Jazz live
Publié le 26 Juil 2025

San Sebastian: Pianos jazz made in France

Cette année pour célébrer son 60 e anniversaire le festival de jazz implanté six jours  au coeur de San Sebastian, cité bordée de ses deux baies somptueuses, n’avait pas convoqué la pluie; Intermittente, capricieuse, improbable autant qu’inprévisible dans ses ballets de gouttes petites ou grande, elle s’est invitée malgré tout. Miguel Martin, le boss de Jazzaldia a décrété: « Il faut faire avec »

Jazzaldia 23/juiilet

Baptiste Trotignon (p)

Musée San Telmo

Premier concert de la série des pianos solos consacrés à des pianistes de l’hexagone dans une ambiance donc humide. Au sein d’un décor d’histoire de la capitale du Guipúzcoa, le cloître d’une abbatiale reconvertie en musée d’art contemporain. Baptiste Trotignon se lance dans une montée progressive en gradations rythmiques. Ainsi en live définit-il son espace pianistique. Un chevauchement visible dans le travail des mains sur le clavier offre à l’écoute une densité augmentée d’autant. Et qualifie ainsi une certaine envergure du jeu délivré. Le temps court d’’un decrescendo on entend au centre du cloître le petit martèlement des gouttes de pluie. Il est question d’un clown à présent. Occasion de produire sur le clavier un ballet contrôlé de notes plus détachées. Le fil du discours se fait plus aéré.  Suit un passage en ruptures plutôt façon Thélonius Monk avant de déboucher sur une longue séance rag time, frappe du pied en bonus, soit un brin d’histoire du piano jazz contée in extenso.

Baptiste Trotignon

« C’est une chanson… » dit maintenant le pianiste. La mélodie est égrenée en douceur mais reste imprimée dans le courant d’une valse d’accords.   Celle des Beatles « With a little help  for my friend » surgie par surprise, et ornée de note en rafales. Dans l’exercice du solo loin d’une seule introspection il n’oublie pas le public. Sa volonté de partager le moment lui fait glisser ses pas dans une sorte de tango qui sous les arcs plein cintres du carré du cloître entraîne à la danse avant de verser sur Cole Porter. Un standard pour conclure « My song »

Naissam Jallal (fl, voc), Leonardo Montana (p), Zaza Desiderio (dm, Sougata Roy Chowdhury (saros), Anuja Borude (pakhawaj) Flo Comment (tanpura)

Scène plein air FNAC Gunea 

La voix module, ainsi le rythme naît. Le piano le prend en compte, tout en compte mesures et kyrielle de notes sur les temps forts. C’est parti sur cette scène perchée au dessus de la plage de la Zurriola. « Soft rain in the silent river m’a été inspirée  par Goa. Dans ce cadre on peut avoir l’Impression de flotter… » Échange harmonique sitar piano. Comme par fait exprès la réalité météorologique du moment rejoint le contenu musical. Il commence à pleuvoir. Sur ces harmonies insistantes le temps paraît  s’étirer. Le piano occupe l’espace. La flûte se joint aux poussées de l’air soufflé venu de  l’océan. La flûte impose son récit sur les vibrations douces  du sitar. Il est question de « Larmes dans le brouillard » Naissam Jallal, d’une voix forte relance son chant toujours sans mots mais en un climat de déchirement. Elle y ajoute la flûte bien sûr pour plus de souffle encore – ce mot figue d’ailleurs comme le leitmotiv de son dernier album paru ce printemops- porteur de relief celui là, et venu en allié des  rythmes des tablas. Suit un solo de Saro, imposant instrument à cordes qui donne des sonorités d’ailleurs mais très vivantes dans leur singularité. 

Naissam Jalal

Un bon coup de vent secoue les toiles mises en protection de la scène. Devant les éléments la cohésion du groupe tangue quelques instants. Difficile à vrai dire de percevoir toutes les finesses, les nuances propres à cette musique à l’air libre face à un violent vent frontal. 

Piano Forte: Baptiste Trotignon, Bojan Z, Eric Legnini, Pierre de Bethman (p, elp)

