Jazz live
Publié le 19 Sep 2012

Ping Machine à l’Ermitage

L’orchestre Ping Machine dirigé par Fred Maurin sur des compositions de son cru jouait hier soir, 19 septembre à Paris, au Studio de l’Ermitage, magnifiquement sonorisé par Benoît Paolo, la technicienne attachée à ce lieu très recommandable. J’en rentre ébloui.

 

 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 19 septembre 2012.

Ping Machine : Fabien Norbert, Quentin Ghomari, Andrew Crocker (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Floren Dupuit (flûtes, ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (sax ténor, clarinette), Guillaume Christophel (sax baryton), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie).


Numéro d’octobre bouclé. Herbie Hancock à la une, un dossier autour du Piazzolla ! de l’ONJ et beaucoup d’autres choses, dont une évocation de l’année 1992 en souvenir de la naissance de Jazzman il y a vingt ans, sur une idée de François Lacharme, avec une équipe réunie autour d’Alex Dutilh (Arnaud Merlin, Pascal Anquetil, le regretté Bernard Vacher notre premier maquettiste qui précéda Olivier Linden…).Souvenirs, souvenirs…


Près d’un mois que je n’ai pas mis les pieds dehors, scotché à mon écran. La plante des pieds me démange et me voilà remontant la rue de Ménilmontant en direction du Studio de l’Ermitage devenu l’un des principaux centres de création de la capitale pour le domaine qui nous concerne sur ce site. Et voilà 10 mois, à un jour près, que je n’ai pas entendu le Ping Machine de Fred Maurin (en ce même endroit le 18 novembre 2011) et les oreilles commencent aussi à me démanger. C’est vrai que j’ai l’habitude de fouiner en quête de nouveauté, mais depuis que je fréquente les concerts de Fred Maurin, à vrai dire depuis le premier concert de son Ping Machine, j’y ai toujours entendu du neuf.


Ouverture avec un pièce dite « d’échauffement, nous dit-il, une sorte de descarga. » intitulée Zimmer sechs und zwanzig. D’Emblée, et aucun moment du concert ne démentira cette constatation première, ça sonne. Comme quoi on peut faire entendre une grande formation de jazz sans nous écraser le nez, sans nous défoncer les tempos, en préservant les timbres, les nuances, la dynamique. Bravo à Benoît Paolo, le technicien qui seconde Clara Pannet à l’Ermitage où le son nous donne satisfaction plus souvent qu’ailleurs.


Du coup, on goûte de l’abstraction première de cette pièce d’ouverture aux allures tout d’abord “peu descargiennes” sur un solo introspectif de soprano (Jean-Michel Fouchet… était-il d’ailleurs si introspectif ce soprano ? Il faudrait que je demande à ma voisine, mais j’ai oublié de lui demander son numéro de téléphone. D’ailleurs, en première partie, c’était un voisin). Puis l’orchestration s’épaissit, très dans la tradition gilevansienne, le gilevansien supérieur (en terme de couche archéologique) tel qu’on le pratique dans le sillage de Bob Brookmeyer (qui ne se réclamait peut-être pas de Gil Evans d’ailleurs… J’ai oublié de demander à ma voisine, qui en première partie était barbue). J’ai oublié les solistes (il faudrait…), qu’ils m’excusent, mais ça swingue d’enfer, Rafaël Koerner (avec un f) en partenariat avec Raphaël Schwab (avec un ph dont j’ignore le taux d’ailleurs) et je me souviens d’un “solo d’orchestre” en final avec des phrasés de section fusant de partout jusqu’à constituer une texture d’une grande densité aboutissant à une brève marche funèbre conclusive… Hourra ! Le public, qui a rempli le studio, jubile déjà.


Frédéric Maurin annonce Trona, ville de Californie d’où l’on extrait le borax et qui ressemble, à l’en croire, à l’Enfer… ou à l’enfer que nous promet les comportements insanes de l’humanité (j’interprète… il n’a pas dit ça). Cette pièce fut créée au printemps – hélas ! Je n’y étais pas – avec un dispositif électronique dont Benjamin Moussay (désormais remplacé par Paul Lay sans électronique)  était en partie responsable. La guitare commence par évoquer ce chaos par un traficotage de pédales dont une séquence est mise en boucle, tandis que se lève une jungle de timbres évoquant plus les cuivres de Peter Eötvös (pour mentionner l’un des rares compositeurs contemporains inscrits dans mon disque dur) que Duke Ellington, d’où émerge un solo de guitare, cas de figure encore assez rare jusque-là dans la musique du guitariste-compositeur. Une virtuosité assez sobre, avec des effets, notamment d’echo, d’allures très pop tirées vers le blues par une sorte de shuffle de la rythmique. Deux autres mouvements suivent, le premier sur un ostinato comme picoré par le piano et qui se répand dans tout l’orchestre, avec un sentiment d’inexorabilité qui accentue l’impression d’oppression du premier mouvement, puis un troisième s’ouvrant sur un solo de flûte de Florent Dupuit (le plus ancien membre du groupe avec Rafaël Kœrner, rarement sollicité en solo) qui émerge d’un jeu de microtonalité entre la guitare et la flûte.


Après cet ambiance sonore d’après le désastre, Early Morning Party aura des allures champêtres (Fred Maurin annonce d’ailleurs un morceau « reposant », précisant « pour l’orchestre. »), mélange très réussi de minimalisme et de développement mélodique où Fabien de Bellefontaine associe le discontinu de la phrase à la continuité de la pensée de part en part d’un solo d’une construction palpitante. Après quoi des masses mélodiques à la George Russell réintroduisent des éléments mélodiques et des traces éparses du minimalisme initial. Nouveau changement de pulse où l’on ne sait plus vers qui tourner son attention : le solo de trombone de Bastien Ballaz ou les martèlements passionnés de Paul Lay, plus discret, plus “dans l’orchestre” que son brillant prédécesseur Benjamin Moussay (ce qui n’est pas un jugement de valeur, tant la musique de Fred Maurin semblait lui convenir) ?


Surprise : Maurin distribue des partitions non prévues à son orchestre et lance un Happy Birthday to You russello-basien, à l’occasion des 30 ans de Rafaël Koerner, des 40 ans de son épouse et des 50 ans d’Andrew Crocker. Entracte.


Le concert reprend avec Alors chut !, fantaisie-variations autour d’une ritournelle qui se développe par couches dans une formidable combinaison de la démarche minimaliste et de la fugue.


