Jazz live
Publié le 27 Août 2012

Uzeste: trente cinq ans c'est encore jeune !

Mais que cherche au juste Lubat  ce hilh dou diable (littéralement « fils du diable » en langue gasconne) de musicien hors norme? La 35e édition du Festival d’Uzeste s’est terminée ce dimanche avec un solo de Martial Solal sous le joli chapiteau de cirque planté ras le terrain de foot niché au beau milieu des pins. Le (jeune) fils prodigue/prodige du village girondin avait décrété Uzeste « Territoire des soli sauvages » dès l’édition originale à la fin des seventies. Désormais baptisée Hestejada de las arts (soit un mix de fête/festival des arts au pluriel) se veut devenir bientôt le rendez vous tête de pont estivale d’un projet de Centre multi arts « local mondial » indépendant des structures officielles.

 

Hestejada de les arts

24-25 aout, Uzeste (33)

Bernard Lubat, Jean Louis Chautemps, Archie Shepp, Beñat Achiary, Louis Sclavis, François Corneloup, Vanina Michel, Francis Marmande, Fabrice Viera, Louis Lubat, Raphael Quenehen, Thomas Boudé, Jules Rousseau, Pierre Lambla, Paolo Chatet, Quentin Gomari, Christian Ducasse

 

Le problème d’Uzeste serait-il  de ne pouvoir considérér le jazz comme unique bonheur ? Enfin on veut dire le swing, le beat, le groove, l’improvisation, son cœur de chauffe quoi question musique.  Donc loe prendre, l’allumer et l’étreindre avec ses limites. Bref que cherche donc Lubat éternellement parmi se(s) foutu(es) air(e)s de jazz réaffirmé(e)s ? Ce vendredi au cœur de la nuit le prétexte du concert est pourtant clairement annoncé : hommage sera rendu au compositeur Jeff Gilson qui jadis l’hébergea sur son label Palm. Sauf que sur scène comme de bien entendu ça part dans tous les sens. Avec d’ailleurs pour commencer, comme entre parenthèses, deux ou trois chansons à texte de la voix bluesy de Vanina Michel s’accompagnant au piano. Et puis surgit une autre voix , solo de scat satrape d’André Minvielle autre légendaire gojat (enfant) du cru faiseur et défaiseur de mots français et gascons à la fois qu’il met en voix seul comme un grand. Sclavis le suit, fidèle parmi les fidèles du lieu, seul lui aussi, armé de sa clarinette basse, vecteur de vie aussi grave qu’aigu. Le chapiteau chaud s’offre ce soir là… Vient alors Bernard Lubat qui s’empare du piano…alors tout l’orchestre déboule en fanfare, la nouvelle Compagnie, ses cuivres, ses basses, ses guitares avec les guest stars Chautemps et Shepp, enfin, que le public attend depuis les trois coups. Shepp empoigne son ténor et la moitié de l’orchestre le laisse faire. L’écoute même comme il sied à un maître. Le ténor enfle, se tord, crie, rocke rauque. Alors Lubat fait sonner sur le Steinway des basses redoutables. Tiens, on dirait bien du blues… Et oui, ça s’enflamme de partout, les cuivres déboulent en section, les basses s’additionnent, le beat devient épais. Il est temps désormais pour Archie S. de poser son ténor et venir  chanter le blues sur 12 mesures répétées sans mesure. On est entré une fois encore dans l’Uzeste de toujours, en l’an 35 comme au premier jour avec d’éternels accents de démesure. La preuve :  Beñat Achiary hurle sa soul à lui, sauvage, violente, par la trippe directement jaillie des tréfonds des vallées d’Euskadi, drôle d’écho de couplets taillés au cordeau dans les notes bleues de Shepp. Lequel yeux dilatés n’en revient pas de voir le cri du basque hors stricte esthétique (jazzistique) prendre en volume nettement le dessus. Le public d’Uzeste, embarqué de force dans cette partie de jazz soule (jeu de batailles moyenâgeux façon corps à corps plutôt violent qu’on dit ancêtre du rugby) crie son plaisir. En redemande même.

Lorsque revient l’apaisement, Shepp prend illico à son compte au sax ténor les sons les plus graves pour introduire Body and Soul. Paradoxalement avec piano et synthé conjugués Lubat parait ne pas lui emboiter  le pas spontanément, jouant sur une ligne parallèle. Uzeste toujours, et ses moments inédits dédiés au décalage. Avant qu’une fois encore, sous les relances, martelées au clavier ou à partir de grands moulinets de bras, le maître des lieux viré gourou ne fasse venir tout l’orchestre labourer sur le sillon du thème de légende. Le jazz est revenu. On jurerait que Bernard L. l’a soudain décidé et voulu.

