ! [autista.] Tu comptes monter ton matériel sur scène un de ces quat’ ?!? » En effet il était une heure du matin, je n’avais pas vu l’heure passer et je jouais comme ça, seul et pour moi même depuis plus de huit heures !!! Dès le lendemain je décidais de changer de nom et tous les copains m’ont surnommé Otisto, ça faisait plus masculin… Du coup, ça donne la possibilité à certains amis (ou détracteurs) de bien se marrer sur mon dos :

– O bistro 23 ;

– Obispo 23…

 

Les musiciens de la sphère électronique prennent souvent des pseudonymes. Pourquoi ?

J’avoue que je n’en ai AUCUNE IDÉE. Pour ma part, car je ne me considère pas comme le porte parole de la fédération internationale des DJ et liveurs electro, je dirais que c’est pour des raisons purement schizophréniques. Ça me permet de séparer de manière très marquée les différents personnages qui composent ma personnalité : Dominique POUTET c’est celui qui va faire ses courses, qui va s’inscrire à la sécu, qui prend une assurance pour sa voiture ou sa maison. Dume (souvent accompagné de DTC), c’est le copain, l’ami, le producteur, le réalisateur, celui qu’on appelle pour l’apéro ou lui demander s’il peut venir te chercher à la gare. Otisto23, c’est le musicien électronique, le compositeur, celui qui peut aussi danser jusqu’au matin devant un GROS SON et un DJ ou un Live comme RadioBOMB, Dual Snake, Pushy ! ou Loan…

 

Quels sont les cinq disques (tous styles confondus) qui vous ont le plus marqué ?

“Hors Not” de Pushy ! Incroyable compositeur/producteur. J’ai eu la chance de réaliser un album (“Epiderme Synthétique”, DTC Records). Ce disque qui doit dater du début des années 2000 a toujours le même impact sur moi. Il est magique, les deux d’ailleurs : l’album et le producteur. Une fois qu’il a posé un sample, qu’il l’a fait sonner comme il l’entend, IL NE FAUT RIEN TOUCHER !!!! Ou presque (c’est un mixeur qui vous parle), c’est  à dire que quelque soit la manière dont tu t’y prends pour essayer de faire sonner, ce sera toujours moins bien que ce qu’il t’a donné … Une leçon de puzzle … un Tetris musical, tu enlèves une brindille et TOUT s’écroule. Finalement une manière très moderne de composer et une sorte de rêve chez moi : composer et arranger sans avoir besoin de connaître une seule notion de théorie musicale. Le sampling dans sa plus simple expression pour un résultat d’une efficacité redoutable, d’une poésie rare et une identité musicale unique. On le reconnait à la première note. Bravo !

 

“October” et/ou “Boy” et/ou “War” de U2. Hé oui… Je sais, ça peut paraître bizarre pour quelqu’un qui a une image d’un dévoreur d’electro, mais c’est la vérité, ne riez pas ! En fait j’ai découvert U2 et la musique quasiment en même temps. Auparavant, j’entendais (je dis bien j’entendais et non j’écoutais) la musique qui passait là où je me trouvais : la voiture de mes parents, la télé, la radio, mais à la maison, quand j’étais gamin, la musique n’occupait pas une place importante, ni la télé, mes parents étaient concentrés sur notre éducation, leur boulot, et j’ai tiré mon aversion des médias de masse de mes parents. La musique j’en faisais au conservatoire et ça me gonflait assez comme ça… Mon père a gagné un lecteur CD en 1983 ou 1984 (c’est à dire quasiment au début) et je suis allé au magasin de disque de mon bled. Le gars m’a conseillé d’acheter “Boy” qui m’a terrassé, puis je suis devenu un peu fan en fait… J’écoutais au casque, en cachette, parce que je ne savais pas trop si j’avais le droit d’utiliser cet objet qui reposait au fond d’un placard de la salle de jeu… ç’a été le déclic, ensuite j’ai voulu devenir musicien, enfin plutôt une rock star ! Et ça ne m’a plus jamais quitté. En revanche, j’avoue que j’ai un peu lâché l’affaire avec U2, en découvrant le punk !

 

“Never Mind The Bollocks” des Sex Pistols . Yeah ! Qui n’est pas passé par là à l’adolescence ? Moi j’étais un “adoléchiant”, je n’avais QUE ce mot là à la bouche : M.U.S.I.Q.U.E. Je dirais que c’est plus pour le côté rebelle et contestataire, que réellement pour la qualité de la musique… Mais cette débauche d’énergie, ce contraste avec la rigueur de mon apprentissage au conservatoire, et malgré tout le fait que ça avait fonctionné, en dépit du jemenfoutisme apparent, ça roulait… Je ne sais franchement pas si aucun des membres de ce groupe mythique avait déjà fait de la musique avant l’enregistrement de ce disque, mais ça claquait ! Et puis il y a quand même deux tubes énormes : God Save The Queen et Anarchy In The U.K.… Ah, il était balaise ce Malcolm McLaren, un génie du management d’artiste.

 

“Kind Of Blue” de Miles Davis. Tu connais ? Hé hé… C’est à travers ce disque que j’ai découvert le jazz. Y a pire comme porte d’entrée. Je l’écoutais en boucle, je m’en souviens comme si c’était hier … D’abord le son ! Super vast

e, profond, doux, mat mais pas sourd… De l’espace et on entend les instruments comme si on est à côté des musiciens, et puis le casting, laisse tomber. Mais ça, je n’en prendrai connaissance que bien plus tard. L’approche modale aussi, c’était tout nouveau pour moi, je n’y comprenais rien, mais je sentais une puissance, une maîtrise ainsi qu’une liberté qui m’impressionnaient beaucoup. Je n’avais aucune idée de la manière dont on pouvait se libérer des partitions à ce point, en fait je croyais que c’était écrit, comme une œuvre classique. Je n’avais aucune notion d’improvisation d’ailleurs. Bref ça a été une vraie révélation. En fait l’effet que ça m’a fait été assez proche de celui que j’ai ressenti en écoutant les Sex Pistols. Ça paraît étrange ? Hé bien pas pour moi. Ça faisait tomber tous les codes que j’étais en train d’apprendre, non sans peine, au conservatoire. Je commençais alors à sentir qu’il fallait que je finisse au plus vite mon cursus classique et que je désapprenne tout ça, trouvant un professeur qui saurait m’expliquer ce qu’est un accord, une grille (suite d’accord composant un morceau de musique) et surtout comment se promener sur cette grille et raconter sa propre histoire ! Toute une vie.

 

“Now He Sings, Now He Sobs” de Chick Corea. Là, je n’ai pas honte de le dire, j’ai compris qu’il fallait que je trouve mon instrument, que je me serve de toutes mes années d’études musicales comme un tremplin et un outil mais que le piano c’était fini. Certaines personnes savent se servir de cet objet d’une manière tellement magistrale et dont la technique dépasse de si loin mon entendement qu’il était inutile à mes yeux et pour ma petite personne, ne serait-ce que d’essayer de s’en approcher. Je suivais des cours à l’IMFP, une école de musique plutôt orientée jazz, dirigée par Michel Barot (trompettiste), j’avais de super Professeurs (Ivan Julien en composition, Michel Zenino en impro, Olivier Hutman et Jean-Sébastien Simonoviez en classe de piano) et petit à petit, grâce à eux et à de grands pianistes que j’admirais, que bien qu’étant réellement habité par la musique et des ambitions clairement affichées, je me rendais compte (non sans une bonne couche de regrets tout de même, mais avec une envie et une faim sans limite) que je devais trouver ma voie, mon instrument, une manière personnelle de vivre et de livrer la musique.


En tant que producteur, ingénieur du son et réalisateur, avez-vous des modèles, des influences ? Aussi bien dans le domaine du jazz, du rock ou des musiques électroniques…

J’imagine que oui, dire que non serait tellement prétentieux ! Mais d’après moi, cela se fait de manière totalement spontanée, ou plutôt irréfléchie. J’ai un son dans l’oreille et il vient très certainement de ma culture, de toutes ces musiques qui m’ont fait grandir, avec lesquelles j’ai évolué, qui m’ont fait vibrer, pleurer, danser… Je fais partie de ceux qui pensent qu’on n’invente rien. Que tout est en nous, ou dans l’air (partout, omniprésent) et que nous attrapons les idées, les couleurs, mais que ça ne nous appartient pas. On est le résultat de l’ensemble de nos expériences. Je suis incapable, par exemple de me dire : « Tiens, je vais composer un morceau à la Thom Yorke, Herbie Hancock ou encore à la Quincy Jones. » Mais en revanche, ce son là est stocké quelque part et la maîtrise des outils, avec lesquels je fais ou produis de la musique, permet de piocher, sans y réfléchir consciemment et d’atteindre le résultat qui conviendra à la fois à ma sensibilité et à celle de l’artiste dont je réalise le disque. Je pense aussi très sincèrement qu’imiter (et non plagier) un producteur ou un artiste est un exercice excellent quand on démarre le métier de réalisateur, car cela oblige à avoir une écoute analytique, pragmatique de la musique. On ne peux pas composer, arranger ou produire “mieux” que celui qui l’a fait pour la première fois, mais on peut tout à fait, et c’est très utile pour développer sa propre personnalité musicale essayer de décoder la logique de l’arrangement (ex : harmonie, types d’instruments utilisés, découpage rythmique,) et de la production phonographique (ex : mode de prise de son ou d’enregistrement, de mixage, les effets, les couleurs de sons). C’est une technique que je conseille souvent aux réalisateurs en devenir, car il est de plus en plus difficile aujourd’hui pour un jeune qui démarre dans le métier, de trouver un mentor qui nous donne ses hints, tricks and tips. C’était encore le cas quand j’ai démarré, j’ai assisté un réalisateur, compositeur, arrangeur très demandé et ça m’a permis d’observer non seulement comment lui bossait, mais aussi tous les collaborateurs à qui il faisait appel tout au long du processus de production. C’est un peu regrettable, bien qu’il y ait aussi des avantages à cette carence. C’est pour cette raison que je ne refuse jamais, je suis même flatté, lorsqu’un jeune qui sort d’une école de son ou plus simplement dont je sens qu’il est animé de cette envie de servir la musique, vient me voir et me demande de faire un stage. C’est la meilleure manière d’apprendre, je le mets donc au boulot IMMEDIATEMENT ! Mais les impératifs de la société d’aujourd’hui, la vitesse à laquelle on dévore la musique, les enjeux financiers personnels font qu’on a de moins en moins de temps à consacrer à la passation de savoir, l’isolement que procure l’ordinateur aussi est un obstacle et pas des moindres. Je ne me plaint pas, je déteste les « c’était mieux avant », mais je mentirais si je disais le contraire. C’est pour cette raison et quasiment uniquement que j’aime tant collaborer avec des musiciens ou des réalisateurs de tous horizons. Et quand on a trouvé un compère comme Laurent, je vous promet qu’on n’a pas le temps de réfléchir et d’appliquer des recettes, mais que c’est le cœur qui parle, riche de toutes les expériences passées, des influences et des modèles inconscients.

