Jazz live
Publié le 15 Nov 2014

Ricardo Izquierdo aux Disquaires

RIcardoIZQUIERDO

Mercredi soir, aux Disquaires, on pouvait écouter en quartet un saxophoniste profond, intègre, passionnant, à l’exigence aussi radicale que dépourvue d’ostentation. Son nom : Ricardo Izquierdo.

 

Ricardo Izquierdo (ts), Sergio Gruz (p), Mauro Negro (b) , Fabrice Moreau (dm) Les disquaires, 75011 Paris, Mercredi 6 novembre 2014

 

Pendant tout le concert, ce fut passionnant d’écouter ce jeune saxophoniste originaire de Cuba, installé en France depuis une quinzaine d’années, de le voir esquiver le pilotage automatique des doigts ou des idées, avec cette humilité têtue et opiniâtre qui le caractérise. Après ses chorus, il quitte souvent le petit espace qui fait fonction de scène aux Disquaires et se met sur le côté pour mettre en valeur ses partenaires et les écouter à loisir, souvent en fermant les yeux. Dans son écoute, il met la même intensité que dans son jeu. Ce jeu se caractérise notamment par un remarquable travail sur le son (esquisses de diphonies, notes attaquées un peu en dessous ou au-dessus, étranglées, suggérées…). Quant au groupe, il frappe par son art de varier les interactions, par sa musique à la fois très écrite et très ouverte. Les partitions (de la plume de Riccardo Izquierdo) sont déployées devant eux, on sent qu’ils peuvent les suivre jusqu’au bout, ou partir dans des directions inattendues (Plus tard, après le concert, Ricardo dira : « il y a des choses qui sont totalement écrites, d’autres qui sont à moitié écrites et à moitié jouées »). C’est une musique exigeante mais pas aride, aux fragrances cubaines subtiles. Parfois, après un travail de trituration et de remâchage du son et du timbre, le saxophoniste laisse se poser sur sa musique un rayon de mélancolie ou de rêverie, comme ce très beau moment, à la fin du deuxième set. La réussite du groupe doit beaucoup à l’interaction entre Ricardo Izquierdo et son pianiste Sergio Gruz. RIcardoIZQUIERDO 1

 

 

Ce dernier fait entendre d’admirables coulées liquides au piano. Là où Ricardo Izquierdo tient en laisse sa virtuosité, Sergio Gruz la laisse s’épancher avec exubérance. Il prolonge, ou anticipe les propos de son leader, et sait aussi le stimuler par des accords dissonnants. La différence (et la complémentarité) entre les deux musiciens est visible jusque dans leur posture : Ricardo Izquierdo joue, immobile, bien campé sur le sol, le regard fixé droit devant lui, tandis que Sergio Gruz est sans cesse en mouvement, avec ses jambes qui dansent une drôle de gigue sous le piano, et une manière de se relever au plus intense d’un solo. C’est un vif plaisir que d’entendre dialoguer les deux musiciens.

RIcardoIZQUIERDO 2

 

 

Mais les deux autres, Fabrice Moreau (belle variété dans le choix de ses frappes, ses sons, ses timbres) et Mauro Gargano ne donnent pas leur part aux chiens, et le quartet possède un vrai son de groupe.

Quelques jours plus tard, on prend un café avec Riccardo Izquierdo, du côté de Filles du calvaire. C’est le matin, il a une répétition dans quelques minutes. Ricardo Izquierdo montre une sincérité et une humilité qui le rend infiniment sympathique. Il parle comme il joue, choisissant ses mots avec attention, et leur conférant ainsi un poids particulier. Il est laconique et profond. Il dit par exemple, pour souligner le rôle central du pianiste dans la musique jouée aux Disquaires : « C’est l’arbre… ». De la soirée aux Disquaires, il retient que ses musiciens ont sonné comme un groupe : « C’est très important pour moi qu’un groupe soit une masse, et pas trois ou quatre personnes différentes. Mais c’est très fragile. Parfois ça marche, parfois non. Quand ça ne marche pas c’est très intéressant aussi : ça oblige à se poser de bonnes questions ! ». On lui rappelle un épisode marquant du concert, à la fin du second set, quand tout d’un coup la musique a pris une coloration apaisée, sereine, lyrique. Il fronce les sourcils et cherche dans sa mémoire : « Ah…je pense que c’est le moment où j’ai joué Flora, une composition dédiée à ma grand-mère. Ensuite j’ai enchaîné directement avec une prière pour faire descendre les esprits et dialoguer avec eux ».

