Tarnos: symphoniser Nougaro, un cas d’École
À priori l’idée de vouloir symphoniser Nougaro représente un drôle de pari. Comment faire rentrer un champ de pailles instrumentales dorées (même avec des coquelicots en décor) dans les petites niches de swing propres à l’auteur de Locomotive d’or et compagnie? De quelle façon donc restituer une voix, un art vocal aussi typé ? Et comment oublier ou même seulement faire revivre avec les accents de vérité adéquats ces mélodies, ces sentiers tapissés de lignes de notes si pleinement personnalisées, incrustées car mille et mille fois entendues ?
Philippe Duchemin(p), Christophe Le Van (dm) Philippe Le Van (b)
Christophe Davot ( voc, g) + Ensemble Orchestral de Biarritz, direction Yves Bouillier
Place Alexandre Virot, Tarnos (40220), 24 juin
Seuls des arrangements bien pensés, organisés avec le naturel voulu pouvaient indiquer le bon chemin. À l’invitation de son confère et tête pensante de la dite École Arnaud Labastie, Philippe Duchemin, pianiste lui aussi a finalement réussi la gageure en tant qu’arrangeur: ainsi en est-il du lancement en nuance de puissance cordes /bois/ cuivres à propos du «Tu verras tu verras» -réplique du «Que sera que sera» de Chico Buarque- dans un rendu de teintes sonores très brésiliennes. Ou encore en livrant dans son travail d’écriture des digressions de couleurs plutôt bien inspirées histoire de griffer juste un «Toulouse», cet hymne nougarien pourtant définitivement classé hors catégorie question chanson fétiche inscrite ad eternam dans la mémoire collective de son «Païs» et d’ailleurs. Nougaro, les notes, les mots, la poétique des sons c’est une signature sacrée, Ré-écrire, architecturer des partitions ainsi chargées d’histoires à destination d’un orchestre symphonique sans les dénaturer représente un vrai boulot. Fallait oser.
En passant en revue un panel de chansons du « petit taureau » toulousain cette troupe hétéroclite, trio de jazz, plus chanteur guitariste, plus ensemble orchestral à vocation symphonique a fait le boulot sous une direction bicéphale, Philippe Duchemin au piano, assisté d’un jeune chef originalement chaussé de baskets rouges, Yves Bouillier, incisif autant que décisif à la baguette.
En continuum on aura successivement entendu La pluie fait des claquettes, objet ciselé à base d’un contrepoint bâti sur sur un petit tapis de cordes. Cécile ma fille thème en mode icône, marqué du bon niveau de lyrisme, juste ce qu’il faut, nimbé de jolis contrechants de piano en duo avec une voix restée sage, respectueuse. Déjeuner sur l’herbe, morceau moins connu, exploré fort d’un retentissement de cuivres émergeant de la masse orchestrale en appui sur une rythmique binaire donnée toute en souplesse. Prisonnier des Nuages dû à la plume de l’incontournable Maurice Vander dans l’univers du chanteur amoureux du Jazz autant que de la Java, moment du concert où Christohe Davot invité à le célébrer choisit alors d’ajouter une guitare comme cordes à son vocal. Et puis et puis Les Pas, Dansez sur moi etc.
Alors bien sûr, à vouloir se plonger ainsi nu d’influences dans les courants de l’univers musical « poiétique » propriété privée de Nougaro- pour reprendre un qualificatif propre à Berrnard Lubat qui le côtoya à l’occasion baguettes en main- on peut se retrouver confronté à quelques décalages à la limite inappropriés. Car il n’est certes pas aisé de décocher (décrocher de ?) le swing initial, voix ici appuyée sur guitare et piano seulement, par exemple à propos des Rimes que ce Claude, chantre sacralisé de la cité des violettes, avait emprunté lui déjà au batteur Aldo Romano. Où lorsque la magie de la scansion nougarienne, sa marque de fabrique, décidément a un foutu mal à se faire oublier. Du coup, sans doute après réflexion, à la mi-temps de ce match joué singulièrement pour et par Nougaro, la voix laisse place un instant au seul récit de la guitare à coup de glissando, en octaves, cette fois histoire d’illustrer, refrain après refrain, les mésaventures des « Don Juju…les Don Juan», chant masculin plus-plus aujourd’hui sans doute un tantinet incongru à certaines oreilles, lancé il est vrai -ça c’était avant !- trente ans avant les cent coups du mouvement «Me too», porté par les syncopes dansantes au possible d’une musique signée Michel Legrand.
Trente ans, tiens justement, c’était à Tarnos cité communiste alors, le temps du lancement de l’École Municipale de Musique. Aujourd’hui, la dite cité on l’a dit politiquement ville rose. Nougaro, chanteur et poète toulousain, avait sans doute aussi un don de…prophète.
Robert Latxague