Jazz live
Publié le 11 Mai 2013

Pascal Contet, Marilyn Crispell & Gerry Hemingway, David Chevallier, Médéric Collignon, Europa Jazz

François Couperin, rappelle Pascal Contet avant de commencer son solo par une pièce de l’auteur de « l’Astrée », appelait de ses voeux un instrument (autre que l’orgue) capable de « gonfler et dégonfler le son ». L’accordéon a été réalisé dans les années qui ont suivi, on dirait presque pour réaliser ce voeu. En tous cas, « Les ombres errantes » débutent ce solo de midi (Collégiale St-Pierre-La-Cour) de la plus belle façon qui soit. Pur classicisme.

 

Pascal Contet solo : Pascal Contet (acc)

Marilyn Crispell/Gerry Hemingway duo : Marilyn Crispell (p), Gerry Hemingway (dm, perc, vib)

David Chevallier Trio : David Chevallier (g), Sébastien Boisseau (b), Christophe Lavergne (dm)

Médéric Collignon Jus de Bocse « joue King Crimson » : Médéric Collignon (tp, voc, arr), Yvan Robilliard (fender), Emmanuel Harang (b), Philippe Gleize (dm), Anne Le Pape, Youri Bessières, Widad Abdessemed, Marius Pibarot (vln), Théo Ceccaldi, Cécile Pruvot (altos), Valentin Ceccaldi, Matias Riquelme (cellos)

 

Suivront quelques pièces plus improvisées, en longues tenues de notes et d’accords dans les divers registres de l’instrument, ou en fragments de mélodie douloureuse enchaînée sur une allure plus rapide, avec retour à la thématique du départ, soit une construction instantanée dans la plus pure tradition des organistes – en effet. S’en suivront aussi des variations plus légères, souriantes, sur l’instrument lui-même, avec effets de machine à écrire, tapotements, jeu sur le souffle, touches effleurées, pour voir « comment je fais la poussière de mon accordéon » dit-il dans un large sourire. Le blues, presque le boogie-woogie ensuite, et en bis un Peut-être de Jacques Rebotier, où, vrillé entre le oui et le non Pascal Contet semble chercher des registrations, les choisir puis les refuser. On reste sur ce point d’interrogation, et sur cette heure de musique, délicieuse.

 

C’est donc bien parti pour deux jours d’intense musique, au point que des personnes ont fait le voyage depuis Bordeaux pour pouvoir assister aux concerts de Marilyn Crispell et Gerry Hemingway et les suivants jusqu’à Henry Threadgill demain en fin de soirée. Faut dire qu’à Bordeaux, on ne risque pas d’en écouter le dixième. Une très longue habitude de dialoguer donne à la rencontre entre Marilyn Crispelle et Gerry Hemingway un caractère d’évidence musicale rare. Pas un trait de la pianiste, en accords répétés ou en courtes phrases obsédantes, qui ne soit immédiatement commenté, relayé ou contesté par le percussionniste/coloriste. Pas une invite rythmique du batteur qui ne soit à l’instant même rejouée ou déjouée par la pianiste. Pas un silence de l’un qui ne soit d’évidence pour l’autre, non comme une absence mais comme une manière d’occuper le terrain par l’écoute. C’est impressionnant de justesse et de vérité. Gerry Hemingway utilise aussi le vibraphone, et il réussit à mon sens cette étonnante performance de jouer tout le temps comme un soliste, et de prendre quand même au final un solo d’une puissance étonnante, pour ne pas dire d’une violence inouïe. Superbe moment.

 

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                Gerry Hemingway

 

En soirée, à l’Epau, nous étions conviés à une relecture de standards de jazz par le trio de David Chevallier (« Standards & Avatars »), puis au Jus de Bocse de Médéric Collignon dans un répertoire emprunté à King Crimson. On aura reconnu, quelque peu chicanés, toujours avec intelligence, The Man I Love, Solar, Alone Together, Strange Fruit, You Don’t Know What Love Is, et quelques autres dont le Strange Fruit de Billie Holiday qui impressionne par sa modernité. L’approche de ces pièces connues est subtile mais encore très sage, tout cela prendra du corps avec l’âge et la répétition. En tous cas, une ouverture de soirée parfaite.