Téléconnexion : Frédéric Goaty

 

CD Laurent de Wilde / Otisto 23 : “Fly Superfly” (Gazebo, Choc Jazz Magazine Jazzman).

Concerts Le 28 novembre à Paris (New Morning), le 29 à Lyon (Le Périscope), le 16 décembre à Meylan (L’Hexagone). 

Net otisto23.com, laurentdewilde.com.


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#spécialbonus

La biographie autorisée de Dominique Poutet alias Dume alias Otisto 23

Otisto 23, connu également sous le nom de Dominique Poutet aka Dume, est né à Cannes en 1974 . Elève doué du Conservatoire de Draguignan en classe de piano, il débute dès ses quinze ans une carrière d’accompagnateur de variétés pour des artistes tels que Jean-Luc Lahaye ou Rachid Bahri. (C’est de cette époque que date une longue amitié avec The Cure qu’il finira par sonoriser lors de leurs venues en France et accompagner parfois au clavier) Néanmoins attiré vers d’autres univers musicaux, il s’inscrit à l’institut musical de Michel Barro à  Salon de Provence en parallèle de la classe jazz du conservatoire d’Aix pour y développer sa pratique du jazz, puis commence à s’intéresser au son et, au cours des années 90, produit en tant qu’ingénieur et réalisateur un grand nombre d’albums pour des artistes tels que Eric Bibb, Fred Wesley, Lunatic Asylum, Dixie Frog ou Interlope.

C’est aussi à cette époque qu’il participe à l’aventure extraordinaire du cirque Footsbarn dont il enregistre le disque et pour qui il produit des bandes à jouer en temps réel – c’est à la lumière de cette expérience qu’il réalise qu’une expression artistique non conventionnelle peut rencontrer un grand succès public – il travaillera par la suite avec leur manager Malcom McLaren pour qui il réalisera la musique de plusieurs de ses émissions, The biology of Machines.

Sa rencontre avec Gaël Horellou et Jeremie Picard  lui permet d’intégrer le groupe Cosmik Connection et achèvera d’aiguiser sa curiosité pour le monde de la musique électronique. Il entame les années 2000 avec une créativité redoublée : acteur incontournable des rave-parties en Europe et en Inde où il séjourne régulièrement, il fonde en 2002 le label DTC produisant de nombreux artistes de la scène underground, ainsi que le label Arambol Experience en écho à ses rencontres musicales indiennes. Il tient également durant deux ans la console de mixage au tout jeune Batofar qui ne tardera pas à devenir à devenir à Paris le point de référence de la musique électronique et expérimentale.

Véritable pionnier du logiciel Ableton Live dont il est le premier français à obtenir la certification, il met ses connaissances en pratique dès 2006 dans sa collaboration avec Laurent de Wilde dont il traite les sons de piano en temps réel, ouvrant la voie à une longue collaboration scénique et discographique dont le troisième enregistrement, “Fly Superfly”, vient de paraître. C’est également lui qui réalisera l’enregistrement tous les disques acoustiques et électroniques de Laurent de Wilde depuis 2004. Toujours producteur, Otisto 23 mixe et réalise de nombreux disques dont l’un des derniers a révélé le saxophoniste Guillaume Perret au grand public.


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Comme promis, lisez la suite et découvrez la version “extended” de l’entretien passionnant qu’Otisto 23 nous a accordé (Jazz Magazine Jazzman n° 667), tandis que vient de paraître “Fly Superfly” (Gazebo), l’opus III de ses aventures en duo avec Laurent de Wilde.


 

© Renaud Baur






Photo : © Renand Baur


Comment avez-vous rencontré Laurent de Wilde ?

On est en 1997, je travaille depuis peu comme ingénieur du son et réalisateur avec un groupe de jazzmen barjots et atypiques, Cosmik Connexion, issus du collectif MU, basé à Macon au fameux Crescent, un club, ou plutôt un laboratoire où passaient un grand nombre de musiciens nationaux mais aussi de grandes pointures internationales. Ce duo composé de Gaël Horellou (saxophone alto et machines) et Philippe “Pipon” Garcia (batterie et machines) venait d’intégrer un DJ et chanteur du nom de JahBass (Jérémie Picard). S’est alors profilée l’envie de créer un projet de big band un peu décalé. Il avait pour noyau dur le trio Cosmik Connexion, moi même à la direction artistique, et un nombre important de musiciens de tous horizons, dont Laurent de Wilde. Je le connaissais de nom, puisqu’il commençait de son côté à composer pour son projet “Time For Change”, métissage électro acoustique qu’on appellera plus tard “electro jazz”, une appellation qui nous colle à la peau mais qui dans ses grandes tendances ne correspond pas du tout aux contenus que l’on propose depuis cette époque, avec ou sans Laurent. Je suis tombé littéralement sous le charme de ce pianiste. Il n’a pas froid aux yeux, il n’étale pas sa culture et ressemble plus à l’idée que je me faisais des musiciens de jazz des années 1940/1960 que j’admirais tant : la fête, la danse, la transe, le partage, les clubs… Il ne correspondait pas au cliché du musicien “intello” ou autres qualificatifs que le public utilise – souvent à raison – pour qualifier le jazz ou les jazzmen. J’ai beaucoup apprécié sa simplicité, ses réflexions quant au contenu musical et le fait qu’il accepte de se  mettre en danger pour explorer de nouveaux horizons musicaux, ce qui est extrêmement rare pour un artiste déjà bien installé et soucieux de son image.

 

Dans votre vie de musicien, on imagine qu’il y a un avant et un après votre duo avec Laurent de Wilde. Y a-t-il d’autres collaborations qui vous ont autant marqué ?

Il y a forcément un avant et un après, le temps file pour tout le monde. Mais je vois plutôt ça comme une continuité dans mes recherches. Dans nos recherches. Quelque soit le rôle que l’on rempli dans la musique – compositeur, producteur, ingénieur du son, musicien… –, on apprend toujours, si toutefois on désire progresser. C’est mon cas, car je pars de TRÈS TRÈS loin… J’ai étudié le piano comme beaucoup d’enfants dont les parents sont soucieux de la culture générale, puis la composition et la direction d’orchestre dans un cursus classique. Puis j’ai voulu “monter à Paris”, après avoir fait mes armes dans diverses formations de bal dans ma région, en Provence. J’ai arpenté les fêtes de villages et autres mariages dès mes 13 ans, un accordéon entre les bras ou bien assis derrière un synthé. J’ai donc peaufiné en parallèle ma formation de pianiste en suivant les cours de personnes qui m’ont beaucoup marquées (Yvan Julien, Michel Zénino, Jean Sébastien Simonoviez, Olivier Hutman…) et lorsque j’arrive à Paris, je me rends compte que le niveau est beaucoup plus élevé que ce que je pensais. Je me croyais armé, taillé pour le rôle de pianiste et jazz ou de variétés, et là c’est la grosse claque… En fait, je suis un novice, un jeune musicien en devenir. C’est donc l’ensemble des rencontres que j’ai pu faire ou des collaborations qui m’ont été proposées qui m’ont permis de devenir le musicien que je suis devenu. Mais il a fallu prendre une décision extrêmement difficile : trouver mon instrument. Et c’est évidemment en travaillant avec des pianistes comme Laurent ou en participant à des masterclasses avec des musiciens de ce calibre que je me suis rendu compte que je n’étais pas à la hauteur de mes aspirations. Je savais que j’étais un musicien, que ma vie était au service de la musique, mais pas derrière un piano. Ailleurs… Donc OUI, il y a un avant et un après, en tout cas à ce niveau là, car j’ai trouvé ma voie, j’ai fabriqué mon instrument, l’ordinateur, grâce à ces rencontres ou collaborations. Et tout d’abord un producteur :

– Christian Ferrantini, qui m’a donné confiance en mes capacités à fixer sur bande les compositions des autres et de faire du développement de carrière pour des artistes ;

– Jean-Alain Roussel, qui a révélé les velléités d’arrangeur et de réalisateur que j’exploite depuis. 

– Gaël Horellou, de qui j’apprends toujours beaucoup pour ce qui est de la musique “classique” ;

– 69dB, qui pour la première fois m’a permis de comprendre les méandres de la musique électronique, c’est à dire non produite par un instrument traditionnel ;

– Interlope avec Rimshot, un duo de musique dite drum & bass ;

– Radio Bomb, un grand monsieur du break core ;

– la collaboration avec Laurent de Wilde évidemment, qui me pousse toujours vers le haut ;

– une artiste du nom de Loan (IOT Records), avec laquelle je joue régulièrement dans le cadre de projets aussi divers qu’enrichissants : danse hip hop et contemporaine, bass music et hip hop anglais ; (Loan est par ailleurs devenue ma femme.)

– ainsi que beaucoup d’autres rencontres que j’ai faites lorsque je voyageais beaucoup en Inde et dans la région de Goa, car c’était un point névralgique de la musique électronique dite de Transe, ainsi que durant mon expérience d’ingénieur du son résident au tout début du BATOFAR.

 

Quand on vous voit sur scène jouer aux côtés de Laurent de Wilde, comme immergé dans les projections vidéo, le mystère reste sinon entier, du moins grand. Comment définiriez-vous précisément votre rôle ?

Il évolue avec le temps. Tout d’abord, il est vrai que le mystère fait aussi partie de ce duo qui en fait est un vrai trio. Nous ne sommes que deux musiciens mais le troisième larron, Nicolas XLR Ticot, et plus largement la scénographie et donc la vidéo sont essentiels dans ce projet. Sans ça, nous serions forcés de nous y prendre très différemment. Nous avons commencé par poser des règles très strictes à la construction (je pourrais dire composition, mais construction est très bien adapté à notre cas) de notre répertoire : il fallait créer les sons que nous allions utiliser dans la composition  avec comme base le piano de Laurent, puis créer le matériel musical (boucles rythmiques, accompagnements, gimmicks et mélodies) pour poser le paysage et le canevas sur lequel chacun de nous deux allions apporter notre touche, nos improvisations. Mais tout ça doit paraître naturel, Nous détestons, et je crois que c’est le cas pour beaucoup d’artistes, expliquer le concept pour que le public puisse apprécier le contenu. Ce n’est pas le but. Nous avons donc eu l’idée d’y intégrer la vidéo et, au début de ce projet, un cadreur filmait sur scène, en temps réel, tout le processus de fabrication de chaque morceau, puis une fois tous les éléments enregistrés, nous partions dans la performance de notre musique et des improvisations. Petit à petit nous devenions de plus en plus agiles et rapides à enregistrer ces éléments de composition et d’arrangements et, de fait, le montrer au public devenait futile, voir un peu lourdingue. On a donc supprimé cet aspect là et Nico raconte au public l’histoire et pause l’ambiance du morceau pendant les intros, pendant que nous fabriquons le matériel. Il fait “passer la pilule” en quelque sorte.