Scène plein air Frigo Gunea

Pianoforte

Il s’agit bien là d’une conjonction de claviers. Histoire de produire entre collègues sur ces instruments de l’électrique et de l’acoustique pour figurer un jazz somme toute   plutôt éclectique.  Toujours face à l’océan devant la plage de la Zurriola où sur le sable les échos furieux du concert de Jamie Cullum viennent de s’éteindre. Un momentum Pierre de Bethman répond à Baptiste Trotignon en acoustique. Les pianistes tournent sur les différents pianos. En chaque occasion ils n’oublient pas de flatter la  mélodie. Une en particulier, claire, déliée caractéristique de l’art de Joe Zawinul par exemple (« Mercy mercy, mercy ») Bojan Z passe sans encombre d’un clavier à l’autre. Il cisèle au grand piano un de ses thèmes (« Seeds ») valorisé par le travail conjugué des trois autres. Pour atteindre le Fender Rhodes et sa bible de clavier électrique, Baptiste Trotignon malgré l’absence de soleil a chaussé des lunettes d’un vert pomme saisissant. Les thèmes transformés en chansons de geste musical par les savoirs faire ajoutés du carré d’as ont été choisis pour être diversement illustrés selon l’inspiration. « Poinciana » (Ahmad Jamal), « Wind-up » (Keith Jarreth),  « Chorinho » (Lyle Mays) mais aussi Patience signé Poerre de Bethman -qui parait se régaler de ce climat venteyux- ou encore Boda-Boda d’un Eric Legnini, pianiste père tranquille, défilent sous les flux de vent en entrées maritime. Le public  nombreux peu habitué à ce type d’instrumentation en redemande. Et entonnera en y greffant les paroles mille fois partagées le hit « mondialiste », rapport au foot, « We are the champions » de Queen. Une situation pas si habituelle dans le cadre de Jazzaldia. On en aura oublié de vérifier si d’autres gouttes auront arrosé ce front de mer autour de minuit…

24/ 7 San Telmo 

Bojan Z (p)

Le pianiste originaire de Belgrade commence par une courte déclaratioin d’intention « Quoi jouer ? Je me suis plusieurs fois posé la question. Et j’en ai tiré la conclusion qu’il vaut mieux ne pas trop se prendre la tête à ce sujet, surtout en formule piano solo. Faut faire confiance à son inspiration » Première remarque en entrant dans le cloitre: depuis la veille on a changé la position du piano;

Ses doigts virtuoses lancent autant d’accords promptement versés, inversés, bruts à l’image du champagne. Et qui sonnent, qui frappent façon tête de chapitre (« Full half moon » figure un allegro évident: Bojan Z est  dans son jeu un adepte du mouvement  « Rythmonesia » débute et finit par une série de percussions frappées à une main sur la tablature du tandis que sa main droite fixe la mélodie. De quoi insuffler un allant certain dans sa musique, celle là sonnant tel une sorte d’hymne à la joie. Avec un lot  d’ atonalités, de ruptures. Les couleurs se mélangent, les rythmes se succèdent. « Mama loya », sauce réunionaise: une danse, une ritournelle toujours dans cet esprit d’intensifier le feeling du moment présent. « The peacoks » ralentit le parcours.  Cette balade égrène les notes une à une comme on écrirait une lettre à un ami lointain, forme de récit en couleurs pastels marqué d’une forte ponctuation. Hommage à la plume de, Jimy Rowles son compositeur.

Bojan Z

Bojan Z est un musicien qui sait transmettre, un passeur de musiques, d’émotions . Chaque concert solo il en profite pour écrire une nouvelle histoire…Histoire de saveurs sur deux pages consacrées au vin ce matin là : « Good wine » le ressenti d’un vrai amateur, fin gourmet, assumé bon viveur. « Nedyalkos’wine » ensuite à l’occasion duquel, comme souvent dans ses concerts, le moment venu il siffle la mélodie. Instant purement musical de calme, de recueillement…pour une dégustation. Enfin les grands accords reviennent à la charge. Ils roulent en rang serré, ils transportent, ils transforment Chez Bojan, le mouvement, le voyage se profile encore et toujours. 

Yerai Cortés (g), María Reyes, Triana Maciel, Nerea Domínguez, Elena Ollero, Salomé Ramírez, Macarena Campos (palmas et chœur)

Auditorium Kursaal

Le chœur de six voix flamencas, silhouettes blanches immaculées , demeure immobile figé dans la pénombre: deux minutes non stop d’un chant intense. Alors, alors seulement intervient la guitare mixée très fort en premièr plan sonore désormais. Rien d’autre que cet instrument de longues minutes durant. Le flux des voix du chœur reprend en fond, chant sans parole. Tel a été pensé, fixé le tableau d’introduction du récital d’un des protagonistes d’un flamenco dit nouveau dans a lignée de Niño del Elche où Rocío Molina pour son projet Guitarra Coral

S’installe une longue séquence de palmas intense en accéléré sous les assauts  d’une guitare trés rythmée, forme d’un flamenco qu’on dirait minimaliste. Les six voix du chœur résonnent à l’unisson de titres évocateurs « Moderno canastero », « Frágil como una bomba », « En los cafés parisinos » Toujours drapées dans leurs robes d’un blanc transparent comme dans la mythologie grecque, elles frappent le sol en simultanée de leur talon, les « tacones » percussions traditionnelles du flamenco dans ses « Sevillanas » pour dicter un tempo lancinant. Les six jeunes choristes chantent à l’unisson, unité tranchée de temps à autres par des cris, des paroles gutturales d’homme enregistrées, façon formules de parlé-chanté. 

Yerai Cortes y el Choro

Soudain dans un mouvement partagé, les sept actrices et acteur de positionnent dos au public. Les injonctions vocales et la guitare toujiours coordonnées entrent dans un rythme de plus en plus saccadé,  comme accéléré tandis qu’à leurs pieds une mousse blanche compacte envahit le sol de la scène. Les voix se nappent dans une réverbération Intense. 