De ses compositions, il affirme attendre « qu’elles fassent sortir de lui autre chose que ce que je travaille à la maison avec mon sax : Je m’oriente vers ce que je ne sais pas faire ». On lui fait remarquer la dimension chercheuse de sa musique. Il répond : « J’essaie de me ressembler. A Cuba, j’ai fait l’école classique…une très bonne formation mais un peu rigide…alors il faut que j’essaie de débrider tout ça ».

Son travail sur le son, il le relie à la pratique de son premier instrument, le violoncelle : « Quand tu joues les cordes, c’est toi qui fais ton propre son. J’essaie de faire la même chose avec le vent ». Après le violoncelle, il a commencé par le sax alto. Il pratique de temps en temps le soprano, mais souligne sa volonté de se concentrer sur le ténor : « ça sert à rien de jouer à la fois le baryton, l’alto, le soprano si c’est pour les jouer pareils. Mais lui (il tapote l’étui de son ténor, à ses pieds) je le lâche pas… ».

Parmi ses influences, il cite le nom du grand André Villéger, que l’on peut entendre ces temps-ci sur le dernier disque de Patrice Caratini : « Il a très beau son…il respire bien…en France c’est mon saxophoniste préféré ».

Ricardo a récemment sorti un premier disque sous son nom (Ida, distribué par Plus loin Music). Il a le projet d’un duo avec son partenaire privilégié, le pianiste Sergio Gruz. En attendant le disque, on pourra sans doute entendre ces deux musiciens live d’ici la fin de l’année (surveiller le site de ricardo izquierdo, https://ww
w.facebook.com/ricardo.izquierdo.14
). De ce dialogue entre deux musiciens qui s’entendent assez pour savoir se contredire, on attend des merveilles.

Texte JF Mondot

Dessins Annie-Claire Alvoët

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RIcardoIZQUIERDO

Mercredi soir, aux Disquaires, on pouvait écouter en quartet un saxophoniste profond, intègre, passionnant, à l’exigence aussi radicale que dépourvue d’ostentation. Son nom : Ricardo Izquierdo.

 

Ricardo Izquierdo (ts), Sergio Gruz (p), Mauro Negro (b) , Fabrice Moreau (dm) Les disquaires, 75011 Paris, Mercredi 6 novembre 2014

 

Pendant tout le concert, ce fut passionnant d’écouter ce jeune saxophoniste originaire de Cuba, installé en France depuis une quinzaine d’années, de le voir esquiver le pilotage automatique des doigts ou des idées, avec cette humilité têtue et opiniâtre qui le caractérise. Après ses chorus, il quitte souvent le petit espace qui fait fonction de scène aux Disquaires et se met sur le côté pour mettre en valeur ses partenaires et les écouter à loisir, souvent en fermant les yeux. Dans son écoute, il met la même intensité que dans son jeu. Ce jeu se caractérise notamment par un remarquable travail sur le son (esquisses de diphonies, notes attaquées un peu en dessous ou au-dessus, étranglées, suggérées…). Quant au groupe, il frappe par son art de varier les interactions, par sa musique à la fois très écrite et très ouverte. Les partitions (de la plume de Riccardo Izquierdo) sont déployées devant eux, on sent qu’ils peuvent les suivre jusqu’au bout, ou partir dans des directions inattendues (Plus tard, après le concert, Ricardo dira : « il y a des choses qui sont totalement écrites, d’autres qui sont à moitié écrites et à moitié jouées »). C’est une musique exigeante mais pas aride, aux fragrances cubaines subtiles. Parfois, après un travail de trituration et de remâchage du son et du timbre, le saxophoniste laisse se poser sur sa musique un rayon de mélancolie ou de rêverie, comme ce très beau moment, à la fin du deuxième set. La réussite du groupe doit beaucoup à l’interaction entre Ricardo Izquierdo et son pianiste Sergio Gruz. RIcardoIZQUIERDO 1

