Jazz live
Publié le 6 Juil 2023

Troisième édition du Mandol’inMarseille Festival

En attendant que Marseille jazze aux Cinq continents du 8 au 27 juillet, la ville continue à s'ouvrir à la mandoline avec l'ouverture du troisième Mandol'inMarseille Festival ce mercredi 5 juillet, au Conservatoire Pierre Barbizet...

Ouverture du 3èmeMandol’in Marseille Festival du 5 au 14 Juillet 2023

Mandol’In Marseille Festival (mandolinmarseillefestival.com)

En attendant que Marseille jazze aux Cinq continents du 8 au 27 juillet dans des lieux choisis (Vieille Charité, Abbaye de St Victor, Mucem, le théâtre Sylvain, et bien sûr le Palais Longchamp, site premier du festival), la ville continue à s’ouvrir à la mandoline avec la troisième édition du festival Mandol’inMarseille, créé en 2021 par Vincent Beer Demander, mandoliniste, compositeur, enseignant qui a réouvert à Marseille en 2009 la classe de mandoline au Conservatoire. Il voulait ainsi témoigner des cent ans de l’ouverture de la première classe de mandoline au monde au Conservatoire Pierre Barbizet. Juste retour des choses, Marseille fut l’une des capitales de cet instrument.

On a eu chaud, cette troisième édition aurait très bien pu ne pas commencer dans la cité meurtrie lors des émeutes du week end dernier. Mais le calme était revenu, y compris à la Régie des Transports de la ville qui assurait hier soir un service normal. Et le Conservatoire Régional Pierre Barbizet, autre lieu emblématique, accueillait en la personne de son directeur, le jazzman Raphaël Imbert,  une version réduite de l’Orchestre Philharmonique de Marseille (où le piano est remplacé par le clavecin) dirigée par le chef Benjamin Lévy avec le mandoliniste Vincent Beer-Demander. Rappelant les liens très forts entre l’Opéra et le Conservatoire où nombre de musiciens ont fait leurs études et y sont devenus professeurs, Raphael Imbert souligne que c’est la première fois que cette maison (où fut créée la première classe jazz en France en 1964 avec Guy Longnon) accueille en ses murs l’autre grande maison phocéenne pour un concert particulièrement original, vraiment atypique.

Dans une célébration symphonique des plus réjouissantes, c’est avec le programme un peu remanié de son dernier album Mission Mandoline (sorti sur le label Maison Bleue en juin dernier) que Vincent Beer Demander continue cette aventure avec une équipe des plus dynamiques et professionnelles.

Ce festival itinérant profite de la puissance de vie de la cité phocéenne, du tissu associatif solidaire et populaire, favorisant le mélange des genres, d’une fragilité qui fonctionne même en cette période si troublée et instable.

La programmation crée un pont entre générations et cultures avec des master classes, des scènes ouvertes à divers orchestres de mandolines dont celui des Minots de Marseille (l’OMMM) ou une académie populaire dans les quartiers,une soirée dédiée au grand Hamilton de Holanda entouré de cent mandolinistes venus des quatre coins du monde…

Vincent Beer-Demander n’est pas un musicien tout à fait comme les autres, il a du bagou et un enthousiasme communicatif! L’éclectisme déterminé de ses collaborations artistiques change l’image, en la démultipliant, d’un instrument longtemps figé dans un folklore napolitain ou slave avec la balalaïka, avant d’être immortalisé par Beethoven et les Romantiques. Il aura réussi à sortir cet instrument baroque du XVII ème de son répertoire de routine. Tout lui est possible : passer de Vladimir Cosma et ses Caprices à Régis Campo, André Minvieille et de Richard Galliano à Lalo Schifrin. Quelque chose nous dit que le jazz aura bientôt toute sa place. Il n’ a pas hésité à aller à la rencontre de compositeurs confirmés qui ont pratiqué tous les styles d’écriture, souvent pour le cinéma, Lalo Schifrin, Ennio Morricone, Claude Bolling, Nino Rota… et aussi Vladimir Cosma.

Comme nous sommes à Marseille, le concert en plein air débute par son Concerto mediterraneo pour mandoline et orchestre de 2015 qui met en valeur les possibilités de la mandoline, petit luth au manche court que l’on joue sans archet mais avec une “plume” ou plectre ( le médiator des guitaristes). Vladimir Cosma est à l’aise dans toutes les formes, de la fugue à la symphonie, des caprices aux thèmes de jazz. Relire à cet égard le numéro 756 (février 2023) de Jazzmagazine où le compositeur confiait à Fred Pallem son amour du jazz.

Si le caprice est une forme libre qui s’apparente aux thèmes et variations chers au jazz, ce concerto fait sonner l’instrument de façon virtuose, entre liberté et rigueur. Sans s’affranchir du processus collectif de création, le mandoliniste donne la pleine mesure de son talent dans le thème principal, issu de l’opéra Marius et Fanny qui donna l’occasion à Vladimir Cosma de peindre une grande fresque brassant instruments populaires et orchestre classique.