Aujourd’hui, pour le troisième Album de ce projet, “Fly Superfly”’, nous avons décidé de conserver l’exclusivité des sons de piano pour la fabrication de TOUS les éléments des morceaux de notre répertoire, mais nous les avons fabriqués en studio. Nous avons remarqué que ce n’était pas un aspect essentiel pour le public. Le côté “performance” n’a qu’une portée limitée sur l’intérêt du contenu que l’on propose. Nous sommes intransigeants sur le fait que nous faisons de la musique, avant tout. L’aspect technologique n’est pour nous qu’un outil. Il ne doit en aucun cas prendre le pas ou alourdir le but ultime : raconter une histoire, faire voyager l’audience ainsi que nous amener dans des recoins de nos disciplines que nous n’avons pas encore explorés. Nous reproduirons donc les sons enregistrés en studio tout en ajoutant aux morceaux de nouveaux éléments, improvisés à chaque concert en plus des longues plages d’improvisation que nous souhaitons nous octroyer. Le tout évidemment uniquement composé de sons de piano et ce, afin d’être encore plus libres qu’avant ! Nous souhaitons conserver une part de mystère, pas de mensonge ni de cachotterie mais être dissimulés derrière ce tulle, rempli des projections de Nico nous permet de faire tomber la timidité dont un musicien est souvent victime et de nous sentir plus libres, moins pudiques comme si l’on n’était que tous les deux dans le studio de répétition et de TOUT donner, de TOUT oser surtout, sans tabou.

 

À votre avis, qu’avez-vous apporté de décisif au jazzman Laurent de Wilde ?

 Je ne sais pas bien. On se connaît tellement bien. C’est dingue. C’est parfois un peu flippant même… Mais on se surprend mutuellement, on se fait des croches-pattes, on se force mutuellement à aller là où on ne va pas naturellement, quand on est tout seul, ou que l’on joue dans un contexte plus habituel. Je crois qu’en fait, ce que je lui apporte, c’est de NE PAS UTILISER de recette, de toujours abandonner ses réflexes de musiciens, ces phrases ou idiomes grâce auxquels on reconnaît Laurent parmi mille pianistes, au profit de composantes musicales nouvelles. Je le force à prendre encore plus de risques plutôt que se cacher derrière des “Wilderies” trop évidentes à mon goût.

 

D’un autre côté, quelle est la chose la plus importante que Laurent vous a apprise, transmise ?

Composer et jouer avec lui m’apprend tant de choses sur moi même que je vais mettre la fin de ma vie de musicien à les trier et me les approprier. Je crois que la chose la plus marquante est la confiance en moi, en la musique que j’ai dans la tête, dans les veines, dans l’ADN. Il m’a aidé à construire mon identité sonore et musicale. Je me sens plus fort à ses côtés, plus sûr de moi et en plus c’est durable ! Une vraie psychanalyse …

 

Vous êtes tous les deux des improvisateurs. Qui est celui qui prend le plus de risques lors des concerts ?

Je crois qu’on fait jeu égal à ce niveau là. Il risque gros et moi aussi. Les deux éléments, piano et ordi, sont irremplaçables
: si l’un plante, l’autre est tout nu. Le plus grand risque, c’est le plantage d’ordi. Dans ce cas, le concert est interrompu. Ça nous est arrivé une ou deux fois déjà. Mais cela donne un côté humain à notre projet. Sur scène, j’ai une plus grande influence sur l’orientation stylistique des morceaux. Parce que, déjà, c’est en partie moi qui décide des formes, et que je peux donc les modifier sans le prévenir – ou par erreur… Je peux tout filtrer, ou stopper les rythmiques, et le laisser seul, phraser à sa guise. Je peux aussi transformer le son du piano de manière si surprenante qu’il ne pourra plus jouer de son instrument “normalement”, ce qui m’amuse beaucoup ! Nos rôles sont tellement imbriqués qu’il est impossible de nous dissocier lors de nos performances.

 

Qu’est-ce qui “restera” le plus à votre avis de votre travail avec Laurent : vos disques ou vos prestations scéniques ?

Alors là, quelle question… J’avoue que je ne sais pas. Restera t-il quelque chose ? D’un point de vue purement pragmatique, il restera ce qui a été “écrit” sur un support, c’est-à-dire les disques, cd et vinyle ! Mais j’ose espérer que les personnes qui nous auront “vus” sur scène s’en souviendront. Je dis “vus” volontairement, car grâce à Nico Ticot [le vidéaste du duo, NDR], nos concerts se voient ! Il s’écoutent bien sûr, mais la dimension la plus spectaculaire, à mon sens, c’est la scénographie. L’installation est simple mais le savoir-faire de Nico permet de rendre le concert très attractif pour un plus large public. Il permet de s’échapper de la musique à tout moment, et de se raccrocher à une histoire visuelle. Nico nous permet d’aller plus loin dans l’expérimentation, car si l’audience perd un peu le fil de la musique, elle est rattrapée par les images. Nico entend la musique, la connait, sait quand on est à l’aise ou quand on se court après, et il adapte ses projections non seulement en fonction de l’histoire et de l’esthétique du morceau, mais aussi en fonction de l’ambiance dans la salle. 

 

Ce que vous faites avec Laurent, pourriez-vous, aimeriez-vous le faire avec d’autres musiciens ? Et si oui, lesquels ?

Oui. Je joue avec d’autres personnes – heureusement d’ailleurs, on ne pourrait plus se supporter dans le cas contraire –, mais c’est avec Laurent que je développe le plus de “virtuosité” dans le domaine du traitement en temps réel et du sound design d’instrument acoustique. Je joue en duo et en quartette avec Loan, qui évolue dans un style Bass Music, et donc je reçois et remixe en direct des sources diverses telles que des machines (autre ordinateur), une voix et une batterie. On a d’ailleurs invité Laurent à plusieurs reprises au Fender Rhodes et aux synthés. J’ai aussi eu l’occasion de participer à un projet totalement hybride avec un chanteur de reggae, Winston Mc Anuff, et Guillaume Perret au saxophone, où le principe était le même : tous les musiciens du groupe sont branchés non pas sur la sono mais directement dans mes machines et je remixe le groupe, comme on peut remixer un artiste qu’on aime bien à la maison, sauf que moi, je le fais en direct. Là aussi, ce n’est pas un concept dont je suis l’inventeur, loin de là. C’est un principe qui vient de l’époque bénie du dub, où des artistes – ou producteurs, comme on les appelle – tels que Lee Scratch Perry – et plein d’autres… – prenaient les bandes d’un tube de reggae (n’importe quel morceau enregistré en studio sur bandes) et ré-interprétaient le morceau à leur manière, en coupant des parties, en insérant des effets de répétitions. Le résultat est troublant. Aujourd’hui c’est devenu une discipline assez répandue. Certains le font avec des sources sonores très singulières : un chef cuistot en train de couper des légumes, de faire fondre du beurre, puis sauter, touiller, déglacer… Cela donne des ambiances incroyables. Mon but ultime est moins la virtuosité de la performance que le résultat lui même : je tiens absolument à ne pas avoir à expliquer le processus pour que les gens apprécient, je souhaite faire de la musique, pas de la technique. C’est essentiel à mes yeux et on est parfaitement d’accord avec laurent sur ce point.

 

Photo : © Renand Baur

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Vous êtes, dit-on, l’un des pionniers du logiciel Ableton Live. En quelques mots, si possible : comment ça marche et à quoi cela sert-il ?

Alors, ce n’est pas tout à fait exact ! Je préfère corriger un peu le tir afin qu’on ne dise pas que je me la pète. Je suis arrivé dans l’aventure Ableton avec un peu de retard. Je me suis intéressé à ce logiciel lors de la sortie de sa version 4 (en général les concepteurs de logiciels sortent 1 nouvelle version tous les 12 ou 18 mois, quand ils ont corrigé ou amélioré la version précédente). Pour info, on en est à la version 9 aujourd’hui, et ce logiciel est sorti il y a douze ans environ. Ce qui est vrai c’est que j’ai été le premier Français à avoir passé la certification et à devenir certified trainer. Tous les éditeurs ont un programme de formation qui permet à des novices d’apprendre plus rapidement ou aux utilisateurs expérimentés de connaître les trucs et astuces, ou les fonctionnalités avancées, souvent cachées pour ne pas brouiller les pistes. En fait, il s’agit d’un logiciel de Musique Assistée par Ordinateur (MAO) qui possède deux visages distincts mais interactifs. La première interface ressemble à tous les autres logiciels MAO (Protools, Logic Pro, Cubase…) et permet simplement d’enregistrer des instruments acoustiques (via un micro et une carte son traditionnels) ou MIDI (synthétiseurs, samplers, etc.), et donc de composer et arranger ses morceaux de musique tel qu’on le fait en studio et/ou à la maison depuis les années 1990 de manière extrêmement courante (90% des disques comportent des parties enregistrées ou écrites dans un ordin

ateur). Il s’agit en quelque sorte d’une partition linéaire qui défile sur une timeline, c’est à dire avec un début et une fin. La particularité de Live, c’est sa deuxième interface qu’on appelle “Session”. Là, tout fout le camp… On ne travaille plus du tout comme on a l’habitude de le faire dans un logiciel courant. On a toujours la notion de piste (une piste de rythme, une de basse, une de piano…) mais maintenant on travaille de manière verticale et le temps absolu n’a plus d’importance. La “bande” ne défile plus… C’est nous qui déclenchons des parties musicales (qu’on peut appeler patterns ou boucles) en fonction de nos envies. C’est une manière beaucoup plus spontanée d’envisager la Musique Assistée par Ordinateur, puisque l’on peut changer de pattern comme bon nous semble, on peut mélanger les parties des différentes pistes de notre projet et ainsi faire varier à volonté l’arrangement du morceau. Ce qui est assez nouveau. Je vous épargne les détails mais on a la possibilité de transformer TRÈS facilement tous les sons que l’on enregistre et/ou que l’on importe dans nos projets. Il y a même la notion de “looper” qui existait depuis longtemps pour les guitaristes par exemple, mais dans le domaine de l’informatique musicale, c’est aussi un concept qui est très récent. Pour ma part, ce logiciel a changé ma vie de musicien électronique. Live permet même, grâce à un autre logiciel partenaire de fabriquer (informatiquement) des outils (de transformation sonore, des effets ou simplement des sources de sons) et de les utiliser immédiatement dans le projet. Ça a été – et c’est toujours – une VRAIE révolution dans l’industrie des Logiciels MAO. De nombreux concurrents intègrent aujourd’hui des fonctionnalités de Live. Il est aussi très intuitif et ludique. Mes fils de 13 et 6 ans se régalent avec ! Sans notion de solfège ou autre technique d’instrument, on peut très vite arriver à s’amuser, à produire de petites pièces de musique très intéressante.

