Jazz live
Publié le 8 Jan 2013

Sophia Domancich “Snakes and Ladders” au Saint-Denis Jazz Club.

Sophia Domancich donnait hier la version scénique de “Snakes and Ladders”, l’un des disques les plus singuliers et des plus attachants parus en 2010. Elle nous avait donné rendez-vous au Saint-Denis Jazz Club, l’un des “lieux” les plus accueillants qui se soient ouverts depuis. En première partie, comme à la maison, Emmanuel Bex donnait la réplique à sa fille Rosanne, sur la partition de sa sonate pour violon et piano.


Saint-Denis Jazz Club, Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis (93), le 7 janvier 2013.

Rosanne Bex (violon), Emmanuel Bex (piano).

Sophia Domancich (p), Eric Daniel (guitares électriques), John Greaves, Himiko Paganotti (voix).


On connaît peu de lieux aussi conviviaux et l’on s’y presse – car ici l’on fait salle pleine, d’une jauge dépassant nettement la capacité d’un club de jazz – comme en famille. La famille Bex, certes, mais leurs amis bénévolement investis, tel Vincent Mahey qui suit la carrière d’Emmanuel Bex depuis des lustres, tant comme producteur que comme ingénieur du son et qui ce soir présente le concert. Il remercie les partenaires, le théâtre et la ville de Saint-Denis, le Fond d’action Sacem au titre de ces sociétés civiles, mais aussi BNP Paris dont la présence sur la scène du jazz français ne relève décidemment pas de l’anecdote… En cette période de vaches maigres, cet exercice obligé prend une dimension toute particulière, d’autant plus que les partenaires étant appelés à diversifier leurs aides, il faudra en trouver d’autres…


Emmanuel Bex entre avec sa fille Rosanne. Embarras du jazz critic habitué à décliner les adjectifs « discret mais efficace ». J’ai déjà chanté cette chanson sur cette page, mais elle n’est pas feinte, peu habitué à écouter d’une oreille “professionnelle” ce type de violon (type pour lequel il a d’ailleurs été conçu), ce qui ne m’interdit nullement de goûter cette pureté, cette précision dans la nuance, la justesse et l’intention sur l’instrument de Stuff Smith (« Hé, tonton ! C’est d’abord l’instrument de David Oistrakh ! – Bon, bon ! »). Je suis tout aussi désarmé pour parler de l’écriture de Bex autrement que par réminiscences très vagues. J’énumère : Saint-Saëns, Ravel, mais aussi Corea et (coïncidence de l’un des principaux thèmes du 1er mouvement) Bojan Z … Et Bex, bien sûr, qui sur le limonaire futuriste auquel il nous habitués brasse tout ça – ces partitions d’orchestre qu’enfant il lisait au lit pour s’endormir – à travers un regard halluciné qui me manque ici un peu. Pour tout dire, après avoir passé mes vacances de Noël avec la Suite Lyrique d’Alban Berg, j’attends plus de la plume de quelqu’un qui me comble tout autrement dès qu’il revient au geste improvisé. Mais raisonner ainsi, c’est probablement réinventer un Bex qu’il ne voudrait pas être (1)… Quant à Rosanne, autant de jeunesse et de sûreté dans un même geste ne pouvaient que nous émouvoir, plus cette offrande d’un père à sa fille qui n’avait rien de kitsch mais qui relevait de cette convivialité propre au Saint-Denis Jazz Club.


C’est une autre convivialité qui s’offre à nous en seconde partie, un étrange salon perçu comme à travers la brume nimbant la réception à l’ambassade de France dans India Song de Marguerite Duras, la distance n’étant pas ici celle de la désynchronisation des voix, mais d’une touche d’humour très british qui dédramatise la cruauté du monde. De cette réception, Sophia Domancich est la maîtresse de cérémonie qu’elle dirige de son piano, ses claviers et ses séquences électroniques. John Greaves et Himiko Paganotti lui font face, sous un abat-jour de salon, dans de grands fauteuils d’où ils se lèvent tout à tour pour donner la réplique, rejoints par Eric Daniel qui erre désœuvré en fond de plateau lorsqu’il n’est pas à ses guitares sur un grand tabouret. Étrange salon où la parole est rare, où l’on parle à demi-mot, par allusions, où chacun semble surgir soudain d’un profond sommeil, en somnambule, pour chanter – ou dire – comme on rêve, aux limites de la tessiture, de l’émission sonore, de l’articulation, du sens, du contour rythmique et mélodique. Face à une guitare qui joue à sa façon, en des nappes ou des grooves plus continus, ce jeu de l’incertitude rythmique, seul le piano semble ancré dans le réel par son côté “pianistique”, mais une réalité elle-même décalée où la direction des mouvements harmoniques ne va jamais dans le sens du vent et où les mélodies ressemblent à des ruisseaux qui remonteraient vers leurs sources, mais en serpentant hors de leurs lits. Il en résulte une couleur dramatique qui n’est pas étrangère aux habitués de ce que l’on appelle, faute de mieux, “L’École de Canterbury” et l’on n’est pas étonné d’y voir les plumes de Robert Wyatt et John Greaves se glisser aussi naturellement entre les partitions de Sophia Domancich.


