Jazz live
Publié le 23 Jan 2015

Petite Moutarde ? Un Poco Loco !

Tandis que les fichiers du numéro de mars, dans sa nouvelle formule quittaient les bureaux de Jazz Magazine par les “autoroutes de l’information” en direction de notre imprimeur, dans le Nord de la France, je reprenais, exténué, mais le cœur léger, les chemins buissonniers du jazz vivant que j’avais déserté depuis exactement un mois, pour me rendre, avant-hier 21 janvier, à la Dynamo de Pantin où se produisaient le quartette Petite Moutarde de Théo Ceccaldi et le trio Un Poco Loco de Fidel Fourneyron.

 

 

La Dynamo de Banlieues bleues, Pantin (93), le 21 janvier 2015.

 

Petite Moutarde : Théo Ceccaldi (violon, composition), Alexandra Grimal (sax ténor et sopranino), Ivan Gélugne (contrebasse), Florian Satche (batterie), Jean-Pascal Retel (vidéo et scénographie), Vincent Bodin (lumières et scénographie), sur des images d’Entr’acte de René Clair.

 

Derrière les carrés de tissu flottant qui masquent, pendant les premiers instants du concert, les visages des musiciens apparus dans le noir, sur lesquels sont projetées leurs images filmées dans un noir et blanc aux allures de suaires, surgit d’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture et du sertissage de l’improvisation qui ressource l’élan de l’écrit. Plus la facétie que souligne la scénographie et m’incite à une divagation imaginaire du côté de… Roland Dubillard (un ballon suspendu qui éclate sous un coup de baguette de Satche), de René Magritte (un chapeau melon qui descend des cintres au dessus de la tête de Gélugne), d’Agnès Varda (je ne sais plus pour quelle raison… elle revient toujours se fourrer quelque part sur le chemin de mes divagations… peut-être cette proclamation collective du mot « chameau » en début de spectacle, ou ce glissement de la voix d’Alexandra Grimal à son sopranino, l’un se reflétant dans l’autre en un jeu de miroirs subtilement déformants me rappelant les miroirs du film Les Plages d’Agnès), d’Igor Stravinsky (quelques accents passagers, mais surtout cette façon d’être moins dans l’expression que dans la forme et l’énergie)… Mais où en étais-je… Avec ces longues phrases pleines de parenthèses, je me perds moi-même. Aidez-moi !

 

Ah, ça me revient : ces images d’abord décousues, puis qui semblent faire un film complet en fond de scène, dont la musique de Petite moutarde serait la BO, et mon imaginaire remonte la chronologie du siècle passé… L’avant-garde russe, Dada, les surréalistes… J’apprendrai à l’entracte qu’il s’agit justement d’Entr’acte, le film de René Clair ! Je devrais me couvrir de cendres (mais s’il fallait que tous les amateurs de cinéma qui ne connaissent pas le solo de King Oliver sur Dippermouth Blues se couvrent de cendres, on n’aurait pas fini de tousser dans les multiplex). Et si j’avais lu le programme avant d’entrer en salle, j’aurais compris que le chapeau melon de Gélugne n’est pas celui de Magritte, mais celui d’Erik Satie : « A travers ce quartette inédit né d’une résidence à l’Atelier du Plateau ayant pour thème “Les Réalisateurs qui ont filmé Paris”, Théo Ceccaldi a choisi d’explorer le cinéma muet surréaliste et dadaïste des années 1920. »


Je ne suis guère adepte de cette sorte de distraction par l’image appliquée à la musique (on voit bien ce que ça donne, le jazzcritic, comme souvent handicapé des esgourdes parce que la nature humaine a fait de l’œil un tyran sur les autres sens – Sigmund le Chat, lui, lisait mes papiers au seul son de mes touches sur le clavier – ne raconte ci-dessus que ce qu’il a vu), mais ici, ça fonctionne admirablement, et je me suis laissé d’autant plus happer par ce fol enterrement qui s’ébranle à grandes foulées derrière ce chameau psychopompe progressivement saisi d’une frénésie de vitesse que la musique avait un participait pleinement par sa fantaisie, ses timbres, ses motifs et ses rythmes de ce pouvoir grisant qui s’appelle le merveilleux.

