Renaud et Soleà Garcia Fons dans Blue Maqam à St Rémy de Provence

Nóiméad Síochána by Renaud & Solea Garcia Fons – Extrait de l’album Blue Maqam – YouTube
Blue Maqam, le film – Plongez dans l’univers de Renaud Garcia Fons
Renaud Garcia-Fons | contrebassiste jazz
Retour à St Rémy de Provence à l’Alpilium pour la quatrième saison ( le festival existe depuis 2008 sous sa forme actuelle) en cette fin d’été qui n’en finit pas, profitant des Journées du Patrimoine (20 et 21 septembre).

Une affiche alléchante avec, pour cette première soirée le contrebassiste Renaud Garcia Fons pour son Blue Maqam qui fait la part belle au chant et place sa fille Soleá


au centre du quartet qu’il forme avec le jeune Lucas Dorado (vibraphone et marimba basse ) et Jean-Luc Di Fraya (batterie et percussions).

Il crée avec elle et pour elle un répertoire original autour de la voix et des langages de la Méditerranée à la Perse, s’aventurant même en Irlande ( un surprenant « Nо́iméad Síochàna » en anglais et non en gaélique où la voix posée de Solea parle d’amour).


Mais ce concert est un hommage à la contrebasse,« pilier sonore indispensable » (Patrick Susskind), avait pour seule fonction de créer du grave, de doubler, d’accompagner. Ce n’est qu’au XIXe siècle que des virtuoses ont écrit des concertos et ont fait évoluer la lutherie comme Bottesini, le Paganini de la contrebasse qui composa des parties de soliste redoutable. Puis au XXe siècle, le jazz a mis en valeur ses solistes et ses chefs de groupe Ah ! Mingus, sans oublier l’apport de Scott Lafaro dans le premier trio de Bill Evans. Renaud Garcia-Fons, l’autre Paganini de la contrebasse est connu notamment pour son jeu original et l’utilisation d’une cinquième corde plus fine afin de faire chanter autrement sa basse dans les aigus, de lui donner un registre plus étendu, une quarte de plus en fait ! Barre Philips fit de même avant lui. Dans les orchestres, on utilise souvent une contrebasse avec une corde de plus dans les graves pour avoir au moins une octave sous le violoncelle, accordé en quintes.
Mais cet accordage différent, s’il permet d’autres doigtés, peut compliquer le jeu à l’archet qu’il manie avec maestria. Je songe alors à Claude Tchamitchian, autre grand de l’instrument qui, pour son solo In Spirit qu’il vient de rejouer à Marseille aux Emouvantes, avait reçu la basse de JF ( Jenny-Clark ) qui demandait une spéciale « scordatura ».( ça sonne toujoursmieux en italien).
Que Renaud Garcia Fons joue en pizz avec des accents très vifs ou avec un archet percussif quand il tape sur les cordes, il est bluffant. Il aime sans doute se frotter à tous les genres, styles et techniques mais cela va plus loin qu’un exercice de style, variant nuances et atmosphères de l’instrument. Ce n’est pas seulement l’exploration de plusieurs modes de jeu qui sont à l’oeuvre ici, ni l’art de la contrebasse en un peu plus de huit leçons ( le nombre de compos jouées) mais un auto-portrait . Peu de silence, peu de vide mais un combat essentiel avec l’ instrument, une contrebasse puissante, résolue qui a son autonomie propre qu’il parvient cependant à dominer. Cet instrument fabriqué par le luthier Jean Auray est démontable , pratique dans les transports, même si la S.N.C.F se montre enfin plus conciliante. Que peuvent nous rappeler ces petites formes poétiques plus ou moins développées, ni les formes révolutionnaires de Carla Bley jouant sur les hymnes révolutionnaires, ni les folk songs de Luciano Berio mais plus simplement des chants du monde ? Le quartet ne revisite pas des mélodies d’origines diverses souvent ancrées dans la mémoire collective mais compose des originaux qui peuvent nous toucher lors de leur découverte. Des fragments du passé, de musiques anciennes de l’Orient (avec le kanoun) et de l’Occident de tradition plus classique sans oublier l’Espagne flamenca dont il a transposé sur la contrebasse des techniques de guitare. Ce diable de musicien peut tout jouer, accommoder les univers musicaux les plus créatifs d’une culture à l’autre dans un désir chevillé au corps de réduire les frontières. Il a joué avec des musiciens marocains, irakiens, des jazzmen (l’Orchestre de Contrebasses, l’Orchestre National de Jazz dirigé par Claude Barthélémy), des musiciens indiens, toujours en recherche pour élargir le chant de son instrument et les techniques de son sur la contrebasse. Une complémentarité instrumentale, un rapport de son et de volume qui sonne de façon naturelle. Renaud Garcia Fons peut imiter les cordes plus pincées d’un oud, avec son archet, évoquer violon ou rebab arabe à cordes frottées. Avec cette « Oriental bass » (titre d’un album de 1997), il explore les musiques de la Méditerranée de la Grèce sur les traces d’Ulysse avec « Makrini Akti » (voisinage avec Angelika Ionatos qui a célébré les poètes) à l’Italie romaine et la « Città eterna » sans oublier le flamenco (« Enamorada »), les musiques indiennes d’une ancienne composition « Orissa » dans un jazz litttéralement sans frontières géographiques ou stylistiques (d’ailleurs le concert présente une remarquable unité de ton en dépit des quelques huit langues chantées). Le terme de virtuose n’est pas usurpé, Renaud Garcia Fons maîtrise de nombreux modes de jeu sur son instrument dans ce Blue Maqam. (Maqam, mode musical arabe). concocté avec un soin particulier
Avec l’hébreu de « Salam al haolam », Solea espère la paix dans une région où elle semble impossible aujourd’hui. Pour « Najmati » (Ma bonne étoile) c’est l’arabe et les lames du vibraphone résonnent avec les cordes sur un tempo vif.


N’oublions pas la pulsation, le swing intense qui fait retour au jazz « Towards a new world » avec vocalises et scats. La rythmique formidable vibre d’une connivence magnifique entre les deux percussionnistes qui se font face et se répondent dans un timing impeccable. « Orissa » qui conclut la première partie de ce concert est à cet égard l’acme du concert présenté avec élégance et chaleur par Bernard Chambre, le directeur artitistique qui avoue son gros coup de coeur pour ce contrebassiste déjà venu deux fois au festival en 2014 pour un solo mémorable ( et on le croit volontiers car combinant toutes les techniques, voilà de quoi proposer un récital en l’hommage à son instrument) et en trio en 2018 avec David Venitucci à l’accordéon et déjà Stephan Caracci au marimba sur une thématique autour de Paris). Mais le musicien d’origine catalane me semble toujours irrésistiblement entraîné (avec sa fille) par le flamenco dont ils parviennent à communiquer la force, le charme (moins l’ émotion, la fragilité sans doute) de cette musique arabe-andalouse.
Citons encore cette chanson « Toma te el tiempo » (Prends le temps) en espagnol qui paradoxalement s’envole avec fougue sous les doigts du bassiste. Le public est sous le charme et ne voudrait pas les voir partir, il le faudra avec un dernier rappel du duo père fille qui retourne en Grèce entre ballade et danse à sept temps.

Je pense alors, en élargissant encore le monde garcia-fonsien, aux tissages des femmes Kuna des îles aux madrépores San Blas du Panama ( molas) que me montrait un ami :Le monde a plusieurs couches . En chacune vivent plusieurs esprits. Coudre le monde c’est les visiter.
Sophie Chambon