Alors que Pascal Anquetil me fait passer un verre de Cahors bio très honorable en retour de celui que je viens de lui offrir au bar, Maurin lance Des Trucs pareils, son morceau de bravoure, longue suite déjà commentée l’an dernier ici même et au compte rendu duquel je renonce, préférant m’abandonner enfin au plaisir du rythme et du son (avec en ouverture des pêches et des nappes de batterie cryogènes à vous glacer le sang), au plaisir de l’oubli, à la chronique “soiriste” ou “impressionniste”, partant du principe que la musicologie, il y a des maisons pour ça que je n’ai jamais eu l’honneur de fréquenter et que par conséquent je ne suis pas chaussé pour, surtout avec un deuxième Cahors dans le nez (deuxième ou dixième, je n’ai pas compté). « Rassurez-vous, écrivait Colette le 12 janvier 1903 dans sa chronique musicale au quotidien Gil Blas, je ne vous parlerai, chaque semaine, que très peu de musique. D’abord, parce que ça m’aralerait ; ensuite parce que Debussy aux boucles d’ébène me paraît, tout de même, plus autorisée que moi ; enfin, parce que… Tiens ! j’ai oublié la troisième raison ! » (1)

 

J’oublie donc la raison, m’abandonne à l’impression d’un soir (d’où les mots “soirisme” et “impressionnisme” qu’autrefois l’on attribuait au théâtre à Jean-Jacques Gauthier, le critique du Figaro, et à ses humeurs), aux lourdeurs qu’a laissé sur mon estomac les méchantes tapas avalées à la hâte dans un restaurant bruyant, mais qui pourtant ne me dégoûte nullement de cette musique, peut-être parce que me réconforte aperçue du coin de mon œil droit que je n’ose détourner de la scène, le triangle bronzé d’une épaule dénudée (car mon voisin barbu est devenu une voisine), tout comme (sans la plume) Colette remarque la cambrure dorsale bien placée du chef d’orchestre Victor Charpentier (« joli homme ») ou qui inventorie à la première de L’Étranger de Vincent d’Indy  « Mme Catulle Mendès, belle, étincellante de paillettes noires […] et puis Louis de Serres, hypnotisé, le front en avant sous deux mèches spiralées qui lui donnaient un air de chèvre exotique; et tout et tou, quoi! »… 


Je me rappelle aussi que le dernier bouclage est derrière moi et que le prochain est devant, mais que la mer est encore bleue, que demain est un autre jour et qu’après-demain je me rend au festival au festival Jazz aux écluses au nord de Rennes, ce qui me rend gourmand. Et je laisse monter l’ivresse qui me transporte à l’unisson du ténor que fait tituber Julien Soro, pènètre dans le terrier sonore qui s’ensuit débouchant au pays des merveilles… où il n’est plus question de s’interroger sur la faisabilité du projet de Fred Maurin comme je le faisais il y a dix mois sur ce blog, mais de l’éprouver physiquement et de jouir de sa splendeur.


J’exagère mon état pour masquer mon impuissance à cette heure tardive à rendre compte et lui donner un semblant de consistance, ou peut-être ai-je vraiment bu pour noyer mon désarroi, ou peut-être n’étai-je pas là comme il arrive parfois au journaliste de rendre compte d’un concert auquel il n’assista pas, mais qui par malheur fut annulé à son insu… mais si, j’étais bien là, la musique de Fred Maurin résonne encore à mon oreille et m’a une fois de plus étonné. À retrouver le 15 novembre au D’jazz de Nevers et le 13 décembre en ce même Ermitage où il nous promet encore du nouveau. Mon ascenseur m’attendait à la porte du Studio de l’Ermitage pour me conduire directement au 13ème de ma tour de Bondy où j’ai rédigé cette chronique la langue pendante entre deux baillements, regrettant la fugue de Sigmund le chat qui avait pris l’habitude de terminer mes papiers, le  ronron irrégulier de Frimousse rêvant roulée en boule sur le capot de mon scanner se révélant d’aucun secours.


Franck Bergerot


(1) Dans Au concert, Colette (Le Castor Astral, 2004)

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Si vous étiez parisien hier, c’est là qu’il fallait être. D’ailleurs, le public le savait : l’Ermitage était plein comme un œuf. J’exagère ? Pas vraiment, si l’on considère qu’un œuf n’est jamais plein mais que, entre les membranes coquillières interne et externe, il existe toujours une chambre à air. Sans laquelle, ça deviendrait irrespirable… 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 26 février 2013.

 

Ping Machine: Fred Maurin (composition, direction, guitare électrique), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Florent Dupuit (flûte, sax ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (clarinette, sax ténor), Guillaume Christophel (sax baryton, clarinette basse), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Kœrner (batterie).

 

Et revoilà Ping Machine (dont je vous recommande la retransmission du Jazz Club sur France Musique, toujours en ligne sur la page d’accueil de ping-machine.com ! À la veille d’un nouvel enregistrement et d’un nouveau répertoire que l’orchestre s’apprête enregistrer au cours d’une résidence au Petit Faucheux de Tours (concert les 22 et 23), avec un nouveau répertoire dont pourra également profiter le public du festival Jazz sous les Pommiers (du 4 au 11mai) qui présentait son programme lundi dernier au Sunset. Un nouveau répertoire dont le morceau de résistance est Encore, une longue suite à tiroir que Fred Maurin m’avoue avoir tiré du retraitement de motifs d’une pièce précédente. On ne peut pas soupçonner Maurin d’avoir ainsi procédé par paresse. Sa plume est toujours aussi diserte… « Y’a du courrier », comme aime à dire les musiciens entre eux lorsqu’il y a beaucoup de lecture. C’est intense, foisonnant, limpide jusque dans la confusion volontaire (sonorisation comme toujours claire et équilibrée à l’Ermitage), avec une très large palette d’assemblage de timbres, un nuancier dynamique épatant, le tout au service de vraies progressions dramatiques.


Il y a là un art du développement qui ne se contente jamais de la simple juxtaposition et Fred Maurin pourrait avoir été élève de Bob Brookmeyer en ce sens que le solo n’est jamais pour lui une solution de facilité, mais toujours un moment nécessaire de son écriture. Bien plus, celle-ci fait jouer, telle cette pièce d’ouverture de seconde partie écrite spécialement pour son baryton, Guillaume Christophel. Elle n’exclut pas le solo en roue libre, mais on ne saurait le déplorer lorsque c’est Julien Soro qui s’en empare en architecte, partant d’un simple motif qu’il décline sur le thème du décalage (décalage rythmique, décalage microtonal, décalage timbral, décalage mélodique). Ailleurs, c’est un bref duo Soro-Couchet qui prend une dimension totalement organique, tant dans la façon dont les deux parties de sax semblent se générer l’une l’autre et même générer la partition où elles s’intègrent (parfait moment d’illusion, puisque c’est très exactement l’inverse qui se produit).


Ailleurs encore, d’une main gauche formidablement charpentée et d’une main droite dont on pourrait croire qu’elle est devenue folle, Paul Lay engage un duo piano-batterie avec le toujours très élégant Rafaël Kœrner. Paul Lay, qui a remplacé Benjamin Moussay depuis un bonne année, a connu après un premier disque un peu frais chez Laborie un épanouissement formidable, et se voit confier une partition de piano extrêmement serrée et exigeante, la rythmique étant constamment sollicitée d’une espèce de picotage minimaliste à des vastes effets de parasitage en passant par des parties extrêmement swingantes et à des ponctuations en tutti auxquelles Raphäel Schwab donne toute sa souplesse.Et les autres ? J’avais pris du papier pour prendre des notes, mais j’avais oublié de prendre un stylo… J’espère qu’il ne m’en voudront pas de ne pas citer tout le monde. Tiens, je leur propose de me rafraîchir la mémoire par mail…


Jeudi prochain 28 février au Sunset, les Parisiens retrouveront quelques sommités de ce bel orchestre réunies au sein du Big Four, soit Julien Soro, Stephan Caracci (membre désormais régulier du Ping Machine, lorsque la place le permet, ce qui n’est pas le cas à l’Ermitage), Fabien Debellefontaine (qui remisera ses anches et ses flûtes pour le tuba auquel il confie un rôle tout à fait croustillant dans ce quartette) et Raf’ Kœrner. J’y serai, soyez-y. Je suis facile à reconnaître : j’ai des lunettes, les yeux bruns et, si j’en crois certains signes avant-coureurs, je serai fortement enrhumé.


