Jazz live
Publié le 29 Juin 2025

Stella Cole, Samara Joy, Elisapie et Isiah Collier au Montreal Jazz Festival 2025.

Montréal accueille du 26 juin au 5 juillet des dizaines d’artistes, entre talents à découvrir et légendes vivantes. Découvrez chaque jour les Live Reports de l’envoyé spécial de Jazz Magazine.

Ce 28 juin était à marquer d’une pierre blanche pour les vocalistes. La première en lice était Stella Cole, phénomène des réseaux sociaux en 2020-2021 qui s’apprête aujourd’hui à publier son troisième album chez Decca Records, et qui fait sien le répertoire des comédies musicales qui l’ont bercée depuis l’enfance. On ne peut le nier, la native de l’Illinois a su parfaire son style, notamment une diction et un accent qui, de sa façon de parler a sa façon de chanter, donne à chaque mot une texture moelleuse qu’elle façonne sans effort, et confère à son expression vocale une couleur toute personnelle quand bien même sa musique rappelle les canons des grands noms du jazz vocal du 20eme siècle, jusque dans sa relation fusionnel le avec son groupe, et sa façon d’être à la fois totalement investie dans son art sans jamais cesser d’être à l’affût des réactions du public. Son attitude pétillante, presque au bord de l’éclat de rire mais toujours dans une parfaite maîtrise technique, n’empêche nullement un swing d’une souplesse et d’un naturel évidents. Et on sent que si le public n’était pas assis, ils se seraient volontiers levé pour danser. On peut parier sans trop risquer de perdre que ce concert au Studio TD, qui fait partie de l’offre gratuite proposée aux festivaliers, est l’un des derniers du genre que Stella Cole donnera, qui semble destinée à des scènes bien plus prestigieuses. C’est le passé, en haute définition, mais il n’a rien perdu de sa superbe.

Non loin de là c’est la plus célèbre des jeunes chanteuses de son temps, Samara Joy se produisait dans une salle à la hauteur de sa notoriété, l’immense Maison Symphonique au centre de laquelle elle resplendit dans sa robe de lumière, toute entourée d’un public perché au-dessus d’elle, mais qui loin de la dominer, semble pendue à ses lèvres. Les références ne sont pas toujours loin de celles de Stella Cole mais malgré un certain classicisme (dont Samara Joy a pourtant su s’extirper avec intelligence à plusieurs reprises), il y a chez elle une indéniable modernité qu’on ne sent pas chez l’autre. Sa virtuosité vocale renversante (ce n’est rien de le dire) fait moins l’effet d’une démonstration que d’une envie de jouer avec son répertoire, et plutôt que de s’enfermer dans sa maîtrise, elle y trouve une issue vers un univers sonique bien plus large que le jazz classique, qui n’oublie pas le gospel de son enfance, le R&B moderne, voire le chant lyrique et si elle voulait, peut-être même le domaine contemporain. Improvisation bien dosée, prouesses vocales vertigineuses, un groupe irréprochable (qui prendra sans doute à l’avenir plus de libertés encore) : Samara Joy, déjà une star, sort de scène face à une salle conquise qui s’est levée comme un seul homme pour lui dire toute son admiration.

Pendant ce temps-là, un public massif s’était pressé aux abords de l’immense Scène TD en plein air pour accueillir comme il se doit la chanteuse autochtone Elisapie. Ici les langues, françaises, anglaises et inuites, ont dialogué comme rarement sur une même scène, tandis que l’artiste donnait à entendre son art de la reprise en métamorphosant The Unforgiven de Metallica (Isumagijunnaitaungituq) ou Dreams de Fleetwood Mac (Sinnatuumait) comme si elles avaient toujours été les siennes, pour mieux raconter son histoire, entre évocations de rêves récurrents de son enfance ou de tragédie familiale, le tout évoquant plus ou moins fugitivement la tundra où elle a grandi et d’où proviennent ses ancêtres. Une liesse populaire aux allures de célébration d’une part majeure de l’identité du Canada.

Retour à la scène du Studio TD qu’on retrouve métamorphosée par un Isaiah Collier incandescent d’énergie, surfant sur la vague inarrêtable du vamp très Johncoltranien qu’entretient son groupe, The Chosen Few. L’air de la salle est électrique, les conversations fusent de toutes part, et le leader semble en nourrir son flux ininterrompu de notes furieuses et joyeuses. Ce qui ne l’empêche pas de donner à ce concert une tonalité parfois plus sombre, comme à travers un hommage à un homme assassiné par des suprémacistes blancs voici quelques années, l’occasion pour la très active pianiste Liya Grigoryan de s’illustrer dans un rôle de soliste où elle se montre aussi habité que comme membre de la section rythmique. Quant à Isiah Collier, la construction de son solo du lyrisme aux sinuosités torturées, démontre son pouvoir de fulgurer la foule, investi dans le jeu jusqu’à ses ultimes limites physiques. Yazid Kouloughli