 

 

Ce dernier fait entendre d’admirables coulées liquides au piano. Là où Ricardo Izquierdo tient en laisse sa virtuosité, Sergio Gruz la laisse s’épancher avec exubérance. Il prolonge, ou anticipe les propos de son leader, et sait aussi le stimuler par des accords dissonnants. La différence (et la complémentarité) entre les deux musiciens est visible jusque dans leur posture : Ricardo Izquierdo joue, immobile, bien campé sur le sol, le regard fixé droit devant lui, tandis que Sergio Gruz est sans cesse en mouvement, avec ses jambes qui dansent une drôle de gigue sous le piano, et une manière de se relever au plus intense d’un solo. C’est un vif plaisir que d’entendre dialoguer les deux musiciens.

RIcardoIZQUIERDO 2

 

 

Mais les deux autres, Fabrice Moreau (belle variété dans le choix de ses frappes, ses sons, ses timbres) et Mauro Gargano ne donnent pas leur part aux chiens, et le quartet possède un vrai son de groupe.

Quelques jours plus tard, on prend un café avec Riccardo Izquierdo, du côté de Filles du calvaire. C’est le matin, il a une répétition dans quelques minutes. Ricardo Izquierdo montre une sincérité et une humilité qui le rend infiniment sympathique. Il parle comme il joue, choisissant ses mots avec attention, et leur conférant ainsi un poids particulier. Il est laconique et profond. Il dit par exemple, pour souligner le rôle central du pianiste dans la musique jouée aux Disquaires : « C’est l’arbre… ». De la soirée aux Disquaires, il retient que ses musiciens ont sonné comme un groupe : « C’est très important pour moi qu’un groupe soit une masse, et pas trois ou quatre personnes différentes. Mais c’est très fragile. Parfois ça marche, parfois non. Quand ça ne marche pas c’est très intéressant aussi : ça oblige à se poser de bonnes questions ! ». On lui rappelle un épisode marquant du concert, à la fin du second set, quand tout d’un coup la musique a pris une coloration apaisée, sereine, lyrique. Il fronce les sourcils et cherche dans sa mémoire : « Ah…je pense que c’est le moment où j’ai joué Flora, une composition dédiée à ma grand-mère. Ensuite j’ai enchaîné directement avec une prière pour faire descendre les esprits et dialoguer avec eux ».

De ses compositions, il affirme attendre « qu’elles fassent sortir de lui autre chose que ce que je travaille à la maison avec mon sax : Je m’oriente vers ce que je ne sais pas faire ». On lui fait remarquer la dimension chercheuse de sa musique. Il répond : « J’essaie de me ressembler. A Cuba, j’ai fait l’école classique…une très bonne formation mais un peu rigide…alors il faut que j’essaie de débrider tout ça ».

Son travail sur le son, il le relie à la pratique de son premier instrument, le violoncelle : « Quand tu joues les cordes, c’est toi qui fais ton propre son. J’essaie de faire la même chose avec le vent ». Après le violoncelle, il a commencé par le sax alto. Il pratique de temps en temps le soprano, mais souligne sa volonté de se concentrer sur le ténor : « ça sert à rien de jouer à la fois le baryton, l’alto, le soprano si c’est pour les jouer pareils. Mais lui (il tapote l’étui de son ténor, à ses pieds) je le lâche pas… ».

Parmi ses influences, il cite le nom du grand André Villéger, que l’on peut entendre ces temps-ci sur le dernier disque de Patrice Caratini : « Il a très beau son…il respire bien…en France c’est mon saxophoniste préféré ».

Ricardo a récemment sorti un premier disque sous son nom (Ida, distribué par Plus loin Music). Il a le projet d’un duo avec son partenaire privilégié, le pianiste Sergio Gruz. En attendant le disque, on pourra sans doute entendre ces deux musiciens live d’ici la fin de l’année (surveiller le site de ricardo izquierdo, https://ww
w.facebook.com/ricardo.izquierdo.14
). De ce dialogue entre deux musiciens qui s’entendent assez pour savoir se contredire, on attend des merveilles.