Franck Bergerot

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L’orchestre Ping Machine dirigé par Fred Maurin sur des compositions de son cru jouait hier soir, 19 septembre à Paris, au Studio de l’Ermitage, magnifiquement sonorisé par Benoît Paolo, la technicienne attachée à ce lieu très recommandable. J’en rentre ébloui.

 

 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 19 septembre 2012.

Ping Machine : Fabien Norbert, Quentin Ghomari, Andrew Crocker (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Floren Dupuit (flûtes, ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (sax ténor, clarinette), Guillaume Christophel (sax baryton), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie).


Numéro d’octobre bouclé. Herbie Hancock à la une, un dossier autour du Piazzolla ! de l’ONJ et beaucoup d’autres choses, dont une évocation de l’année 1992 en souvenir de la naissance de Jazzman il y a vingt ans, sur une idée de François Lacharme, avec une équipe réunie autour d’Alex Dutilh (Arnaud Merlin, Pascal Anquetil, le regretté Bernard Vacher notre premier maquettiste qui précéda Olivier Linden…).Souvenirs, souvenirs…


Près d’un mois que je n’ai pas mis les pieds dehors, scotché à mon écran. La plante des pieds me démange et me voilà remontant la rue de Ménilmontant en direction du Studio de l’Ermitage devenu l’un des principaux centres de création de la capitale pour le domaine qui nous concerne sur ce site. Et voilà 10 mois, à un jour près, que je n’ai pas entendu le Ping Machine de Fred Maurin (en ce même endroit le 18 novembre 2011) et les oreilles commencent aussi à me démanger. C’est vrai que j’ai l’habitude de fouiner en quête de nouveauté, mais depuis que je fréquente les concerts de Fred Maurin, à vrai dire depuis le premier concert de son Ping Machine, j’y ai toujours entendu du neuf.


Ouverture avec un pièce dite « d’échauffement, nous dit-il, une sorte de descarga. » intitulée Zimmer sechs und zwanzig. D’Emblée, et aucun moment du concert ne démentira cette constatation première, ça sonne. Comme quoi on peut faire entendre une grande formation de jazz sans nous écraser le nez, sans nous défoncer les tempos, en préservant les timbres, les nuances, la dynamique. Bravo à Benoît Paolo, le technicien qui seconde Clara Pannet à l’Ermitage où le son nous donne satisfaction plus souvent qu’ailleurs.


Du coup, on goûte de l’abstraction première de cette pièce d’ouverture aux allures tout d’abord “peu descargiennes” sur un solo introspectif de soprano (Jean-Michel Fouchet… était-il d’ailleurs si introspectif ce soprano ? Il faudrait que je demande à ma voisine, mais j’ai oublié de lui demander son numéro de téléphone. D’ailleurs, en première partie, c’était un voisin). Puis l’orchestration s’épaissit, très dans la tradition gilevansienne, le gilevansien supérieur (en terme de couche archéologique) tel qu’on le pratique dans le sillage de Bob Brookmeyer (qui ne se réclamait peut-être pas de Gil Evans d’ailleurs… J’ai oublié de demander à ma voisine, qui en première partie était barbue). J’ai oublié les solistes (il faudrait…), qu’ils m’excusent, mais ça swingue d’enfer, Rafaël Koerner (avec un f) en partenariat avec Raphaël Schwab (avec un ph dont j’ignore le taux d’ailleurs) et je me souviens d’un “solo d’orchestre” en final avec des phrasés de section fusant de partout jusqu’à constituer une texture d’une grande densité aboutissant à une brève marche funèbre conclusive… Hourra ! Le public, qui a rempli le studio, jubile déjà.


Frédéric Maurin annonce Trona, ville de Californie d’où l’on extrait le borax et qui ressemble, à l’en croire, à l’Enfer… ou à l’enfer que nous promet les comportements insanes de l’humanité (j’interprète… il n’a pas dit ça). Cette pièce fut créée au printemps – hélas ! Je n’y étais pas – avec un dispositif électronique dont Benjamin Moussay (désormais remplacé par Paul Lay sans électronique)  était en partie responsable. La guitare commence par évoquer ce chaos par un traficotage de pédales dont une séquence est mise en boucle, tandis que se lève une jungle de timbres évoquant plus les cuivres de Peter Eötvös (pour mentionner l’un des rares compositeurs contemporains inscrits dans mon disque dur) que Duke Ellington, d’où émerge un solo de guitare, cas de figure encore assez rare jusque-là dans la musique du guitariste-compositeur. Une virtuosité assez sobre, avec des effets, notamment d’echo, d’allures très pop tirées vers le blues par une sorte de shuffle de la rythmique. Deux autres mouvements suivent, le premier sur un ostinato comme picoré par le piano et qui se répand dans tout l’orchestre, avec un sentiment d’inexorabilité qui accentue l’impression d’oppression du premier mouvement, puis un troisième s’ouvrant sur un solo de flûte de Florent Dupuit (le plus ancien membre du groupe avec Rafaël Kœrner, rarement sollicité en solo) qui émerge d’un jeu de microtonalité entre la guitare et la flûte.


Après cet ambiance sonore d’après le désastre, Early Morning Party aura des allures champêtres (Fred Maurin annonce d’ailleurs un morceau « reposant », précisant « pour l’orchestre. »), mélange très réussi de minimalisme et de développement mélodique où Fabien de Bellefontaine associe le discontinu de la phrase à la continuité de la pensée de part en part d’un solo d’une construction palpitante. Après quoi des masses mélodiques à la George Russell réintroduisent des éléments mélodiques et des traces éparses du minimalisme initial. Nouveau changement de pulse où l’on ne sait plus vers qui tourner son attention : le solo de trombone de Bastien Ballaz ou les martèlements passionnés de Paul Lay, plus discret, plus “dans l’orchestre” que son brillant prédécesseur Benjamin Moussay (ce qui n’est pas un jugement de valeur, tant la musique de Fred Maurin semblait lui convenir) ?


Surprise : Maurin distribue des partitions non prévues à son orchestre et lance un Happy Birthday to You russello-basien, à l’occasion des 30 ans de Rafaël Koerner, des 40 ans de son épouse et des 50 ans d’Andrew Crocker. Entracte.


Le concert reprend avec Alors chut !, fantaisie-variations autour d’une ritournelle qui se développe par couches dans une formidable combinaison de la démarche minimaliste et de la fugue.


Alors que Pascal Anquetil me fait passer un verre de Cahors bio très honorable en retour de celui que je viens de lui offrir au bar, Maurin lance Des Trucs pareils, son morceau de bravoure, longue suite déjà commentée l’an dernier ici même et au compte rendu duquel je renonce, préférant m’abandonner enfin au plaisir du rythme et du son (avec en ouverture des pêches et des nappes de batterie cryogènes à vous glacer le sang), au plaisir de l’oubli, à la chronique “soiriste” ou “impressionniste”, partant du principe que la musicologie, il y a des maisons pour ça que je n’ai jamais eu l’honneur de fréquenter et que par conséquent je ne suis pas chaussé pour, surtout avec un deuxième Cahors dans le nez (deuxième ou dixième, je n’ai pas compté). « Rassurez-vous, écrivait Colette le 12 janvier 1903 dans sa chronique musicale au quotidien Gil Blas, je ne vous parlerai, chaque semaine, que très peu de musique. D’abord, parce que ça m’aralerait ; ensuite parce que Debussy aux boucles d’ébène me paraît, tout de même, plus autorisée que moi ; enfin, parce que… Tiens ! j’ai oublié la troisième raison ! » (1)