J’utilise ce logiciel pour composer, arranger mais aussi jouer les morceaux sur scène, c’est un des seuls qui permette une interaction aussi spontanée avec le contenu sonore et musical numérique. Ce n’est évidemment pas le seul, mais il tient aujourd’hui un rôle majeur dans la production musicale électronique (ou pas d’ailleurs). Il m’arrive, quand pour des raisons particulière j’ai besoin de traitements assez “electro”, d’enregistrer et de mixer des albums de jazz, de rock et même de classique dans Live.

 

Otisto 23, quel étrange (sur)nom : d’où vient-il  et quelle est sa signification ?

J’en étais sûr… Il fallait que cette question tombe ! C’est plus une private joke qu’une vraie histoire intéressante. Mais allons y !

Pour le nombre 23 :

– c’est un nombre premier lui même composé de deux nombres premiers ;

– comme 13, le 23 est parfois considéré comme un nombre de la malchance ;

– un code signalant une coupure de ligne chez les télégraphes ; 

– le numéro atomique du vanadium, un métal de transition ;

– au début du XXe siècle, aux États-Unis, 23 signifiait en argot déguerpir, quitter un endroit (de l’expression 23 skiddoo, dont les origines sont en grande partie inconnues) ;

– le nombre sacré (avec 17 et 5) d’Eris, déesse de la discorde, selon le Principia Discordia ; c’est le nombre de l’Illuminati ;

– la Terre est inclinée sur son orbite d’un angle d’un peu plus de 23° par rapport au plan de l’écliptique ;

– le nombre de chromosomes dans une cellule humaine germinale ;

– le nombre d’Avogadro, mesurant en gros le rapport du monde microscopique (celui des atomes) au monde macroscopique, vaut à peu près 6.1023 ;

– pour les musulmans, le Coran fut révélé à Mahomet en 23 ans ;

– 23 est un nombre récurrent dans l’univers virtuel de Gorillaz ;

– 23 est le nombre de membres d’une même famille de Téhéran décédés à tout juste 52 ans, et dont le chromosome 12 serait porteur d’une mutation génétique rare aujourd’hui à l’étude.

– 2/3 = 0,667 rappelle le “chiffre du diable”.

Bref, tout un tas de raisons très ésotériques et personnelles…

 

Pour Otisto, c’est plus simple : ça ressemble à autiste en ital

ien TRÈS simplifié… Jour de l’an 2000, je devais jouer à minuit, à Bologne dans un squat, le Livello57, bien connu des teuffeurs. Je stresse à MORT ! C’est historiquement un de mes premiers gros live sets, tout seul, dans un lieu mythique. Jusqu’alors je m’appelle Freaks Friendly, l’Ami des Freaks, surnom qu’on donne aux monstres mais aussi aux gens de la teuf qui se comportent comme tel. Donc : l’ami des monstres. Bref, comme je stresse et que les musiciens ou DJ qui se trouvent avec moi sur le line up sont des gens que j’admire, je décide monter mon matériel dans une pièce isolée et de travailler toute la journée au casque. Quelqu’un entre violemment dans la pièce, il me cherchait visiblement depuis un long moment. Excédé, il m’interpelle en italien : « Eh ! L’autiste ! [autista.] Tu comptes monter ton matériel sur scène un de ces quat’ ?!? » En effet il était une heure du matin, je n’avais pas vu l’heure passer et je jouais comme ça, seul et pour moi même depuis plus de huit heures !!! Dès le lendemain je décidais de changer de nom et tous les copains m’ont surnommé Otisto, ça faisait plus masculin… Du coup, ça donne la possibilité à certains amis (ou détracteurs) de bien se marrer sur mon dos :

– O bistro 23 ;

– Obispo 23…

 

Les musiciens de la sphère électronique prennent souvent des pseudonymes. Pourquoi ?

J’avoue que je n’en ai AUCUNE IDÉE. Pour ma part, car je ne me considère pas comme le porte parole de la fédération internationale des DJ et liveurs electro, je dirais que c’est pour des raisons purement schizophréniques. Ça me permet de séparer de manière très marquée les différents personnages qui composent ma personnalité : Dominique POUTET c’est celui qui va faire ses courses, qui va s’inscrire à la sécu, qui prend une assurance pour sa voiture ou sa maison. Dume (souvent accompagné de DTC), c’est le copain, l’ami, le producteur, le réalisateur, celui qu’on appelle pour l’apéro ou lui demander s’il peut venir te chercher à la gare. Otisto23, c’est le musicien électronique, le compositeur, celui qui peut aussi danser jusqu’au matin devant un GROS SON et un DJ ou un Live comme RadioBOMB, Dual Snake, Pushy ! ou Loan…

 

Quels sont les cinq disques (tous styles confondus) qui vous ont le plus marqué ?

“Hors Not” de Pushy ! Incroyable compositeur/producteur. J’ai eu la chance de réaliser un album (“Epiderme Synthétique”, DTC Records). Ce disque qui doit dater du début des années 2000 a toujours le même impact sur moi. Il est magique, les deux d’ailleurs : l’album et le producteur. Une fois qu’il a posé un sample, qu’il l’a fait sonner comme il l’entend, IL NE FAUT RIEN TOUCHER !!!! Ou presque (c’est un mixeur qui vous parle), c’est  à dire que quelque soit la manière dont tu t’y prends pour essayer de faire sonner, ce sera toujours moins bien que ce qu’il t’a donné … Une leçon de puzzle … un Tetris musical, tu enlèves une brindille et TOUT s’écroule. Finalement une manière très moderne de composer et une sorte de rêve chez moi : composer et arranger sans avoir besoin de connaître une seule notion de théorie musicale. Le sampling dans sa plus simple expression pour un résultat d’une efficacité redoutable, d’une poésie rare et une identité musicale unique. On le reconnait à la première note. Bravo !

 

“October” et/ou “Boy” et/ou “War” de U2. Hé oui… Je sais, ça peut paraître bizarre pour quelqu’un qui a une image d’un dévoreur d’electro, mais c’est la vérité, ne riez pas ! En fait j’ai découvert U2 et la musique quasiment en même temps. Auparavant, j’entendais (je dis bien j’entendais et non j’écoutais) la musique qui passait là où je me trouvais : la voiture de mes parents, la télé, la radio, mais à la maison, quand j’étais gamin, la musique n’occupait pas une place importante, ni la télé, mes parents étaient concentrés sur notre éducation, leur boulot, et j’ai tiré mon aversion des médias de masse de mes parents. La musique j’en faisais au conservatoire et ça me gonflait assez comme ça… Mon père a gagné un lecteur CD en 1983 ou 1984 (c’est à dire quasiment au début) et je suis allé au magasin de disque de mon bled. Le gars m’a conseillé d’acheter “Boy” qui m’a terrassé, puis je suis devenu un peu fan en fait… J’écoutais au casque, en cachette, parce que je ne savais pas trop si j’avais le droit d’utiliser cet objet qui reposait au fond d’un placard de la salle de jeu… ç’a été le déclic, ensuite j’ai voulu devenir musicien, enfin plutôt une rock star ! Et ça ne m’a plus jamais quitté. En revanche, j’avoue que j’ai un peu lâché l’affaire avec U2, en découvrant le punk !

 

“Never Mind The Bollocks” des Sex Pistols . Yeah ! Qui n’est pas passé par là à l’adolescence ? Moi j’étais un “adoléchiant”, je n’avais QUE ce mot là à la bouche : M.U.S.I.Q.U.E. Je dirais que c’est plus pour le côté rebelle et contestataire, que réellement pour la qualité de la musique… Mais cette débauche d’énergie, ce contraste avec la rigueur de mon apprentissage au conservatoire, et malgré tout le fait que ça avait fonctionné, en dépit du jemenfoutisme apparent, ça roulait… Je ne sais franchement pas si aucun des membres de ce groupe mythique avait déjà fait de la musique avant l’enregistrement de ce disque, mais ça claquait ! Et puis il y a quand même deux tubes énormes : God Save The Queen et Anarchy In The U.K.… Ah, il était balaise ce Malcolm McLaren, un génie du management d’artiste.

 

“Kind Of Blue” de Miles Davis. Tu connais ? Hé hé… C’est à travers ce disque que j’ai découvert le jazz. Y a pire comme porte d’entrée. Je l’écoutais en boucle, je m’en souviens comme si c’était hier … D’abord le son ! Super vast

e, profond, doux, mat mais pas sourd… De l’espace et on entend les instruments comme si on est à côté des musiciens, et puis le casting, laisse tomber. Mais ça, je n’en prendrai connaissance que bien plus tard. L’approche modale aussi, c’était tout nouveau pour moi, je n’y comprenais rien, mais je sentais une puissance, une maîtrise ainsi qu’une liberté qui m’impressionnaient beaucoup. Je n’avais aucune idée de la manière dont on pouvait se libérer des partitions à ce point, en fait je croyais que c’était écrit, comme une œuvre classique. Je n’avais aucune notion d’improvisation d’ailleurs. Bref ça a été une vraie révélation. En fait l’effet que ça m’a fait été assez proche de celui que j’ai ressenti en écoutant les Sex Pistols. Ça paraît étrange ? Hé bien pas pour moi. Ça faisait tomber tous les codes que j’étais en train d’apprendre, non sans peine, au conservatoire. Je commençais alors à sentir qu’il fallait que je finisse au plus vite mon cursus classique et que je désapprenne tout ça, trouvant un professeur qui saurait m’expliquer ce qu’est un accord, une grille (suite d’accord composant un morceau de musique) et surtout comment se promener sur cette grille et raconter sa propre histoire ! Toute une vie.

 

“Now He Sings, Now He Sobs” de Chick Corea. Là, je n’ai pas honte de le dire, j’ai compris qu’il fallait que je trouve mon instrument, que je me serve de toutes mes années d’études musicales comme un tremplin et un outil mais que le piano c’était fini. Certaines personnes savent se servir de cet objet d’une manière tellement magistrale et dont la technique dépasse de si loin mon entendement qu’il était inutile à mes yeux et pour ma petite personne, ne serait-ce que d’essayer de s’en approcher. Je suivais des cours à l’IMFP, une école de musique plutôt orientée jazz, dirigée par Michel Barot (trompettiste), j’avais de super Professeurs (Ivan Julien en composition, Michel Zenino en impro, Olivier Hutman et Jean-Sébastien Simonoviez en classe de piano) et petit à petit, grâce à eux et à de grands pianistes que j’admirais, que bien qu’étant réellement habité par la musique et des ambitions clairement affichées, je me rendais compte (non sans une bonne couche de regrets tout de même, mais avec une envie et une faim sans limite) que je devais trouver ma voie, mon instrument, une manière personnelle de vivre et de livrer la musique.