Texte JF Mondot

Dessins Annie-Claire Alvoët

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RIcardoIZQUIERDO

Mercredi soir, aux Disquaires, on pouvait écouter en quartet un saxophoniste profond, intègre, passionnant, à l’exigence aussi radicale que dépourvue d’ostentation. Son nom : Ricardo Izquierdo.

 

Ricardo Izquierdo (ts), Sergio Gruz (p), Mauro Negro (b) , Fabrice Moreau (dm) Les disquaires, 75011 Paris, Mercredi 6 novembre 2014

 

Pendant tout le concert, ce fut passionnant d’écouter ce jeune saxophoniste originaire de Cuba, installé en France depuis une quinzaine d’années, de le voir esquiver le pilotage automatique des doigts ou des idées, avec cette humilité têtue et opiniâtre qui le caractérise. Après ses chorus, il quitte souvent le petit espace qui fait fonction de scène aux Disquaires et se met sur le côté pour mettre en valeur ses partenaires et les écouter à loisir, souvent en fermant les yeux. Dans son écoute, il met la même intensité que dans son jeu. Ce jeu se caractérise notamment par un remarquable travail sur le son (esquisses de diphonies, notes attaquées un peu en dessous ou au-dessus, étranglées, suggérées…). Quant au groupe, il frappe par son art de varier les interactions, par sa musique à la fois très écrite et très ouverte. Les partitions (de la plume de Riccardo Izquierdo) sont déployées devant eux, on sent qu’ils peuvent les suivre jusqu’au bout, ou partir dans des directions inattendues (Plus tard, après le concert, Ricardo dira : « il y a des choses qui sont totalement écrites, d’autres qui sont à moitié écrites et à moitié jouées »). C’est une musique exigeante mais pas aride, aux fragrances cubaines subtiles. Parfois, après un travail de trituration et de remâchage du son et du timbre, le saxophoniste laisse se poser sur sa musique un rayon de mélancolie ou de rêverie, comme ce très beau moment, à la fin du deuxième set. La réussite du groupe doit beaucoup à l’interaction entre Ricardo Izquierdo et son pianiste Sergio Gruz. RIcardoIZQUIERDO 1

 

 

Ce dernier fait entendre d’admirables coulées liquides au piano. Là où Ricardo Izquierdo tient en laisse sa virtuosité, Sergio Gruz la laisse s’épancher avec exubérance. Il prolonge, ou anticipe les propos de son leader, et sait aussi le stimuler par des accords dissonnants. La différence (et la complémentarité) entre les deux musiciens est visible jusque dans leur posture : Ricardo Izquierdo joue, immobile, bien campé sur le sol, le regard fixé droit devant lui, tandis que Sergio Gruz est sans cesse en mouvement, avec ses jambes qui dansent une drôle de gigue sous le piano, et une manière de se relever au plus intense d’un solo. C’est un vif plaisir que d’entendre dialoguer les deux musiciens.

RIcardoIZQUIERDO 2

 

 

Mais les deux autres, Fabrice Moreau (belle variété dans le choix de ses frappes, ses sons, ses timbres) et Mauro Gargano ne donnent pas leur part aux chiens, et le quartet possède un vrai son de groupe.

Quelques jours plus tard, on prend un café avec Riccardo Izquierdo, du côté de Filles du calvaire. C’est le matin, il a une répétition dans quelques minutes. Ricardo Izquierdo montre une sincérité et une humilité qui le rend infiniment sympathique. Il parle comme il joue, choisissant ses mots avec attention, et leur conférant ainsi un poids particulier. Il est laconique et profond. Il dit par exemple, pour souligner le rôle central du pianiste dans la musique jouée aux Disquaires : « C’est l’arbre… ». De la soirée aux Disquaires, il retient que ses musiciens ont sonné comme un groupe : « C’est très important pour moi qu’un groupe soit une masse, et pas trois ou quatre personnes différentes. Mais c’est très fragile. Parfois ça marche, parfois non. Quand ça ne marche pas c’est très intéressant aussi : ça oblige à se poser de bonnes questions ! ». On lui rappelle un épisode marquant du concert, à la fin du second set, quand tout d’un coup la musique a pris une coloration apaisée, sereine, lyrique. Il fronce les sourcils et cherche dans sa mémoire : « Ah…je pense que c’est le moment où j’ai joué Flora, une composition dédiée à ma grand-mère. Ensuite j’ai enchaîné directement avec une prière pour faire descendre les esprits et dialoguer avec eux ».