Suit une pièce très intéressante de Régis Campo, un Cinematic Concerto qui salue Ennio Morricone, Lalo Schifrin, Gabriel Yared et Vladimir Cosma respectivement dans “Tango”, “Follia” (courte variation sur basse “obstinée”), une “Berceuse” poétique où intervient le son délicat du clavecin et  une “Dance pop” des plus énergiques où s’illustrent timbales et tout un jeu de petites percussions : claves, wood block, mini-vibra, jeu sur les cymbales de la batterie et un curieux appeau, une trompinette-jouet en plastique.

C’est enfin le tour d’un autre compositeur passionnément éclectique Lalo Schifrin. Tout le monde a entendu ses musiques de séries ou de films, mais les amateurs de jazz le connaissent pour sa collaboration féconde avec Dizzy Gillespie et sa Gillespiana Suite (1961). Véritable homme-orchestre, son désir a toujours été de réunir jazz et musique symphonique et il y parvint avant son “Jazz meets Symphony” de 1992. S’il aime le baroque et le clavecin, il joue des percussions, des cuivres dans ses oeuvres symphoniques. Pourquoi alors ne pas écrire pour la mandoline ?

Nous n’entendrons que le premier mouvement de son Concierto del Sur (2018), une “Fantasia” joyeuse où tout de suite éclate le talent de ce compositeur star, qui a toujours expérimenté de nouveaux arrangements et dispositifs, rompu à toutes les disciplines musicales. On reconnaît son style élégant, si particulier, à la puissance souple : une tenue rythmique énergique, rapide et excitante, percussive; une utilisation particulière des instruments et de leurs timbres aux couleurs très vives.  Immédiatement séduisante, sa musique révèle une grande maîtrise de la forme, et pour ce qui est de la mandoline, l’orchestration ouvre les espaces nécessaires pour que l’instrument se détache de l’orchestre.  “La petite soeur de la guitare” qui a la tessiture du violon ( du sol grave au la suraigu) se joue sur une corde ou sur les doubles, avec des trémolos tenus ou des notes poussées au plectre, entre pouce et index, avec des effets de percussion possibles sur la table d’harmonie, au dos de l’instrument. Tout l’instrument entre alors en résonance pour produire le son. Sous les doigts de Vincent Beer-Demander, l’instrument en met plein la vue et l’ouïe.

Les “Variations sur un thème de Lalo Schifrindu pianiste-enseignant au conservatoire Nicolas Mazmanian célèbrent et revisitent le parcours de Lalo Schifrin à travers Mission : impossible qui fit sa renommée. Sept variations évoquent de près ou de loin le thème qui se diffuse tout au long du mouvement pour éclater au final. Dans une orchestration efficace qui joue de timbres éloquents, on écoute captivé le développement mélodique comme on suivrait une histoire que l’on nous raconterait, une suite-portrait du compositeur argentin, écho à sa « Gillespiana » en somme. « Tango » pose le cadre emblématique des origines argentines en sol mineur, tonalité du thème,“Nostalgia” évoque directement en 5/4 la mesure du thème, mais pas à la manière d’une poursuite comme dans la série. Puis, on retrouve les trois premières notes dans un “Preludio” arpégé inspiré de Bach; “Cancion” s’ouvre  gaiement comme une chanson en réutilisant encore les premières notes mais cette fois au centre de la pièce avant “La vida coloreada” aux rythmes sud-américains tout en effets percussifs. “Armonizacion” s’inspire des couleurs et modes du maître Messiaen. Et le thème de la série de 1967 resurgit en majesté avec la poussée des timbales, le crash des cymbales…

Le public emballé en redemande même si le soliste rappelle que commence un festival où son engagement est total. Le premier rappel fait honneur au jazz avec Claude Bolling, pianiste disciple de Duke Ellington, chef d’orchestre qui créa son big band dès 1956, et composa les musiques de films Borsalino  (1970) de Jacques Deray, Le Magnifique de Philippe de Broca (1973) et aussi le feuilleton des Brigades du Tigre… Une personnalité hors norme qui très tôt a combiné trio jazz avec soliste classique (le flûtiste marseillais Jean-Pierre Rampal).

On reste dans un certain “baroque” avec ce concertino “Encore” où la mandoline swingue élégamment avec les deux contrebasses, alors que la batterie balaie à coeur joie. Le final est en hommage au style de Earl Hines avec lequel joua Claude Bolling en 1948.

Pour finir cette soirée estivale , encore du cinéma avec un autre très grand compositeur Nino Rota et son “Padrino” arrangé magnifiquement par le pianiste Christian Gaubert (encore un marseillais , eh oui!) qui écrivit sans frontière pour le mandoliniste faisant voyager de Marseille où tout commence à l’Italie avec cette reprise bienvenue du thème du Parrain conçu pour la mandoline. Un ancrage populaire avec une mélodie simple, émouvante, jouant avec la matière musicale pour en faire une miniature pour mandoline.

On sort rasséréné de ce concert après avoir écouté ce mandoliniste qui avec panache, détermination et quelque exagération déclara un jour que “la mandoline sauverait le monde”. Gageons que s’il “faisait” du jazz, il ne se contenterait pas du thème-solo-thème, mais créerait des mélodies conjointes avec un combo ou en grand ensemble. Et cette mission là serait tout à fait possible…

PS: Un dernier conseil, regardez donc ce teaser avant qu’il ne s’auto-détruise…

Vincent Beer-Demander – YouTube

Sophie Chambon