En tant que producteur, ingénieur du son et réalisateur, avez-vous des modèles, des influences ? Aussi bien dans le domaine du jazz, du rock ou des musiques électroniques…

J’imagine que oui, dire que non serait tellement prétentieux ! Mais d’après moi, cela se fait de manière totalement spontanée, ou plutôt irréfléchie. J’ai un son dans l’oreille et il vient très certainement de ma culture, de toutes ces musiques qui m’ont fait grandir, avec lesquelles j’ai évolué, qui m’ont fait vibrer, pleurer, danser… Je fais partie de ceux qui pensent qu’on n’invente rien. Que tout est en nous, ou dans l’air (partout, omniprésent) et que nous attrapons les idées, les couleurs, mais que ça ne nous appartient pas. On est le résultat de l’ensemble de nos expériences. Je suis incapable, par exemple de me dire : « Tiens, je vais composer un morceau à la Thom Yorke, Herbie Hancock ou encore à la Quincy Jones. » Mais en revanche, ce son là est stocké quelque part et la maîtrise des outils, avec lesquels je fais ou produis de la musique, permet de piocher, sans y réfléchir consciemment et d’atteindre le résultat qui conviendra à la fois à ma sensibilité et à celle de l’artiste dont je réalise le disque. Je pense aussi très sincèrement qu’imiter (et non plagier) un producteur ou un artiste est un exercice excellent quand on démarre le métier de réalisateur, car cela oblige à avoir une écoute analytique, pragmatique de la musique. On ne peux pas composer, arranger ou produire “mieux” que celui qui l’a fait pour la première fois, mais on peut tout à fait, et c’est très utile pour développer sa propre personnalité musicale essayer de décoder la logique de l’arrangement (ex : harmonie, types d’instruments utilisés, découpage rythmique,) et de la production phonographique (ex : mode de prise de son ou d’enregistrement, de mixage, les effets, les couleurs de sons). C’est une technique que je conseille souvent aux réalisateurs en devenir, car il est de plus en plus difficile aujourd’hui pour un jeune qui démarre dans le métier, de trouver un mentor qui nous donne ses hints, tricks and tips. C’était encore le cas quand j’ai démarré, j’ai assisté un réalisateur, compositeur, arrangeur très demandé et ça m’a permis d’observer non seulement comment lui bossait, mais aussi tous les collaborateurs à qui il faisait appel tout au long du processus de production. C’est un peu regrettable, bien qu’il y ait aussi des avantages à cette carence. C’est pour cette raison que je ne refuse jamais, je suis même flatté, lorsqu’un jeune qui sort d’une école de son ou plus simplement dont je sens qu’il est animé de cette envie de servir la musique, vient me voir et me demande de faire un stage. C’est la meilleure manière d’apprendre, je le mets donc au boulot IMMEDIATEMENT ! Mais les impératifs de la société d’aujourd’hui, la vitesse à laquelle on dévore la musique, les enjeux financiers personnels font qu’on a de moins en moins de temps à consacrer à la passation de savoir, l’isolement que procure l’ordinateur aussi est un obstacle et pas des moindres. Je ne me plaint pas, je déteste les « c’était mieux avant », mais je mentirais si je disais le contraire. C’est pour cette raison et quasiment uniquement que j’aime tant collaborer avec des musiciens ou des réalisateurs de tous horizons. Et quand on a trouvé un compère comme Laurent, je vous promet qu’on n’a pas le temps de réfléchir et d’appliquer des recettes, mais que c’est le cœur qui parle, riche de toutes les expériences passées, des influences et des modèles inconscients.

Téléconnexion : Frédéric Goaty

 

CD Laurent de Wilde / Otisto 23 : “Fly Superfly” (Gazebo, Choc Jazz Magazine Jazzman).

Concerts Le 28 novembre à Paris (New Morning), le 29 à Lyon (Le Périscope), le 16 décembre à Meylan (L’Hexagone). 

Net otisto23.com, laurentdewilde.com.


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#spécialbonus

La biographie autorisée de Dominique Poutet alias Dume alias Otisto 23

Otisto 23, connu également sous le nom de Dominique Poutet aka Dume, est né à Cannes en 1974 . Elève doué du Conservatoire de Draguignan en classe de piano, il débute dès ses quinze ans une carrière d’accompagnateur de variétés pour des artistes tels que Jean-Luc Lahaye ou Rachid Bahri. (C’est de cette époque que date une longue amitié avec The Cure qu’il finira par sonoriser lors de leurs venues en France et accompagner parfois au clavier) Néanmoins attiré vers d’autres univers musicaux, il s’inscrit à l’institut musical de Michel Barro à  Salon de Provence en parallèle de la classe jazz du conservatoire d’Aix pour y développer sa pratique du jazz, puis commence à s’intéresser au son et, au cours des années 90, produit en tant qu’ingénieur et réalisateur un grand nombre d’albums pour des artistes tels que Eric Bibb, Fred Wesley, Lunatic Asylum, Dixie Frog ou Interlope.

C’est aussi à cette époque qu’il participe à l’aventure extraordinaire du cirque Footsbarn dont il enregistre le disque et pour qui il produit des bandes à jouer en temps réel – c’est à la lumière de cette expérience qu’il réalise qu’une expression artistique non conventionnelle peut rencontrer un grand succès public – il travaillera par la suite avec leur manager Malcom McLaren pour qui il réalisera la musique de plusieurs de ses émissions, The biology of Machines.

Sa rencontre avec Gaël Horellou et Jeremie Picard  lui permet d’intégrer le groupe Cosmik Connection et achèvera d’aiguiser sa curiosité pour le monde de la musique électronique. Il entame les années 2000 avec une créativité redoublée : acteur incontournable des rave-parties en Europe et en Inde où il séjourne régulièrement, il fonde en 2002 le label DTC produisant de nombreux artistes de la scène underground, ainsi que le label Arambol Experience en écho à ses rencontres musicales indiennes. Il tient également durant deux ans la console de mixage au tout jeune Batofar qui ne tardera pas à devenir à devenir à Paris le point de référence de la musique électronique et expérimentale.

Véritable pionnier du logiciel Ableton Live dont il est le premier français à obtenir la certification, il met ses connaissances en pratique dès 2006 dans sa collaboration avec Laurent de Wilde dont il traite les sons de piano en temps réel, ouvrant la voie à une longue collaboration scénique et discographique dont le troisième enregistrement, “Fly Superfly”, vient de paraître. C’est également lui qui réalisera l’enregistrement tous les disques acoustiques et électroniques de Laurent de Wilde depuis 2004. Toujours producteur, Otisto 23 mixe et réalise de nombreux disques dont l’un des derniers a révélé le saxophoniste Guillaume Perret au grand public.


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Comme promis, lisez la suite et découvrez la version “extended” de l’entretien passionnant qu’Otisto 23 nous a accordé (Jazz Magazine Jazzman n° 667), tandis que vient de paraître “Fly Superfly” (Gazebo), l’opus III de ses aventures en duo avec Laurent de Wilde.


 

© Renaud Baur






Photo : © Renand Baur


Comment avez-vous rencontré Laurent de Wilde ?

On est en 1997, je travaille depuis peu comme ingénieur du son et réalisateur avec un groupe de jazzmen barjots et atypiques, Cosmik Connexion, issus du collectif MU, basé à Macon au fameux Crescent, un club, ou plutôt un laboratoire où passaient un grand nombre de musiciens nationaux mais aussi de grandes pointures internationales. Ce duo composé de Gaël Horellou (saxophone alto et machines) et Philippe “Pipon” Garcia (batterie et machines) venait d’intégrer un DJ et chanteur du nom de JahBass (Jérémie Picard). S’est alors profilée l’envie de créer un projet de big band un peu décalé. Il avait pour noyau dur le trio Cosmik Connexion, moi même à la direction artistique, et un nombre important de musiciens de tous horizons, dont Laurent de Wilde. Je le connaissais de nom, puisqu’il commençait de son côté à composer pour son projet “Time For Change”, métissage électro acoustique qu’on appellera plus tard “electro jazz”, une appellation qui nous colle à la peau mais qui dans ses grandes tendances ne correspond pas du tout aux contenus que l’on propose depuis cette époque, avec ou sans Laurent. Je suis tombé littéralement sous le charme de ce pianiste. Il n’a pas froid aux yeux, il n’étale pas sa culture et ressemble plus à l’idée que je me faisais des musiciens de jazz des années 1940/1960 que j’admirais tant : la fête, la danse, la transe, le partage, les clubs… Il ne correspondait pas au cliché du musicien “intello” ou autres qualificatifs que le public utilise – souvent à raison – pour qualifier le jazz ou les jazzmen. J’ai beaucoup apprécié sa simplicité, ses réflexions quant au contenu musical et le fait qu’il accepte de se  mettre en danger pour explorer de nouveaux horizons musicaux, ce qui est extrêmement rare pour un artiste déjà bien installé et soucieux de son image.

 

Dans votre vie de musicien, on imagine qu’il y a un avant et un après votre duo avec Laurent de Wilde. Y a-t-il d’autres collaborations qui vous ont autant marqué ?

Il y a forcément un avant et un après, le temps file pour tout le monde. Mais je vois plutôt ça comme une continuité dans mes recherches. Dans nos recherches. Quelque soit le rôle que l’on rempli dans la musique – compositeur, producteur, ingénieur du son, musicien… –, on apprend toujours, si toutefois on désire progresser. C’est mon cas, car je pars de TRÈS TRÈS loin… J’ai étudié le piano comme beaucoup d’enfants dont les parents sont soucieux de la culture générale, puis la composition et la direction d’orchestre dans un cursus classique. Puis j’ai voulu “monter à Paris”, après avoir fait mes armes dans diverses formations de bal dans ma région, en Provence. J’ai arpenté les fêtes de villages et autres mariages dès mes 13 ans, un accordéon entre les bras ou bien assis derrière un synthé. J’ai donc peaufiné en parallèle ma formation de pianiste en suivant les cours de personnes qui m’ont beaucoup marquées (Yvan Julien, Michel Zénino, Jean Sébastien Simonoviez, Olivier Hutman…) et lorsque j’arrive à Paris, je me rends compte que le niveau est beaucoup plus élevé que ce que je pensais. Je me croyais armé, taillé pour le rôle de pianiste et jazz ou de variétés, et là c’est la grosse claque… En fait, je suis un novice, un jeune musicien en devenir. C’est donc l’ensemble des rencontres que j’ai pu faire ou des collaborations qui m’ont été proposées qui m’ont permis de devenir le musicien que je suis devenu. Mais il a fallu prendre une décision extrêmement difficile : trouver mon instrument. Et c’est évidemment en travaillant avec des pianistes comme Laurent ou en participant à des masterclasses avec des musiciens de ce calibre que je me suis rendu compte que je n’étais pas à la hauteur de mes aspirations. Je savais que j’étais un musicien, que ma vie était au service de la musique, mais pas derrière un piano. Ailleurs… Donc OUI, il y a un avant et un après, en tout cas à ce niveau là, car j’ai trouvé ma voie, j’ai fabriqué mon instrument, l’ordinateur, grâce à ces rencontres ou collaborations. Et tout d’abord un producteur :

– Christian Ferrantini, qui m’a donné confiance en mes capacités à fixer sur bande les compositions des autres et de faire du développement de carrière pour des artistes ;

– Jean-Alain Roussel, qui a révélé les velléités d’arrangeur et de réalisateur que j’exploite depuis. 