De ses compositions, il affirme attendre « qu’elles fassent sortir de lui autre chose que ce que je travaille à la maison avec mon sax : Je m’oriente vers ce que je ne sais pas faire ». On lui fait remarquer la dimension chercheuse de sa musique. Il répond : « J’essaie de me ressembler. A Cuba, j’ai fait l’école classique…une très bonne formation mais un peu rigide…alors il faut que j’essaie de débrider tout ça ».

Son travail sur le son, il le relie à la pratique de son premier instrument, le violoncelle : « Quand tu joues les cordes, c’est toi qui fais ton propre son. J’essaie de faire la même chose avec le vent ». Après le violoncelle, il a commencé par le sax alto. Il pratique de temps en temps le soprano, mais souligne sa volonté de se concentrer sur le ténor : « ça sert à rien de jouer à la fois le baryton, l’alto, le soprano si c’est pour les jouer pareils. Mais lui (il tapote l’étui de son ténor, à ses pieds) je le lâche pas… ».

Parmi ses influences, il cite le nom du grand André Villéger, que l’on peut entendre ces temps-ci sur le dernier disque de Patrice Caratini : « Il a très beau son…il respire bien…en France c’est mon saxophoniste préféré ».

Ricardo a récemment sorti un premier disque sous son nom (Ida, distribué par Plus loin Music). Il a le projet d’un duo avec son partenaire privilégié, le pianiste Sergio Gruz. En attendant le disque, on pourra sans doute entendre ces deux musiciens live d’ici la fin de l’année (surveiller le site de ricardo izquierdo, https://ww
w.facebook.com/ricardo.izquierdo.14
). De ce dialogue entre deux musiciens qui s’entendent assez pour savoir se contredire, on attend des merveilles.

Texte JF Mondot

Dessins Annie-Claire Alvoët

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RIcardoIZQUIERDO

Mercredi soir, aux Disquaires, on pouvait écouter en quartet un saxophoniste profond, intègre, passionnant, à l’exigence aussi radicale que dépourvue d’ostentation. Son nom : Ricardo Izquierdo.

 

Ricardo Izquierdo (ts), Sergio Gruz (p), Mauro Negro (b) , Fabrice Moreau (dm) Les disquaires, 75011 Paris, Mercredi 6 novembre 2014

 

Pendant tout le concert, ce fut passionnant d’écouter ce jeune saxophoniste originaire de Cuba, installé en France depuis une quinzaine d’années, de le voir esquiver le pilotage automatique des doigts ou des idées, avec cette humilité têtue et opiniâtre qui le caractérise. Après ses chorus, il quitte souvent le petit espace qui fait fonction de scène aux Disquaires et se met sur le côté pour mettre en valeur ses partenaires et les écouter à loisir, souvent en fermant les yeux. Dans son écoute, il met la même intensité que dans son jeu. Ce jeu se caractérise notamment par un remarquable travail sur le son (esquisses de diphonies, notes attaquées un peu en dessous ou au-dessus, étranglées, suggérées…). Quant au groupe, il frappe par son art de varier les interactions, par sa musique à la fois très écrite et très ouverte. Les partitions (de la plume de Riccardo Izquierdo) sont déployées devant eux, on sent qu’ils peuvent les suivre jusqu’au bout, ou partir dans des directions inattendues (Plus tard, après le concert, Ricardo dira : « il y a des choses qui sont totalement écrites, d’autres qui sont à moitié écrites et à moitié jouées »). C’est une musique exigeante mais pas aride, aux fragrances cubaines subtiles. Parfois, après un travail de trituration et de remâchage du son et du timbre, le saxophoniste laisse se poser sur sa musique un rayon de mélancolie ou de rêverie, comme ce très beau moment, à la fin du deuxième set. La réussite du groupe doit beaucoup à l’interaction entre Ricardo Izquierdo et son pianiste Sergio Gruz. RIcardoIZQUIERDO 1