Un peu plus tôt, et comme en intermède, en respiration nécessaire à l’appellation rigolote du moment : «  les 35e rougissants » Uzeste a convoqué des images de son passé. Autant de magnifiques photos en noir et blanc signées Christian Ducasse. Elles retracent des moments du festival glanés sur une décade. Elles n’ont pas besoin de son, ni de légende, elles regorgent de sens. Elles datent les portraits, elles fixent les moments, le tempo. Elles disent du festival si particulier qu’il est pour la musique, un passage singulier. Et font de Lubat qui ne résiste pas, impayable faiseur ,   à les qualifier de mots, un passeur. Lubat, expert dans l’art de la passe croisée, plus d’un tiers de siècle après que cherche-t-il au juste ?

Reconnaissance ? Notoriété ? Perpétuité ? Label de qualité ? Expertise ? Droit d’exploration ? D’expérimentation ? D’auto dérision ? Au beau milieu de la densité affichée dans son phrasé tellement atypique et engagé, il ne fait pas bon aller chercher une seule réponse, simple, claire, identifiée, simplifiée. Donc définitivement authentifiée. Pourtant une part de sa vérité intérieure de musicien et d’homme de cultures (militant dans ce sens est un terme qui chez lui, attaché à la trace de son personnage, sonne vrai) on la trouve à n’en pas douter dans son spectacle baptisé  « La nuit de l’Amusicien d’Uz » Deux heures d’une saga très personnelle donnée non stop, construite avec beaucoup de travail et de repères autour d’un discours fleuve, entrelardé de musiques, de cris, de mime, de pantomine, de théâtre, de marionnettes, de gags et gadgets, de bruits, de lumières, de flashs et de noirs, de chants et de cris mêlés. Un orage de phrases lancées comme autant de chocs et provocs, sculptées ou scalpélisées toujours sous l’angle de la dérision, de l’humour à chaud ou crachés jurés à gros traits. Le one man Lubat show invoque Apollinaire, André Breton, Cervantès, Bernard
Manciet
ou André Benedetto, figure un Faulkner des Landes et restitue dans le même espace temps des lignes de l’Album de la Comtesse du Canard Enchainé, invoque Freud, Marx et Groucho à la fois. Il joue et scatte Dizzy Gillespie, chante Nougaro, interprète Léo Ferré, flirte avec le tango, le boogie woogie, la biguine et la java, poétise et politise une leçon de batterie en décapante et hilarante parodie. Il électrise des baguettes fluorescentes, il suit du regard un drone hélicoptère scintillant dans des cieux reconstitués sous la toile du chapiteau. Pour finir le sketch en se frappant la tête façon gong dissimulée sous un récipient métallique.en mode d’auto flagellation. Lubat frappadingue ?

Qui sait ? Mais à le voir entrer en parallèle à bloc dans la musique et ne pas faire semblant et se livrer entièrement dans un jeu savant sur des caisses et des cymbales, puis à l’accordéon puis au piano enfin–au passage cette citation signifiante et surprenante de Yaron Herman extraite d’une interview à venir dans Jazz Mag « Bernard Lubat me bluffe complètement quand il joue du piano ! » réjouit d’autant plus l’audience que la partie strictement musicale s’affiche minoritaire en temps au regard de la durée totale du spectacle offert seul sur la scène…Putain ! Lubat musicien, ça sonne toujours foutument bien ! Le reste, tout le reste, contenant et contenu intimement enchâssés, franchement le mieux à faire reste de le voir, l’entendre, le vivre in vivo. Le pur jus Lubat est à consommer frais sur place.

Alors, bon, peut-être que le final d’images défilant en autant d’hommages aux familiers, aux fans et à sa famille du village berceau girondin exhalait un gout de trop de pathos, de passé façon émotion animées, tramées et sous pixélisées de Stan Getz, , Ponty, René Thomas, Eddy Louiss, Alby Cullaz,, Mimi Perrin, les Doubles Six, Portal, J F Jenny Clarke, Saint Germain des Près, le vibraphone, les notes acidulées du ,Fender Rhodes…Bon, « trente cinq ans dans les dents… » disait lui-même en soupirant le maître de cérémonie à propos des étés et hivers d’Uzeste ainsi écoulés.

Chercherait-il comme d’autres après tant d’années à conjuguer à tout prix au beau milieu d’un terreau de millions de pins ses phrases au présent comme au passé en gage d’à venir ? Non vraiment, Bernard Lubat n’a pas besoin de psy s’il considère lucidement son art d’improviser et sa capacité à jazzer. Témoin son envie intacte de « batailler » contre sa maire, les élus de droite comme de gauche, les ministres et les présidents. Et par-dessus tout, son obsession à pulvériser les clichés imbéciles qui persistent à obscurcir l’horizon de son Tout Monde » vital, Uzeste. Trente cinq balais, c’est encore jeune non , « gojat » ?