 

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             David Chevallier 

 

Car, toutes choses évidemment inégales, allait nous tomber dessus avec Médéric Collignon, ses oeuvres et ses cordes, quelque chose comme le big band de Dizzy Gillespie à Pleyel en 48. Gardons raison. Mais quand même : on est en droit de supposer que pour de jeunes oreilles, cette débauche de sons envoyés, cette puissance, ce débordement permanent, cette électrisation de l’espace, doit avoir quelque chose de profondément fascinant. L’univers de King Crimson m’est assez étranger, mais je suis rentré dans celui qui m’était proposé hier soir avec entrain et envie que ça dure ! Que Bill Bruford (batteur du groupe) ait appuyé de ses louanges cette renaissance n’est pas négligeable. Et puis décidément Médéric est à la fois un meneur d’hommes (et de femmes) étonnant, il parvient à entraîner son (jeune) octuor à cordes dans des arrangements magnifiques et grainés – on lit sur les visages de ces jeunes gens et jeunes filles une identification au « chef » d’une grande beauté -, il écrit, arrange, détourne, explique même son travail en plein concert, il joue du « sound painting » comme un Zorn dirigeant un Cobra, il sait choisir ses rythmiciens en complète opposition avec lui-même pour assurer un battement souple et précis, il choruse dans ce projet davantage comme un bopper gillespien que comme un coolman davisien, il déborde, se laisse déborder, sait quand même s’arrêter au bord de la faille. On aurait envie, d’une part que des moments pareils soient partagés par le plus grand nombre (Nantes ?), et d’autre part que cette débauche de talents soit mobilisée encore davantage.

 

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IMG 3702

 

 Cécile Pruvot au milieu des cordes et des pupitres, l’oeil rivé sur le conducteur.

 

 

 

 

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A midi, Sylvain Kassap solo, puis à 17.00 le très rare duo entre Marty Ehrlich et Myra Melford, enfin ce soir à l’Epau Aldo Romano « New Blood » et Henry Threadgill « Zooid » (seule date en France…)


Philippe Méziat

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François Couperin, rappelle Pascal Contet avant de commencer son solo par une pièce de l’auteur de « l’Astrée », appelait de ses voeux un instrument (autre que l’orgue) capable de « gonfler et dégonfler le son ». L’accordéon a été réalisé dans les années qui ont suivi, on dirait presque pour réaliser ce voeu. En tous cas, « Les ombres errantes » débutent ce solo de midi (Collégiale St-Pierre-La-Cour) de la plus belle façon qui soit. Pur classicisme.

 

Pascal Contet solo : Pascal Contet (acc)

Marilyn Crispell/Gerry Hemingway duo : Marilyn Crispell (p), Gerry Hemingway (dm, perc, vib)

David Chevallier Trio : David Chevallier (g), Sébastien Boisseau (b), Christophe Lavergne (dm)

Médéric Collignon Jus de Bocse « joue King Crimson » : Médéric Collignon (tp, voc, arr), Yvan Robilliard (fender), Emmanuel Harang (b), Philippe Gleize (dm), Anne Le Pape, Youri Bessières, Widad Abdessemed, Marius Pibarot (vln), Théo Ceccaldi, Cécile Pruvot (altos), Valentin Ceccaldi, Matias Riquelme (cellos)

 

Suivront quelques pièces plus improvisées, en longues tenues de notes et d’accords dans les divers registres de l’instrument, ou en fragments de mélodie douloureuse enchaînée sur une allure plus rapide, avec retour à la thématique du départ, soit une construction instantanée dans la plus pure tradition des organistes – en effet. S’en suivront aussi des variations plus légères, souriantes, sur l’instrument lui-même, avec effets de machine à écrire, tapotements, jeu sur le souffle, touches effleurées, pour voir « comment je fais la poussière de mon accordéon » dit-il dans un large sourire. Le blues, presque le boogie-woogie ensuite, et en bis un Peut-être de Jacques Rebotier, où, vrillé entre le oui et le non Pascal Contet semble chercher des registrations, les choisir puis les refuser. On reste sur ce point d’interrogation, et sur cette heure de musique, délicieuse.

