Saint Jean de Luz: Organik Orkeztra, l’oral et l’écrit inclassable

Kristof Hiriart a créé sa compagnie musicale, LagunArte en 2001. Dix années plus tard le chanteur et percussionniste rencontre Jérémie Ternoy pianiste de jazz et compositeur à l’occasion d’un festival. Le premier vit et travaille enraciné sur sa terre, au Pays Basque. Le second, ch’ti, habite et bosse dans le Nord. Ce millier de kilomètres de distance n’empêche pas les deux musiciens de partager un univers commun peuplé de formes artistiques, de musiques ouvertes, ancrées avant tout dans « le croisement des hommes, des identités, enracinées, en mouvement, à l’écoute du monde… » D’où la volonté de créer un grand ensemble instrumental «à la croisée des musiques de tradition orale, de la musique écrite et des langages ouverts » avec la voix comme coeur battant de l’orchestre. Ainsi naît l’Organik Orkeztra, lequel a rejoint les Grands Formats, fédération nationale des grands ensembles de jazz et musiques à improviser depuis 2021.

« Nous avons conçu ce programme pour le jouer entièrement acoustique » Effectivement pas un micro à l’horizon de cette salle située en bordure des quais du port de Saint Jean de Luz, habituellement dédiée en saison estivale à la dégustation de la sardine grillée

Organik Orcheztra: Jérémy Ternoy (melodica, voc, perc), Kristof Hiriart (voc, perc), Maryline Pruvost (voc, fl), Didier Ithursarry (acco), Christophe Hache (b), Chris Martineau (vln), Julie Läderach (cello), Alexis Thérain (g), Christian Pruvost (tp, bu), Sakina Abdou (as, fl), Vianney Desplantes (tub, Yoann Scheidt (perc)

« Ritual», La Griillerie de sardines, Saint Jean de Luz 64500, 10 décembre

Jérémie Ternoy

L’orchestre assume la démarche d’un son global très nature y compris une éventuelle dévalorisation potentielle question volume audible de certains instruments dans les moments crêtes du son lors des passages « forte », en pleine bourre collective. Le groupe revendique également un primat de la voix (tous les musiciens lors d’un concert ont et utilisent un registre de chant).

Maryline Pruvost (fl)

C’est donc très naturellement celle de Maryline Pruvost qui lance la ligne musicale de ce Ritual, la perche en des hauteurs notables, la vrille, la détourne ensuite avec l’appui de Kristof Hiriart. Les percussions -autres dominantes – très basiques portent, transportent la ponctuation Les claviers, en l’occurence ceux de l’accordéon et du mélodica (en lieu et place du piano que l’on trouve très présent dans la version enregistrée CD de Ritual / LagunArte Productions ) assurent les liaisons harmoniques. Les cuivres produisent un effet masse, ou de développement solo ( bugle/ trompette/ euphonium -étonnant Vianney Desplantes, dans sa maîtrise du son sur cet instrument jusque dans les traits les plus éclatés) en duo avec le violon.

Kristof Hiriart

Effet voulu, recherche revendiquée d’une originalité patente quant au contenu sonore, séquences en grand format orchestral mais aussi passages en duo, trio, quartet et au delà, solos non calibrés à l’avance: le fond musical de l’Organik Orkeztra produit en live se révèle notoirement inclassable, indéfinissable. On sent à la base un gros travail de composition comme d’écriture (Ternoy/Hiriart ) doublé d’une richesse dans les arrangements. L’improvisation prônée en application tant au niveau individuel que collectif vient imprimer une force supplémentaire au tableau des couleurs. Pourtant tout au long du déroulé de la pièce musicale donnée quasiment non stop les formes n’ont de cesse de muter, se forment, se déforment pour mieux surprendre. Et se transformer sans signalétique nécessaire, sans avertissement préalable à l’oreille.

Effets cuivres

Dans une musique très libre de mouvement, la mélodie s’impose en douceur puis se dissout. Ainsi passe-t-on comme l’on marcherait sur un fil au dessus du vide, de voix regroupées orientalisantes (Ritual I) à des airs de fanfare pour rebondir sur des échos symphoniques illustrant, d’un relief redondant, un texte de William Blake (Begiak). S’il fallait pour s’y retrouver qui sait, consulter un petit catalogue de références on voyagerait entre Sun Ra et Magma -Jérémie Ternoy y a tenu les claviers cinq années durant- mode pâte douce en piquant au passage quelques notes de Mike/Kate Westbrook voire les mesures déglinguées de chez Zappa (Ritual lI). Ici les voix regroupées s’orientalisent au suc d’une flûte bambou. Là le corps musclé cuivres/cordes trace un sillon en sonorités puissance big band tel un appel à la danse (Txakatxac). On assiste sans s’y attendre à de petites joutes intenses sax alto/trompette s’accrochant à des dissonances dures ( à noter à ce propos que la saxophoniste Sakina Abdou que l’on peut retrouver aussi dans le nouvel orchestre d’Eve Risser sort un premier album solo très personnel riche de telles arêtes acérés, Goodbye Ground / Relative Pitch Records) Avant que de basculer sur un discours plus dense, plus construit précédent un regroupement sur un thème sonnant comme un chant choral (basque) mis en orbite finale via l’accordéon, en fin connaisseur inspiré, de Didier Ithursarry.

Didier Ithursarry (acco), Christophe Hache (b)

Le final se donne en un ordre de marche polyphonique total: douze voix en seul appui d’une ligne de basse jouée à l’archet. Une tradition basque certes en mode choral, mais piquée d’originalité puisque exécutée ici en mix de voix masculin/féminin.