 

Robert Latxague

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Mais que cherche au juste Lubat  ce hilh dou diable (littéralement « fils du diable » en langue gasconne) de musicien hors norme? La 35e édition du Festival d’Uzeste s’est terminée ce dimanche avec un solo de Martial Solal sous le joli chapiteau de cirque planté ras le terrain de foot niché au beau milieu des pins. Le (jeune) fils prodigue/prodige du village girondin avait décrété Uzeste « Territoire des soli sauvages » dès l’édition originale à la fin des seventies. Désormais baptisée Hestejada de las arts (soit un mix de fête/festival des arts au pluriel) se veut devenir bientôt le rendez vous tête de pont estivale d’un projet de Centre multi arts « local mondial » indépendant des structures officielles.

 

Hestejada de les arts

24-25 aout, Uzeste (33)

Bernard Lubat, Jean Louis Chautemps, Archie Shepp, Beñat Achiary, Louis Sclavis, François Corneloup, Vanina Michel, Francis Marmande, Fabrice Viera, Louis Lubat, Raphael Quenehen, Thomas Boudé, Jules Rousseau, Pierre Lambla, Paolo Chatet, Quentin Gomari, Christian Ducasse

 

Le problème d’Uzeste serait-il  de ne pouvoir considérér le jazz comme unique bonheur ? Enfin on veut dire le swing, le beat, le groove, l’improvisation, son cœur de chauffe quoi question musique.  Donc loe prendre, l’allumer et l’étreindre avec ses limites. Bref que cherche donc Lubat éternellement parmi se(s) foutu(es) air(e)s de jazz réaffirmé(e)s ? Ce vendredi au cœur de la nuit le prétexte du concert est pourtant clairement annoncé : hommage sera rendu au compositeur Jeff Gilson qui jadis l’hébergea sur son label Palm. Sauf que sur scène comme de bien entendu ça part dans tous les sens. Avec d’ailleurs pour commencer, comme entre parenthèses, deux ou trois chansons à texte de la voix bluesy de Vanina Michel s’accompagnant au piano. Et puis surgit une autre voix , solo de scat satrape d’André Minvielle autre légendaire gojat (enfant) du cru faiseur et défaiseur de mots français et gascons à la fois qu’il met en voix seul comme un grand. Sclavis le suit, fidèle parmi les fidèles du lieu, seul lui aussi, armé de sa clarinette basse, vecteur de vie aussi grave qu’aigu. Le chapiteau chaud s’offre ce soir là… Vient alors Bernard Lubat qui s’empare du piano…alors tout l’orchestre déboule en fanfare, la nouvelle Compagnie, ses cuivres, ses basses, ses guitares avec les guest stars Chautemps et Shepp, enfin, que le public attend depuis les trois coups. Shepp empoigne son ténor et la moitié de l’orchestre le laisse faire. L’écoute même comme il sied à un maître. Le ténor enfle, se tord, crie, rocke rauque. Alors Lubat fait sonner sur le Steinway des basses redoutables. Tiens, on dirait bien du blues… Et oui, ça s’enflamme de partout, les cuivres déboulent en section, les basses s’additionnent, le beat devient épais. Il est temps désormais pour Archie S. de poser son ténor et venir  chanter le blues sur 12 mesures répétées sans mesure. On est entré une fois encore dans l’Uzeste de toujours, en l’an 35 comme au premier jour avec d’éternels accents de démesure. La preuve :  Beñat Achiary hurle sa soul à lui, sauvage, violente, par la trippe directement jaillie des tréfonds des vallées d’Euskadi, drôle d’écho de couplets taillés au cordeau dans les notes bleues de Shepp. Lequel yeux dilatés n’en revient pas de voir le cri du basque hors stricte esthétique (jazzistique) prendre en volume nettement le dessus. Le public d’Uzeste, embarqué de force dans cette partie de jazz soule (jeu de batailles moyenâgeux façon corps à corps plutôt violent qu’on dit ancêtre du rugby) crie son plaisir. En redemande même.

Lorsque revient l’apaisement, Shepp prend illico à son compte au sax ténor les sons les plus graves pour introduire Body and Soul. Paradoxalement avec piano et synthé conjugués Lubat parait ne pas lui emboiter  le pas spontanément, jouant sur une ligne parallèle. Uzeste toujours, et ses moments inédits dédiés au décalage. Avant qu’une fois encore, sous les relances, martelées au clavier ou à partir de grands moulinets de bras, le maître des lieux viré gourou ne fasse venir tout l’orchestre labourer sur le sillon du thème de légende. Le jazz est revenu. On jurerait que Bernard L. l’a soudain décidé et voulu.