Le retour en RER m’a laissé le temps de relire deux fois le Libération du jour et j’y ai débusqué, parmi les faits divers cette affaire de chat à la prison d’Alagoas, dans le Nord-Est du Brésil, qui livrait par ses allers et venues familiers le petit matériel (lames, mèches, etc.) nécessaire à la préparation d’une évasion. Sigmund le chat ! Vous vous souvenez de Sigmund ! Beaucoup de lecteurs de ce blog me réclament de ses nouvelles. Qu’ils lisent donc le numéro de Libération du 7 janvier à la page 10.


Franck Bergerot


(1) À réenvisager le 21 janvier prochain au même endroit où Emmanuel Bex confrontera sa vision de Bela Bartok à son Open Gate Trio avec Francecso Bearzatti et Simon Goubert.

PS: ce soir au Théâtre de l’Opprimé à Paris 12ème,  Nicas’s Dream de Louis Caratini, d’après le recueil de Pannonica de Kœnigswarter Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux, pour la partie musicale, André Villéger, Alain Jean-Marie, Patrice Caratini et
Julie Saury. Les 8, 19 et 12 janvier à 19h, le 13 à 15h, au Théâtre de l’Opprimé, 78/80 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 45 81 20. Reprise le 26 février Salle Jacques Brel à Fontenay-sous-Bois et le 28 mars au Pôle culturel d’Alfortville. 

 

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Sophia Domancich donnait hier la version scénique de “Snakes and Ladders”, l’un des disques les plus singuliers et des plus attachants parus en 2010. Elle nous avait donné rendez-vous au Saint-Denis Jazz Club, l’un des “lieux” les plus accueillants qui se soient ouverts depuis. En première partie, comme à la maison, Emmanuel Bex donnait la réplique à sa fille Rosanne, sur la partition de sa sonate pour violon et piano.


Saint-Denis Jazz Club, Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis (93), le 7 janvier 2013.

Rosanne Bex (violon), Emmanuel Bex (piano).

Sophia Domancich (p), Eric Daniel (guitares électriques), John Greaves, Himiko Paganotti (voix).


On connaît peu de lieux aussi conviviaux et l’on s’y presse – car ici l’on fait salle pleine, d’une jauge dépassant nettement la capacité d’un club de jazz – comme en famille. La famille Bex, certes, mais leurs amis bénévolement investis, tel Vincent Mahey qui suit la carrière d’Emmanuel Bex depuis des lustres, tant comme producteur que comme ingénieur du son et qui ce soir présente le concert. Il remercie les partenaires, le théâtre et la ville de Saint-Denis, le Fond d’action Sacem au titre de ces sociétés civiles, mais aussi BNP Paris dont la présence sur la scène du jazz français ne relève décidemment pas de l’anecdote… En cette période de vaches maigres, cet exercice obligé prend une dimension toute particulière, d’autant plus que les partenaires étant appelés à diversifier leurs aides, il faudra en trouver d’autres…


