Shaï MAESTRO piano solo Auditorium de Vincennes 5 décembre 2025
Une grande salle gradinée où l’on entend très bien un excellent piano. Simple, sobre, sans chichi, le pianiste arrive sur scène, regarde amicalement le public puis le clavier, caresse trois accords méditatifs, ôte ses mains, laisse passer un temps… On ne sait pas encore s’il essaie l’instrument ou s’il est déjà entré dans le temps du concert, mais les auditeurs l’accompagnent ainsi dans ce glissement progressif à l’intérieur du premier morceau, La Orilla Del Mundo. Dans l’oreille du monde? Pas vraiment – on n’est qu’au bord – mais cette fausse traduction et bien tentante en souvenir de son compositeur cubain, Pablo Milanès: une mélodie en accords, puis en arpèges, qui se termine par un accord parfait majeur. À cette orilla succède Nature boy, magnifique standard relativement peu joué, qui s’avance masqué au début et qui révèle son identité à la fin du morceau. Et toujours avec cette clarté parfaite qui est la signature du pianiste et qui s’exprime dans des manières très diverses: il peut faire naitre comme un bourdonnement de notes dans le grave, un nuage de résonances qui s’élèvent comme dans une transe. Mais de cet essaim émergent des octaves frappées, des lignes mélodiques: on est délibérément dans le flou, mais jamais dans le brouillon, comme une photo où certains plans sont tout à fait nets, et d’autres, devant, derrière ou à côté, flottants et vaporeux. D’autres standards apparaissent – The Nearness of you ou pour finirAll the things you are, comme photographiés dans un instantané rapide. Miniatures and Tales… c’est le titre donné à ce répertoire qui donne bien cette idée de vues légèrement décadrées et saisies au vol.
Yvan Amar