Un peu plus tôt, et comme en intermède, en respiration nécessaire à l’appellation rigolote du moment : «  les 35e rougissants » Uzeste a convoqué des images de son passé. Autant de magnifiques photos en noir et blanc signées Christian Ducasse. Elles retracent des moments du festival glanés sur une décade. Elles n’ont pas besoin de son, ni de légende, elles regorgent de sens. Elles datent les portraits, elles fixent les moments, le tempo. Elles disent du festival si particulier qu’il est pour la musique, un passage singulier. Et font de Lubat qui ne résiste pas, impayable faiseur ,   à les qualifier de mots, un passeur. Lubat, expert dans l’art de la passe croisée, plus d’un tiers de siècle après que cherche-t-il au juste ?

Reconnaissance ? Notoriété ? Perpétuité ? Label de qualité ? Expertise ? Droit d’exploration ? D’expérimentation ? D’auto dérision ? Au beau milieu de la densité affichée dans son phrasé tellement atypique et engagé, il ne fait pas bon aller chercher une seule réponse, simple, claire, identifiée, simplifiée. Donc définitivement authentifiée. Pourtant une part de sa vérité intérieure de musicien et d’homme de cultures (militant dans ce sens est un terme qui chez lui, attaché à la trace de son personnage, sonne vrai) on la trouve à n’en pas douter dans son spectacle baptisé  « La nuit de l’Amusicien d’Uz » Deux heures d’une saga très personnelle donnée non stop, construite avec beaucoup de travail et de repères autour d’un discours fleuve, entrelardé de musiques, de cris, de mime, de pantomine, de théâtre, de marionnettes, de gags et gadgets, de bruits, de lumières, de flashs et de noirs, de chants et de cris mêlés. Un orage de phrases lancées comme autant de chocs et provocs, sculptées ou scalpélisées toujours sous l’angle de la dérision, de l’humour à chaud ou crachés jurés à gros traits. Le one man Lubat show invoque Apollinaire, André Breton, Cervantès, Bernard
Manciet
ou André Benedetto, figure un Faulkner des Landes et restitue dans le même espace temps des lignes de l’Album de la Comtesse du Canard Enchainé, invoque Freud, Marx et Groucho à la fois. Il joue et scatte Dizzy Gillespie, chante Nougaro, interprète Léo Ferré, flirte avec le tango, le boogie woogie, la biguine et la java, poétise et politise une leçon de batterie en décapante et hilarante parodie. Il électrise des baguettes fluorescentes, il suit du regard un drone hélicoptère scintillant dans des cieux reconstitués sous la toile du chapiteau. Pour finir le sketch en se frappant la tête façon gong dissimulée sous un récipient métallique.en mode d’auto flagellation. Lubat frappadingue ?

Qui sait ? Mais à le voir entrer en parallèle à bloc dans la musique et ne pas faire semblant et se livrer entièrement dans un jeu savant sur des caisses et des cymbales, puis à l’accordéon puis au piano enfin–au passage cette citation signifiante et surprenante de Yaron Herman extraite d’une interview à venir dans Jazz Mag « Bernard Lubat me bluffe complètement quand il joue du piano ! » réjouit d’autant plus l’audience que la partie strictement musicale s’affiche minoritaire en temps au regard de la durée totale du spectacle offert seul sur la scène…Putain ! Lubat musicien, ça sonne toujours foutument bien ! Le reste, tout le reste, contenant et contenu intimement enchâssés, franchement le mieux à faire reste de le voir, l’entendre, le vivre in vivo. Le pur jus Lubat est à consommer frais sur place.

Alors, bon, peut-être que le final d’images défilant en autant d’hommages aux familiers, aux fans et à sa famille du village berceau girondin exhalait un gout de trop de pathos, de passé façon émotion animées, tramées et sous pixélisées de Stan Getz, , Ponty, René Thomas, Eddy Louiss, Alby Cullaz,, Mimi Perrin, les Doubles Six, Portal, J F Jenny Clarke, Saint Germain des Près, le vibraphone, les notes acidulées du ,Fender Rhodes…Bon, « trente cinq ans dans les dents… » disait lui-même en soupirant le maître de cérémonie à propos des étés et hivers d’Uzeste ainsi écoulés.

Chercherait-il comme d’autres après tant d’années à conjuguer à tout prix au beau milieu d’un terreau de millions de pins ses phrases au présent comme au passé en gage d’à venir ? Non vraiment, Bernard Lubat n’a pas besoin de psy s’il considère lucidement son art d’improviser et sa capacité à jazzer. Témoin son envie intacte de « batailler » contre sa maire, les élus de droite comme de gauche, les ministres et les présidents. Et par-dessus tout, son obsession à pulvériser les clichés imbéciles qui persistent à obscurcir l’horizon de son Tout Monde » vital, Uzeste. Trente cinq balais, c’est encore jeune non , « gojat » ?