 

C’est donc bien parti pour deux jours d’intense musique, au point que des personnes ont fait le voyage depuis Bordeaux pour pouvoir assister aux concerts de Marilyn Crispell et Gerry Hemingway et les suivants jusqu’à Henry Threadgill demain en fin de soirée. Faut dire qu’à Bordeaux, on ne risque pas d’en écouter le dixième. Une très longue habitude de dialoguer donne à la rencontre entre Marilyn Crispelle et Gerry Hemingway un caractère d’évidence musicale rare. Pas un trait de la pianiste, en accords répétés ou en courtes phrases obsédantes, qui ne soit immédiatement commenté, relayé ou contesté par le percussionniste/coloriste. Pas une invite rythmique du batteur qui ne soit à l’instant même rejouée ou déjouée par la pianiste. Pas un silence de l’un qui ne soit d’évidence pour l’autre, non comme une absence mais comme une manière d’occuper le terrain par l’écoute. C’est impressionnant de justesse et de vérité. Gerry Hemingway utilise aussi le vibraphone, et il réussit à mon sens cette étonnante performance de jouer tout le temps comme un soliste, et de prendre quand même au final un solo d’une puissance étonnante, pour ne pas dire d’une violence inouïe. Superbe moment.

 

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                Gerry Hemingway

 

En soirée, à l’Epau, nous étions conviés à une relecture de standards de jazz par le trio de David Chevallier (« Standards & Avatars »), puis au Jus de Bocse de Médéric Collignon dans un répertoire emprunté à King Crimson. On aura reconnu, quelque peu chicanés, toujours avec intelligence, The Man I Love, Solar, Alone Together, Strange Fruit, You Don’t Know What Love Is, et quelques autres dont le Strange Fruit de Billie Holiday qui impressionne par sa modernité. L’approche de ces pièces connues est subtile mais encore très sage, tout cela prendra du corps avec l’âge et la répétition. En tous cas, une ouverture de soirée parfaite.

 

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             David Chevallier 

 

Car, toutes choses évidemment inégales, allait nous tomber dessus avec Médéric Collignon, ses oeuvres et ses cordes, quelque chose comme le big band de Dizzy Gillespie à Pleyel en 48. Gardons raison. Mais quand même : on est en droit de supposer que pour de jeunes oreilles, cette débauche de sons envoyés, cette puissance, ce débordement permanent, cette électrisation de l’espace, doit avoir quelque chose de profondément fascinant. L’univers de King Crimson m’est assez étranger, mais je suis rentré dans celui qui m’était proposé hier soir avec entrain et envie que ça dure ! Que Bill Bruford (batteur du groupe) ait appuyé de ses louanges cette renaissance n’est pas négligeable. Et puis décidément Médéric est à la fois un meneur d’hommes (et de femmes) étonnant, il parvient à entraîner son (jeune) octuor à cordes dans des arrangements magnifiques et grainés – on lit sur les visages de ces jeunes gens et jeunes filles une identification au « chef » d’une grande beauté -, il écrit, arrange, détourne, explique même son travail en plein concert, il joue du « sound painting » comme un Zorn dirigeant un Cobra, il sait choisir ses rythmiciens en complète opposition avec lui-même pour assurer un battement souple et précis, il choruse dans ce projet davantage comme un bopper gillespien que comme un coolman davisien, il déborde, se laisse déborder, sait quand même s’arrêter au bord de la faille. On aurait envie, d’une part que des moments pareils soient partagés par le plus grand nombre (Nantes ?), et d’autre part que cette débauche de talents soit mobilisée encore davantage.

 

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 Cécile Pruvot au milieu des cordes et des pupitres, l’oeil rivé sur le conducteur.