– Gaël Horellou, de qui j’apprends toujours beaucoup pour ce qui est de la musique “classique” ;

– 69dB, qui pour la première fois m’a permis de comprendre les méandres de la musique électronique, c’est à dire non produite par un instrument traditionnel ;

– Interlope avec Rimshot, un duo de musique dite drum & bass ;

– Radio Bomb, un grand monsieur du break core ;

– la collaboration avec Laurent de Wilde évidemment, qui me pousse toujours vers le haut ;

– une artiste du nom de Loan (IOT Records), avec laquelle je joue régulièrement dans le cadre de projets aussi divers qu’enrichissants : danse hip hop et contemporaine, bass music et hip hop anglais ; (Loan est par ailleurs devenue ma femme.)

– ainsi que beaucoup d’autres rencontres que j’ai faites lorsque je voyageais beaucoup en Inde et dans la région de Goa, car c’était un point névralgique de la musique électronique dite de Transe, ainsi que durant mon expérience d’ingénieur du son résident au tout début du BATOFAR.

 

Quand on vous voit sur scène jouer aux côtés de Laurent de Wilde, comme immergé dans les projections vidéo, le mystère reste sinon entier, du moins grand. Comment définiriez-vous précisément votre rôle ?

Il évolue avec le temps. Tout d’abord, il est vrai que le mystère fait aussi partie de ce duo qui en fait est un vrai trio. Nous ne sommes que deux musiciens mais le troisième larron, Nicolas XLR Ticot, et plus largement la scénographie et donc la vidéo sont essentiels dans ce projet. Sans ça, nous serions forcés de nous y prendre très différemment. Nous avons commencé par poser des règles très strictes à la construction (je pourrais dire composition, mais construction est très bien adapté à notre cas) de notre répertoire : il fallait créer les sons que nous allions utiliser dans la composition  avec comme base le piano de Laurent, puis créer le matériel musical (boucles rythmiques, accompagnements, gimmicks et mélodies) pour poser le paysage et le canevas sur lequel chacun de nous deux allions apporter notre touche, nos improvisations. Mais tout ça doit paraître naturel, Nous détestons, et je crois que c’est le cas pour beaucoup d’artistes, expliquer le concept pour que le public puisse apprécier le contenu. Ce n’est pas le but. Nous avons donc eu l’idée d’y intégrer la vidéo et, au début de ce projet, un cadreur filmait sur scène, en temps réel, tout le processus de fabrication de chaque morceau, puis une fois tous les éléments enregistrés, nous partions dans la performance de notre musique et des improvisations. Petit à petit nous devenions de plus en plus agiles et rapides à enregistrer ces éléments de composition et d’arrangements et, de fait, le montrer au public devenait futile, voir un peu lourdingue. On a donc supprimé cet aspect là et Nico raconte au public l’histoire et pause l’ambiance du morceau pendant les intros, pendant que nous fabriquons le matériel. Il fait “passer la pilule” en quelque sorte.

Aujourd’hui, pour le troisième Album de ce projet, “Fly Superfly”’, nous avons décidé de conserver l’exclusivité des sons de piano pour la fabrication de TOUS les éléments des morceaux de notre répertoire, mais nous les avons fabriqués en studio. Nous avons remarqué que ce n’était pas un aspect essentiel pour le public. Le côté “performance” n’a qu’une portée limitée sur l’intérêt du contenu que l’on propose. Nous sommes intransigeants sur le fait que nous faisons de la musique, avant tout. L’aspect technologique n’est pour nous qu’un outil. Il ne doit en aucun cas prendre le pas ou alourdir le but ultime : raconter une histoire, faire voyager l’audience ainsi que nous amener dans des recoins de nos disciplines que nous n’avons pas encore explorés. Nous reproduirons donc les sons enregistrés en studio tout en ajoutant aux morceaux de nouveaux éléments, improvisés à chaque concert en plus des longues plages d’improvisation que nous souhaitons nous octroyer. Le tout évidemment uniquement composé de sons de piano et ce, afin d’être encore plus libres qu’avant ! Nous souhaitons conserver une part de mystère, pas de mensonge ni de cachotterie mais être dissimulés derrière ce tulle, rempli des projections de Nico nous permet de faire tomber la timidité dont un musicien est souvent victime et de nous sentir plus libres, moins pudiques comme si l’on n’était que tous les deux dans le studio de répétition et de TOUT donner, de TOUT oser surtout, sans tabou.

 

À votre avis, qu’avez-vous apporté de décisif au jazzman Laurent de Wilde ?

 Je ne sais pas bien. On se connaît tellement bien. C’est dingue. C’est parfois un peu flippant même… Mais on se surprend mutuellement, on se fait des croches-pattes, on se force mutuellement à aller là où on ne va pas naturellement, quand on est tout seul, ou que l’on joue dans un contexte plus habituel. Je crois qu’en fait, ce que je lui apporte, c’est de NE PAS UTILISER de recette, de toujours abandonner ses réflexes de musiciens, ces phrases ou idiomes grâce auxquels on reconnaît Laurent parmi mille pianistes, au profit de composantes musicales nouvelles. Je le force à prendre encore plus de risques plutôt que se cacher derrière des “Wilderies” trop évidentes à mon goût.

 

D’un autre côté, quelle est la chose la plus importante que Laurent vous a apprise, transmise ?

Composer et jouer avec lui m’apprend tant de choses sur moi même que je vais mettre la fin de ma vie de musicien à les trier et me les approprier. Je crois que la chose la plus marquante est la confiance en moi, en la musique que j’ai dans la tête, dans les veines, dans l’ADN. Il m’a aidé à construire mon identité sonore et musicale. Je me sens plus fort à ses côtés, plus sûr de moi et en plus c’est durable ! Une vraie psychanalyse …

 

Vous êtes tous les deux des improvisateurs. Qui est celui qui prend le plus de risques lors des concerts ?

Je crois qu’on fait jeu égal à ce niveau là. Il risque gros et moi aussi. Les deux éléments, piano et ordi, sont irremplaçables
: si l’un plante, l’autre est tout nu. Le plus grand risque, c’est le plantage d’ordi. Dans ce cas, le concert est interrompu. Ça nous est arrivé une ou deux fois déjà. Mais cela donne un côté humain à notre projet. Sur scène, j’ai une plus grande influence sur l’orientation stylistique des morceaux. Parce que, déjà, c’est en partie moi qui décide des formes, et que je peux donc les modifier sans le prévenir – ou par erreur… Je peux tout filtrer, ou stopper les rythmiques, et le laisser seul, phraser à sa guise. Je peux aussi transformer le son du piano de manière si surprenante qu’il ne pourra plus jouer de son instrument “normalement”, ce qui m’amuse beaucoup ! Nos rôles sont tellement imbriqués qu’il est impossible de nous dissocier lors de nos performances.

 

Qu’est-ce qui “restera” le plus à votre avis de votre travail avec Laurent : vos disques ou vos prestations scéniques ?

Alors là, quelle question… J’avoue que je ne sais pas. Restera t-il quelque chose ? D’un point de vue purement pragmatique, il restera ce qui a été “écrit” sur un support, c’est-à-dire les disques, cd et vinyle ! Mais j’ose espérer que les personnes qui nous auront “vus” sur scène s’en souviendront. Je dis “vus” volontairement, car grâce à Nico Ticot [le vidéaste du duo, NDR], nos concerts se voient ! Il s’écoutent bien sûr, mais la dimension la plus spectaculaire, à mon sens, c’est la scénographie. L’installation est simple mais le savoir-faire de Nico permet de rendre le concert très attractif pour un plus large public. Il permet de s’échapper de la musique à tout moment, et de se raccrocher à une histoire visuelle. Nico nous permet d’aller plus loin dans l’expérimentation, car si l’audience perd un peu le fil de la musique, elle est rattrapée par les images. Nico entend la musique, la connait, sait quand on est à l’aise ou quand on se court après, et il adapte ses projections non seulement en fonction de l’histoire et de l’esthétique du morceau, mais aussi en fonction de l’ambiance dans la salle. 

 

Ce que vous faites avec Laurent, pourriez-vous, aimeriez-vous le faire avec d’autres musiciens ? Et si oui, lesquels ?

Oui. Je joue avec d’autres personnes – heureusement d’ailleurs, on ne pourrait plus se supporter dans le cas contraire –, mais c’est avec Laurent que je développe le plus de “virtuosité” dans le domaine du traitement en temps réel et du sound design d’instrument acoustique. Je joue en duo et en quartette avec Loan, qui évolue dans un style Bass Music, et donc je reçois et remixe en direct des sources diverses telles que des machines (autre ordinateur), une voix et une batterie. On a d’ailleurs invité Laurent à plusieurs reprises au Fender Rhodes et aux synthés. J’ai aussi eu l’occasion de participer à un projet totalement hybride avec un chanteur de reggae, Winston Mc Anuff, et Guillaume Perret au saxophone, où le principe était le même : tous les musiciens du groupe sont branchés non pas sur la sono mais directement dans mes machines et je remixe le groupe, comme on peut remixer un artiste qu’on aime bien à la maison, sauf que moi, je le fais en direct. Là aussi, ce n’est pas un concept dont je suis l’inventeur, loin de là. C’est un principe qui vient de l’époque bénie du dub, où des artistes – ou producteurs, comme on les appelle – tels que Lee Scratch Perry – et plein d’autres… – prenaient les bandes d’un tube de reggae (n’importe quel morceau enregistré en studio sur bandes) et ré-interprétaient le morceau à leur manière, en coupant des parties, en insérant des effets de répétitions. Le résultat est troublant. Aujourd’hui c’est devenu une discipline assez répandue. Certains le font avec des sources sonores très singulières : un chef cuistot en train de couper des légumes, de faire fondre du beurre, puis sauter, touiller, déglacer… Cela donne des ambiances incroyables. Mon but ultime est moins la virtuosité de la performance que le résultat lui même : je tiens absolument à ne pas avoir à expliquer le processus pour que les gens apprécient, je souhaite faire de la musique, pas de la technique. C’est essentiel à mes yeux et on est parfaitement d’accord avec laurent sur ce point.