 

Robert Latxague

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Mais que cherche au juste Lubat  ce hilh dou diable (littéralement « fils du diable » en langue gasconne) de musicien hors norme? La 35e édition du Festival d’Uzeste s’est terminée ce dimanche avec un solo de Martial Solal sous le joli chapiteau de cirque planté ras le terrain de foot niché au beau milieu des pins. Le (jeune) fils prodigue/prodige du village girondin avait décrété Uzeste « Territoire des soli sauvages » dès l’édition originale à la fin des seventies. Désormais baptisée Hestejada de las arts (soit un mix de fête/festival des arts au pluriel) se veut devenir bientôt le rendez vous tête de pont estivale d’un projet de Centre multi arts « local mondial » indépendant des structures officielles.

 

Hestejada de les arts

24-25 aout, Uzeste (33)

Bernard Lubat, Jean Louis Chautemps, Archie Shepp, Beñat Achiary, Louis Sclavis, François Corneloup, Vanina Michel, Francis Marmande, Fabrice Viera, Louis Lubat, Raphael Quenehen, Thomas Boudé, Jules Rousseau, Pierre Lambla, Paolo Chatet, Quentin Gomari, Christian Ducasse

 

Le problème d’Uzeste serait-il  de ne pouvoir considérér le jazz comme unique bonheur ? Enfin on veut dire le swing, le beat, le groove, l’improvisation, son cœur de chauffe quoi question musique.  Donc loe prendre, l’allumer et l’étreindre avec ses limites. Bref que cherche donc Lubat éternellement parmi se(s) foutu(es) air(e)s de jazz réaffirmé(e)s ? Ce vendredi au cœur de la nuit le prétexte du concert est pourtant clairement annoncé : hommage sera rendu au compositeur Jeff Gilson qui jadis l’hébergea sur son label Palm. Sauf que sur scène comme de bien entendu ça part dans tous les sens. Avec d’ailleurs pour commencer, comme entre parenthèses, deux ou trois chansons à texte de la voix bluesy de Vanina Michel s’accompagnant au piano. Et puis surgit une autre voix , solo de scat satrape d’André Minvielle autre légendaire gojat (enfant) du cru faiseur et défaiseur de mots français et gascons à la fois qu’il met en voix seul comme un grand. Sclavis le suit, fidèle parmi les fidèles du lieu, seul lui aussi, armé de sa clarinette basse, vecteur de vie aussi grave qu’aigu. Le chapiteau chaud s’offre ce soir là… Vient alors Bernard Lubat qui s’empare du piano…alors tout l’orchestre déboule en fanfare, la nouvelle Compagnie, ses cuivres, ses basses, ses guitares avec les guest stars Chautemps et Shepp, enfin, que le public attend depuis les trois coups. Shepp empoigne son ténor et la moitié de l’orchestre le laisse faire. L’écoute même comme il sied à un maître. Le ténor enfle, se tord, crie, rocke rauque. Alors Lubat fait sonner sur le Steinway des basses redoutables. Tiens, on dirait bien du blues… Et oui, ça s’enflamme de partout, les cuivres déboulent en section, les basses s’additionnent, le beat devient épais. Il est temps désormais pour Archie S. de poser son ténor et venir  chanter le blues sur 12 mesures répétées sans mesure. On est entré une fois encore dans l’Uzeste de toujours, en l’an 35 comme au premier jour avec d’éternels accents de démesure. La preuve :  Beñat Achiary hurle sa soul à lui, sauvage, violente, par la trippe directement jaillie des tréfonds des vallées d’Euskadi, drôle d’écho de couplets taillés au cordeau dans les notes bleues de Shepp. Lequel yeux dilatés n’en revient pas de voir le cri du basque hors stricte esthétique (jazzistique) prendre en volume nettement le dessus. Le public d’Uzeste, embarqué de force dans cette partie de jazz soule (jeu de batailles moyenâgeux façon corps à corps plutôt violent qu’on dit ancêtre du rugby) crie son plaisir. En redemande même.

Lorsque revient l’apaisement, Shepp prend illico à son compte au sax ténor les sons les plus graves pour introduire Body and Soul. Paradoxalement avec piano et synthé conjugués Lubat parait ne pas lui emboiter  le pas spontanément, jouant sur une ligne parallèle. Uzeste toujours, et ses moments inédits dédiés au décalage. Avant qu’une fois encore, sous les relances, martelées au clavier ou à partir de grands moulinets de bras, le maître des lieux viré gourou ne fasse venir tout l’orchestre labourer sur le sillon du thème de légende. Le jazz est revenu. On jurerait que Bernard L. l’a soudain décidé et voulu.

