Jazz live
Publié le 4 Juil 2023

Tremplin ReZZo Jazz à Vienne 2023 : Bravo aux lauréats !

À Jazz À Vienne se tenait depuis hier, en amont des concerts du soir au Théâtre Antique, le Tremplin ReZZo Jazz, délocalisé, lui, sur la scène du site archéologique de Cybèle, une centaine de mètres plus bas. Jazz Magazine est partenaire du Tremplin depuis plusieurs années maintenant, et votre fidèle serviteur eut l’honneur de faire partie du Jury, présidé par la chanteuse Sarah Lenka, aux côtés d’Antoine Rajon (label Komos), de Yamilé Bengana (Studio de l’Ermitage), Catherine Carette (FIP), et Mathilde Favre (BNP Paribas).

Un tremplin convoité

 

À la clef de ce concours, un accompagnement artistique d’un an, comprenant une résidence d’artiste, l’enregistrement d’un album pour le label Komos, un suivi médiatique par Jazz Magazine, un concert de sortie d’album à Paris, ainsi que de nombreuses dates de tournée, en France mais aussi à New-York, et surtout l’ouverture de l’édition 2024 du festival Jazz à Vienne, sur la scène du Théâtre Antique.

En lice pour le gros lot, sept groupes, tous Français, ont concouru. Envoyés à la présélection du festival Jazz à Vienne par des festivals régionaux, des formations de toutes natures et de toutes espèces y défilèrent, mais il fallut que le jury n’en retienne qu’une. Je passerai brièvement sur ceux qui n’ont pas gagné, car ils méritent bien quelques mots, et serai un peu plus précis à propos des vainqueurs.

 

La première session du tremplin fut riche en couleurs, et chargée du brusque contraste émanant d’une succession de projets forts, et fort différents. Tout d’abord la harpe d’Emilie Chevillard et le piano préparé de Peggy Buard, deux instruments qui furent décortiqués sous nos yeux ébahis. Les deux musiciennes ont su nous faire découvrir les possibilités de ces cordes réunies, sachant marier un impressionnisme musical proche de celui de Séverac et des sonorités concrètes, parfois nippones, parfois percussives, et tout cela avec grande délicatesse. On regrette que la pianiste ne fut pas plus aventureuse et sorte des sentiers déjà battus par les expérimentateurs de jadis, car cette expérience est aujourd’hui dénuée de risques.

Ensuite, le trio Lapsus (Bruno Rougevin-Baville (p, k), Antoine Brunet (b, k), Félix Faviez (dm) était là pour en découdre. Il nous inonda d’un jazz-rock-prog-électro endiablé, dont le principe semble être fondé sur une perpétuelle frustration, suscitée par la succession de séquences aux intensités variables, des cuts abrupts, puis des reprises violentes, et ainsi de suite, sans même qu’on puisse s’apercevoir que le set est composé de plusieurs compositions. Sur scène, tout est carré, bien en place (nécessaire pour générer de telles intempéries), et le groupe possède une flamme qui ne faillit pas à nous embarquer dans son univers embrasé, maximaliste, mais un peu trop superflu.

Quant au quintette Circé (Léa Ciechelski (s), Arthur Delaleu (g), Alix Beucher (g), Nicolas Zentz (cb), Axel Gaudron (dm)), il ne fait aucun doute que celui-ci joue plus sur la structure de ses compositions et des arrangements sensibles. Des arrangements très convaincants même. Sur Ligne, la ligne est claire, les arrangements montrent une belle épaisseur sans être surchargés, le groupe est disposé de telle sorte que les deux guitaristes répondent au duo saxophone/contrebasse. Puis on perd peu à peu ce fil conducteur alors que les placements se font moins efficaces, et les compositions moins structurées au fil du set…

Ce premier tour est clos par Chocho Cannelle (Timothé Renard (cl, bcl), Camille Heim (hp), Arthur Guyard (p, k), Léo Danais (dms)), quartette qui ne nous est pas inconnu puisqu’il a gagné il y a peu le tremplin de La Défense, et fut repéré il y a quelques mois dans nos pages.

 

Lors de la seconde session du tremplin se croisèrent le trio Verb, le trio Tatanka, puis le quartette East Aces.

L’univers proposé par Tatanka (Emmanuelle Legros (bgl, t, v, toy p, comps), Guillaume Lavergne (p, fender rhodes, synth b, v), Corentin Quemener (dms, perc, v), chargé de folklores inconnus et d’expérimentation tâtonnante et rangée resta hermétique. L’hermétisme fut d’ailleurs le mot d’ordre dans cette performance où évoluèrent quatre entités distinctes : un claviériste, une souffleuse, un percussionniste, un public ; sans qu’aucune énergie ne semble les relier.

Enfin, East Aces (Nicolas Tuaillon (s, fl, fx), Tom Chaize (k), Claire Brunner (b, compos), Léo Gross (dms)) délivra une performance millimétrée et énergique, avec du groove en tête de gondole. On regrette que le saxophoniste, qui prenait beaucoup de place dans des interventions pas toujours pertinentes, ne fut pas un peu plus en retrait, laissant s’exprimer la bassiste, qui porte clairement l’identité du groupe, et plus généralement le trio claviers-basse-batterie, qui a sans doute beaucoup de ressource.

 

Le choix du jury

 

Le trio Verb. Crédits : ©Franck Benedetto

 

Le coup de coeur du jury fut, sans aucun doute,  le trio Verb, originaire d’Amiens, repéré à Jazz En Nord, et formé par trois amis : Noam Duboille au piano, Charles Thuillier à la contrebasse, et Garcia Etoa Ottou à la batterie. Le jeune, très jeune trio (18, 20 et 26 ans), nous a d’abord touché par sa capacité à dialoguer, à se répondre, à créer un langage qui lui est propre, et qui nous a aussi parlé. Ce rapport au jazz était annoncé d’emblée, puisqu’au commencement était… le nom du trio. Sur scène, l’interplay est frappant. Si les trois amis ne jouent ensemble que depuis un an, on perçoit déjà la compréhension du style de chacun, parfaitement intégré dans les arrangements. En effet, les influences du trio sont diverses, de l’afrojazz au swing, avec parfois des touches de free, mais Verb a l’audace de ne jouer que des compositions qui sont le fruit du travail de ses trois membres. Formé au CRR d’Amiens Métropole (depuis un an seulement pour le batteur, qui est avant tout autodidacte), le trio fait montre d’une technique irréprochable, mais celle-ci est au service de la sensibilité et de la nuance. Noam Duboille maîtrise une finesse dans les aigus qui se fait rare, et saura bientôt tutoyer le toucher délicat des grands, tels Peterson ou Jamal. Garcia Etoa Ottou insuffle discrètement ses origines camerounaises dans ses compositions, et montre un amour sincère pour les rythmes latins. Selon ses propres mots, il recherche avec son instrument l’harmonie, plus que le percussif, et rêve de pouvoir être le premier batteur à jouer de la musique de chambre. La simplicité, la délicatesse et le chant qu’on pouvait trouver chez Max Roach, il les tient déjà entre ses doigts. Une complicité particulièrement forte lie le pianiste et Charles Thuillier, le contrebassiste, qui sont aussi des techniciens de l’écoute, et font de l’interplay une partie de plaisir.

Un grand bravo au trio Verb, qui a su faire l’unanimité ce soir. Affaire à suivre…

 

©Franck Benedetto

 

Walden Gauthier

 

Crédits photos : ©Franck Benedetto