 

J’oublie donc la raison, m’abandonne à l’impression d’un soir (d’où les mots “soirisme” et “impressionnisme” qu’autrefois l’on attribuait au théâtre à Jean-Jacques Gauthier, le critique du Figaro, et à ses humeurs), aux lourdeurs qu’a laissé sur mon estomac les méchantes tapas avalées à la hâte dans un restaurant bruyant, mais qui pourtant ne me dégoûte nullement de cette musique, peut-être parce que me réconforte aperçue du coin de mon œil droit que je n’ose détourner de la scène, le triangle bronzé d’une épaule dénudée (car mon voisin barbu est devenu une voisine), tout comme (sans la plume) Colette remarque la cambrure dorsale bien placée du chef d’orchestre Victor Charpentier (« joli homme ») ou qui inventorie à la première de L’Étranger de Vincent d’Indy  « Mme Catulle Mendès, belle, étincellante de paillettes noires […] et puis Louis de Serres, hypnotisé, le front en avant sous deux mèches spiralées qui lui donnaient un air de chèvre exotique; et tout et tou, quoi! »… 


Je me rappelle aussi que le dernier bouclage est derrière moi et que le prochain est devant, mais que la mer est encore bleue, que demain est un autre jour et qu’après-demain je me rend au festival au festival Jazz aux écluses au nord de Rennes, ce qui me rend gourmand. Et je laisse monter l’ivresse qui me transporte à l’unisson du ténor que fait tituber Julien Soro, pènètre dans le terrier sonore qui s’ensuit débouchant au pays des merveilles… où il n’est plus question de s’interroger sur la faisabilité du projet de Fred Maurin comme je le faisais il y a dix mois sur ce blog, mais de l’éprouver physiquement et de jouir de sa splendeur.


J’exagère mon état pour masquer mon impuissance à cette heure tardive à rendre compte et lui donner un semblant de consistance, ou peut-être ai-je vraiment bu pour noyer mon désarroi, ou peut-être n’étai-je pas là comme il arrive parfois au journaliste de rendre compte d’un concert auquel il n’assista pas, mais qui par malheur fut annulé à son insu… mais si, j’étais bien là, la musique de Fred Maurin résonne encore à mon oreille et m’a une fois de plus étonné. À retrouver le 15 novembre au D’jazz de Nevers et le 13 décembre en ce même Ermitage où il nous promet encore du nouveau. Mon ascenseur m’attendait à la porte du Studio de l’Ermitage pour me conduire directement au 13ème de ma tour de Bondy où j’ai rédigé cette chronique la langue pendante entre deux baillements, regrettant la fugue de Sigmund le chat qui avait pris l’habitude de terminer mes papiers, le  ronron irrégulier de Frimousse rêvant roulée en boule sur le capot de mon scanner se révélant d’aucun secours.


Franck Bergerot


(1) Dans Au concert, Colette (Le Castor Astral, 2004)

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Si vous étiez parisien hier, c’est là qu’il fallait être. D’ailleurs, le public le savait : l’Ermitage était plein comme un œuf. J’exagère ? Pas vraiment, si l’on considère qu’un œuf n’est jamais plein mais que, entre les membranes coquillières interne et externe, il existe toujours une chambre à air. Sans laquelle, ça deviendrait irrespirable… 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 26 février 2013.

 

Ping Machine: Fred Maurin (composition, direction, guitare électrique), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Florent Dupuit (flûte, sax ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (clarinette, sax ténor), Guillaume Christophel (sax baryton, clarinette basse), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Kœrner (batterie).

 

Et revoilà Ping Machine (dont je vous recommande la retransmission du Jazz Club sur France Musique, toujours en ligne sur la page d’accueil de ping-machine.com ! À la veille d’un nouvel enregistrement et d’un nouveau répertoire que l’orchestre s’apprête enregistrer au cours d’une résidence au Petit Faucheux de Tours (concert les 22 et 23), avec un nouveau répertoire dont pourra également profiter le public du festival Jazz sous les Pommiers (du 4 au 11mai) qui présentait son programme lundi dernier au Sunset. Un nouveau répertoire dont le morceau de résistance est Encore, une longue suite à tiroir que Fred Maurin m’avoue avoir tiré du retraitement de motifs d’une pièce précédente. On ne peut pas soupçonner Maurin d’avoir ainsi procédé par paresse. Sa plume est toujours aussi diserte… « Y’a du courrier », comme aime à dire les musiciens entre eux lorsqu’il y a beaucoup de lecture. C’est intense, foisonnant, limpide jusque dans la confusion volontaire (sonorisation comme toujours claire et équilibrée à l’Ermitage), avec une très large palette d’assemblage de timbres, un nuancier dynamique épatant, le tout au service de vraies progressions dramatiques.


Il y a là un art du développement qui ne se contente jamais de la simple juxtaposition et Fred Maurin pourrait avoir été élève de Bob Brookmeyer en ce sens que le solo n’est jamais pour lui une solution de facilité, mais toujours un moment nécessaire de son écriture. Bien plus, celle-ci fait jouer, telle cette pièce d’ouverture de seconde partie écrite spécialement pour son baryton, Guillaume Christophel. Elle n’exclut pas le solo en roue libre, mais on ne saurait le déplorer lorsque c’est Julien Soro qui s’en empare en architecte, partant d’un simple motif qu’il décline sur le thème du décalage (décalage rythmique, décalage microtonal, décalage timbral, décalage mélodique). Ailleurs, c’est un bref duo Soro-Couchet qui prend une dimension totalement organique, tant dans la façon dont les deux parties de sax semblent se générer l’une l’autre et même générer la partition où elles s’intègrent (parfait moment d’illusion, puisque c’est très exactement l’inverse qui se produit).


Ailleurs encore, d’une main gauche formidablement charpentée et d’une main droite dont on pourrait croire qu’elle est devenue folle, Paul Lay engage un duo piano-batterie avec le toujours très élégant Rafaël Kœrner. Paul Lay, qui a remplacé Benjamin Moussay depuis un bonne année, a connu après un premier disque un peu frais chez Laborie un épanouissement formidable, et se voit confier une partition de piano extrêmement serrée et exigeante, la rythmique étant constamment sollicitée d’une espèce de picotage minimaliste à des vastes effets de parasitage en passant par des parties extrêmement swingantes et à des ponctuations en tutti auxquelles Raphäel Schwab donne toute sa souplesse.Et les autres ? J’avais pris du papier pour prendre des notes, mais j’avais oublié de prendre un stylo… J’espère qu’il ne m’en voudront pas de ne pas citer tout le monde. Tiens, je leur propose de me rafraîchir la mémoire par mail…


Jeudi prochain 28 février au Sunset, les Parisiens retrouveront quelques sommités de ce bel orchestre réunies au sein du Big Four, soit Julien Soro, Stephan Caracci (membre désormais régulier du Ping Machine, lorsque la place le permet, ce qui n’est pas le cas à l’Ermitage), Fabien Debellefontaine (qui remisera ses anches et ses flûtes pour le tuba auquel il confie un rôle tout à fait croustillant dans ce quartette) et Raf’ Kœrner. J’y serai, soyez-y. Je suis facile à reconnaître : j’ai des lunettes, les yeux bruns et, si j’en crois certains signes avant-coureurs, je serai fortement enrhumé.


Franck Bergerot

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L’orchestre Ping Machine dirigé par Fred Maurin sur des compositions de son cru jouait hier soir, 19 septembre à Paris, au Studio de l’Ermitage, magnifiquement sonorisé par Benoît Paolo, la technicienne attachée à ce lieu très recommandable. J’en rentre ébloui.