 

Un Poco Loco : Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser (saxophone ténor, clarinette), Sébastine Beliah (contrebasse).

 

D’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture… Voilà donc que je répète mot pour mot ce par quoi je commençais mon précédent compte rendu. Et faute d’avoir été plus précis, me voilà dont incapable de distinguer l’une et l’autre partie de cette soirée, pourtant bien différentes, même si quelques points communs pourtant justifient leur présence à la même affiche. L’objet de cette seconde partie, moins insaisissable, plus repérable ne serait-ce que sur le curseur chronologique, me rendra toutefois plus loquace, le trio se livrant à une merveilleuse valse hésitation entre l’aval et l’amont du répertoire bebop.

 

On reconnaît bien là l’appétit du collectif franco-germano-suédois Umlaut  que fréquentent ces jeunes gens, collectif pour le coup insaisissable pour les médias avident de messages clairs, insaisissable par le caractère polymorphe de ses formules orchestrales et de ses effectifs et par cette capacité de paraître tantôt sous les dehors de l’avant-garde tantôt dans une attitude revival qui les amène à rejouer Mary Lou Williams  ou Fletcher Henderson  à la lettre pour un public de leur âge ou à revisiter Ornette Coleman et l’Anthony Braxton des années Arista en un curieux hybride baptisé The Braxtonornette Project.

 

Donc, le bop, les musiciens d’Un Poco Loco réduisent à trois voix, dont ils démontent les thèmes en pièces détachées pour les remonter en merveilleux petits objets sonores reconnaissables qu’ils “calembournent”, “cadavrexquisent” et “doublesignifient”, les deux voix mélodiques bataillant (lorsqu’elles ne les relaient pas) avec les assymétries et les instabilités virtuoses de Sébastien Beliah. Et tout en jouant de l’aval chronologique par ces bricolages rythmiques venus du tournant du siècle, Fourneyron (pilier du Duke Orchestra) ellingtonise ou plus préc
isément trickysamnantonise (sur tous les registres, des appels fauves de Koko aux velours de Chloé) tandis que Gesser fait preuve sur l’un et l’autre de ses instruments d’une fluidité gracieuse qui contraste avec les nappes multiphoniques de ses projets personnels (écouter Bribes). Leur arrangement d’Un Poco Loco qui leur sert de nom de groupe et de générique me réjouit particulièrement en ce qu’il éclaire le génie de Bud Powell, extraie du drame powellien ce chef d’œuvre destiné à être joué dans des clubs bruyants sur des pianos désaccordés. Mais le projet d’Un Poco Loco  est peut-être plus léger, lorsque Fourneyron annonce qu’il s’agit de revisiter les côtés latins du répertoire bebop (le répertoire du big band de Dizzy en tête: Tin Tin Deo, Manteca…). Tout ceci, l’un et l’autre programme de cette soirée, nous ramène à l’humour et à la légèreté, vertus “cardinales” en ces périodes menacées par les cléricalismes de tout poil.

 

Reste à signaler que ces deux concerts étaient donnés à la Dynamo en marge des programmes de l’Orchestre National de jazz qui offrent un éclairage aux différents projets  de ses membres. Ce soir 23 janvier, à la Dynamo : le soul cinéma du Sacre du tympan. Franck Bergerot

 

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Tandis que les fichiers du numéro de mars, dans sa nouvelle formule quittaient les bureaux de Jazz Magazine par les “autoroutes de l’information” en direction de notre imprimeur, dans le Nord de la France, je reprenais, exténué, mais le cœur léger, les chemins buissonniers du jazz vivant que j’avais déserté depuis exactement un mois, pour me rendre, avant-hier 21 janvier, à la Dynamo de Pantin où se produisaient le quartette Petite Moutarde de Théo Ceccaldi et le trio Un Poco Loco de Fidel Fourneyron.

 

 

La Dynamo de Banlieues bleues, Pantin (93), le 21 janvier 2015.

 

Petite Moutarde : Théo Ceccaldi (violon, composition), Alexandra Grimal (sax ténor et sopranino), Ivan Gélugne (contrebasse), Florian Satche (batterie), Jean-Pascal Retel (vidéo et scénographie), Vincent Bodin (lumières et scénographie), sur des images d’Entr’acte de René Clair.