Ce « Guitarra Choral » s’affiche également en un spectacle visuel hors limite, entre tradition et échappée vers une modernité revendiquée

Steve Coleman (as), Jonathan Finlayson (tp), Rock Brown (b), Sean Rickman (dm)

Plaza de la Trinidad

Steve Coleman

On reconnaît le son de son sax alto.  On retrouve sans surprise son phrasé qui tranche en attaques sèches et notes enchainées rapides. Pour les boomers, l’ ombre d’Ornette Coileman (avec Don Cherry) n’est jamais très loin,  phrases ciselées, coupures, intervalles l’arsenal habituel. Revenons au présent  donostiarra (de San Sebastian) Avec son trompettiste Coleman partage une philosophie instrumentale jumelle. Soit un rmode de récit musical tendu La basse  en effervescence pratique un non stop de notes métronomique. La batterie de Sean Rickman paraît minimaliste mais très précise, une sorte de roulement sur les caisses et cymbales. Au beau milieu du set, Steve Coleman se lance dans un stop chorus, un long moment seul avec son instrument gorgé de feeling, délaissant le passage en force pour un exposé de finesse (« Change the guard ») A la reprise du groupe la percussion se fait plus musicale encore. Travail d’un batteur très créatif.

Kurt Elling (voc) &  Yellow Jackets : Russel Ferrante (p, clav), Bob Mintzer (ts, EWI), Dan Alderson (elb), William Kennedy (dm)

Plaza de la Trinidad

Kurt Elling le justifie d‘entrée de jeu: « Le répertoire de cette tournée nous l’avions choisi et concoté en hommage à l’incroyable musique créée par Weather Report, groupe de fantastiques musiciens » Autant de titres références issus de l’époque dite jazz fusion, terme mal approprié et un peu dédaigneux soit dit en passant…Ainsi en va-t-il de cet « Élégant People » issu de la plume du duo magique Wayne Shorter- Joe Zawinul servi ici avec le background qu’il faut Kurt Elling déjà, dans son vocal, improvise,  scatte…Effet immédiat de reconnaissance: le public  ce soir, majoritairement est´venu pour eux. Premier solo du vétéran Bob Mintzer. Ce n’est certes pas Shorter, mais sur ce drôle d’instrument de souffle électronique, ça le fait quand même. 

Kurt Elling

Servie sur le morceau suivant (« Continuum ») l introduction livre sur le plateau un cadeau de  chant magnifique soutenue par un son de basse copié collé de celui de Jacoi Pastitius…nostalgie…Solo  de piano sans une rayure de Russell Ferrante, autre pilier historique des Yellow Jackets . Et toujours de la part de Kurt Elling une maîtrise totale du vocal, nuances prononcées,  puissance plus une  riche palette de couleurs question expression. Il insiste, lui, chanteur de jazz reconnu sur « la beauté, la présence obsédante des thèmes de Weather Report » Au ténor, les interventions de Bob Mintzer, en toute connaissance de cause puisque presque à la fin du siècle dernier il avait fait partie du big band rassemblé par Jaco Pastorius, sonnent toujours juste. Hommage en calque au groupe légendaire des « enfants » de Miles. Kurt Elling, présence incroyable,  énergie décuplée déploie une maîtrise de tous les instants, registre vocal, technique de scat, placement de la voix. La beauté des thèmes de Weather Report n’en est que mieux rendue. Avec un « message de paix et d’espoir dans ce monde terrible » servie à point.

Pierre de Bethman  (p)

Museo San Telmo 

25 juillet

Un peu de retard pour arriver sur le lieu du premier concert de la journée Jazzaldia pour cause de pluie et, par obligation l’on se retrouve mis en attente confiné sous les arches histoire de ne pas troubler le musicien déjà en action.  On perçoit ainsi la musique filtrant entre les arcades et piliers du cloître .Déjà ainsi  ce jazz sonne au naturel, transpire l’aisance de notes placées à leur juste place « Habituellement je joue des standards parsemés  de moments plus free. Mais ici je préfère livrer mes compositions. À vrai dire je ne veux pas trop réfléchir au programme… » 

Pierre de Bethman

Il part éventuellement de standards, oui. Chez lui persiste une trace de tradition, une fidélité à l’original. Qui se transforme via des trouvailles de modernité. Et pour certains de ces différents tableaux il ne se refuse pas au collage.  Ainsi ne peut-on pas si facilement identifier ce « Ugly Beauty » de Monk. En revanche quelque soit la version exposée, une certaine élégance s’impose dans le travail pianistique. Extrait de sa version originelle un titre du compositeur et musicien,  l’anglais Georges Shearing, transporte à bon compte un groupe d’accords facteur de dynamique. Pierre de Bethman prend sur lui. Il joue beaucoup, joue longtemps. Aboutit sur une balade, investit le clavier à cet effet. De quoi y construire le scénario d’une histoire sans parole. «Agapé » vit en plongée et conte-plongée dans des univers jazz qui défilent,. Hétérogènes au point d’exiger une action de jeu jusqu’au fond des ressources du piano.

Robert Latxague