 

 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 19 septembre 2012.

Ping Machine : Fabien Norbert, Quentin Ghomari, Andrew Crocker (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Floren Dupuit (flûtes, ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (sax ténor, clarinette), Guillaume Christophel (sax baryton), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie).


Numéro d’octobre bouclé. Herbie Hancock à la une, un dossier autour du Piazzolla ! de l’ONJ et beaucoup d’autres choses, dont une évocation de l’année 1992 en souvenir de la naissance de Jazzman il y a vingt ans, sur une idée de François Lacharme, avec une équipe réunie autour d’Alex Dutilh (Arnaud Merlin, Pascal Anquetil, le regretté Bernard Vacher notre premier maquettiste qui précéda Olivier Linden…).Souvenirs, souvenirs…


Près d’un mois que je n’ai pas mis les pieds dehors, scotché à mon écran. La plante des pieds me démange et me voilà remontant la rue de Ménilmontant en direction du Studio de l’Ermitage devenu l’un des principaux centres de création de la capitale pour le domaine qui nous concerne sur ce site. Et voilà 10 mois, à un jour près, que je n’ai pas entendu le Ping Machine de Fred Maurin (en ce même endroit le 18 novembre 2011) et les oreilles commencent aussi à me démanger. C’est vrai que j’ai l’habitude de fouiner en quête de nouveauté, mais depuis que je fréquente les concerts de Fred Maurin, à vrai dire depuis le premier concert de son Ping Machine, j’y ai toujours entendu du neuf.


Ouverture avec un pièce dite « d’échauffement, nous dit-il, une sorte de descarga. » intitulée Zimmer sechs und zwanzig. D’Emblée, et aucun moment du concert ne démentira cette constatation première, ça sonne. Comme quoi on peut faire entendre une grande formation de jazz sans nous écraser le nez, sans nous défoncer les tempos, en préservant les timbres, les nuances, la dynamique. Bravo à Benoît Paolo, le technicien qui seconde Clara Pannet à l’Ermitage où le son nous donne satisfaction plus souvent qu’ailleurs.


Du coup, on goûte de l’abstraction première de cette pièce d’ouverture aux allures tout d’abord “peu descargiennes” sur un solo introspectif de soprano (Jean-Michel Fouchet… était-il d’ailleurs si introspectif ce soprano ? Il faudrait que je demande à ma voisine, mais j’ai oublié de lui demander son numéro de téléphone. D’ailleurs, en première partie, c’était un voisin). Puis l’orchestration s’épaissit, très dans la tradition gilevansienne, le gilevansien supérieur (en terme de couche archéologique) tel qu’on le pratique dans le sillage de Bob Brookmeyer (qui ne se réclamait peut-être pas de Gil Evans d’ailleurs… J’ai oublié de demander à ma voisine, qui en première partie était barbue). J’ai oublié les solistes (il faudrait…), qu’ils m’excusent, mais ça swingue d’enfer, Rafaël Koerner (avec un f) en partenariat avec Raphaël Schwab (avec un ph dont j’ignore le taux d’ailleurs) et je me souviens d’un “solo d’orchestre” en final avec des phrasés de section fusant de partout jusqu’à constituer une texture d’une grande densité aboutissant à une brève marche funèbre conclusive… Hourra ! Le public, qui a rempli le studio, jubile déjà.


Frédéric Maurin annonce Trona, ville de Californie d’où l’on extrait le borax et qui ressemble, à l’en croire, à l’Enfer… ou à l’enfer que nous promet les comportements insanes de l’humanité (j’interprète… il n’a pas dit ça). Cette pièce fut créée au printemps – hélas ! Je n’y étais pas – avec un dispositif électronique dont Benjamin Moussay (désormais remplacé par Paul Lay sans électronique)  était en partie responsable. La guitare commence par évoquer ce chaos par un traficotage de pédales dont une séquence est mise en boucle, tandis que se lève une jungle de timbres évoquant plus les cuivres de Peter Eötvös (pour mentionner l’un des rares compositeurs contemporains inscrits dans mon disque dur) que Duke Ellington, d’où émerge un solo de guitare, cas de figure encore assez rare jusque-là dans la musique du guitariste-compositeur. Une virtuosité assez sobre, avec des effets, notamment d’echo, d’allures très pop tirées vers le blues par une sorte de shuffle de la rythmique. Deux autres mouvements suivent, le premier sur un ostinato comme picoré par le piano et qui se répand dans tout l’orchestre, avec un sentiment d’inexorabilité qui accentue l’impression d’oppression du premier mouvement, puis un troisième s’ouvrant sur un solo de flûte de Florent Dupuit (le plus ancien membre du groupe avec Rafaël Kœrner, rarement sollicité en solo) qui émerge d’un jeu de microtonalité entre la guitare et la flûte.


Après cet ambiance sonore d’après le désastre, Early Morning Party aura des allures champêtres (Fred Maurin annonce d’ailleurs un morceau « reposant », précisant « pour l’orchestre. »), mélange très réussi de minimalisme et de développement mélodique où Fabien de Bellefontaine associe le discontinu de la phrase à la continuité de la pensée de part en part d’un solo d’une construction palpitante. Après quoi des masses mélodiques à la George Russell réintroduisent des éléments mélodiques et des traces éparses du minimalisme initial. Nouveau changement de pulse où l’on ne sait plus vers qui tourner son attention : le solo de trombone de Bastien Ballaz ou les martèlements passionnés de Paul Lay, plus discret, plus “dans l’orchestre” que son brillant prédécesseur Benjamin Moussay (ce qui n’est pas un jugement de valeur, tant la musique de Fred Maurin semblait lui convenir) ?


Surprise : Maurin distribue des partitions non prévues à son orchestre et lance un Happy Birthday to You russello-basien, à l’occasion des 30 ans de Rafaël Koerner, des 40 ans de son épouse et des 50 ans d’Andrew Crocker. Entracte.


Le concert reprend avec Alors chut !, fantaisie-variations autour d’une ritournelle qui se développe par couches dans une formidable combinaison de la démarche minimaliste et de la fugue.


Alors que Pascal Anquetil me fait passer un verre de Cahors bio très honorable en retour de celui que je viens de lui offrir au bar, Maurin lance Des Trucs pareils, son morceau de bravoure, longue suite déjà commentée l’an dernier ici même et au compte rendu duquel je renonce, préférant m’abandonner enfin au plaisir du rythme et du son (avec en ouverture des pêches et des nappes de batterie cryogènes à vous glacer le sang), au plaisir de l’oubli, à la chronique “soiriste” ou “impressionniste”, partant du principe que la musicologie, il y a des maisons pour ça que je n’ai jamais eu l’honneur de fréquenter et que par conséquent je ne suis pas chaussé pour, surtout avec un deuxième Cahors dans le nez (deuxième ou dixième, je n’ai pas compté). « Rassurez-vous, écrivait Colette le 12 janvier 1903 dans sa chronique musicale au quotidien Gil Blas, je ne vous parlerai, chaque semaine, que très peu de musique. D’abord, parce que ça m’aralerait ; ensuite parce que Debussy aux boucles d’ébène me paraît, tout de même, plus autorisée que moi ; enfin, parce que… Tiens ! j’ai oublié la troisième raison ! » (1)

 