Un peu plus tôt, et comme en intermède, en respiration nécessaire à l’appellation rigolote du moment : «  les 35e rougissants » Uzeste a convoqué des images de son passé. Autant de magnifiques photos en noir et blanc signées Christian Ducasse. Elles retracent des moments du festival glanés sur une décade. Elles n’ont pas besoin de son, ni de légende, elles regorgent de sens. Elles datent les portraits, elles fixent les moments, le tempo. Elles disent du festival si particulier qu’il est pour la musique, un passage singulier. Et font de Lubat qui ne résiste pas, impayable faiseur ,   à les qualifier de mots, un passeur. Lubat, expert dans l’art de la passe croisée, plus d’un tiers de siècle après que cherche-t-il au juste ?

Reconnaissance ? Notoriété ? Perpétuité ? Label de qualité ? Expertise ? Droit d’exploration ? D’expérimentation ? D’auto dérision ? Au beau milieu de la densité affichée dans son phrasé tellement atypique et engagé, il ne fait pas bon aller chercher une seule réponse, simple, claire, identifiée, simplifiée. Donc définitivement authentifiée. Pourtant une part de sa vérité intérieure de musicien et d’homme de cultures (militant dans ce sens est un terme qui chez lui, attaché à la trace de son personnage, sonne vrai) on la trouve à n’en pas douter dans son spectacle baptisé  « La nuit de l’Amusicien d’Uz » Deux heures d’une saga très personnelle donnée non stop, construite avec beaucoup de travail et de repères autour d’un discours fleuve, entrelardé de musiques, de cris, de mime, de pantomine, de théâtre, de marionnettes, de gags et gadgets, de bruits, de lumières, de flashs et de noirs, de chants et de cris mêlés. Un orage de phrases lancées comme autant de chocs et provocs, sculptées ou scalpélisées toujours sous l’angle de la dérision, de l’humour à chaud ou crachés jurés à gros traits. Le one man Lubat show invoque Apollinaire, André Breton, Cervantès, Bernard
Manciet
ou André Benedetto, figure un Faulkner des Landes et restitue dans le même espace temps des lignes de l’Album de la Comtesse du Canard Enchainé, invoque Freud, Marx et Groucho à la fois. Il joue et scatte Dizzy Gillespie, chante Nougaro, interprète Léo Ferré, flirte avec le tango, le boogie woogie, la biguine et la java, poétise et politise une leçon de batterie en décapante et hilarante parodie. Il électrise des baguettes fluorescentes, il suit du regard un drone hélicoptère scintillant dans des cieux reconstitués sous la toile du chapiteau. Pour finir le sketch en se frappant la tête façon gong dissimulée sous un récipient métallique.en mode d’auto flagellation. Lubat frappadingue ?

Qui sait ? Mais à le voir entrer en parallèle à bloc dans la musique et ne pas faire semblant et se livrer entièrement dans un jeu savant sur des caisses et des cymbales, puis à l’accordéon puis au piano enfin–au passage cette citation signifiante et surprenante de Yaron Herman extraite d’une interview à venir dans Jazz Mag « Bernard Lubat me bluffe complètement quand il joue du piano ! » réjouit d’autant plus l’audience que la partie strictement musicale s’affiche minoritaire en temps au regard de la durée totale du spectacle offert seul sur la scène…Putain ! Lubat musicien, ça sonne toujours foutument bien ! Le reste, tout le reste, contenant et contenu intimement enchâssés, franchement le mieux à faire reste de le voir, l’entendre, le vivre in vivo. Le pur jus Lubat est à consommer frais sur place.

Alors, bon, peut-être que le final d’images défilant en autant d’hommages aux familiers, aux fans et à sa famille du village berceau girondin exhalait un gout de trop de pathos, de passé façon émotion animées, tramées et sous pixélisées de Stan Getz, , Ponty, René Thomas, Eddy Louiss, Alby Cullaz,, Mimi Perrin, les Doubles Six, Portal, J F Jenny Clarke, Saint Germain des Près, le vibraphone, les notes acidulées du ,Fender Rhodes…Bon, « trente cinq ans dans les dents… » disait lui-même en soupirant le maître de cérémonie à propos des étés et hivers d’Uzeste ainsi écoulés.

Chercherait-il comme d’autres après tant d’années à conjuguer à tout prix au beau milieu d’un terreau de millions de pins ses phrases au présent comme au passé en gage d’à venir ? Non vraiment, Bernard Lubat n’a pas besoin de psy s’il considère lucidement son art d’improviser et sa capacité à jazzer. Témoin son envie intacte de « batailler » contre sa maire, les élus de droite comme de gauche, les ministres et les présidents. Et par-dessus tout, son obsession à pulvériser les clichés imbéciles qui persistent à obscurcir l’horizon de son Tout Monde » vital, Uzeste. Trente cinq balais, c’est encore jeune non , « gojat » ?