Emmanuel Bex entre avec sa fille Rosanne. Embarras du jazz critic habitué à décliner les adjectifs « discret mais efficace ». J’ai déjà chanté cette chanson sur cette page, mais elle n’est pas feinte, peu habitué à écouter d’une oreille “professionnelle” ce type de violon (type pour lequel il a d’ailleurs été conçu), ce qui ne m’interdit nullement de goûter cette pureté, cette précision dans la nuance, la justesse et l’intention sur l’instrument de Stuff Smith (« Hé, tonton ! C’est d’abord l’instrument de David Oistrakh ! – Bon, bon ! »). Je suis tout aussi désarmé pour parler de l’écriture de Bex autrement que par réminiscences très vagues. J’énumère : Saint-Saëns, Ravel, mais aussi Corea et (coïncidence de l’un des principaux thèmes du 1er mouvement) Bojan Z … Et Bex, bien sûr, qui sur le limonaire futuriste auquel il nous habitués brasse tout ça – ces partitions d’orchestre qu’enfant il lisait au lit pour s’endormir – à travers un regard halluciné qui me manque ici un peu. Pour tout dire, après avoir passé mes vacances de Noël avec la Suite Lyrique d’Alban Berg, j’attends plus de la plume de quelqu’un qui me comble tout autrement dès qu’il revient au geste improvisé. Mais raisonner ainsi, c’est probablement réinventer un Bex qu’il ne voudrait pas être (1)… Quant à Rosanne, autant de jeunesse et de sûreté dans un même geste ne pouvaient que nous émouvoir, plus cette offrande d’un père à sa fille qui n’avait rien de kitsch mais qui relevait de cette convivialité propre au Saint-Denis Jazz Club.


C’est une autre convivialité qui s’offre à nous en seconde partie, un étrange salon perçu comme à travers la brume nimbant la réception à l’ambassade de France dans India Song de Marguerite Duras, la distance n’étant pas ici celle de la désynchronisation des voix, mais d’une touche d’humour très british qui dédramatise la cruauté du monde. De cette réception, Sophia Domancich est la maîtresse de cérémonie qu’elle dirige de son piano, ses claviers et ses séquences électroniques. John Greaves et Himiko Paganotti lui font face, sous un abat-jour de salon, dans de grands fauteuils d’où ils se lèvent tout à tour pour donner la réplique, rejoints par Eric Daniel qui erre désœuvré en fond de plateau lorsqu’il n’est pas à ses guitares sur un grand tabouret. Étrange salon où la parole est rare, où l’on parle à demi-mot, par allusions, où chacun semble surgir soudain d’un profond sommeil, en somnambule, pour chanter – ou dire – comme on rêve, aux limites de la tessiture, de l’émission sonore, de l’articulation, du sens, du contour rythmique et mélodique. Face à une guitare qui joue à sa façon, en des nappes ou des grooves plus continus, ce jeu de l’incertitude rythmique, seul le piano semble ancré dans le réel par son côté “pianistique”, mais une réalité elle-même décalée où la direction des mouvements harmoniques ne va jamais dans le sens du vent et où les mélodies ressemblent à des ruisseaux qui remonteraient vers leurs sources, mais en serpentant hors de leurs lits. Il en résulte une couleur dramatique qui n’est pas étrangère aux habitués de ce que l’on appelle, faute de mieux, “L’École de Canterbury” et l’on n’est pas étonné d’y voir les plumes de Robert Wyatt et John Greaves se glisser aussi naturellement entre les partitions de Sophia Domancich.


Le retour en RER m’a laissé le temps de relire deux fois le Libération du jour et j’y ai débusqué, parmi les faits divers cette affaire de chat à la prison d’Alagoas, dans le Nord-Est du Brésil, qui livrait par ses allers et venues familiers le petit matériel (lames, mèches, etc.) nécessaire à la préparation d’une évasion. Sigmund le chat ! Vous vous souvenez de Sigmund ! Beaucoup de lecteurs de ce blog me réclament de ses nouvelles. Qu’ils lisent donc le numéro de Libération du 7 janvier à la page 10.


Franck Bergerot


(1) À réenvisager le 21 janvier prochain au même endroit où Emmanuel Bex confrontera sa vision de Bela Bartok à son Open Gate Trio avec Francecso Bearzatti et Simon Goubert.

PS: ce soir au Théâtre de l’Opprimé à Paris 12ème,  Nicas’s Dream de Louis Caratini, d’après le recueil de Pannonica de Kœnigswarter Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux, pour la partie musicale, André Villéger, Alain Jean-Marie, Patrice Caratini et
Julie Saury. Les 8, 19 et 12 janvier à 19h, le 13 à 15h, au Théâtre de l’Opprimé, 78/80 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 45 81 20. Reprise le 26 février Salle Jacques Brel à Fontenay-sous-Bois et le 28 mars au Pôle culturel d’Alfortville. 