J’oublie donc la raison, m’abandonne à l’impression d’un soir (d’où les mots “soirisme” et “impressionnisme” qu’autrefois l’on attribuait au théâtre à Jean-Jacques Gauthier, le critique du Figaro, et à ses humeurs), aux lourdeurs qu’a laissé sur mon estomac les méchantes tapas avalées à la hâte dans un restaurant bruyant, mais qui pourtant ne me dégoûte nullement de cette musique, peut-être parce que me réconforte aperçue du coin de mon œil droit que je n’ose détourner de la scène, le triangle bronzé d’une épaule dénudée (car mon voisin barbu est devenu une voisine), tout comme (sans la plume) Colette remarque la cambrure dorsale bien placée du chef d’orchestre Victor Charpentier (« joli homme ») ou qui inventorie à la première de L’Étranger de Vincent d’Indy  « Mme Catulle Mendès, belle, étincellante de paillettes noires […] et puis Louis de Serres, hypnotisé, le front en avant sous deux mèches spiralées qui lui donnaient un air de chèvre exotique; et tout et tou, quoi! »… 


Je me rappelle aussi que le dernier bouclage est derrière moi et que le prochain est devant, mais que la mer est encore bleue, que demain est un autre jour et qu’après-demain je me rend au festival au festival Jazz aux écluses au nord de Rennes, ce qui me rend gourmand. Et je laisse monter l’ivresse qui me transporte à l’unisson du ténor que fait tituber Julien Soro, pènètre dans le terrier sonore qui s’ensuit débouchant au pays des merveilles… où il n’est plus question de s’interroger sur la faisabilité du projet de Fred Maurin comme je le faisais il y a dix mois sur ce blog, mais de l’éprouver physiquement et de jouir de sa splendeur.


J’exagère mon état pour masquer mon impuissance à cette heure tardive à rendre compte et lui donner un semblant de consistance, ou peut-être ai-je vraiment bu pour noyer mon désarroi, ou peut-être n’étai-je pas là comme il arrive parfois au journaliste de rendre compte d’un concert auquel il n’assista pas, mais qui par malheur fut annulé à son insu… mais si, j’étais bien là, la musique de Fred Maurin résonne encore à mon oreille et m’a une fois de plus étonné. À retrouver le 15 novembre au D’jazz de Nevers et le 13 décembre en ce même Ermitage où il nous promet encore du nouveau. Mon ascenseur m’attendait à la porte du Studio de l’Ermitage pour me conduire directement au 13ème de ma tour de Bondy où j’ai rédigé cette chronique la langue pendante entre deux baillements, regrettant la fugue de Sigmund le chat qui avait pris l’habitude de terminer mes papiers, le  ronron irrégulier de Frimousse rêvant roulée en boule sur le capot de mon scanner se révélant d’aucun secours.


Franck Bergerot


(1) Dans Au concert, Colette (Le Castor Astral, 2004)

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Si vous étiez parisien hier, c’est là qu’il fallait être. D’ailleurs, le public le savait : l’Ermitage était plein comme un œuf. J’exagère ? Pas vraiment, si l’on considère qu’un œuf n’est jamais plein mais que, entre les membranes coquillières interne et externe, il existe toujours une chambre à air. Sans laquelle, ça deviendrait irrespirable… 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 26 février 2013.

 

Ping Machine: Fred Maurin (composition, direction, guitare électrique), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Florent Dupuit (flûte, sax ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (clarinette, sax ténor), Guillaume Christophel (sax baryton, clarinette basse), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Kœrner (batterie).

 

Et revoilà Ping Machine (dont je vous recommande la retransmission du Jazz Club sur France Musique, toujours en ligne sur la page d’accueil de ping-machine.com ! À la veille d’un nouvel enregistrement et d’un nouveau répertoire que l’orchestre s’apprête enregistrer au cours d’une résidence au Petit Faucheux de Tours (concert les 22 et 23), avec un nouveau répertoire dont pourra également profiter le public du festival Jazz sous les Pommiers (du 4 au 11mai) qui présentait son programme lundi dernier au Sunset. Un nouveau répertoire dont le morceau de résistance est Encore, une longue suite à tiroir que Fred Maurin m’avoue avoir tiré du retraitement de motifs d’une pièce précédente. On ne peut pas soupçonner Maurin d’avoir ainsi procédé par paresse. Sa plume est toujours aussi diserte… « Y’a du courrier », comme aime à dire les musiciens entre eux lorsqu’il y a beaucoup de lecture. C’est intense, foisonnant, limpide jusque dans la confusion volontaire (sonorisation comme toujours claire et équilibrée à l’Ermitage), avec une très large palette d’assemblage de timbres, un nuancier dynamique épatant, le tout au service de vraies progressions dramatiques.


Il y a là un art du développement qui ne se contente jamais de la simple juxtaposition et Fred Maurin pourrait avoir été élève de Bob Brookmeyer en ce sens que le solo n’est jamais pour lui une solution de facilité, mais toujours un moment nécessaire de son écriture. Bien plus, celle-ci fait jouer, telle cette pièce d’ouverture de seconde partie écrite spécialement pour son baryton, Guillaume Christophel. Elle n’exclut pas le solo en roue libre, mais on ne saurait le déplorer lorsque c’est Julien Soro qui s’en empare en architecte, partant d’un simple motif qu’il décline sur le thème du décalage (décalage rythmique, décalage microtonal, décalage timbral, décalage mélodique). Ailleurs, c’est un bref duo Soro-Couchet qui prend une dimension totalement organique, tant dans la façon dont les deux parties de sax semblent se générer l’une l’autre et même générer la partition où elles s’intègrent (parfait moment d’illusion, puisque c’est très exactement l’inverse qui se produit).


Ailleurs encore, d’une main gauche formidablement charpentée et d’une main droite dont on pourrait croire qu’elle est devenue folle, Paul Lay engage un duo piano-batterie avec le toujours très élégant Rafaël Kœrner. Paul Lay, qui a remplacé Benjamin Moussay depuis un bonne année, a connu après un premier disque un peu frais chez Laborie un épanouissement formidable, et se voit confier une partition de piano extrêmement serrée et exigeante, la rythmique étant constamment sollicitée d’une espèce de picotage minimaliste à des vastes effets de parasitage en passant par des parties extrêmement swingantes et à des ponctuations en tutti auxquelles Raphäel Schwab donne toute sa souplesse.Et les autres ? J’avais pris du papier pour prendre des notes, mais j’avais oublié de prendre un stylo… J’espère qu’il ne m’en voudront pas de ne pas citer tout le monde. Tiens, je leur propose de me rafraîchir la mémoire par mail…


Jeudi prochain 28 février au Sunset, les Parisiens retrouveront quelques sommités de ce bel orchestre réunies au sein du Big Four, soit Julien Soro, Stephan Caracci (membre désormais régulier du Ping Machine, lorsque la place le permet, ce qui n’est pas le cas à l’Ermitage), Fabien Debellefontaine (qui remisera ses anches et ses flûtes pour le tuba auquel il confie un rôle tout à fait croustillant dans ce quartette) et Raf’ Kœrner. J’y serai, soyez-y. Je suis facile à reconnaître : j’ai des lunettes, les yeux bruns et, si j’en crois certains signes avant-coureurs, je serai fortement enrhumé.


Franck Bergerot

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L’orchestre Ping Machine dirigé par Fred Maurin sur des compositions de son cru jouait hier soir, 19 septembre à Paris, au Studio de l’Ermitage, magnifiquement sonorisé par Benoît Paolo, la technicienne attachée à ce lieu très recommandable. J’en rentre ébloui.

