The Bridge 2.13 en Centre Bretagne

Nouveau lieu, dans le petit village breton de Paule, l’Eldorado accueillait hier la version 2.13 de The Bridge, dispositif d’échange transatlantique, pour une rencontre avec quelques membres des collectifs Nautilis de Brest et Musiques Têtues de Rostronen.
Paule, six centaines d’habitants, se situe au Sud de la N164 qui relie Carhaix à Rostronen, et à l’ouest de Glomel qui fut quelques temps, au siècle dernier, la capitale de la clarinette populaire. On est au centre de la Bretagne, en « climat océanique franc », avec le record de France de l’insolation annuelle la plus faible, et cependant, ou peut-être pour cette raison, en zone forte activité populaire et dansante. Le clarinettiste Étienne Cabaret nous en a donné quelque idée dans une long interview publiée l’été 2024 dans ces pages : « Du Tronc de chou au Moger Orchestra » On y évoquait le collectif Musiques Têtues sis à Rostronen même, et les échanges avec l’ensemble brestois Nautilis du clarinettiste Christophe Rocher.
C’est un membre des Musiques Têtues qui a créé récemment à Paule l’Eldorado, bar et studio d’enregistrement qui accueillait hier le neuvième concert de la tournée de The Bridge 2.13.
Imaginé en 2013 par Alexandre Pierrepont, The Bridge est un dispositif d’échange entre musiciens nord-américains et leurs confrères français, chaque édition réunissant une petite formation franco-américaine destinée à tourner sur les deux continents. La présente édition qui en est à son voyage “aller” réunit le tromboniste Jeff Albert au large spectre esthétique puisque familier de La Nouvelle-Orléans, on a pu l’entendre dans les contextes les plus variés, des rôles de sideman auprès de Nathalie Cole à sa présence sur les aventureux catalogues phonographiques Clean Feed et RogueArt. Le saxophoniste Lennard Simpson (alto) et le contrebassiste Christian Dillingham ne sont pas moins complet dans leur parcours. Ils ont été associés au pianiste Paul Wacrenier, fondateur du Healing Orchestra, à mi-chemin entre la rébellion du free jazz, un certain goût pour une lisibilité festive extra-européenne ; et au batteur Nicolas Pointard, secret trop bien gardé de la scène bretonne au sein du Nautilis Orchestra, authentique personnalité d’une disponibilité rare.
C’est ce quintette qui ouvre la soirée par deux improvisation libres, loin des fureurs et des saturations sonores du free, même si la seconde connaîtra quelques débordements, l’écoute réciproque imposant néanmoins tout du long ici une relative douceur, Lennard Simpson opposant aux lignes claires du trombone une vertigineuse virtuosité de doigté à peine articulé balayant tout le registre de son instrument de façon insaisissable sur de discrètes ponctuations du Fender Rhodes, le tout assis sur la solide contrebasse de Christian Dillingham quoique hors tempos, Nicolas Pointard habillant et dynamisant l’ensemble par une répartition des timbres d’une grande fluidité. Il apparaît que les huit concerts précédents du groupe ait largement contribué à la cohésion du groupe et à sa façon de se distribuer dans l’espace et le temps.
Deuxième partie tout aussi impromptue, mais cette fois avec quatre invités avec qui faire connaissance : la violoniste Floriane Le Pottier et le saxophoniste baryton des Musiques têtues, et le clarinettiste (basse, soprano et sopranino) Christophe Rocher et l’accordéoniste Céline Rivoal. Si le propos est moins sûr, on sait ici s’écouter comme le montre d’emblée cet échange de propositions elliptiques introductives entre Régis Bunel et Jeff Albert autour desquels le collectif viendra s’articuler jusqu’à un grand tutti free. Il m’a semblé remarquer l’influence notoire de Pointard par ses silences, ses entrées en matière et ses montées soudaines en puissance donnant du relief à ces tutti qui peuvent vite tourner à la vanité. La place du violon non sonorisé et de l’accordéon est délicate face aux vents, c’est dans l’exagération de ces tutti ou les moments pianissimo leur étant réservés que l’archet et le soufflet trouveront leur place. C’est en tout cas à eux – à elles – et à Christophe Rocher (plus Wacrenier usant de ses doigts ou d’un archet sur des sortes de guembri et une kalimba) que l’on dut à cet impromptu – dont on se demanda un moment comment il pourrait finir – un final féérique. Franck Bergerot
The Bridge 2.13 donnera son dernier concert européen ce vendredi 17 octobre à Brest, au Vauban, dans le cadre de l’Atlantique Jazz festival, à la même affiche que le duo Noël Akchoté / Benoît Delbecq. Le 18, place au programme Carla Bley de l’ONJ de Sylvaine Hélary, cette fois-ci au Vauban. Rappelé en dernière minute à Paris, je n’y serai pas, mais me rattraperai le 22 novembre à Quimper. Franck Bergerot