Jazz live
Publié le 15 Juin 2022

Pégaz Festival : final avec Dancing Birds et les Rugissants

Hier 14 juin, la grande formation de Grégoire Letouvet et le trio de Julien Soro, Gabriel Midon et Ariel Tessier clôturait au Studio de l’Ermitage le festival du collectif Pégaz et l’Hélicon. Premières impressions.

Premières impressions, car il me semble bien avoir vu à mon côté Jean-François Mondot, très fin observateur, prendre une multitude de notes tandis que, devant moi, sa co-équipière et dessinatrice Annie-Claire Alvoët  y allait de ses encres et pinceaux, pour un compte rendu probablement à venir, plus détaillé que le mien. Car quant à moi, j’ai pris le concert du trio en pleine poire. Il faut dire que leur entrée en scène ressemble à l’attaque frontale de trois gros carnivores affamés, Ariel Tessier rivalisant avec l’énorme ténor de Julien Soro dans sa capacité à faire rugir peaux et cymbales sur les battements de tambours tribaux que délivre la contrebasse de Gabriel Midon.

Il y a pourtant de la nuance dans leur performance, comme si le premier morceau dévastateur n’était qu’une façon de se délivrer une bonne fois pour toute de leur trac et autres inhibitions. On les verra plus loin tendres comme de grands jeunes félins échangeant des caresses mutuelles même si, nous autres, pauvres humains spectateurs, devons prendre garde de ne pas nous laisser décapiter d’une petite tape sur la nuque. Ariel peut alors swinguer gentiment, puis faire swinguer méchamment tout le trio dans un  registre “plus jazz”, avec une contrebasse toujours primale – sobriété et puissance du geste, beaucoup de cordes à vide, de répétitions de note, préférence pour le haut du manche (donc pour le bas du registre… paradoxe de la langue française). Puis vient une fanfare grotesque… à la Albert Ayler ? Plutôt autre chose. (D’ailleurs, Ayler, toujours d’un grand sérieux, se défendait de tout humour et de tout grotesque). En traquant les réminiscences, on pense au Sonny Rollins des grands trios, à Archie Shepp période Impulse !, à Dewey Redman… et – tiens ? Pourquoi pas ? – à Keith Jarrett, oui, oui Keith Jarrett ! Et sans avoir rien fumé.

Soudain… surgit une lionne à crinière dorée, Léa Ciechelski (saxophone alto), et le trio Dancing Birds devient Big Fish ! Et je n’en savais rien ! Nouvelle charge rugissante puis bataille de saxophones en hommage au Capitaine Haddock [sic !]… Je pense moins à un concours d’injures qu’à une portée de déjà gros lionceaux se préparant fraternellement à de futures victoires. Retrouvez Léa Ciechelski  en tournée avec le groupe Prospectus le 23 juin au Saint Lubin de Blois, le 24 au Chatpêlmèle d’Alençon, le 25 au Quartier à Tours. Ou du 13 au 15 juillet avec le Pax Octet de Guillaume Hazebrouck et Olivier Thémines au Crescent de Mâcon.

Changement de décor, mais toujours des rugissements, avec les Rugissants du pianiste et compositeur Grégoire Letouvet dans un programme autour du “Cri” décliné de différentes manières en évitant les premiers degrés pour aller chercher au plus profond de l’inconscient les différentes nuances et résonances de ce cri.

Derrière leurs pupitres et dans la lumière tamisée bleutée des projecteurs (un début de cataracte aidant peut-être), les visages des musiciens me semblent se fondre dans une étrange draperie tissée en ikat, impression que nourrit une polyphonie évocatrice des musiques vocales pré-baroques. Les solistes ne viennent pas “devant”, s’exprimant plutôt du c(h)œur de cette trame qui me semble moins chercher à faire récit linéaire qu’à faire état (état de matière, de couleur, d’espace…), faire tableau où l’œil serait invité à s’attarder sur quelque détail, quelque débordement de couleur. Céleste, la belle pièce composée par le contrebassiste Alexandre Perrot (car Letouvet invite ses comparses à prendre aussi la plume, quitte à contribuer lui-même à la mise en forme orchestrale) a des allures de paysage nocturne où l’on croit percevoir un étang, une végétation, une faune que l’on nous laisse deviner sans rien nous en révéler. D’une pièce à l’autre – Primal, Fission, Affre, Mannes, Vacarme –, on se prend à visiter les salles d’une exposition, jusqu’à ce terminal Sauvage qui nous plonge dans l’effroi et je veux en nommer les deux solistes qui soudain lacèrent la toile : Jules Boittin (trombone) et Théo Philippe (sax alto). Mais je suis injuste, il me faut nommer tous ceux qui ont apporté chacun sa touche à cette passionnante exposition musicale :

Grégoire Letouvet  (composition, direction, piano), Léo Jeannet (trompette), Jules Boittin trombone (trombone), Corentin Giniaux (clarinette, clarinette basse), Théo Philippe (saxophone alto),  Rémi Scribe (saxophone soprano, saxophone ténor), Thibaud Merle (saxophone ténor), Raphaël Herlem (saxophone baryton), Alexandre Perrot (contrebasse), Jean-Baptiste Paliès (batterie).

Cheminant à pied vers mon manoir, j’aperçus la lune pleine sur laquelle de petits nuages faisaient défiler leurs ombres chinoises et, soudain attendri au souvenir de Céleste d’Alexandre Perrot, je tentais de la photographier. Mais j’oubliais que l’on ne photographie pas la lune avec un téléphone portable pas plus que l’on ne saurait saisir de la main son reflet dans l’eau d’un étang. Franck Bergerot