Jazz live
Publié le 26 Oct 2025

Triptyque Tal Coat par Baptiste Boiron

Hier, 24 octobre à la salle Lein Roc’h de Kergrist-Moëlou, à l’affiche du festival Klasik, le saxophoniste et compositeur Baptiste Boiron donnait en première exécution le tryptique qu’il composa en 2020 en hommage au peintre breton Tal Coat.

Voici quelques années que Baptiste Boiron apparaît dans ces pages consacrées au jazz, et ce dès 2020 pour l’enregistrement au Centre d’Art de Kerguéhennec,avec Fred Gastard et Bruno Chevillon, de son trio “Là” – nb : le covid couvait et ses retraites obligées qui allaient inspirer à Marc Ducret son quartette “Ici”. Je me demande si je ne vais pas donner pour titre générique “Ici et là” à mes chroniques vagabondes et “transgenres”. Avec Boiron (et Ducret d’ailleurs), comme on va le voir, on n’est toujours sur la crête entre les genres “classique-contemporain” et “jazz”.

Actif en effet tant dans le domaine du jazz que ceux des musiques classiques et contemporaines, voire des Arts plastiques où il est titulaire d’une maîtrise, il fut un assidu du domaine de Kerguéhennec alors sous la direction d’Olivier Delavallade. Il s’y familiarisa notamment à l’œuvre du peintre Tal Coat dont le domaine est dépositaire, et y créa, en 2010 à la tête de son ensemble de l’époque Chrysalide, un première version d’Affleure de pierre inspirée de son travail de graveur. Par la suite, il n’a cessé de fréquenter son travail qui lui inspira une nouvelle version de cette première évocation complétée lors de sa résidence de 2020 par les deux volets complémentaires de ce qui devint un tryptique : Aflleure de terre renvoyant aux épaisses matières patiemment travaillées par le peintre et Affleure d’eau évoquant l’aquarelliste. Chacun de ces “panneaux musicaux” imaginés par Boiron étant introduit par la voix de Tal Coat lui-même tirée d’entretiens radiophoniques, et illustré par la projection d’œuvres à l’écran.

À l’issue de deux semaines de résidence, l’une en août et l’autre en ce mois d’octobre, accueillies à l’École de musique et danse et au théâtre du Kreiz Breizh, le partenariat technique de Ty Films et de la Grande Boutique ont permis en outre l’accueil à la Salle Lein Roc’h (Kergrist-Moëlou) de cette création par le festival Klasik (festival d’automne de musiques classiques et contemporaines itinérant en Centre Bretagne). Un tel événement dans un village de 600 habitants hors saison estivale, est-ce imaginable ? Ça l’est à Kergrist-Moëlou, … où nous avons déjà connu par le passé quelques belles émotions musicales, toujours devant un public de curieux, attentif à enthousiaste, friand de surprise et découverte. Ça doit dépasser l’entendement de Rachida Dati.

Le dispositif

Aller plus loin dans le compte rendu de l’œuvre qui y était présentée par Baptiste Boiron, armé de mon expérience critique dans le domaine du jazz et d’une fréquentation très épisodique et intuitive de la musique contemporaine, n’est pas sans présomption. Commençons par décrire le dispositif orchestral : saxophones alto et soprano (Baptiste Boiron qui assure également la direction, certains départs étant lancés par l’un ou l’autre de ses comparses), violoncelle (Benjamin Boiron… le frère de), piano préparé ou non (Frédérique Lory), Nicolas Marchand (percussions).

Impressions sur l’écriture

J’en retiendrai dès les premières mesures du premier “mouvement”, l’impression paradoxale d’une écriture homophonique pulvérisée dans le temps par des micro-instants d’éparpillement polyphonique du fait d’authentiques dissociations mélodiques, ou de décalages rythmiques (retards, étirements, rétractations) ; soit qu’elle se disperse dans l’espace : de l’unisson exact ou altéré par des effets de micro-tonalité sur le saxophone et/ou le violoncelle, à l’harmonisation tantôt dissonante par atonalité, tantôt évocatrice de quelque consonance tonale ou modale.

Impressions sur la forme

Ceci pour ce qui est du langage. Quant à la forme, la mémoire immédiate ayant tendance en terrain inconnu à effacer ce qui précède, j’ai gardé un souvenir plus précis de la dernière pièce, Afflleure d’eau, qui me berça tout au long de la petite heure de voiture de ramenant à mon domicile. Souvenir d’une sorte de rituel, m’évoquant – à moi… on ne saurait en déduire une intention du compositeur – les cérémonies des temples tibétains et leurs gestes sonores aux étirements répétés par vagues successives jusqu’à une sorte de résolution intermittente à trois reprises, genre de climax, qui voit ces gestes lents tout à coup précipités dans une subite exaspération sonore, comme destinés à rompre l’envoutement. Soit une sorte de minimalisme que l’on trouvait à l’œuvre dans la suite pour orgue baroque composée par Boiron et créée l’été dernier par Tom Rioult dans le cadre des jeudis de Quelven à Guern.

Complainte

Dommage qu’une telle œuvre, ayant exigé un tel travail d’assimilation par ses interprètes, n’ait pu donner lieu à d’autres exécutions en d’autres lieux. Comme toute œuvre inédite, on aimerait la réentendre afin de s’y sentir plus chez soi, et voir aussi l’interprétation – tout comme notre écoute – s’assouplir au fil de plusieurs autres qui pourraient être aussi l’occasion de réduire les citations de Tal Coat de quelques redondances, d’inutiles diversions, et peut-être, pour suivre l’avis d’autres auditeurs non affectés comme moi du syndrome de la mémoire immédiate, de resserrer les 30 minutes de la pièce médiane, Affleure de terre. Franck Bergerot

Prochains spectacles du festival Klasik : Le Quatuor, création théâtre et musique par la Cie Kaleïdoscob,le 15 novembre à Saint-Nicolas-du-Pélem ; Le Chant de l’âme, l’histoire de Clara et Robert Schumann par le baryton-basse Pascal Gourband et la violoncelliste Vérène Whestphal de la Cie Alla Voce, le 23 novembre à la salle Rokonan de Saint-Connan ; l’ensemble Saxback, le 3 décembre à la salle Guillaume Le Caroff de Rostrenen.