 

Robert Latxague

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Mais que cherche au juste Lubat  ce hilh dou diable (littéralement « fils du diable » en langue gasconne) de musicien hors norme? La 35e édition du Festival d’Uzeste s’est terminée ce dimanche avec un solo de Martial Solal sous le joli chapiteau de cirque planté ras le terrain de foot niché au beau milieu des pins. Le (jeune) fils prodigue/prodige du village girondin avait décrété Uzeste « Territoire des soli sauvages » dès l’édition originale à la fin des seventies. Désormais baptisée Hestejada de las arts (soit un mix de fête/festival des arts au pluriel) se veut devenir bientôt le rendez vous tête de pont estivale d’un projet de Centre multi arts « local mondial » indépendant des structures officielles.

 

Hestejada de les arts

24-25 aout, Uzeste (33)

Bernard Lubat, Jean Louis Chautemps, Archie Shepp, Beñat Achiary, Louis Sclavis, François Corneloup, Vanina Michel, Francis Marmande, Fabrice Viera, Louis Lubat, Raphael Quenehen, Thomas Boudé, Jules Rousseau, Pierre Lambla, Paolo Chatet, Quentin Gomari, Christian Ducasse

 

Le problème d’Uzeste serait-il  de ne pouvoir considérér le jazz comme unique bonheur ? Enfin on veut dire le swing, le beat, le groove, l’improvisation, son cœur de chauffe quoi question musique.  Donc loe prendre, l’allumer et l’étreindre avec ses limites. Bref que cherche donc Lubat éternellement parmi se(s) foutu(es) air(e)s de jazz réaffirmé(e)s ? Ce vendredi au cœur de la nuit le prétexte du concert est pourtant clairement annoncé : hommage sera rendu au compositeur Jeff Gilson qui jadis l’hébergea sur son label Palm. Sauf que sur scène comme de bien entendu ça part dans tous les sens. Avec d’ailleurs pour commencer, comme entre parenthèses, deux ou trois chansons à texte de la voix bluesy de Vanina Michel s’accompagnant au piano. Et puis surgit une autre voix , solo de scat satrape d’André Minvielle autre légendaire gojat (enfant) du cru faiseur et défaiseur de mots français et gascons à la fois qu’il met en voix seul comme un grand. Sclavis le suit, fidèle parmi les fidèles du lieu, seul lui aussi, armé de sa clarinette basse, vecteur de vie aussi grave qu’aigu. Le chapiteau chaud s’offre ce soir là… Vient alors Bernard Lubat qui s’empare du piano…alors tout l’orchestre déboule en fanfare, la nouvelle Compagnie, ses cuivres, ses basses, ses guitares avec les guest stars Chautemps et Shepp, enfin, que le public attend depuis les trois coups. Shepp empoigne son ténor et la moitié de l’orchestre le laisse faire. L’écoute même comme il sied à un maître. Le ténor enfle, se tord, crie, rocke rauque. Alors Lubat fait sonner sur le Steinway des basses redoutables. Tiens, on dirait bien du blues… Et oui, ça s’enflamme de partout, les cuivres déboulent en section, les basses s’additionnent, le beat devient épais. Il est temps désormais pour Archie S. de poser son ténor et venir  chanter le blues sur 12 mesures répétées sans mesure. On est entré une fois encore dans l’Uzeste de toujours, en l’an 35 comme au premier jour avec d’éternels accents de démesure. La preuve :  Beñat Achiary hurle sa soul à lui, sauvage, violente, par la trippe directement jaillie des tréfonds des vallées d’Euskadi, drôle d’écho de couplets taillés au cordeau dans les notes bleues de Shepp. Lequel yeux dilatés n’en revient pas de voir le cri du basque hors stricte esthétique (jazzistique) prendre en volume nettement le dessus. Le public d’Uzeste, embarqué de force dans cette partie de jazz soule (jeu de batailles moyenâgeux façon corps à corps plutôt violent qu’on dit ancêtre du rugby) crie son plaisir. En redemande même.

Lorsque revient l’apaisement, Shepp prend illico à son compte au sax ténor les sons les plus graves pour introduire Body and Soul. Paradoxalement avec piano et synthé conjugués Lubat parait ne pas lui emboiter  le pas spontanément, jouant sur une ligne parallèle. Uzeste toujours, et ses moments inédits dédiés au décalage. Avant qu’une fois encore, sous les relances, martelées au clavier ou à partir de grands moulinets de bras, le maître des lieux viré gourou ne fasse venir tout l’orchestre labourer sur le sillon du thème de légende. Le jazz est revenu. On jurerait que Bernard L. l’a soudain décidé et voulu.