 

 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 19 septembre 2012.

Ping Machine : Fabien Norbert, Quentin Ghomari, Andrew Crocker (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Floren Dupuit (flûtes, ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (sax ténor, clarinette), Guillaume Christophel (sax baryton), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Koerner (batterie).


Numéro d’octobre bouclé. Herbie Hancock à la une, un dossier autour du Piazzolla ! de l’ONJ et beaucoup d’autres choses, dont une évocation de l’année 1992 en souvenir de la naissance de Jazzman il y a vingt ans, sur une idée de François Lacharme, avec une équipe réunie autour d’Alex Dutilh (Arnaud Merlin, Pascal Anquetil, le regretté Bernard Vacher notre premier maquettiste qui précéda Olivier Linden…).Souvenirs, souvenirs…


Près d’un mois que je n’ai pas mis les pieds dehors, scotché à mon écran. La plante des pieds me démange et me voilà remontant la rue de Ménilmontant en direction du Studio de l’Ermitage devenu l’un des principaux centres de création de la capitale pour le domaine qui nous concerne sur ce site. Et voilà 10 mois, à un jour près, que je n’ai pas entendu le Ping Machine de Fred Maurin (en ce même endroit le 18 novembre 2011) et les oreilles commencent aussi à me démanger. C’est vrai que j’ai l’habitude de fouiner en quête de nouveauté, mais depuis que je fréquente les concerts de Fred Maurin, à vrai dire depuis le premier concert de son Ping Machine, j’y ai toujours entendu du neuf.


Ouverture avec un pièce dite « d’échauffement, nous dit-il, une sorte de descarga. » intitulée Zimmer sechs und zwanzig. D’Emblée, et aucun moment du concert ne démentira cette constatation première, ça sonne. Comme quoi on peut faire entendre une grande formation de jazz sans nous écraser le nez, sans nous défoncer les tempos, en préservant les timbres, les nuances, la dynamique. Bravo à Benoît Paolo, le technicien qui seconde Clara Pannet à l’Ermitage où le son nous donne satisfaction plus souvent qu’ailleurs.


Du coup, on goûte de l’abstraction première de cette pièce d’ouverture aux allures tout d’abord “peu descargiennes” sur un solo introspectif de soprano (Jean-Michel Fouchet… était-il d’ailleurs si introspectif ce soprano ? Il faudrait que je demande à ma voisine, mais j’ai oublié de lui demander son numéro de téléphone. D’ailleurs, en première partie, c’était un voisin). Puis l’orchestration s’épaissit, très dans la tradition gilevansienne, le gilevansien supérieur (en terme de couche archéologique) tel qu’on le pratique dans le sillage de Bob Brookmeyer (qui ne se réclamait peut-être pas de Gil Evans d’ailleurs… J’ai oublié de demander à ma voisine, qui en première partie était barbue). J’ai oublié les solistes (il faudrait…), qu’ils m’excusent, mais ça swingue d’enfer, Rafaël Koerner (avec un f) en partenariat avec Raphaël Schwab (avec un ph dont j’ignore le taux d’ailleurs) et je me souviens d’un “solo d’orchestre” en final avec des phrasés de section fusant de partout jusqu’à constituer une texture d’une grande densité aboutissant à une brève marche funèbre conclusive… Hourra ! Le public, qui a rempli le studio, jubile déjà.


Frédéric Maurin annonce Trona, ville de Californie d’où l’on extrait le borax et qui ressemble, à l’en croire, à l’Enfer… ou à l’enfer que nous promet les comportements insanes de l’humanité (j’interprète… il n’a pas dit ça). Cette pièce fut créée au printemps – hélas ! Je n’y étais pas – avec un dispositif électronique dont Benjamin Moussay (désormais remplacé par Paul Lay sans électronique)  était en partie responsable. La guitare commence par évoquer ce chaos par un traficotage de pédales dont une séquence est mise en boucle, tandis que se lève une jungle de timbres évoquant plus les cuivres de Peter Eötvös (pour mentionner l’un des rares compositeurs contemporains inscrits dans mon disque dur) que Duke Ellington, d’où émerge un solo de guitare, cas de figure encore assez rare jusque-là dans la musique du guitariste-compositeur. Une virtuosité assez sobre, avec des effets, notamment d’echo, d’allures très pop tirées vers le blues par une sorte de shuffle de la rythmique. Deux autres mouvements suivent, le premier sur un ostinato comme picoré par le piano et qui se répand dans tout l’orchestre, avec un sentiment d’inexorabilité qui accentue l’impression d’oppression du premier mouvement, puis un troisième s’ouvrant sur un solo de flûte de Florent Dupuit (le plus ancien membre du groupe avec Rafaël Kœrner, rarement sollicité en solo) qui émerge d’un jeu de microtonalité entre la guitare et la flûte.


Après cet ambiance sonore d’après le désastre, Early Morning Party aura des allures champêtres (Fred Maurin annonce d’ailleurs un morceau « reposant », précisant « pour l’orchestre. »), mélange très réussi de minimalisme et de développement mélodique où Fabien de Bellefontaine associe le discontinu de la phrase à la continuité de la pensée de part en part d’un solo d’une construction palpitante. Après quoi des masses mélodiques à la George Russell réintroduisent des éléments mélodiques et des traces éparses du minimalisme initial. Nouveau changement de pulse où l’on ne sait plus vers qui tourner son attention : le solo de trombone de Bastien Ballaz ou les martèlements passionnés de Paul Lay, plus discret, plus “dans l’orchestre” que son brillant prédécesseur Benjamin Moussay (ce qui n’est pas un jugement de valeur, tant la musique de Fred Maurin semblait lui convenir) ?


Surprise : Maurin distribue des partitions non prévues à son orchestre et lance un Happy Birthday to You russello-basien, à l’occasion des 30 ans de Rafaël Koerner, des 40 ans de son épouse et des 50 ans d’Andrew Crocker. Entracte.


Le concert reprend avec Alors chut !, fantaisie-variations autour d’une ritournelle qui se développe par couches dans une formidable combinaison de la démarche minimaliste et de la fugue.


Alors que Pascal Anquetil me fait passer un verre de Cahors bio très honorable en retour de celui que je viens de lui offrir au bar, Maurin lance Des Trucs pareils, son morceau de bravoure, longue suite déjà commentée l’an dernier ici même et au compte rendu duquel je renonce, préférant m’abandonner enfin au plaisir du rythme et du son (avec en ouverture des pêches et des nappes de batterie cryogènes à vous glacer le sang), au plaisir de l’oubli, à la chronique “soiriste” ou “impressionniste”, partant du principe que la musicologie, il y a des maisons pour ça que je n’ai jamais eu l’honneur de fréquenter et que par conséquent je ne suis pas chaussé pour, surtout avec un deuxième Cahors dans le nez (deuxième ou dixième, je n’ai pas compté). « Rassurez-vous, écrivait Colette le 12 janvier 1903 dans sa chronique musicale au quotidien Gil Blas, je ne vous parlerai, chaque semaine, que très peu de musique. D’abord, parce que ça m’aralerait ; ensuite parce que Debussy aux boucles d’ébène me paraît, tout de même, plus autorisée que moi ; enfin, parce que… Tiens ! j’ai oublié la troisième raison ! » (1)

 

