Jazz live
Publié le 28 Juil 2018

San Sebastian Jazzaldia (1) : Caetano et ses fils, Jacob Collier free et Ravel revisité…

Dix sept scènes, une centaine de concerts, et au final plus de cent mille spectateurs à défiler devant des musicien(ne)s jazzant et improvisant à gogo. Autant de sonorités comme reflets des musiques vivantes d'aujourd'hui produites dans un décor saisissant de beauté entre montagne et océan. Jazzaldia, à San Sebastian/Donostia, au Pays Basque est un festival de (gros) caractère.

Ils sont sont dix, quinze mille au jour finissant  à fouler le sable  de l’interminable plage la Zurriola qui déroule ses vagues d’écume. Ruben Blades et sa bande de latinos lâche ses rythmes chaloupés et ses mots à message socio-politiques. Ça danse dans la tête et dans les jambes. On grimpe sur le trottoir juste au dessus. Adossée au Kursaal, auditorium vaisseau de verre et béton, la scène verte bière de Hollande accueille le jazz métronomique des Gogo Penguin. Jazzaldia, multiforme, multimusiques  est sur les rails.

Iñaki Salvador (p), Amara Ortega, maria Berasarte (voc), Angel Unzu (g), Javier Mayor de la Iglesia (b), Hasier Oleaga( dm)

Théâtre Victor Eugenia

Ofertorio: Caetano Veloso (g, voc), Moreno Veloso (g, perc, voc), Zeca Veloso (elp, b, voc), Tom Veloso (g, b, voc)

Auditorium Kursaal

Eric Seva (bas, ss, sop), Michael Robinson (voc), Manu Galvin (elg), Christophe Cravero (elp, p, cla), Christophe Walleem (b, elb), Pierre-Alain Tocanier (dm)

Heineken Terraza

Jazzaldia, San Sebastian/Donostia, Euskadi-Espagne, 26 juillet

Couvrir Jazzaldia à San Sebastian c’est un peu vouloir participer par les mots à un décathlon du jazz et des musiques affiliées. L’épreuve commence dès le matin et se termine au beau milieu de la nuit suivante, façon nuit espagnole soit l’heure H plus deux ou trois. Entre temps il est totalement illusoire de penser à tout suivre, tout écouter, tout jauger sur les scènes réparties dans la ville basque entre la Concha, baie magnifique classée dans les sites de l’UNESCO, le Casco viejo, vieux quartier aux ruelles peuplées de mille bars à tapas, et la montagne du Guipuzcoa. A Donostia/San Sebastian, dans la corne d’abondance des produits de bouche et d’oreille, il fautsavoir  choisir.

Ińaki Salvador, pour commencer. Justement un pur produit du crû. Formé à Barcelone, pianiste et responsable de l’Académie/Conservatoire de jazz de la ville. L’an passé il célébrait Monk. Cette année il a choisi de rendre hommage à Mikel Laboa, chanteur et compositeur disparu depuis dix ans, considéré comme le véritable innovateur de la chanson basque. Fruit du travail de la rythmique, le sextet, dans les arrangements, sonne plutôt swing. Les deux chanteuse réussissent à placer les textes en langue basque dans cet esprit, ce n’est pas toujours le cas. Un thème pris à deux voix donne un élan particulier,  ouvrant sur un rythme de bossa. Iñaki Salvador dans les saillies solo démontre son savoir faire, piano jazz très libre aux accents d’aujourd’hui. En final une chanson de légende de Mikel Laboa, Txoria txori sonne comme un standard de jazz. On sent dans le public du théâtre comme une envie irrépressible d’entonner la mélodie…

Caetano et ses fils. Non il ne s’agit pas d’une « télé novela » sur la chaine Globo. Mais bien du concert donostiarra (de Saint Sébastien) de celui qu’on appelle par son prénom en tant qu’icône de la chanson brésilienne, un des héros du courant  dit « tropicalisme » Caetano Veloso avec sa progéniture, donc ? On pouvait douter de l’intérêt de l’évènement, mais voilà…Caetano c’est définitivement, une voix, une présence: la magie opère très vite. Pas besoin de plus de deux ou trois minutes pour livrer une chanson. La mélodie, les accords qui sonnent « braziuuu… » et rien d’autre  comme le clament les commentateurs de foot ball: on sait quel type de matière naturelle secrète la séduction. Et les enfants apportent leur pierre « Zeca, c’est la première fois qu’il se joint à moi, à nous » Voix de tête, aigüe jusqu’à l’extrême, il parfume de douceur son piano électrique. Moreno, le plus âgé vit, on le sent,  en complicité scénique totale avec son père. Des trois fils, sans doute la voix la plus ordinaire. Mais il apporte des percussions très simples, domestiques, pour donner de la couleur aux chansons écrites de sa plume. Saveur de bossa nova, évidemment, avec le choeur familial en apport de voix sucrées, en trois exemplaires « Tom aime les chansons sophistiquées » lance son frère ainé. Le cadet, non sans assurance sur la guitare qu’il pratique sans doute avec le plus d’aisance technique parmi le carré d’as brésilien à l’oeuvre dans le Kursaal, Philarmonie à la mode « donostiarra », chante à son tour, voix de consonance médium, et pulsion de samba. Avant de quitter instrument et micro pour entamer une danse ondulante du bassin, mi-carioca mi-hip hop. Succès assuré.