 

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Sophia Domancich donnait hier la version scénique de “Snakes and Ladders”, l’un des disques les plus singuliers et des plus attachants parus en 2010. Elle nous avait donné rendez-vous au Saint-Denis Jazz Club, l’un des “lieux” les plus accueillants qui se soient ouverts depuis. En première partie, comme à la maison, Emmanuel Bex donnait la réplique à sa fille Rosanne, sur la partition de sa sonate pour violon et piano.


Saint-Denis Jazz Club, Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis (93), le 7 janvier 2013.

Rosanne Bex (violon), Emmanuel Bex (piano).

Sophia Domancich (p), Eric Daniel (guitares électriques), John Greaves, Himiko Paganotti (voix).


On connaît peu de lieux aussi conviviaux et l’on s’y presse – car ici l’on fait salle pleine, d’une jauge dépassant nettement la capacité d’un club de jazz – comme en famille. La famille Bex, certes, mais leurs amis bénévolement investis, tel Vincent Mahey qui suit la carrière d’Emmanuel Bex depuis des lustres, tant comme producteur que comme ingénieur du son et qui ce soir présente le concert. Il remercie les partenaires, le théâtre et la ville de Saint-Denis, le Fond d’action Sacem au titre de ces sociétés civiles, mais aussi BNP Paris dont la présence sur la scène du jazz français ne relève décidemment pas de l’anecdote… En cette période de vaches maigres, cet exercice obligé prend une dimension toute particulière, d’autant plus que les partenaires étant appelés à diversifier leurs aides, il faudra en trouver d’autres…


Emmanuel Bex entre avec sa fille Rosanne. Embarras du jazz critic habitué à décliner les adjectifs « discret mais efficace ». J’ai déjà chanté cette chanson sur cette page, mais elle n’est pas feinte, peu habitué à écouter d’une oreille “professionnelle” ce type de violon (type pour lequel il a d’ailleurs été conçu), ce qui ne m’interdit nullement de goûter cette pureté, cette précision dans la nuance, la justesse et l’intention sur l’instrument de Stuff Smith (« Hé, tonton ! C’est d’abord l’instrument de David Oistrakh ! – Bon, bon ! »). Je suis tout aussi désarmé pour parler de l’écriture de Bex autrement que par réminiscences très vagues. J’énumère : Saint-Saëns, Ravel, mais aussi Corea et (coïncidence de l’un des principaux thèmes du 1er mouvement) Bojan Z … Et Bex, bien sûr, qui sur le limonaire futuriste auquel il nous habitués brasse tout ça – ces partitions d’orchestre qu’enfant il lisait au lit pour s’endormir – à travers un regard halluciné qui me manque ici un peu. Pour tout dire, après avoir passé mes vacances de Noël avec la Suite Lyrique d’Alban Berg, j’attends plus de la plume de quelqu’un qui me comble tout autrement dès qu’il revient au geste improvisé. Mais raisonner ainsi, c’est probablement réinventer un Bex qu’il ne voudrait pas être (1)… Quant à Rosanne, autant de jeunesse et de sûreté dans un même geste ne pouvaient que nous émouvoir, plus cette offrande d’un père à sa fille qui n’avait rien de kitsch mais qui relevait de cette convivialité propre au Saint-Denis Jazz Club.


C’est une autre convivialité qui s’offre à nous en seconde partie, un étrange salon perçu comme à travers la brume nimbant la réception à l’ambassade de France dans India Song de Marguerite Duras, la distance n’étant pas ici celle de la désynchronisation des voix, mais d’une touche d’humour très british qui dédramatise la cruauté du monde. De cette réception, Sophia Domancich est la maîtresse de cérémonie qu’elle dirige de son piano, ses claviers et ses séquences électroniques. John Greaves et Himiko Paganotti lui font face, sous un abat-jour de salon, dans de grands fauteuils d’où ils se lèvent tout à tour pour donner la réplique, rejoints par Eric Daniel qui erre désœuvré en fond de plateau lorsqu’il n’est pas à ses guitares sur un grand tabouret. Étrange salon où la parole est rare, où l’on parle à demi-mot, par allusions, où chacun semble surgir soudain d’un profond sommeil, en somnambule, pour chanter – ou dire – comme on rêve, aux limites de la tessiture, de l’émission sonore, de l’articulation, du sens, du contour rythmique et mélodique. Face à une guitare qui joue à sa façon, en des nappes ou des grooves plus continus, ce jeu de l’incertitude rythmique, seul le piano semble ancré dans le réel par son côté “pianistique”, mais une réalité elle-même décalée où la direction des mouvements harmoniques ne va jamais dans le sens du vent et où les mélodies ressemblent à des ruisseaux qui remonteraient vers leurs sources, mais en serpentant hors de leurs lits. Il en résulte une couleur dramatique qui n’est pas étrangère aux habitués de ce que l’on appelle, faute de mieux, “L’École de Canterbury” et l’on n’est pas étonné d’y voir les plumes de Robert Wyatt et John Greaves se glisser aussi naturellement entre les partitions de Sophia Domancich.