 

 

Ce dernier fait entendre d’admirables coulées liquides au piano. Là où Ricardo Izquierdo tient en laisse sa virtuosité, Sergio Gruz la laisse s’épancher avec exubérance. Il prolonge, ou anticipe les propos de son leader, et sait aussi le stimuler par des accords dissonnants. La différence (et la complémentarité) entre les deux musiciens est visible jusque dans leur posture : Ricardo Izquierdo joue, immobile, bien campé sur le sol, le regard fixé droit devant lui, tandis que Sergio Gruz est sans cesse en mouvement, avec ses jambes qui dansent une drôle de gigue sous le piano, et une manière de se relever au plus intense d’un solo. C’est un vif plaisir que d’entendre dialoguer les deux musiciens.

RIcardoIZQUIERDO 2

 

 

Mais les deux autres, Fabrice Moreau (belle variété dans le choix de ses frappes, ses sons, ses timbres) et Mauro Gargano ne donnent pas leur part aux chiens, et le quartet possède un vrai son de groupe.

Quelques jours plus tard, on prend un café avec Riccardo Izquierdo, du côté de Filles du calvaire. C’est le matin, il a une répétition dans quelques minutes. Ricardo Izquierdo montre une sincérité et une humilité qui le rend infiniment sympathique. Il parle comme il joue, choisissant ses mots avec attention, et leur conférant ainsi un poids particulier. Il est laconique et profond. Il dit par exemple, pour souligner le rôle central du pianiste dans la musique jouée aux Disquaires : « C’est l’arbre… ». De la soirée aux Disquaires, il retient que ses musiciens ont sonné comme un groupe : « C’est très important pour moi qu’un groupe soit une masse, et pas trois ou quatre personnes différentes. Mais c’est très fragile. Parfois ça marche, parfois non. Quand ça ne marche pas c’est très intéressant aussi : ça oblige à se poser de bonnes questions ! ». On lui rappelle un épisode marquant du concert, à la fin du second set, quand tout d’un coup la musique a pris une coloration apaisée, sereine, lyrique. Il fronce les sourcils et cherche dans sa mémoire : « Ah…je pense que c’est le moment où j’ai joué Flora, une composition dédiée à ma grand-mère. Ensuite j’ai enchaîné directement avec une prière pour faire descendre les esprits et dialoguer avec eux ».

De ses compositions, il affirme attendre « qu’elles fassent sortir de lui autre chose que ce que je travaille à la maison avec mon sax : Je m’oriente vers ce que je ne sais pas faire ». On lui fait remarquer la dimension chercheuse de sa musique. Il répond : « J’essaie de me ressembler. A Cuba, j’ai fait l’école classique…une très bonne formation mais un peu rigide…alors il faut que j’essaie de débrider tout ça ».

Son travail sur le son, il le relie à la pratique de son premier instrument, le violoncelle : « Quand tu joues les cordes, c’est toi qui fais ton propre son. J’essaie de faire la même chose avec le vent ». Après le violoncelle, il a commencé par le sax alto. Il pratique de temps en temps le soprano, mais souligne sa volonté de se concentrer sur le ténor : « ça sert à rien de jouer à la fois le baryton, l’alto, le soprano si c’est pour les jouer pareils. Mais lui (il tapote l’étui de son ténor, à ses pieds) je le lâche pas… ».

Parmi ses influences, il cite le nom du grand André Villéger, que l’on peut entendre ces temps-ci sur le dernier disque de Patrice Caratini : « Il a très beau son…il respire bien…en France c’est mon saxophoniste préféré ».

Ricardo a récemment sorti un premier disque sous son nom (Ida, distribué par Plus loin Music). Il a le projet d’un duo avec son partenaire privilégié, le pianiste Sergio Gruz. En attendant le disque, on pourra sans doute entendre ces deux musiciens live d’ici la fin de l’année (surveiller le site de ricardo izquierdo, https://ww
w.facebook.com/ricardo.izquierdo.14
). De ce dialogue entre deux musiciens qui s’entendent assez pour savoir se contredire, on attend des merveilles.

Texte JF Mondot

Dessins Annie-Claire Alvoët