 

Derrière les carrés de tissu flottant qui masquent, pendant les premiers instants du concert, les visages des musiciens apparus dans le noir, sur lesquels sont projetées leurs images filmées dans un noir et blanc aux allures de suaires, surgit d’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture et du sertissage de l’improvisation qui ressource l’élan de l’écrit. Plus la facétie que souligne la scénographie et m’incite à une divagation imaginaire du côté de… Roland Dubillard (un ballon suspendu qui éclate sous un coup de baguette de Satche), de René Magritte (un chapeau melon qui descend des cintres au dessus de la tête de Gélugne), d’Agnès Varda (je ne sais plus pour quelle raison… elle revient toujours se fourrer quelque part sur le chemin de mes divagations… peut-être cette proclamation collective du mot « chameau » en début de spectacle, ou ce glissement de la voix d’Alexandra Grimal à son sopranino, l’un se reflétant dans l’autre en un jeu de miroirs subtilement déformants me rappelant les miroirs du film Les Plages d’Agnès), d’Igor Stravinsky (quelques accents passagers, mais surtout cette façon d’être moins dans l’expression que dans la forme et l’énergie)… Mais où en étais-je… Avec ces longues phrases pleines de parenthèses, je me perds moi-même. Aidez-moi !

 

Ah, ça me revient : ces images d’abord décousues, puis qui semblent faire un film complet en fond de scène, dont la musique de Petite moutarde serait la BO, et mon imaginaire remonte la chronologie du siècle passé… L’avant-garde russe, Dada, les surréalistes… J’apprendrai à l’entracte qu’il s’agit justement d’Entr’acte, le film de René Clair ! Je devrais me couvrir de cendres (mais s’il fallait que tous les amateurs de cinéma qui ne connaissent pas le solo de King Oliver sur Dippermouth Blues se couvrent de cendres, on n’aurait pas fini de tousser dans les multiplex). Et si j’avais lu le programme avant d’entrer en salle, j’aurais compris que le chapeau melon de Gélugne n’est pas celui de Magritte, mais celui d’Erik Satie : « A travers ce quartette inédit né d’une résidence à l’Atelier du Plateau ayant pour thème “Les Réalisateurs qui ont filmé Paris”, Théo Ceccaldi a choisi d’explorer le cinéma muet surréaliste et dadaïste des années 1920. »


Je ne suis guère adepte de cette sorte de distraction par l’image appliquée à la musique (on voit bien ce que ça donne, le jazzcritic, comme souvent handicapé des esgourdes parce que la nature humaine a fait de l’œil un tyran sur les autres sens – Sigmund le Chat, lui, lisait mes papiers au seul son de mes touches sur le clavier – ne raconte ci-dessus que ce qu’il a vu), mais ici, ça fonctionne admirablement, et je me suis laissé d’autant plus happer par ce fol enterrement qui s’ébranle à grandes foulées derrière ce chameau psychopompe progressivement saisi d’une frénésie de vitesse que la musique avait un participait pleinement par sa fantaisie, ses timbres, ses motifs et ses rythmes de ce pouvoir grisant qui s’appelle le merveilleux.

 

Un Poco Loco : Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser (saxophone ténor, clarinette), Sébastine Beliah (contrebasse).

 

D’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture… Voilà donc que je répète mot pour mot ce par quoi je commençais mon précédent compte rendu. Et faute d’avoir été plus précis, me voilà dont incapable de distinguer l’une et l’autre partie de cette soirée, pourtant bien différentes, même si quelques points communs pourtant justifient leur présence à la même affiche. L’objet de cette seconde partie, moins insaisissable, plus repérable ne serait-ce que sur le curseur chronologique, me rendra toutefois plus loquace, le trio se livrant à une merveilleuse valse hésitation entre l’aval et l’amont du répertoire bebop.

 

On reconnaît bien là l’appétit du collectif franco-germano-suédois Umlaut  que fréquentent ces jeunes gens, collectif pour le coup insaisissable pour les médias avident de messages clairs, insaisissable par le caractère polymorphe de ses formules orchestrales et de ses effectifs et par cette capacité de paraître tantôt sous les dehors de l’avant-garde tantôt dans une attitude revival qui les amène à rejouer Mary Lou Williams  ou Fletcher Henderson  à la lettre pour un public de leur âge ou à revisiter Ornette Coleman et l’Anthony Braxton des années Arista en un curieux hybride baptisé The Braxtonornette Project.

