Jazz live
Publié le 10 Mar 2023

Tarnos: Rhoda Scott ainsi soit-elle chez Maurice Thorez

Questionnement du maire de la cité landaise Jean-Marc Lespade : pourquoi un musicien de New York-cette fois Terrell Stafford- vient-il jouer à Tarnos, spécifiquement ? Devant une frange de ses administrés le premier magistrat avoue ne pas en connaître la raison. Pourtant le fait que Rhoda Scott au bout de quatre visites à sa cité bénéficie de la médaille de la ville pourrait constituer un début de réponse En attendant, à l’occasion de ce festival Jazz en Mars qui fête ses vingt huit ans d’exercice les dits musiciens de jazz viennent aussi jouer dans les écoles, les restaurants d’entreprise, et même dans certains cafés. Une réalité, un signe de continuité quant à la,présence de cette musique vivante renforcée par l’activisme d’un directeur de l’Ecole de Musique locale, Arnaud Labastie, lui même pianiste…de jazz.

D’épaisses nappes d’orgue surgissent plaquées en simultané sur les deux claviers du gros orgue façon vieux meuble boisé: le lancement du concert de Rhoda Scott dans une salle bondée se trouve être chargé d’un son fort «churchy» répercuté au sein d’une salle baptisée Maurice Thorez. À certains cela pourrait paraître un tantinet incongru, voire osé. Toutefois à 84 ans sonnés et sans doute innocente du pédigrée de ce personnage historique du PCF, l’organiste aux pieds nus peut, elle, se le permettre : de sa bouche on apprend ainsi que son père était pasteur d’où son apprentissage rapide de l’orgue. D’un lieu sanctifié à un autre…

Festival Jazz en Mars, salle Maurice Thorez , Tarnos (40220)

Luca Filastro (p)

Luca Filastro

En fond de scène le patronyme «Jazz en Mars» ressort comme figé sur un tableau à la craie, voire inscrit en blanc au pochoir sur un mur gris ….et pourtant. Sur ces figures de piano stride on s’attendrait à voir défiler des images en noir et blanc mettant en mouvement façon cinéma muet les silhouettes agitées de Groucho Marx, Buster Keaton, Charlie Chaplin…ou bien des photos argentiques de modèles pianistiques du genre tels James P. Johnson, Fats Waller voire le moins connu Willy Smith The Lion. «Tea for two», «Hey Mister Jesse», «I cant get any thing but love», «I remember April» enfin, objet d’un élégant exercice de style mélodico-rythmique: les standards de l’entre deux guerres défilent chez lui sourire aux lèvres. De cette forme de piano jazz, en mode solo, le pianiste italien, volubile comme il se doit, toute aisance ainsi exposée, en possède la totalité des codes.

Rhoda Scott (org), Thomas Derouineau (dm), invité Terell Stafford (tp)

Il n’y a dans l’exercice de son art chez elle plus aucune vraie surprise à attendre, bien entendu. Pourtant le duo orgue Hammond/batterie lui laisse le champ libre. Et de fait le groove qui l’a toujours accompagnée, très rapidement reprend le dessus. Avec les breaks, le swing, les relances bref tous les schémas qui vont avec. « Dans mon nouveau disque j’ai placé trois morceaux de Duke Ellington» Alors pour débuter le concert à l’occasion de ce bout d’hommage «au plus grand compositeur de l’histoire du jazz» elle s’ingénie à reproduire les harmonies douces, la mélodie acidulée juste ce qu’il faut de l’immortel «In a sentimental mood» du pianiste et chef d’orchestre. N’oubliant jamais pour autant d’accrocher sa propre griffe, elle lance mine de rien sur ce tempo médium de drôles de petits accords qui paraissent rester en l’air, ne jamais retomber comme autant de suspentes au plaisir privilégié de l’écoute immédiate live.

Thomas Derouineau

Rhoda Scott n’en fait pas mystère. Depuis un demi siècle de carrière elle donne aux oreilles plus ou moins averties ce qu’en matière d’histoire des choses du jazz, elles sont venues entendre. Goûter. Savourer sans plus de question. Ainsi, toujours un sourire à la bouche auquel s’ajoute le souffle frais d’un humour léger elle offre après mille et mille autres ce soir au public tarnosien -lequel aurait pu être lui plus nombreux si la capacité de la salle le permettait- elle fait donc cadeau maintenant sans compter d’un air pas si connu que ça de Michel Legrand, à ses yeux rieurs « compositeur presqu’aussi grand que Duke Ellington» Rhoda joue avec en bagage, toujours présentes ses racines profondes « I find a miracle est un thème qui me tient à cœur» Comme une source, tel un point d’ancrage de sa musique, résonne alors dans le ventre du Hammond un gospel pur jus ponctué dans un jeu de rôle obligé de séries d’appels/ réponses complices avec la batterie. Lequel instrument, parfait complément d’objet du rythme de l’orgue, sur Caravan- composition fètiche du Duke, encore lui- projette via ses caisses une sacrée effervescence.

Terell Stafford

Lorsque le trompettiste paraît, Terrell Stafford jette de son pavillon un son très droit, un phrasé ciselé net, des modulations classiques, des pincèes de percées vers les aigues dignes de la tradition Amstrong et compagnie. Là encore, dans ce jazz genré mainstream, rien ne jure avec la norme. Et à la fin le pianiste invité -Luca Filastro, le retour- vient faire à plaisir le quatrième le temps d’un blues d’école .Quartet sacralisé.
Ainsi soit-il. Amen! donc comme se plaira à le chanter en chœur ad eternam le Dieu Gospel. In memoriam, Monsieur le Secrétaire Général Thorez…

Robert Latxague