Pierre Perchaud, Damien Varaillon et Stéphane Adsuar : dîtes 38 !
Un nouveau trio, déjà un vrai trio ! Soudé comme s’il avait toujours existé, classique dans son format, original dans ses propos. Éloge d’un bel ouvrage ! Et requête d’un vieux con.
On connaît peu, on connaît mal Pierre Perchaud. On connaît son nom, on l’a vu, croisé, tête en l’air, insaisissable… On l’a entendu – surtout si l’on fréquente son festival charentais Respire Jazz – “au service”, passant d’un groupe à l’autre… encore cet été avec Chris Cheek, nous faisant prendre conscience d’ailleurs d’une réelle –parce qu’ancienne – familiarité entre eux deux ; ce qui, peut-être paradoxalement, était l’occasion de se dire : « ah, voilà Pierre Perchaud, c’est lui et personne d’autre. » Parce qu’il peut nous tromper, caméléon, touche-à-tout, au four et au moulin avec les invités de Respire Jazz, avec ses amis et ses étudiants du CMDL (l’école Didier Lockwood) que, après ces concerts de début de soirée au cul de l’Abbaye du Puypéroux, il entraine sur l’aire consacrée à des bœufs nocturnes à n’en plus finir, mouche du coche, discret houspilleur ou soudain dynamiteur, tirant d’une culture qu’il n’étale pas, mais dont il nous fait jouir, ce qu’il faut pour nous signifier : « Attendez-là ! On ne va pas aller se coucher tout de suite ; autant qu’on est, on a encore des choses à se dire et à partager. »
Mais finalement qu’est-ce que l’on sait de lui. On aurait tôt faire de le ranger dans un case. Je l’ai fait autrefois, dans la case Scofield ! C’est pratique les cases. Mais hier, dès les premières notes et les suivantes, ce n’était évidemment pas ça. Les mots pour le dire ? Comme souvent, il me font défaut. Ça va nécessiter des phrases et des phrases, au bout desquelles surgiront peut-être – ou pas – un ou deux mots qui feront mouche et feront dire au lecteur… ou à l’intéressé lui-même : « c’est ça, c’est lui… » ou « Ah, ça c’est moi ! ». Je crains cependant de décevoir.
Mais d’emblée hier, il nous a chopé, dès les premières notes… quelque chose d’incisif, la netteté du coup de médiator, prolixe mais jamais gratuit, jamais attendu. Il attaque Windows de Chick Corea, et l’on se dit… ah ! Je connais ça ! Mais qu’est-ce que “ça” ! Parce qu’il le fait avec un tournemain qui nous fait, tout à la fois, jouir d’être en pays connu et nous dépayser totalement. Je connais ça ! Mais c’est quoi ? C’est de qui ? Je le connaît avec quel son, quel instrumentation ? De ce “déjà entendu”, il nous déroute sur des chemins que nous n’imagions pas. Avec une son net et franc, une assurance… vous savez, cette impression de sécurité lorsqu’un très bon guide de haute-montagne vous entraîne sur des sentiers incertains. Et il nous précède avec une certitude qui ne faillit pas, bien au contraire. Jusque dans ces progressions hors sol que connaît Pierre Perchaud, piéton de l’air, se jouant de courants ascensionnels, puis s’en dégageant avec la puissance d’un avion de chasse vers d’autres voltiges.
Mais d’emblée, c’est un groupe que l’on entend, quoiqu’à son premier concert. Il y a quelque chose de brutal, une puissante et jubilatoire brutalité, dans le jeu de Damien Varaillon ; et de cette extrême et néanmoins précise brutalité on peut déduire le compositeur qu’il est d’une partie du répertoire intensément habité par Stéphane Adsuar – son complice habituel au sein du quartette No(w) Beauty. Sans partition, ce dernier en habite tous les recoins, en restructure l’architecture, en ré-imagine l’espace ne manquant jamais aucun de ces rendez-vous qui en constituent les points d’appui, avec une répartition très narrative des éléments et des timbres à sa disposition, au profit d’une authentique récit collectif.
Après… le vieux con va radoter. C’est de mon âge ! Ça joue trop fort. Et de ce sujet, je fais une question éthique, voire de santé publique. Dans ce très beau club qu’est le 38 Riv’, grand comme un boîte à chaussures… ce qui me fait venir à l’esprit la métaphore du chausse-pied et de la nécessité d’épouser l’étroitesse des lieux, de la très séduisante proximité qui y est offerte au public ; et bien hier, dans l’intimité de cette “chaussure”, c’était trop fort et donc trop étroit. Je sais qu’il y a une puissance minimum pour faire cracher tout son jus à un ampli de guitare. Il y a aussi une déformation professionnelle trop répandue à mon goût qui conduit à faire sonner forte le pianissimo, écrasant ainsi d’emblée toute dynamique. Je sais que le métier d’un batteur consiste à battre, frapper. Que la précision de la frappe exige un minimum de puissance. J’ai entendu cependant ces derniers temps des batteurs chez qui la nuance extrême n’obligeait pas l’amplification, et ne privait pas la musique de ce drive qu’on attend d’un batteur. Je lis en ce moment, par petites lampées, la biographie de Billy Hart. Comme il apprit à jouer FORT avec Jimmy Smith, comme il souffrit d’être contraint par Wes Montgomery à s’en tenir à ce que le guitariste et ses arrangeurs de sa fin de carrière obtenait de Grady Tate. Billy Hart aime et peut frapper TRÈS FORT. Mais il connaît le pianissimo, tout comme Gregory Hutchinson dont je saluais l’an dernier à Malguénac l’extrême et continuelle dynamique au sein du trio de Joe Sanders. Certes, je n’y connais pas grand’chose en batterie, mais il n’y a-t-il pas des alternatives dans le choix des baguettes. Là où je rejoins Alain Gerber, ronchonnant seul dans son cabanon de jardin avec ses balais et ses disques de Teddy Kottick, c’est sur le mésusage des balais. Non qu’ils soient négligés par Stéphane Adsuar, qu’il abandonne cependant très vite. Mais de nos jours, et ça fait longtemps, on frappe trop avec eux à défaut de savoir balayer. Une peau, ça peut se carresser, non ?
Ceci dit, encore bravo ! Je me suis quand même régalé. Franck Bergerot