Jazz live
Publié le 9 Nov 2025

Tarbes: Les gymnopédies de Pierre Durand

Pierre Durand (g) Jérôme Regard (elb), Fred Escoffier (elp, synté, vocoder), Marc Michel (dm)

Jazz MDA, Petit Théâtre Maurice Sarrazin, Tarbes (65000)

L’objet avoué du concert est de faire vivre le dernier album paru sous son nom (et qui figurait dans les nominés pour les Victoires du jazz 2024) Ceci dit écouter « The end & the begenning » est une chose. L’entendre en live et apprécier le spectacle -ça en est vraiment un !- de visu dans toute sa dimension relève d’une autre chose, d’une émotion forcément très différente. Car le jeu de (sur la…) guitare de Pierre Durand relève du spectaculaire. Une guitare physique, six cordes pour une gymnopédie. Un récital cordes à corps mais sans cri.

Une guitare dotée d’une sonorité très personnelle, acide et soft à la fois, au fil du besoin, apte à pouvoir habiller un chant. Durand aime à tisser des mélodies. Et sur le thème éponyme de son album, le passage d’accords initial se fait porteur du dessin d’un paysage rythmique rendu avec ses escarpements naturels. On peut l’avoir remarqué dans le travail fait auprès de Daniel Zimmerman ou Anne Paceo par exemple, le guitariste se plait à jouer sur les volumes. Celui de sa guitare comme ceux des compositions abordées ici.

Pierre Durand fait partie des musiciens qui, vis à vis du public, expliquent leur démarche, explicitent leur travail musical. A propos de David Bowie, une référence avouée, il annonce qu’avec les autres membres du quartet « ils aiment la Pop » Avant d’expliquer qu’il apprécie également la façon dont le chanteur icône anglaise se plaisait dans sa musique à jouer avec les codes. Pour illustrer ses dires sa composition justement intitulée « Bowie » relève d’un canevas plutôt serré, accords, notes, formules rythmiques appuyées, le tout très imbriqué. De quoi donner au piano électrique le terreau idoine pour un piqué de notes  électrisantes au bout de mélodies voyageuses, lorsque dans le maelström elles se décident à  pointer leur museau. Plus avant dans ce concert donné au sein de l’écrin intime d’un petit théâtre de poche il expliquera encore le choc reçu lors d’un récital de Ricky Lee Jones. Source d’inspiration directe « d’un thème composé le soir même en quarante minutes à peine… » Une manière de « Folk Song » justement dans l’exposé d’une mélodie douce, avec relances de la part des cordes de la basse experte de Jérome Regard. Pour filer bon train sur les rails des mesures d’un coup de blues. Pour finir ce moment de célébration dans un courant d’airs soutenu façon soul. 

Jérome Regard

Parole, parole…Pierre Durand ne manque pas non plus de remercier les bénévoles de l’association Jazz MDA – encore faut-il noter que ses membres assurent toute l’organisation de chaque concert, bouffe y compris; et que son responsable se charge lui même de la sono, des éclairages, des entrées etc. etc.- avec ce conseil à l’adresse du (petit) public présent « Le live est un moment privilégié. Profitez-en.  Faites le savoir autour de vous. Vu ce qui se dit, ce qui se profile à ce jour, il existe un risque question vie ou survie des  musique vivantes… »

Une musique à écouter, certes. Des scènes à voir également, susceptibles de marquer un vécu particulier de la musique de la part du guitariste. Ces mimiques incroyables, visage, regard, et bouche surtout, mobile en formation et déformation  répétées.  Avec en appui, une gestuelle qui prend l’expression de tout le corps mis en mouvement ad hoc. Quelque chose du personnage d’un film muet en pleine action. Drôle d’osmose: « Incroyable le mec, il articule dans un silence total. Rien ne sort de sa gueule…mais c’est sa guitare qui parle en simultané… » s’étonne mon voisin, guitariste lui aussi.

Fred Escoffier

Les mots reviennent quand même, en intermède. Avec toujours ce besoin de l’explication de texte: « Ce titre qui reprend une expression anglaise dit ce qu’il faut retenir d’une réalité de la vie d’aujourd’hui : Fight or flight, se battre ou laisser aller… » On devine en tant qu’artiste, musicien, l’option qu’il a lui choisie. Pourtant le dernier mot revient à la guitare. Son mode d’expression privilégié, l’outil de son action  « pour une musique qui prend au jazz comme à d’autres pans de musiques vivantes » Elle actionne le mouvement dans le tempo, dans la construction via l’improvisation -modus vivendi revendiqué mordicus- de reliefs sonores intenses en volées de notes ou d’accords syncopés. Soit de longs morceaux pour autant de moments forts partagés par le quartet ( à souligner une séquence de batterie très expressive, originale, comme une vraie conjugaison de verbes percussifs in « Une vie »)

Marc Michel

Pierre Durand, guitariste, livrera toutefois une conclusion personnelle au travers d’un formidable chorus en découpe toute d’acidité au plein sens de l’utilisation prégnante du registre des aiguës. Lâchant la dernière grappe sur un terrible gimmick. Un point d’exclamation.

Robert Latxague