 

Donc, le bop, les musiciens d’Un Poco Loco réduisent à trois voix, dont ils démontent les thèmes en pièces détachées pour les remonter en merveilleux petits objets sonores reconnaissables qu’ils “calembournent”, “cadavrexquisent” et “doublesignifient”, les deux voix mélodiques bataillant (lorsqu’elles ne les relaient pas) avec les assymétries et les instabilités virtuoses de Sébastien Beliah. Et tout en jouant de l’aval chronologique par ces bricolages rythmiques venus du tournant du siècle, Fourneyron (pilier du Duke Orchestra) ellingtonise ou plus préc
isément trickysamnantonise (sur tous les registres, des appels fauves de Koko aux velours de Chloé) tandis que Gesser fait preuve sur l’un et l’autre de ses instruments d’une fluidité gracieuse qui contraste avec les nappes multiphoniques de ses projets personnels (écouter Bribes). Leur arrangement d’Un Poco Loco qui leur sert de nom de groupe et de générique me réjouit particulièrement en ce qu’il éclaire le génie de Bud Powell, extraie du drame powellien ce chef d’œuvre destiné à être joué dans des clubs bruyants sur des pianos désaccordés. Mais le projet d’Un Poco Loco  est peut-être plus léger, lorsque Fourneyron annonce qu’il s’agit de revisiter les côtés latins du répertoire bebop (le répertoire du big band de Dizzy en tête: Tin Tin Deo, Manteca…). Tout ceci, l’un et l’autre programme de cette soirée, nous ramène à l’humour et à la légèreté, vertus “cardinales” en ces périodes menacées par les cléricalismes de tout poil.

 

Reste à signaler que ces deux concerts étaient donnés à la Dynamo en marge des programmes de l’Orchestre National de jazz qui offrent un éclairage aux différents projets  de ses membres. Ce soir 23 janvier, à la Dynamo : le soul cinéma du Sacre du tympan. Franck Bergerot

 

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Tandis que les fichiers du numéro de mars, dans sa nouvelle formule quittaient les bureaux de Jazz Magazine par les “autoroutes de l’information” en direction de notre imprimeur, dans le Nord de la France, je reprenais, exténué, mais le cœur léger, les chemins buissonniers du jazz vivant que j’avais déserté depuis exactement un mois, pour me rendre, avant-hier 21 janvier, à la Dynamo de Pantin où se produisaient le quartette Petite Moutarde de Théo Ceccaldi et le trio Un Poco Loco de Fidel Fourneyron.

 

 

La Dynamo de Banlieues bleues, Pantin (93), le 21 janvier 2015.

 

Petite Moutarde : Théo Ceccaldi (violon, composition), Alexandra Grimal (sax ténor et sopranino), Ivan Gélugne (contrebasse), Florian Satche (batterie), Jean-Pascal Retel (vidéo et scénographie), Vincent Bodin (lumières et scénographie), sur des images d’Entr’acte de René Clair.

 

Derrière les carrés de tissu flottant qui masquent, pendant les premiers instants du concert, les visages des musiciens apparus dans le noir, sur lesquels sont projetées leurs images filmées dans un noir et blanc aux allures de suaires, surgit d’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture et du sertissage de l’improvisation qui ressource l’élan de l’écrit. Plus la facétie que souligne la scénographie et m’incite à une divagation imaginaire du côté de… Roland Dubillard (un ballon suspendu qui éclate sous un coup de baguette de Satche), de René Magritte (un chapeau melon qui descend des cintres au dessus de la tête de Gélugne), d’Agnès Varda (je ne sais plus pour quelle raison… elle revient toujours se fourrer quelque part sur le chemin de mes divagations… peut-être cette proclamation collective du mot « chameau » en début de spectacle, ou ce glissement de la voix d’Alexandra Grimal à son sopranino, l’un se reflétant dans l’autre en un jeu de miroirs subtilement déformants me rappelant les miroirs du film Les Plages d’Agnès), d’Igor Stravinsky (quelques accents passagers, mais surtout cette façon d’être moins dans l’expression que dans la forme et l’énergie)… Mais où en étais-je… Avec ces longues phrases pleines de parenthèses, je me perds moi-même. Aidez-moi !