Le retour en RER m’a laissé le temps de relire deux fois le Libération du jour et j’y ai débusqué, parmi les faits divers cette affaire de chat à la prison d’Alagoas, dans le Nord-Est du Brésil, qui livrait par ses allers et venues familiers le petit matériel (lames, mèches, etc.) nécessaire à la préparation d’une évasion. Sigmund le chat ! Vous vous souvenez de Sigmund ! Beaucoup de lecteurs de ce blog me réclament de ses nouvelles. Qu’ils lisent donc le numéro de Libération du 7 janvier à la page 10.


Franck Bergerot


(1) À réenvisager le 21 janvier prochain au même endroit où Emmanuel Bex confrontera sa vision de Bela Bartok à son Open Gate Trio avec Francecso Bearzatti et Simon Goubert.

PS: ce soir au Théâtre de l’Opprimé à Paris 12ème,  Nicas’s Dream de Louis Caratini, d’après le recueil de Pannonica de Kœnigswarter Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux, pour la partie musicale, André Villéger, Alain Jean-Marie, Patrice Caratini et
Julie Saury. Les 8, 19 et 12 janvier à 19h, le 13 à 15h, au Théâtre de l’Opprimé, 78/80 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 45 81 20. Reprise le 26 février Salle Jacques Brel à Fontenay-sous-Bois et le 28 mars au Pôle culturel d’Alfortville. 

 

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Sophia Domancich donnait hier la version scénique de “Snakes and Ladders”, l’un des disques les plus singuliers et des plus attachants parus en 2010. Elle nous avait donné rendez-vous au Saint-Denis Jazz Club, l’un des “lieux” les plus accueillants qui se soient ouverts depuis. En première partie, comme à la maison, Emmanuel Bex donnait la réplique à sa fille Rosanne, sur la partition de sa sonate pour violon et piano.


Saint-Denis Jazz Club, Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis (93), le 7 janvier 2013.

Rosanne Bex (violon), Emmanuel Bex (piano).

Sophia Domancich (p), Eric Daniel (guitares électriques), John Greaves, Himiko Paganotti (voix).


On connaît peu de lieux aussi conviviaux et l’on s’y presse – car ici l’on fait salle pleine, d’une jauge dépassant nettement la capacité d’un club de jazz – comme en famille. La famille Bex, certes, mais leurs amis bénévolement investis, tel Vincent Mahey qui suit la carrière d’Emmanuel Bex depuis des lustres, tant comme producteur que comme ingénieur du son et qui ce soir présente le concert. Il remercie les partenaires, le théâtre et la ville de Saint-Denis, le Fond d’action Sacem au titre de ces sociétés civiles, mais aussi BNP Paris dont la présence sur la scène du jazz français ne relève décidemment pas de l’anecdote… En cette période de vaches maigres, cet exercice obligé prend une dimension toute particulière, d’autant plus que les partenaires étant appelés à diversifier leurs aides, il faudra en trouver d’autres…