J’oublie donc la raison, m’abandonne à l’impression d’un soir (d’où les mots “soirisme” et “impressionnisme” qu’autrefois l’on attribuait au théâtre à Jean-Jacques Gauthier, le critique du Figaro, et à ses humeurs), aux lourdeurs qu’a laissé sur mon estomac les méchantes tapas avalées à la hâte dans un restaurant bruyant, mais qui pourtant ne me dégoûte nullement de cette musique, peut-être parce que me réconforte aperçue du coin de mon œil droit que je n’ose détourner de la scène, le triangle bronzé d’une épaule dénudée (car mon voisin barbu est devenu une voisine), tout comme (sans la plume) Colette remarque la cambrure dorsale bien placée du chef d’orchestre Victor Charpentier (« joli homme ») ou qui inventorie à la première de L’Étranger de Vincent d’Indy  « Mme Catulle Mendès, belle, étincellante de paillettes noires […] et puis Louis de Serres, hypnotisé, le front en avant sous deux mèches spiralées qui lui donnaient un air de chèvre exotique; et tout et tou, quoi! »… 


Je me rappelle aussi que le dernier bouclage est derrière moi et que le prochain est devant, mais que la mer est encore bleue, que demain est un autre jour et qu’après-demain je me rend au festival au festival Jazz aux écluses au nord de Rennes, ce qui me rend gourmand. Et je laisse monter l’ivresse qui me transporte à l’unisson du ténor que fait tituber Julien Soro, pènètre dans le terrier sonore qui s’ensuit débouchant au pays des merveilles… où il n’est plus question de s’interroger sur la faisabilité du projet de Fred Maurin comme je le faisais il y a dix mois sur ce blog, mais de l’éprouver physiquement et de jouir de sa splendeur.


J’exagère mon état pour masquer mon impuissance à cette heure tardive à rendre compte et lui donner un semblant de consistance, ou peut-être ai-je vraiment bu pour noyer mon désarroi, ou peut-être n’étai-je pas là comme il arrive parfois au journaliste de rendre compte d’un concert auquel il n’assista pas, mais qui par malheur fut annulé à son insu… mais si, j’étais bien là, la musique de Fred Maurin résonne encore à mon oreille et m’a une fois de plus étonné. À retrouver le 15 novembre au D’jazz de Nevers et le 13 décembre en ce même Ermitage où il nous promet encore du nouveau. Mon ascenseur m’attendait à la porte du Studio de l’Ermitage pour me conduire directement au 13ème de ma tour de Bondy où j’ai rédigé cette chronique la langue pendante entre deux baillements, regrettant la fugue de Sigmund le chat qui avait pris l’habitude de terminer mes papiers, le  ronron irrégulier de Frimousse rêvant roulée en boule sur le capot de mon scanner se révélant d’aucun secours.


Franck Bergerot


(1) Dans Au concert, Colette (Le Castor Astral, 2004)

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Si vous étiez parisien hier, c’est là qu’il fallait être. D’ailleurs, le public le savait : l’Ermitage était plein comme un œuf. J’exagère ? Pas vraiment, si l’on considère qu’un œuf n’est jamais plein mais que, entre les membranes coquillières interne et externe, il existe toujours une chambre à air. Sans laquelle, ça deviendrait irrespirable… 

 

Studio de l’Ermitage, Paris (75), le 26 février 2013.

 

Ping Machine: Fred Maurin (composition, direction, guitare électrique), Fabien Norbert, Andrew Crocker, Quentin Ghomari (trompette), Bastien Ballaz (trombone), Didier Havet (trombone basse, tuba), Florent Dupuit (flûte, sax ténor), Fabien Debellefontaine (flûte, clarinette, sax alto), Jean-Michel Couchet (saxes soprano et alto), Julien Soro (clarinette, sax ténor), Guillaume Christophel (sax baryton, clarinette basse), Paul Lay (piano), Raphaël Schwab (contrebasse), Rafaël Kœrner (batterie).

 

Et revoilà Ping Machine (dont je vous recommande la retransmission du Jazz Club sur France Musique, toujours en ligne sur la page d’accueil de ping-machine.com ! À la veille d’un nouvel enregistrement et d’un nouveau répertoire que l’orchestre s’apprête enregistrer au cours d’une résidence au Petit Faucheux de Tours (concert les 22 et 23), avec un nouveau répertoire dont pourra également profiter le public du festival Jazz sous les Pommiers (du 4 au 11mai) qui présentait son programme lundi dernier au Sunset. Un nouveau répertoire dont le morceau de résistance est Encore, une longue suite à tiroir que Fred Maurin m’avoue avoir tiré du retraitement de motifs d’une pièce précédente. On ne peut pas soupçonner Maurin d’avoir ainsi procédé par paresse. Sa plume est toujours aussi diserte… « Y’a du courrier », comme aime à dire les musiciens entre eux lorsqu’il y a beaucoup de lecture. C’est intense, foisonnant, limpide jusque dans la confusion volontaire (sonorisation comme toujours claire et équilibrée à l’Ermitage), avec une très large palette d’assemblage de timbres, un nuancier dynamique épatant, le tout au service de vraies progressions dramatiques.


Il y a là un art du développement qui ne se contente jamais de la simple juxtaposition et Fred Maurin pourrait avoir été élève de Bob Brookmeyer en ce sens que le solo n’est jamais pour lui une solution de facilité, mais toujours un moment nécessaire de son écriture. Bien plus, celle-ci fait jouer, telle cette pièce d’ouverture de seconde partie écrite spécialement pour son baryton, Guillaume Christophel. Elle n’exclut pas le solo en roue libre, mais on ne saurait le déplorer lorsque c’est Julien Soro qui s’en empare en architecte, partant d’un simple motif qu’il décline sur le thème du décalage (décalage rythmique, décalage microtonal, décalage timbral, décalage mélodique). Ailleurs, c’est un bref duo Soro-Couchet qui prend une dimension totalement organique, tant dans la façon dont les deux parties de sax semblent se générer l’une l’autre et même générer la partition où elles s’intègrent (parfait moment d’illusion, puisque c’est très exactement l’inverse qui se produit).


Ailleurs encore, d’une main gauche formidablement charpentée et d’une main droite dont on pourrait croire qu’elle est devenue folle, Paul Lay engage un duo piano-batterie avec le toujours très élégant Rafaël Kœrner. Paul Lay, qui a remplacé Benjamin Moussay depuis un bonne année, a connu après un premier disque un peu frais chez Laborie un épanouissement formidable, et se voit confier une partition de piano extrêmement serrée et exigeante, la rythmique étant constamment sollicitée d’une espèce de picotage minimaliste à des vastes effets de parasitage en passant par des parties extrêmement swingantes et à des ponctuations en tutti auxquelles Raphäel Schwab donne toute sa souplesse.Et les autres ? J’avais pris du papier pour prendre des notes, mais j’avais oublié de prendre un stylo… J’espère qu’il ne m’en voudront pas de ne pas citer tout le monde. Tiens, je leur propose de me rafraîchir la mémoire par mail…


Jeudi prochain 28 février au Sunset, les Parisiens retrouveront quelques sommités de ce bel orchestre réunies au sein du Big Four, soit Julien Soro, Stephan Caracci (membre désormais régulier du Ping Machine, lorsque la place le permet, ce qui n’est pas le cas à l’Ermitage), Fabien Debellefontaine (qui remisera ses anches et ses flûtes pour le tuba auquel il confie un rôle tout à fait croustillant dans ce quartette) et Raf’ Kœrner. J’y serai, soyez-y. Je suis facile à reconnaître : j’ai des lunettes, les yeux bruns et, si j’en crois certains signes avant-coureurs, je serai fortement enrhumé.


Franck Bergerot