 

Ah, ça me revient : ces images d’abord décousues, puis qui semblent faire un film complet en fond de scène, dont la musique de Petite moutarde serait la BO, et mon imaginaire remonte la chronologie du siècle passé… L’avant-garde russe, Dada, les surréalistes… J’apprendrai à l’entracte qu’il s’agit justement d’Entr’acte, le film de René Clair ! Je devrais me couvrir de cendres (mais s’il fallait que tous les amateurs de cinéma qui ne connaissent pas le solo de King Oliver sur Dippermouth Blues se couvrent de cendres, on n’aurait pas fini de tousser dans les multiplex). Et si j’avais lu le programme avant d’entrer en salle, j’aurais compris que le chapeau melon de Gélugne n’est pas celui de Magritte, mais celui d’Erik Satie : « A travers ce quartette inédit né d’une résidence à l’Atelier du Plateau ayant pour thème “Les Réalisateurs qui ont filmé Paris”, Théo Ceccaldi a choisi d’explorer le cinéma muet surréaliste et dadaïste des années 1920. »


Je ne suis guère adepte de cette sorte de distraction par l’image appliquée à la musique (on voit bien ce que ça donne, le jazzcritic, comme souvent handicapé des esgourdes parce que la nature humaine a fait de l’œil un tyran sur les autres sens – Sigmund le Chat, lui, lisait mes papiers au seul son de mes touches sur le clavier – ne raconte ci-dessus que ce qu’il a vu), mais ici, ça fonctionne admirablement, et je me suis laissé d’autant plus happer par ce fol enterrement qui s’ébranle à grandes foulées derrière ce chameau psychopompe progressivement saisi d’une frénésie de vitesse que la musique avait un participait pleinement par sa fantaisie, ses timbres, ses motifs et ses rythmes de ce pouvoir grisant qui s’appelle le merveilleux.

 

Un Poco Loco : Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser (saxophone ténor, clarinette), Sébastine Beliah (contrebasse).

 

D’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture… Voilà donc que je répète mot pour mot ce par quoi je commençais mon précédent compte rendu. Et faute d’avoir été plus précis, me voilà dont incapable de distinguer l’une et l’autre partie de cette soirée, pourtant bien différentes, même si quelques points communs pourtant justifient leur présence à la même affiche. L’objet de cette seconde partie, moins insaisissable, plus repérable ne serait-ce que sur le curseur chronologique, me rendra toutefois plus loquace, le trio se livrant à une merveilleuse valse hésitation entre l’aval et l’amont du répertoire bebop.

 

On reconnaît bien là l’appétit du collectif franco-germano-suédois Umlaut  que fréquentent ces jeunes gens, collectif pour le coup insaisissable pour les médias avident de messages clairs, insaisissable par le caractère polymorphe de ses formules orchestrales et de ses effectifs et par cette capacité de paraître tantôt sous les dehors de l’avant-garde tantôt dans une attitude revival qui les amène à rejouer Mary Lou Williams  ou Fletcher Henderson  à la lettre pour un public de leur âge ou à revisiter Ornette Coleman et l’Anthony Braxton des années Arista en un curieux hybride baptisé The Braxtonornette Project.

 

Donc, le bop, les musiciens d’Un Poco Loco réduisent à trois voix, dont ils démontent les thèmes en pièces détachées pour les remonter en merveilleux petits objets sonores reconnaissables qu’ils “calembournent”, “cadavrexquisent” et “doublesignifient”, les deux voix mélodiques bataillant (lorsqu’elles ne les relaient pas) avec les assymétries et les instabilités virtuoses de Sébastien Beliah. Et tout en jouant de l’aval chronologique par ces bricolages rythmiques venus du tournant du siècle, Fourneyron (pilier du Duke Orchestra) ellingtonise ou plus préc
isément trickysamnantonise (sur tous les registres, des appels fauves de Koko aux velours de Chloé) tandis que Gesser fait preuve sur l’un et l’autre de ses instruments d’une fluidité gracieuse qui contraste avec les nappes multiphoniques de ses projets personnels (écouter Bribes). Leur arrangement d’Un Poco Loco qui leur sert de nom de groupe et de générique me réjouit particulièrement en ce qu’il éclaire le génie de Bud Powell, extraie du drame powellien ce chef d’œuvre destiné à être joué dans des clubs bruyants sur des pianos désaccordés. Mais le projet d’Un Poco Loco  est peut-être plus léger, lorsque Fourneyron annonce qu’il s’agit de revisiter les côtés latins du répertoire bebop (le répertoire du big band de Dizzy en tête: Tin Tin Deo, Manteca…). Tout ceci, l’un et l’autre programme de cette soirée, nous ramène à l’humour et à la légèreté, vertus “cardinales” en ces périodes menacées par les cléricalismes de tout poil.