 

 

 

 

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A midi, Sylvain Kassap solo, puis à 17.00 le très rare duo entre Marty Ehrlich et Myra Melford, enfin ce soir à l’Epau Aldo Romano « New Blood » et Henry Threadgill « Zooid » (seule date en France…)


Philippe Méziat

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François Couperin, rappelle Pascal Contet avant de commencer son solo par une pièce de l’auteur de « l’Astrée », appelait de ses voeux un instrument (autre que l’orgue) capable de « gonfler et dégonfler le son ». L’accordéon a été réalisé dans les années qui ont suivi, on dirait presque pour réaliser ce voeu. En tous cas, « Les ombres errantes » débutent ce solo de midi (Collégiale St-Pierre-La-Cour) de la plus belle façon qui soit. Pur classicisme.

 

Pascal Contet solo : Pascal Contet (acc)

Marilyn Crispell/Gerry Hemingway duo : Marilyn Crispell (p), Gerry Hemingway (dm, perc, vib)

David Chevallier Trio : David Chevallier (g), Sébastien Boisseau (b), Christophe Lavergne (dm)

Médéric Collignon Jus de Bocse « joue King Crimson » : Médéric Collignon (tp, voc, arr), Yvan Robilliard (fender), Emmanuel Harang (b), Philippe Gleize (dm), Anne Le Pape, Youri Bessières, Widad Abdessemed, Marius Pibarot (vln), Théo Ceccaldi, Cécile Pruvot (altos), Valentin Ceccaldi, Matias Riquelme (cellos)

 

Suivront quelques pièces plus improvisées, en longues tenues de notes et d’accords dans les divers registres de l’instrument, ou en fragments de mélodie douloureuse enchaînée sur une allure plus rapide, avec retour à la thématique du départ, soit une construction instantanée dans la plus pure tradition des organistes – en effet. S’en suivront aussi des variations plus légères, souriantes, sur l’instrument lui-même, avec effets de machine à écrire, tapotements, jeu sur le souffle, touches effleurées, pour voir « comment je fais la poussière de mon accordéon » dit-il dans un large sourire. Le blues, presque le boogie-woogie ensuite, et en bis un Peut-être de Jacques Rebotier, où, vrillé entre le oui et le non Pascal Contet semble chercher des registrations, les choisir puis les refuser. On reste sur ce point d’interrogation, et sur cette heure de musique, délicieuse.

 

C’est donc bien parti pour deux jours d’intense musique, au point que des personnes ont fait le voyage depuis Bordeaux pour pouvoir assister aux concerts de Marilyn Crispell et Gerry Hemingway et les suivants jusqu’à Henry Threadgill demain en fin de soirée. Faut dire qu’à Bordeaux, on ne risque pas d’en écouter le dixième. Une très longue habitude de dialoguer donne à la rencontre entre Marilyn Crispelle et Gerry Hemingway un caractère d’évidence musicale rare. Pas un trait de la pianiste, en accords répétés ou en courtes phrases obsédantes, qui ne soit immédiatement commenté, relayé ou contesté par le percussionniste/coloriste. Pas une invite rythmique du batteur qui ne soit à l’instant même rejouée ou déjouée par la pianiste. Pas un silence de l’un qui ne soit d’évidence pour l’autre, non comme une absence mais comme une manière d’occuper le terrain par l’écoute. C’est impressionnant de justesse et de vérité. Gerry Hemingway utilise aussi le vibraphone, et il réussit à mon sens cette étonnante performance de jouer tout le temps comme un soliste, et de prendre quand même au final un solo d’une puissance étonnante, pour ne pas dire d’une violence inouïe. Superbe moment.

 

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                Gerry Hemingway

 

En soirée, à l’Epau, nous étions conviés à une relecture de standards de jazz par le trio de David Chevallier (« Standards & Avatars »), puis au Jus de Bocse de Médéric Collignon dans un répertoire emprunté à King Crimson. On aura reconnu, quelque peu chicanés, toujours avec intelligence, The Man I Love, Solar, Alone Together, Strange Fruit, You Don’t Know What Love Is, et quelques autres dont le Strange Fruit de Billie Holiday qui impressionne par sa modernité. L’approche de ces pièces connues est subtile mais encore très sage, tout cela prendra du corps avec l’âge et la répétition. En tous cas, une ouverture de soirée parfaite.