 

Eric Seva, un feeling de blues

Une des trois scènes gratuites pour le public, celle ci en plein jour, face à l’océan, adossée au Kursaal. Public très mélangé, familles, enfants, bière du sponsor diffusée à gogo. Tout le monde apprécie les tensions de blues tirées par l’orchestre d’Eric Seva version Body and Blues, son ultime CD. Les rythmes syncopés, les relances en échanges fusent derrière la guitare de Manu Galvin, sonorité mordante tout au long des douze mesures. La musique surgit soul au détour du souffle grave, très cuivré dans l’épaisseur,  mûrie dans le  baryton d’Eric Seva. Accords de piano en notes bleues amalgamées, rythmique qui ronfle bon jusque sur la plage voisine. Ce jazz très construit faisant référence au blues comme source aurait mérité la nuit comme scène support, son ombre et ses lumières pour havre naturel, une des plus belles baies du Pays basque.

Plus fort que Jamie !

Jacob Collier (voc, b, p, synt, perc, g)), Pedro Martins (g, elg), Rob Mullarkey (elb), Christian Euman (dm)

R + R = Now: Robert Glasper (elp, clav), Christian Scott (tp, bgl), Terrace Martin (as, vocoder, cla), Taylor McFerrin (synthé, elect), Derrick Hodge (b), Justin Tyson (dm)

Plaza de la Trinidad,

Jazzaldia, San Sebastian/Donostia, Euskadi-Espagne, 26 juillet

 

 

Jacob Collier chez les Basques, bondissant

Il bondit partout. Passe du piano à queue au synthé. rebondit de la caisse claire au tambourin, saisit d’un coup la contrebasse. La laisse aussitôt pour chanter seul, au bord de la scène. Introduit sans crier gare le morceau suivant à guitare…grattant les cordes de la main droite, la gauche frappant en simultané quelques accords sur le clavier du piano. Rien que ça ! Question mouvement perpétuel Jamie Cullum dernier avatar survolté de la scène jazz/pop anglaise, se trouve là battu à plate couture …Dur dur pour les photographes de saisir un instantané fiixe, sans bouger de Jacob Collier tant sa silhouette s’échappe de l’objectif. Sans arrêt-c’est le cas de le dire dans la furia expressive contagieuse pour ses complices- et sans plus de manière le filiforme musicien anglais va chercher l’appui d’une  rythmique elle aussi prompte à s’emballer.  Vient alors le moment de faire sortir sa voix haut perchée, soutenue par des contre-chants calculés au plus juste. Ni jazz, ni pop, ni tout fait funk: les quatre jeunes londoniens de vingt ans à peine n’ont, dans leur expression musicale, aucun complexe. Ils empruntent à Stevie Wonder, aux Beatles, à Sting, à Beyoncé,  des chansons qui on fait autant de hits. Sans gène, sans complexe aucun. Surs de leur fait. « C’était la première fois ce soir que l’on jouait ensemble ! »  Le fond de musique tourne évidemment. Ça pousse, ça pulse, ça dégage. Ça plait au public du festival. Dommage tout de même que le guitariste au look d’ado se lance dans du démonstratif, du cliché vitesse sur le manche et sons numérisés à outrance. L’on aimerait aussi moins d’emprunts thématiques aux stars du musique business. Un jus de compositions plus personnel serait le bienvenu.

 

Christian Scott

Bonne nouvelle. Robert Glasper re-joue du piano avec, dans son sac à malice, un large savoir faire sur l’instrument. Certes il se balade très à l’aise sur le clavier électronique. Sans dire un mot, silhouette massive désormais, Il prend le pari de se lancer dans une longue suite innervée d’un « groove » permanent « Je souhaite ici rendre hommage à Herbie Hancock, un de mes maîtres » Dommage, à cet effet: le pianiste n’a pas choisi de garder sur scène le grand piano de concert. Les couleurs sonores tracées par Glasper en auraient été enrichies d’autant. Et puis, comment ne pas le souligner: si la main droite du pianiste s’éclate, toujours en recherche de liberté supplémentaire, la rythmique elle .. tombe certes au carré. Mais dans l’ensemble plutôt monolithique de caractère. De la même façon l’apport de Christian Scott -souvenir récent d’une prestation bourrée de brio au Rocher de Palmer,  à Cenon cet hiver- ici, Plaza de la Trinidad, reste minimaliste, deux ou trois jets d’une trompette au son trop compressé. Compacté. On a connu à l’enseigne de Robert Glasper, un jazz qui se donnait plus d’air. Donc qui permet à, celui qui s’en imprègne de pouvoir respirer davantage.

 

Marco Mezquida, révérence élégante à Maurice Ravel

Minuit sonné. Dans le contexte du Teatro Victoria Eugenia, très beau théâtre à l’italienne en écrin de bois et velours, la volonté de Marco Mesquida de rendre hommage à la musique de Ravel n’a rien que de plus naturel. Le jeune pianiste originaire des Baléares, sur le clavier fait montre de beaucoup de finesse dans l’approche des compositions du compositeur qui a vécu à Ciboure, petite cité basque également, à quatre petite dizaines de kilomètres au nord de San Sebastian. On note également chez lui la marque d’un toucher délicat. Témoin cette version de Ma mère l’oye, pièce dite à 4 mains, judicieusement arrangée pour le trio. Ou à l’occasion du Quartet en fa. La musique tourne sans effort apparent, intime parfois, mais toujours empreinte de vivant (Alex Tobias, batteur et percussionniste original utilise de vrais petits balais de paille sur ses peaux et cymbales, coloration sonore collant de très près à l’esprit de ce thème de musique classique muté jazz)  L’expression pianistique de Marco Mezquida confine parfois à l’économie de notes. Sauf sur le final, sur lequel le trio se lâche soudain en simultané, occasion de dynamiter d’un coup d’un seul l’incontournable Boléro. Puis de finir en decrescendo, jusqu’au silence.

 

Théo, DJ de musiques indépendantes

 

Robert Latxague