 

Reste à signaler que ces deux concerts étaient donnés à la Dynamo en marge des programmes de l’Orchestre National de jazz qui offrent un éclairage aux différents projets  de ses membres. Ce soir 23 janvier, à la Dynamo : le soul cinéma du Sacre du tympan. Franck Bergerot

 

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Tandis que les fichiers du numéro de mars, dans sa nouvelle formule quittaient les bureaux de Jazz Magazine par les “autoroutes de l’information” en direction de notre imprimeur, dans le Nord de la France, je reprenais, exténué, mais le cœur léger, les chemins buissonniers du jazz vivant que j’avais déserté depuis exactement un mois, pour me rendre, avant-hier 21 janvier, à la Dynamo de Pantin où se produisaient le quartette Petite Moutarde de Théo Ceccaldi et le trio Un Poco Loco de Fidel Fourneyron.

 

 

La Dynamo de Banlieues bleues, Pantin (93), le 21 janvier 2015.

 

Petite Moutarde : Théo Ceccaldi (violon, composition), Alexandra Grimal (sax ténor et sopranino), Ivan Gélugne (contrebasse), Florian Satche (batterie), Jean-Pascal Retel (vidéo et scénographie), Vincent Bodin (lumières et scénographie), sur des images d’Entr’acte de René Clair.

 

Derrière les carrés de tissu flottant qui masquent, pendant les premiers instants du concert, les visages des musiciens apparus dans le noir, sur lesquels sont projetées leurs images filmées dans un noir et blanc aux allures de suaires, surgit d’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture et du sertissage de l’improvisation qui ressource l’élan de l’écrit. Plus la facétie que souligne la scénographie et m’incite à une divagation imaginaire du côté de… Roland Dubillard (un ballon suspendu qui éclate sous un coup de baguette de Satche), de René Magritte (un chapeau melon qui descend des cintres au dessus de la tête de Gélugne), d’Agnès Varda (je ne sais plus pour quelle raison… elle revient toujours se fourrer quelque part sur le chemin de mes divagations… peut-être cette proclamation collective du mot « chameau » en début de spectacle, ou ce glissement de la voix d’Alexandra Grimal à son sopranino, l’un se reflétant dans l’autre en un jeu de miroirs subtilement déformants me rappelant les miroirs du film Les Plages d’Agnès), d’Igor Stravinsky (quelques accents passagers, mais surtout cette façon d’être moins dans l’expression que dans la forme et l’énergie)… Mais où en étais-je… Avec ces longues phrases pleines de parenthèses, je me perds moi-même. Aidez-moi !

 

Ah, ça me revient : ces images d’abord décousues, puis qui semblent faire un film complet en fond de scène, dont la musique de Petite moutarde serait la BO, et mon imaginaire remonte la chronologie du siècle passé… L’avant-garde russe, Dada, les surréalistes… J’apprendrai à l’entracte qu’il s’agit justement d’Entr’acte, le film de René Clair ! Je devrais me couvrir de cendres (mais s’il fallait que tous les amateurs de cinéma qui ne connaissent pas le solo de King Oliver sur Dippermouth Blues se couvrent de cendres, on n’aurait pas fini de tousser dans les multiplex). Et si j’avais lu le programme avant d’entrer en salle, j’aurais compris que le chapeau melon de Gélugne n’est pas celui de Magritte, mais celui d’Erik Satie : « A travers ce quartette inédit né d’une résidence à l’Atelier du Plateau ayant pour thème “Les Réalisateurs qui ont filmé Paris”, Théo Ceccaldi a choisi d’explorer le cinéma muet surréaliste et dadaïste des années 1920. »