 

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             David Chevallier 

 

Car, toutes choses évidemment inégales, allait nous tomber dessus avec Médéric Collignon, ses oeuvres et ses cordes, quelque chose comme le big band de Dizzy Gillespie à Pleyel en 48. Gardons raison. Mais quand même : on est en droit de supposer que pour de jeunes oreilles, cette débauche de sons envoyés, cette puissance, ce débordement permanent, cette électrisation de l’espace, doit avoir quelque chose de profondément fascinant. L’univers de King Crimson m’est assez étranger, mais je suis rentré dans celui qui m’était proposé hier soir avec entrain et envie que ça dure ! Que Bill Bruford (batteur du groupe) ait appuyé de ses louanges cette renaissance n’est pas négligeable. Et puis décidément Médéric est à la fois un meneur d’hommes (et de femmes) étonnant, il parvient à entraîner son (jeune) octuor à cordes dans des arrangements magnifiques et grainés – on lit sur les visages de ces jeunes gens et jeunes filles une identification au « chef » d’une grande beauté -, il écrit, arrange, détourne, explique même son travail en plein concert, il joue du « sound painting » comme un Zorn dirigeant un Cobra, il sait choisir ses rythmiciens en complète opposition avec lui-même pour assurer un battement souple et précis, il choruse dans ce projet davantage comme un bopper gillespien que comme un coolman davisien, il déborde, se laisse déborder, sait quand même s’arrêter au bord de la faille. On aurait envie, d’une part que des moments pareils soient partagés par le plus grand nombre (Nantes ?), et d’autre part que cette débauche de talents soit mobilisée encore davantage.

 

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 Cécile Pruvot au milieu des cordes et des pupitres, l’oeil rivé sur le conducteur.

 

 

 

 

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A midi, Sylvain Kassap solo, puis à 17.00 le très rare duo entre Marty Ehrlich et Myra Melford, enfin ce soir à l’Epau Aldo Romano « New Blood » et Henry Threadgill « Zooid » (seule date en France…)


Philippe Méziat

|

François Couperin, rappelle Pascal Contet avant de commencer son solo par une pièce de l’auteur de « l’Astrée », appelait de ses voeux un instrument (autre que l’orgue) capable de « gonfler et dégonfler le son ». L’accordéon a été réalisé dans les années qui ont suivi, on dirait presque pour réaliser ce voeu. En tous cas, « Les ombres errantes » débutent ce solo de midi (Collégiale St-Pierre-La-Cour) de la plus belle façon qui soit. Pur classicisme.

 

Pascal Contet solo : Pascal Contet (acc)

Marilyn Crispell/Gerry Hemingway duo : Marilyn Crispell (p), Gerry Hemingway (dm, perc, vib)

David Chevallier Trio : David Chevallier (g), Sébastien Boisseau (b), Christophe Lavergne (dm)

Médéric Collignon Jus de Bocse « joue King Crimson » : Médéric Collignon (tp, voc, arr), Yvan Robilliard (fender), Emmanuel Harang (b), Philippe Gleize (dm), Anne Le Pape, Youri Bessières, Widad Abdessemed, Marius Pibarot (vln), Théo Ceccaldi, Cécile Pruvot (altos), Valentin Ceccaldi, Matias Riquelme (cellos)

 

Suivront quelques pièces plus improvisées, en longues tenues de notes et d’accords dans les divers registres de l’instrument, ou en fragments de mélodie douloureuse enchaînée sur une allure plus rapide, avec retour à la thématique du départ, soit une construction instantanée dans la plus pure tradition des organistes – en effet. S’en suivront aussi des variations plus légères, souriantes, sur l’instrument lui-même, avec effets de machine à écrire, tapotements, jeu sur le souffle, touches effleurées, pour voir « comment je fais la poussière de mon accordéon » dit-il dans un large sourire. Le blues, presque le boogie-woogie ensuite, et en bis un Peut-être de Jacques Rebotier, où, vrillé entre le oui et le non Pascal Contet semble chercher des registrations, les choisir puis les refuser. On reste sur ce point d’interrogation, et sur cette heure de musique, délicieuse.