 

Photo : © Renand Baur

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Vous êtes, dit-on, l’un des pionniers du logiciel Ableton Live. En quelques mots, si possible : comment ça marche et à quoi cela sert-il ?

Alors, ce n’est pas tout à fait exact ! Je préfère corriger un peu le tir afin qu’on ne dise pas que je me la pète. Je suis arrivé dans l’aventure Ableton avec un peu de retard. Je me suis intéressé à ce logiciel lors de la sortie de sa version 4 (en général les concepteurs de logiciels sortent 1 nouvelle version tous les 12 ou 18 mois, quand ils ont corrigé ou amélioré la version précédente). Pour info, on en est à la version 9 aujourd’hui, et ce logiciel est sorti il y a douze ans environ. Ce qui est vrai c’est que j’ai été le premier Français à avoir passé la certification et à devenir certified trainer. Tous les éditeurs ont un programme de formation qui permet à des novices d’apprendre plus rapidement ou aux utilisateurs expérimentés de connaître les trucs et astuces, ou les fonctionnalités avancées, souvent cachées pour ne pas brouiller les pistes. En fait, il s’agit d’un logiciel de Musique Assistée par Ordinateur (MAO) qui possède deux visages distincts mais interactifs. La première interface ressemble à tous les autres logiciels MAO (Protools, Logic Pro, Cubase…) et permet simplement d’enregistrer des instruments acoustiques (via un micro et une carte son traditionnels) ou MIDI (synthétiseurs, samplers, etc.), et donc de composer et arranger ses morceaux de musique tel qu’on le fait en studio et/ou à la maison depuis les années 1990 de manière extrêmement courante (90% des disques comportent des parties enregistrées ou écrites dans un ordin

ateur). Il s’agit en quelque sorte d’une partition linéaire qui défile sur une timeline, c’est à dire avec un début et une fin. La particularité de Live, c’est sa deuxième interface qu’on appelle “Session”. Là, tout fout le camp… On ne travaille plus du tout comme on a l’habitude de le faire dans un logiciel courant. On a toujours la notion de piste (une piste de rythme, une de basse, une de piano…) mais maintenant on travaille de manière verticale et le temps absolu n’a plus d’importance. La “bande” ne défile plus… C’est nous qui déclenchons des parties musicales (qu’on peut appeler patterns ou boucles) en fonction de nos envies. C’est une manière beaucoup plus spontanée d’envisager la Musique Assistée par Ordinateur, puisque l’on peut changer de pattern comme bon nous semble, on peut mélanger les parties des différentes pistes de notre projet et ainsi faire varier à volonté l’arrangement du morceau. Ce qui est assez nouveau. Je vous épargne les détails mais on a la possibilité de transformer TRÈS facilement tous les sons que l’on enregistre et/ou que l’on importe dans nos projets. Il y a même la notion de “looper” qui existait depuis longtemps pour les guitaristes par exemple, mais dans le domaine de l’informatique musicale, c’est aussi un concept qui est très récent. Pour ma part, ce logiciel a changé ma vie de musicien électronique. Live permet même, grâce à un autre logiciel partenaire de fabriquer (informatiquement) des outils (de transformation sonore, des effets ou simplement des sources de sons) et de les utiliser immédiatement dans le projet. Ça a été – et c’est toujours – une VRAIE révolution dans l’industrie des Logiciels MAO. De nombreux concurrents intègrent aujourd’hui des fonctionnalités de Live. Il est aussi très intuitif et ludique. Mes fils de 13 et 6 ans se régalent avec ! Sans notion de solfège ou autre technique d’instrument, on peut très vite arriver à s’amuser, à produire de petites pièces de musique très intéressante.

J’utilise ce logiciel pour composer, arranger mais aussi jouer les morceaux sur scène, c’est un des seuls qui permette une interaction aussi spontanée avec le contenu sonore et musical numérique. Ce n’est évidemment pas le seul, mais il tient aujourd’hui un rôle majeur dans la production musicale électronique (ou pas d’ailleurs). Il m’arrive, quand pour des raisons particulière j’ai besoin de traitements assez “electro”, d’enregistrer et de mixer des albums de jazz, de rock et même de classique dans Live.

 

Otisto 23, quel étrange (sur)nom : d’où vient-il  et quelle est sa signification ?

J’en étais sûr… Il fallait que cette question tombe ! C’est plus une private joke qu’une vraie histoire intéressante. Mais allons y !

Pour le nombre 23 :

– c’est un nombre premier lui même composé de deux nombres premiers ;

– comme 13, le 23 est parfois considéré comme un nombre de la malchance ;

– un code signalant une coupure de ligne chez les télégraphes ; 

– le numéro atomique du vanadium, un métal de transition ;

– au début du XXe siècle, aux États-Unis, 23 signifiait en argot déguerpir, quitter un endroit (de l’expression 23 skiddoo, dont les origines sont en grande partie inconnues) ;

– le nombre sacré (avec 17 et 5) d’Eris, déesse de la discorde, selon le Principia Discordia ; c’est le nombre de l’Illuminati ;

– la Terre est inclinée sur son orbite d’un angle d’un peu plus de 23° par rapport au plan de l’écliptique ;

– le nombre de chromosomes dans une cellule humaine germinale ;

– le nombre d’Avogadro, mesurant en gros le rapport du monde microscopique (celui des atomes) au monde macroscopique, vaut à peu près 6.1023 ;

– pour les musulmans, le Coran fut révélé à Mahomet en 23 ans ;

– 23 est un nombre récurrent dans l’univers virtuel de Gorillaz ;

– 23 est le nombre de membres d’une même famille de Téhéran décédés à tout juste 52 ans, et dont le chromosome 12 serait porteur d’une mutation génétique rare aujourd’hui à l’étude.

– 2/3 = 0,667 rappelle le “chiffre du diable”.

Bref, tout un tas de raisons très ésotériques et personnelles…

 

Pour Otisto, c’est plus simple : ça ressemble à autiste en ital

ien TRÈS simplifié… Jour de l’an 2000, je devais jouer à minuit, à Bologne dans un squat, le Livello57, bien connu des teuffeurs. Je stresse à MORT ! C’est historiquement un de mes premiers gros live sets, tout seul, dans un lieu mythique. Jusqu’alors je m’appelle Freaks Friendly, l’Ami des Freaks, surnom qu’on donne aux monstres mais aussi aux gens de la teuf qui se comportent comme tel. Donc : l’ami des monstres. Bref, comme je stresse et que les musiciens ou DJ qui se trouvent avec moi sur le line up sont des gens que j’admire, je décide monter mon matériel dans une pièce isolée et de travailler toute la journée au casque. Quelqu’un entre violemment dans la pièce, il me cherchait visiblement depuis un long moment. Excédé, il m’interpelle en italien : « Eh ! L’autiste ! [autista.] Tu comptes monter ton matériel sur scène un de ces quat’ ?!? » En effet il était une heure du matin, je n’avais pas vu l’heure passer et je jouais comme ça, seul et pour moi même depuis plus de huit heures !!! Dès le lendemain je décidais de changer de nom et tous les copains m’ont surnommé Otisto, ça faisait plus masculin… Du coup, ça donne la possibilité à certains amis (ou détracteurs) de bien se marrer sur mon dos :

– O bistro 23 ;

– Obispo 23…

 

Les musiciens de la sphère électronique prennent souvent des pseudonymes. Pourquoi ?

J’avoue que je n’en ai AUCUNE IDÉE. Pour ma part, car je ne me considère pas comme le porte parole de la fédération internationale des DJ et liveurs electro, je dirais que c’est pour des raisons purement schizophréniques. Ça me permet de séparer de manière très marquée les différents personnages qui composent ma personnalité : Dominique POUTET c’est celui qui va faire ses courses, qui va s’inscrire à la sécu, qui prend une assurance pour sa voiture ou sa maison. Dume (souvent accompagné de DTC), c’est le copain, l’ami, le producteur, le réalisateur, celui qu’on appelle pour l’apéro ou lui demander s’il peut venir te chercher à la gare. Otisto23, c’est le musicien électronique, le compositeur, celui qui peut aussi danser jusqu’au matin devant un GROS SON et un DJ ou un Live comme RadioBOMB, Dual Snake, Pushy ! ou Loan…

 

Quels sont les cinq disques (tous styles confondus) qui vous ont le plus marqué ?

“Hors Not” de Pushy ! Incroyable compositeur/producteur. J’ai eu la chance de réaliser un album (“Epiderme Synthétique”, DTC Records). Ce disque qui doit dater du début des années 2000 a toujours le même impact sur moi. Il est magique, les deux d’ailleurs : l’album et le producteur. Une fois qu’il a posé un sample, qu’il l’a fait sonner comme il l’entend, IL NE FAUT RIEN TOUCHER !!!! Ou presque (c’est un mixeur qui vous parle), c’est  à dire que quelque soit la manière dont tu t’y prends pour essayer de faire sonner, ce sera toujours moins bien que ce qu’il t’a donné … Une leçon de puzzle … un Tetris musical, tu enlèves une brindille et TOUT s’écroule. Finalement une manière très moderne de composer et une sorte de rêve chez moi : composer et arranger sans avoir besoin de connaître une seule notion de théorie musicale. Le sampling dans sa plus simple expression pour un résultat d’une efficacité redoutable, d’une poésie rare et une identité musicale unique. On le reconnait à la première note. Bravo !

 

“October” et/ou “Boy” et/ou “War” de U2. Hé oui… Je sais, ça peut paraître bizarre pour quelqu’un qui a une image d’un dévoreur d’electro, mais c’est la vérité, ne riez pas ! En fait j’ai découvert U2 et la musique quasiment en même temps. Auparavant, j’entendais (je dis bien j’entendais et non j’écoutais) la musique qui passait là où je me trouvais : la voiture de mes parents, la télé, la radio, mais à la maison, quand j’étais gamin, la musique n’occupait pas une place importante, ni la télé, mes parents étaient concentrés sur notre éducation, leur boulot, et j’ai tiré mon aversion des médias de masse de mes parents. La musique j’en faisais au conservatoire et ça me gonflait assez comme ça… Mon père a gagné un lecteur CD en 1983 ou 1984 (c’est à dire quasiment au début) et je suis allé au magasin de disque de mon bled. Le gars m’a conseillé d’acheter “Boy” qui m’a terrassé, puis je suis devenu un peu fan en fait… J’écoutais au casque, en cachette, parce que je ne savais pas trop si j’avais le droit d’utiliser cet objet qui reposait au fond d’un placard de la salle de jeu… ç’a été le déclic, ensuite j’ai voulu devenir musicien, enfin plutôt une rock star ! Et ça ne m’a plus jamais quitté. En revanche, j’avoue que j’ai un peu lâché l’affaire avec U2, en découvrant le punk !