Emmanuel Bex entre avec sa fille Rosanne. Embarras du jazz critic habitué à décliner les adjectifs « discret mais efficace ». J’ai déjà chanté cette chanson sur cette page, mais elle n’est pas feinte, peu habitué à écouter d’une oreille “professionnelle” ce type de violon (type pour lequel il a d’ailleurs été conçu), ce qui ne m’interdit nullement de goûter cette pureté, cette précision dans la nuance, la justesse et l’intention sur l’instrument de Stuff Smith (« Hé, tonton ! C’est d’abord l’instrument de David Oistrakh ! – Bon, bon ! »). Je suis tout aussi désarmé pour parler de l’écriture de Bex autrement que par réminiscences très vagues. J’énumère : Saint-Saëns, Ravel, mais aussi Corea et (coïncidence de l’un des principaux thèmes du 1er mouvement) Bojan Z … Et Bex, bien sûr, qui sur le limonaire futuriste auquel il nous habitués brasse tout ça – ces partitions d’orchestre qu’enfant il lisait au lit pour s’endormir – à travers un regard halluciné qui me manque ici un peu. Pour tout dire, après avoir passé mes vacances de Noël avec la Suite Lyrique d’Alban Berg, j’attends plus de la plume de quelqu’un qui me comble tout autrement dès qu’il revient au geste improvisé. Mais raisonner ainsi, c’est probablement réinventer un Bex qu’il ne voudrait pas être (1)… Quant à Rosanne, autant de jeunesse et de sûreté dans un même geste ne pouvaient que nous émouvoir, plus cette offrande d’un père à sa fille qui n’avait rien de kitsch mais qui relevait de cette convivialité propre au Saint-Denis Jazz Club.


C’est une autre convivialité qui s’offre à nous en seconde partie, un étrange salon perçu comme à travers la brume nimbant la réception à l’ambassade de France dans India Song de Marguerite Duras, la distance n’étant pas ici celle de la désynchronisation des voix, mais d’une touche d’humour très british qui dédramatise la cruauté du monde. De cette réception, Sophia Domancich est la maîtresse de cérémonie qu’elle dirige de son piano, ses claviers et ses séquences électroniques. John Greaves et Himiko Paganotti lui font face, sous un abat-jour de salon, dans de grands fauteuils d’où ils se lèvent tout à tour pour donner la réplique, rejoints par Eric Daniel qui erre désœuvré en fond de plateau lorsqu’il n’est pas à ses guitares sur un grand tabouret. Étrange salon où la parole est rare, où l’on parle à demi-mot, par allusions, où chacun semble surgir soudain d’un profond sommeil, en somnambule, pour chanter – ou dire – comme on rêve, aux limites de la tessiture, de l’émission sonore, de l’articulation, du sens, du contour rythmique et mélodique. Face à une guitare qui joue à sa façon, en des nappes ou des grooves plus continus, ce jeu de l’incertitude rythmique, seul le piano semble ancré dans le réel par son côté “pianistique”, mais une réalité elle-même décalée où la direction des mouvements harmoniques ne va jamais dans le sens du vent et où les mélodies ressemblent à des ruisseaux qui remonteraient vers leurs sources, mais en serpentant hors de leurs lits. Il en résulte une couleur dramatique qui n’est pas étrangère aux habitués de ce que l’on appelle, faute de mieux, “L’École de Canterbury” et l’on n’est pas étonné d’y voir les plumes de Robert Wyatt et John Greaves se glisser aussi naturellement entre les partitions de Sophia Domancich.


Le retour en RER m’a laissé le temps de relire deux fois le Libération du jour et j’y ai débusqué, parmi les faits divers cette affaire de chat à la prison d’Alagoas, dans le Nord-Est du Brésil, qui livrait par ses allers et venues familiers le petit matériel (lames, mèches, etc.) nécessaire à la préparation d’une évasion. Sigmund le chat ! Vous vous souvenez de Sigmund ! Beaucoup de lecteurs de ce blog me réclament de ses nouvelles. Qu’ils lisent donc le numéro de Libération du 7 janvier à la page 10.


Franck Bergerot


(1) À réenvisager le 21 janvier prochain au même endroit où Emmanuel Bex confrontera sa vision de Bela Bartok à son Open Gate Trio avec Francecso Bearzatti et Simon Goubert.

PS: ce soir au Théâtre de l’Opprimé à Paris 12ème,  Nicas’s Dream de Louis Caratini, d’après le recueil de Pannonica de Kœnigswarter Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux, pour la partie musicale, André Villéger, Alain Jean-Marie, Patrice Caratini et
Julie Saury. Les 8, 19 et 12 janvier à 19h, le 13 à 15h, au Théâtre de l’Opprimé, 78/80 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 45 81 20. Reprise le 26 février Salle Jacques Brel à Fontenay-sous-Bois et le 28 mars au Pôle culturel d’Alfortville.