Respire Jazz, 4ème et dernière journée
Grand final avec Flash Pig, la découverte de Malou Oheix entourée d’un all stars de parrains et l’afro-beat festif du groupe Angelo Maria.
Sortant du concert du quartette Flash Pig, mon enthousiasme le disputait à ma perplexité. Comment dire ? Comment dire la musique ? Une question récurrente chaque fois qu’il m’est donné de commenter un concert, avec en tête cette remarque récurrente des musiciens, surtout lorsque l’on se montre critique, mais même aussi lorsqu’on se montre flatteur : « Vous les critiques, vous êtes toujours à côté de la plaque. Vous êtes tellement loin de que l’on fait, vous ne comprenez rien… » Je ne suis pas loin sinon de partager ce point de vue (puisque ce ne peut être le mien) du moins de le comprendre. Or, sortant du concert que Flash Pig venait de donner à La Grange de l’Abbaye du Puypéroux, un couple m’arracha à mes réflexions en m’interpelant pour me remercier : « Nous sommes venus parce qu’on a lu votre chronique. Et nous sommes ravis… c’était exactement comme vous l’avez écrit. » Bon, si les musiciens se sentent trahis à la lecture de nos chroniques, au moins sert on de temps à autre à leur apporter du public. Tiens d’ailleurs, si nous écrivions comme ils l’aimeraient, qu’y comprendrait le public à qui nos écrits son destinés ? Je n’essaie pas de me défiler, ayant grandi auprès d’un père amateur de théâtre qui vomissait les critiques auxquels il reprochait de ne pas savoir comme se respire un texte, comment il se projette, incapables de déceler le talent émergeant à l’arrière-plan des premiers rôles réservés aux stars du moment, d’avoir la moindre conscience de ce qu’est une situation théâtrale, du moindre sens du tempo dramatique, etc. Mais bon, un compliment de temps en temps, c’est mieux qu’un coup de pied au cul. Ce qui n’est cependant par pour arranger mon affaire. Que saurai-je dire d’autre que ce que j’étais arrivé à pondre à la sortie du concert de Flash Pig à la Scala de Paris le 22 avril dernier , et que je vous livre par facilité et pour gagner du temps (midi approche, j’ai faim).
Mais je prendrai cependant encore le temps de citer la présentation du concert de Flash Pig par Philippe Vincent, le Monsieur Loyal de Respire Jazz. Grosso modo, de mémoire et en réinterprétant peut-être un peu : « En un temps où le jazz se disperse en direction de toutes sortes d’esthétiques qui lui sont étrangères au risque de devenir méconnaissable, Flash Pig, sans rien ignorer de celles-ci, ayant grandi avec, sans s’interdire d’y faire référence, s’adonne au jazz de toujours et sans âge. » Entendez par là, ni le jazz des origines, ni le swing des années 1930, ni le bop qu’il soit parkérien, cool ou hard, mais celui que nos générations encore en vie ont soit connu dans des années 1960 à 1970 (pour les septuagénaires dont je suis d’ici quelques jours), aboutissement et apothéose de ce patrimoine qui s’était constitué dans les décennies précédentes ; ou, dont les générations suivantes de musiciens ont étudié les outils rythmiques, harmoniques, mélodiques, et les modèles en terme d’écriture et d’initiatives improvisées pour garder la maîtrise des messages contemporains qui leur parviennent de toute part (des musiques dites du monde à l’électro, en passant par le funk, le hip hop, les nouvelles tendances de la musique pop, voire les musiques classiques européennes). En écoutant Flash Pig, je repensais à l’album « Fort Yawuh » du quartette américain de Keith Jarrett (1973) qu’une commande récente de la Rédaction de Jazz Magazine, m’invite à réécouter et qui m’accompagnait en quittant Paris dans ma voiture. Un jazz qui me paraît sans âge, et néanmoins merveilleusement actualisé par les savoir-faire et les sensibilités de ces quatre trentenaires que sont Adrien Sanchez (sax ténor), Maxime Sanchez (piano), Florent Nisse (contrebasse) et Gautier Garrigue (batterie).
Mais ne pourrait-on pas en dire de même avec ces trois autres que nous étions invités ensuite à écouter sur la scène principale : Louis Winsberg (guitare électrique), Benoît Sourisse (orgue Hammond numérique), André Charlier (batterie). Une génération qui émergea trente ans plus tôt, nourrie de jazz-rock et de funk, formée sinon dans les écoles, du moins à une époque où les secrets de l’improvisation commençaient à circuler avec une facilité inédite. Une transmission à laquelle Benoît Sourisse, André Charlier et leur cadet et hôte le temps de ce festival, Pierre Perchaud, continuent à contribuer au CMDL (Centre de musiques Didier Lockwood) dont les promotions successives sont invitées chaque année à animer les jams de Respire Jazz.
Ils ont une façon ludique de traverser et s’approprier les feelings swing, groove et latin, de la ballade à l’up-tempo, et les genres de l’afrobeat au maracatu en passant par une sorte de reggae, le tout avec humour et allégresse. La paire Sourisse-Charlier fait parfois l’effet d’une hydre à deux têtes tant leurs propos se complètent, s’anticipent l’un l’autre… se piégeant parfois amicalement, l’un pour le plaisir de l’autre de se trouver soudain surpris et redynamisé. Louis Winsberg n’est cependant nullement exclu de cette complicité à laquelle il est convié, selon une vaste palette de timbres, plus ou moins droits, plus ou moins saturés, joignant parfois sa voix passée au filtre d’un vocoder. Invitée à la fête, récente diplômée du CMDL, Malou Oheix chante, elle, sans vocoder, mais la plupart du temps sur le mode « instrumental », en onomatopées, à l’unisson des longues lignes mélodiques composées pour la guitare, qu’elle chante en se jouant des pièges de tessiture, sans l’aide d’une partition, puis qu’elle prolonge par ses improvisations déliées.
Cette soirée s’achèvera avec l’afro-beat du groupe Angelo Maria, emmené du devant de scène par le saxophoniste Pierre Lapprand et, dans son ombre, le compositeur et claviériste Philippe Codecco, tous deux entourés d’anciens compagnons de Lapprand au Conservatoire national de Paris : Charles Heisser (Fender Rhodes), Juan Villaroel (contrebasse) et Théo Moutou (batterie). Énergie festive, public en partie debout rassemblé devant la scène, les musiciens présents parmi les spectateurs invités à rejoindre le groupe pour enrichir la polyrythmie de leurs percussions en guise de bouquet final saluant la réussite de cette édition tant en termes artistiques qu’en termes de fréquentation.
Mais le vrai final sera la jam session lancée par la révélation discrète mais réelle de cette édition, le saxophoniste Abdelbari Fannush (saxophone ténor), entouré pour l’occasion (photo ci-dessus) par Baptiste Gilbert (guitare électrique), Jules Charbonnier (piano), Antoine Morera (contrebasse) et, déjà entendu sur la scène de Respire Jazz et bénévole du festival, Maxime Legrand (batterie). Ayant quelques heures de route le lendemain matin, je n’ai pas fait de vieux os, mais ai pu assister au retour sur scène de la toute jeune Julia Perchaud et sa chanson Respire, devenue le tube du festival, avec les riffs de Ronan Escudier (qui avait abandonné sa guitare pour une sorte de flageolet), Jacob Chaignaud (jeune saxophoniste alto que l’on voit ici progresser d’année en année), le tromboniste Maxime Chevalier et quelques autres… Franck Bergerot