 

“Never Mind The Bollocks” des Sex Pistols . Yeah ! Qui n’est pas passé par là à l’adolescence ? Moi j’étais un “adoléchiant”, je n’avais QUE ce mot là à la bouche : M.U.S.I.Q.U.E. Je dirais que c’est plus pour le côté rebelle et contestataire, que réellement pour la qualité de la musique… Mais cette débauche d’énergie, ce contraste avec la rigueur de mon apprentissage au conservatoire, et malgré tout le fait que ça avait fonctionné, en dépit du jemenfoutisme apparent, ça roulait… Je ne sais franchement pas si aucun des membres de ce groupe mythique avait déjà fait de la musique avant l’enregistrement de ce disque, mais ça claquait ! Et puis il y a quand même deux tubes énormes : God Save The Queen et Anarchy In The U.K.… Ah, il était balaise ce Malcolm McLaren, un génie du management d’artiste.

 

“Kind Of Blue” de Miles Davis. Tu connais ? Hé hé… C’est à travers ce disque que j’ai découvert le jazz. Y a pire comme porte d’entrée. Je l’écoutais en boucle, je m’en souviens comme si c’était hier … D’abord le son ! Super vast

e, profond, doux, mat mais pas sourd… De l’espace et on entend les instruments comme si on est à côté des musiciens, et puis le casting, laisse tomber. Mais ça, je n’en prendrai connaissance que bien plus tard. L’approche modale aussi, c’était tout nouveau pour moi, je n’y comprenais rien, mais je sentais une puissance, une maîtrise ainsi qu’une liberté qui m’impressionnaient beaucoup. Je n’avais aucune idée de la manière dont on pouvait se libérer des partitions à ce point, en fait je croyais que c’était écrit, comme une œuvre classique. Je n’avais aucune notion d’improvisation d’ailleurs. Bref ça a été une vraie révélation. En fait l’effet que ça m’a fait été assez proche de celui que j’ai ressenti en écoutant les Sex Pistols. Ça paraît étrange ? Hé bien pas pour moi. Ça faisait tomber tous les codes que j’étais en train d’apprendre, non sans peine, au conservatoire. Je commençais alors à sentir qu’il fallait que je finisse au plus vite mon cursus classique et que je désapprenne tout ça, trouvant un professeur qui saurait m’expliquer ce qu’est un accord, une grille (suite d’accord composant un morceau de musique) et surtout comment se promener sur cette grille et raconter sa propre histoire ! Toute une vie.

 

“Now He Sings, Now He Sobs” de Chick Corea. Là, je n’ai pas honte de le dire, j’ai compris qu’il fallait que je trouve mon instrument, que je me serve de toutes mes années d’études musicales comme un tremplin et un outil mais que le piano c’était fini. Certaines personnes savent se servir de cet objet d’une manière tellement magistrale et dont la technique dépasse de si loin mon entendement qu’il était inutile à mes yeux et pour ma petite personne, ne serait-ce que d’essayer de s’en approcher. Je suivais des cours à l’IMFP, une école de musique plutôt orientée jazz, dirigée par Michel Barot (trompettiste), j’avais de super Professeurs (Ivan Julien en composition, Michel Zenino en impro, Olivier Hutman et Jean-Sébastien Simonoviez en classe de piano) et petit à petit, grâce à eux et à de grands pianistes que j’admirais, que bien qu’étant réellement habité par la musique et des ambitions clairement affichées, je me rendais compte (non sans une bonne couche de regrets tout de même, mais avec une envie et une faim sans limite) que je devais trouver ma voie, mon instrument, une manière personnelle de vivre et de livrer la musique.


En tant que producteur, ingénieur du son et réalisateur, avez-vous des modèles, des influences ? Aussi bien dans le domaine du jazz, du rock ou des musiques électroniques…

J’imagine que oui, dire que non serait tellement prétentieux ! Mais d’après moi, cela se fait de manière totalement spontanée, ou plutôt irréfléchie. J’ai un son dans l’oreille et il vient très certainement de ma culture, de toutes ces musiques qui m’ont fait grandir, avec lesquelles j’ai évolué, qui m’ont fait vibrer, pleurer, danser… Je fais partie de ceux qui pensent qu’on n’invente rien. Que tout est en nous, ou dans l’air (partout, omniprésent) et que nous attrapons les idées, les couleurs, mais que ça ne nous appartient pas. On est le résultat de l’ensemble de nos expériences. Je suis incapable, par exemple de me dire : « Tiens, je vais composer un morceau à la Thom Yorke, Herbie Hancock ou encore à la Quincy Jones. » Mais en revanche, ce son là est stocké quelque part et la maîtrise des outils, avec lesquels je fais ou produis de la musique, permet de piocher, sans y réfléchir consciemment et d’atteindre le résultat qui conviendra à la fois à ma sensibilité et à celle de l’artiste dont je réalise le disque. Je pense aussi très sincèrement qu’imiter (et non plagier) un producteur ou un artiste est un exercice excellent quand on démarre le métier de réalisateur, car cela oblige à avoir une écoute analytique, pragmatique de la musique. On ne peux pas composer, arranger ou produire “mieux” que celui qui l’a fait pour la première fois, mais on peut tout à fait, et c’est très utile pour développer sa propre personnalité musicale essayer de décoder la logique de l’arrangement (ex : harmonie, types d’instruments utilisés, découpage rythmique,) et de la production phonographique (ex : mode de prise de son ou d’enregistrement, de mixage, les effets, les couleurs de sons). C’est une technique que je conseille souvent aux réalisateurs en devenir, car il est de plus en plus difficile aujourd’hui pour un jeune qui démarre dans le métier, de trouver un mentor qui nous donne ses hints, tricks and tips. C’était encore le cas quand j’ai démarré, j’ai assisté un réalisateur, compositeur, arrangeur très demandé et ça m’a permis d’observer non seulement comment lui bossait, mais aussi tous les collaborateurs à qui il faisait appel tout au long du processus de production. C’est un peu regrettable, bien qu’il y ait aussi des avantages à cette carence. C’est pour cette raison que je ne refuse jamais, je suis même flatté, lorsqu’un jeune qui sort d’une école de son ou plus simplement dont je sens qu’il est animé de cette envie de servir la musique, vient me voir et me demande de faire un stage. C’est la meilleure manière d’apprendre, je le mets donc au boulot IMMEDIATEMENT ! Mais les impératifs de la société d’aujourd’hui, la vitesse à laquelle on dévore la musique, les enjeux financiers personnels font qu’on a de moins en moins de temps à consacrer à la passation de savoir, l’isolement que procure l’ordinateur aussi est un obstacle et pas des moindres. Je ne me plaint pas, je déteste les « c’était mieux avant », mais je mentirais si je disais le contraire. C’est pour cette raison et quasiment uniquement que j’aime tant collaborer avec des musiciens ou des réalisateurs de tous horizons. Et quand on a trouvé un compère comme Laurent, je vous promet qu’on n’a pas le temps de réfléchir et d’appliquer des recettes, mais que c’est le cœur qui parle, riche de toutes les expériences passées, des influences et des modèles inconscients.

Téléconnexion : Frédéric Goaty

 

CD Laurent de Wilde / Otisto 23 : “Fly Superfly” (Gazebo, Choc Jazz Magazine Jazzman).

Concerts Le 28 novembre à Paris (New Morning), le 29 à Lyon (Le Périscope), le 16 décembre à Meylan (L’Hexagone). 

Net otisto23.com, laurentdewilde.com.


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#spécialbonus

La biographie autorisée de Dominique Poutet alias Dume alias Otisto 23

Otisto 23, connu également sous le nom de Dominique Poutet aka Dume, est né à Cannes en 1974 . Elève doué du Conservatoire de Draguignan en classe de piano, il débute dès ses quinze ans une carrière d’accompagnateur de variétés pour des artistes tels que Jean-Luc Lahaye ou Rachid Bahri. (C’est de cette époque que date une longue amitié avec The Cure qu’il finira par sonoriser lors de leurs venues en France et accompagner parfois au clavier) Néanmoins attiré vers d’autres univers musicaux, il s’inscrit à l’institut musical de Michel Barro à  Salon de Provence en parallèle de la classe jazz du conservatoire d’Aix pour y développer sa pratique du jazz, puis commence à s’intéresser au son et, au cours des années 90, produit en tant qu’ingénieur et réalisateur un grand nombre d’albums pour des artistes tels que Eric Bibb, Fred Wesley, Lunatic Asylum, Dixie Frog ou Interlope.

C’est aussi à cette époque qu’il participe à l’aventure extraordinaire du cirque Footsbarn dont il enregistre le disque et pour qui il produit des bandes à jouer en temps réel – c’est à la lumière de cette expérience qu’il réalise qu’une expression artistique non conventionnelle peut rencontrer un grand succès public – il travaillera par la suite avec leur manager Malcom McLaren pour qui il réalisera la musique de plusieurs de ses émissions, The biology of Machines.

Sa rencontre avec Gaël Horellou et Jeremie Picard  lui permet d’intégrer le groupe Cosmik Connection et achèvera d’aiguiser sa curiosité pour le monde de la musique électronique. Il entame les années 2000 avec une créativité redoublée : acteur incontournable des rave-parties en Europe et en Inde où il séjourne régulièrement, il fonde en 2002 le label DTC produisant de nombreux artistes de la scène underground, ainsi que le label Arambol Experience en écho à ses rencontres musicales indiennes. Il tient également durant deux ans la console de mixage au tout jeune Batofar qui ne tardera pas à devenir à devenir à Paris le point de référence de la musique électronique et expérimentale.

Véritable pionnier du logiciel Ableton Live dont il est le premier français à obtenir la certification, il met ses connaissances en pratique dès 2006 dans sa collaboration avec Laurent de Wilde dont il traite les sons de piano en temps réel, ouvrant la voie à une longue collaboration scénique et discographique dont le troisième enregistrement, “Fly Superfly”, vient de paraître. C’est également lui qui réalisera l’enregistrement tous les disques acoustiques et électroniques de Laurent de Wilde depuis 2004. Toujours producteur, Otisto 23 mixe et réalise de nombreux disques dont l’un des derniers a révélé le saxophoniste Guillaume Perret au grand public.