 

C’est donc bien parti pour deux jours d’intense musique, au point que des personnes ont fait le voyage depuis Bordeaux pour pouvoir assister aux concerts de Marilyn Crispell et Gerry Hemingway et les suivants jusqu’à Henry Threadgill demain en fin de soirée. Faut dire qu’à Bordeaux, on ne risque pas d’en écouter le dixième. Une très longue habitude de dialoguer donne à la rencontre entre Marilyn Crispelle et Gerry Hemingway un caractère d’évidence musicale rare. Pas un trait de la pianiste, en accords répétés ou en courtes phrases obsédantes, qui ne soit immédiatement commenté, relayé ou contesté par le percussionniste/coloriste. Pas une invite rythmique du batteur qui ne soit à l’instant même rejouée ou déjouée par la pianiste. Pas un silence de l’un qui ne soit d’évidence pour l’autre, non comme une absence mais comme une manière d’occuper le terrain par l’écoute. C’est impressionnant de justesse et de vérité. Gerry Hemingway utilise aussi le vibraphone, et il réussit à mon sens cette étonnante performance de jouer tout le temps comme un soliste, et de prendre quand même au final un solo d’une puissance étonnante, pour ne pas dire d’une violence inouïe. Superbe moment.

 

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                Gerry Hemingway

 

En soirée, à l’Epau, nous étions conviés à une relecture de standards de jazz par le trio de David Chevallier (« Standards & Avatars »), puis au Jus de Bocse de Médéric Collignon dans un répertoire emprunté à King Crimson. On aura reconnu, quelque peu chicanés, toujours avec intelligence, The Man I Love, Solar, Alone Together, Strange Fruit, You Don’t Know What Love Is, et quelques autres dont le Strange Fruit de Billie Holiday qui impressionne par sa modernité. L’approche de ces pièces connues est subtile mais encore très sage, tout cela prendra du corps avec l’âge et la répétition. En tous cas, une ouverture de soirée parfaite.

 

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             David Chevallier 

 

Car, toutes choses évidemment inégales, allait nous tomber dessus avec Médéric Collignon, ses oeuvres et ses cordes, quelque chose comme le big band de Dizzy Gillespie à Pleyel en 48. Gardons raison. Mais quand même : on est en droit de supposer que pour de jeunes oreilles, cette débauche de sons envoyés, cette puissance, ce débordement permanent, cette électrisation de l’espace, doit avoir quelque chose de profondément fascinant. L’univers de King Crimson m’est assez étranger, mais je suis rentré dans celui qui m’était proposé hier soir avec entrain et envie que ça dure ! Que Bill Bruford (batteur du groupe) ait appuyé de ses louanges cette renaissance n’est pas négligeable. Et puis décidément Médéric est à la fois un meneur d’hommes (et de femmes) étonnant, il parvient à entraîner son (jeune) octuor à cordes dans des arrangements magnifiques et grainés – on lit sur les visages de ces jeunes gens et jeunes filles une identification au « chef » d’une grande beauté -, il écrit, arrange, détourne, explique même son travail en plein concert, il joue du « sound painting » comme un Zorn dirigeant un Cobra, il sait choisir ses rythmiciens en complète opposition avec lui-même pour assurer un battement souple et précis, il choruse dans ce projet davantage comme un bopper gillespien que comme un coolman davisien, il déborde, se laisse déborder, sait quand même s’arrêter au bord de la faille. On aurait envie, d’une part que des moments pareils soient partagés par le plus grand nombre (Nantes ?), et d’autre part que cette débauche de talents soit mobilisée encore davantage.

 

IMG 3693

 

 

 

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 Cécile Pruvot au milieu des cordes et des pupitres, l’oeil rivé sur le conducteur.

 

 

 

 

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A midi, Sylvain Kassap solo, puis à 17.00 le très rare duo entre Marty Ehrlich et Myra Melford, enfin ce soir à l’Epau Aldo Romano « New Blood » et Henry Threadgill « Zooid » (seule date en France…)


Philippe Méziat