Je ne suis guère adepte de cette sorte de distraction par l’image appliquée à la musique (on voit bien ce que ça donne, le jazzcritic, comme souvent handicapé des esgourdes parce que la nature humaine a fait de l’œil un tyran sur les autres sens – Sigmund le Chat, lui, lisait mes papiers au seul son de mes touches sur le clavier – ne raconte ci-dessus que ce qu’il a vu), mais ici, ça fonctionne admirablement, et je me suis laissé d’autant plus happer par ce fol enterrement qui s’ébranle à grandes foulées derrière ce chameau psychopompe progressivement saisi d’une frénésie de vitesse que la musique avait un participait pleinement par sa fantaisie, ses timbres, ses motifs et ses rythmes de ce pouvoir grisant qui s’appelle le merveilleux.

 

Un Poco Loco : Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser (saxophone ténor, clarinette), Sébastine Beliah (contrebasse).

 

D’abord la beauté du son individuel et collectif de ce petit orchestre de chambre, la qualité du geste et la précision de l’écriture… Voilà donc que je répète mot pour mot ce par quoi je commençais mon précédent compte rendu. Et faute d’avoir été plus précis, me voilà dont incapable de distinguer l’une et l’autre partie de cette soirée, pourtant bien différentes, même si quelques points communs pourtant justifient leur présence à la même affiche. L’objet de cette seconde partie, moins insaisissable, plus repérable ne serait-ce que sur le curseur chronologique, me rendra toutefois plus loquace, le trio se livrant à une merveilleuse valse hésitation entre l’aval et l’amont du répertoire bebop.

 

On reconnaît bien là l’appétit du collectif franco-germano-suédois Umlaut  que fréquentent ces jeunes gens, collectif pour le coup insaisissable pour les médias avident de messages clairs, insaisissable par le caractère polymorphe de ses formules orchestrales et de ses effectifs et par cette capacité de paraître tantôt sous les dehors de l’avant-garde tantôt dans une attitude revival qui les amène à rejouer Mary Lou Williams  ou Fletcher Henderson  à la lettre pour un public de leur âge ou à revisiter Ornette Coleman et l’Anthony Braxton des années Arista en un curieux hybride baptisé The Braxtonornette Project.

 

Donc, le bop, les musiciens d’Un Poco Loco réduisent à trois voix, dont ils démontent les thèmes en pièces détachées pour les remonter en merveilleux petits objets sonores reconnaissables qu’ils “calembournent”, “cadavrexquisent” et “doublesignifient”, les deux voix mélodiques bataillant (lorsqu’elles ne les relaient pas) avec les assymétries et les instabilités virtuoses de Sébastien Beliah. Et tout en jouant de l’aval chronologique par ces bricolages rythmiques venus du tournant du siècle, Fourneyron (pilier du Duke Orchestra) ellingtonise ou plus préc
isément trickysamnantonise (sur tous les registres, des appels fauves de Koko aux velours de Chloé) tandis que Gesser fait preuve sur l’un et l’autre de ses instruments d’une fluidité gracieuse qui contraste avec les nappes multiphoniques de ses projets personnels (écouter Bribes). Leur arrangement d’Un Poco Loco qui leur sert de nom de groupe et de générique me réjouit particulièrement en ce qu’il éclaire le génie de Bud Powell, extraie du drame powellien ce chef d’œuvre destiné à être joué dans des clubs bruyants sur des pianos désaccordés. Mais le projet d’Un Poco Loco  est peut-être plus léger, lorsque Fourneyron annonce qu’il s’agit de revisiter les côtés latins du répertoire bebop (le répertoire du big band de Dizzy en tête: Tin Tin Deo, Manteca…). Tout ceci, l’un et l’autre programme de cette soirée, nous ramène à l’humour et à la légèreté, vertus “cardinales” en ces périodes menacées par les cléricalismes de tout poil.

 

Reste à signaler que ces deux concerts étaient donnés à la Dynamo en marge des programmes de l’Orchestre National de jazz qui offrent un éclairage aux différents projets  de ses membres. Ce soir 23 janvier, à la Dynamo : le soul cinéma du Sacre du tympan. Franck Bergerot