Un peu plus tôt, et comme en intermède, en respiration nécessaire à l’appellation rigolote du moment : «  les 35e rougissants » Uzeste a convoqué des images de son passé. Autant de magnifiques photos en noir et blanc signées Christian Ducasse. Elles retracent des moments du festival glanés sur une décade. Elles n’ont pas besoin de son, ni de légende, elles regorgent de sens. Elles datent les portraits, elles fixent les moments, le tempo. Elles disent du festival si particulier qu’il est pour la musique, un passage singulier. Et font de Lubat qui ne résiste pas, impayable faiseur ,   à les qualifier de mots, un passeur. Lubat, expert dans l’art de la passe croisée, plus d’un tiers de siècle après que cherche-t-il au juste ?

Reconnaissance ? Notoriété ? Perpétuité ? Label de qualité ? Expertise ? Droit d’exploration ? D’expérimentation ? D’auto dérision ? Au beau milieu de la densité affichée dans son phrasé tellement atypique et engagé, il ne fait pas bon aller chercher une seule réponse, simple, claire, identifiée, simplifiée. Donc définitivement authentifiée. Pourtant une part de sa vérité intérieure de musicien et d’homme de cultures (militant dans ce sens est un terme qui chez lui, attaché à la trace de son personnage, sonne vrai) on la trouve à n’en pas douter dans son spectacle baptisé  « La nuit de l’Amusicien d’Uz » Deux heures d’une saga très personnelle donnée non stop, construite avec beaucoup de travail et de repères autour d’un discours fleuve, entrelardé de musiques, de cris, de mime, de pantomine, de théâtre, de marionnettes, de gags et gadgets, de bruits, de lumières, de flashs et de noirs, de chants et de cris mêlés. Un orage de phrases lancées comme autant de chocs et provocs, sculptées ou scalpélisées toujours sous l’angle de la dérision, de l’humour à chaud ou crachés jurés à gros traits. Le one man Lubat show invoque Apollinaire, André Breton, Cervantès, Bernard
Manciet
ou André Benedetto, figure un Faulkner des Landes et restitue dans le même espace temps des lignes de l’Album de la Comtesse du Canard Enchainé, invoque Freud, Marx et Groucho à la fois. Il joue et scatte Dizzy Gillespie, chante Nougaro, interprète Léo Ferré, flirte avec le tango, le boogie woogie, la biguine et la java, poétise et politise une leçon de batterie en décapante et hilarante parodie. Il électrise des baguettes fluorescentes, il suit du regard un drone hélicoptère scintillant dans des cieux reconstitués sous la toile du chapiteau. Pour finir le sketch en se frappant la tête façon gong dissimulée sous un récipient métallique.en mode d’auto flagellation. Lubat frappadingue ?

Qui sait ? Mais à le voir entrer en parallèle à bloc dans la musique et ne pas faire semblant et se livrer entièrement dans un jeu savant sur des caisses et des cymbales, puis à l’accordéon puis au piano enfin–au passage cette citation signifiante et surprenante de Yaron Herman extraite d’une interview à venir dans Jazz Mag « Bernard Lubat me bluffe complètement quand il joue du piano ! » réjouit d’autant plus l’audience que la partie strictement musicale s’affiche minoritaire en temps au regard de la durée totale du spectacle offert seul sur la scène…Putain ! Lubat musicien, ça sonne toujours foutument bien ! Le reste, tout le reste, contenant et contenu intimement enchâssés, franchement le mieux à faire reste de le voir, l’entendre, le vivre in vivo. Le pur jus Lubat est à consommer frais sur place.

Alors, bon, peut-être que le final d’images défilant en autant d’hommages aux familiers, aux fans et à sa famille du village berceau girondin exhalait un gout de trop de pathos, de passé façon émotion animées, tramées et sous pixélisées de Stan Getz, , Ponty, René Thomas, Eddy Louiss, Alby Cullaz,, Mimi Perrin, les Doubles Six, Portal, J F Jenny Clarke, Saint Germain des Près, le vibraphone, les notes acidulées du ,Fender Rhodes…Bon, « trente cinq ans dans les dents… » disait lui-même en soupirant le maître de cérémonie à propos des étés et hivers d’Uzeste ainsi écoulés.

Chercherait-il comme d’autres après tant d’années à conjuguer à tout prix au beau milieu d’un terreau de millions de pins ses phrases au présent comme au passé en gage d’à venir ? Non vraiment, Bernard Lubat n’a pas besoin de psy s’il considère lucidement son art d’improviser et sa capacité à jazzer. Témoin son envie intacte de « batailler » contre sa maire, les élus de droite comme de gauche, les ministres et les présidents. Et par-dessus tout, son obsession à pulvériser les clichés imbéciles qui persistent à obscurcir l’horizon de son Tout Monde » vital, Uzeste. Trente cinq balais, c’est encore jeune non , « gojat » ?

 

Robert Latxague