Vedette américaine, chanson française et final africain

Dernière soirée du festival Jazz Respire avec Chris Cheek 4tet, Charles Trenet par Guillaume de Chassy, André Minvielle et Géraldine Laurent, Fidel Fourneyron et son Bengue Combo.
La vedette américaine, c’est le nom que l’on donnait à un artiste qui avait l’honneur de faire la première partie d’une vedette du spectacle vivant. Ce qui n’était pas le cas de Chris Cheek hier qui faisait honneur à Respire Jazz Festival d’en ouvrir la dernière journé, festival dont la vocation de faire connaître et vivre le jazz français se combine à l’impossibilité budgétaire de s’offrir une affiche américaine. Hier, c’est en toute camaraderie que Chris Cheek se présentait à la Grange du site du Puypéroux, à la tête d’un quartette composé pour l’occasion par son hôte et ami, le guitariste Pierre Perchaud, associé au contrebassiste Nicolas Moreaux, comme ç’avait déjà été le cas lors de précédents séjours français du saxophoniste en trio ou quartette, tantôt avec Jorge Rossy tantôt Antoine Paganotti.
Chris Cheek aura été l’un de ces nombreux artistes restés dans l’ombre des figures les mieux médiatisées de la Smalls Generation émergée dans les années 1990 : notamment Chris Potter et Mark Turner auxquels il donna la réplique respectivement au sein de l’Electric Bebop Band et sur son propre album “A Girl Named Joe”, mais aussi Brad Mehldau, Ethan Iverson, Ben Monder, Kurt Rosenwinkel, Larry Grenadier et Jorge Rossy que l’on croise à plusieurs reprises dans sa discographie personnelle de 1997 (“I Wish I Knew) à 2005 (“Blues Cruise”) . Que sa carrière ait été lancée sur le label barcelonnais Fresh Sound New Talent, vitrine de ce cette Smalls Generation, est significatif d’une fraîcheur dont il ne s’est jamais départi, qui en fait un musicien vénéré de nombreux musiciens français et dont témoigne ce nouveau répertoire qu’il commentait longuement hier avant chaque morceau, avec un faconde tranquille qui fit regretter à la partie du public non francophone qu’il n’y ait pas eu un traducteur.
À chaque composition sa petite histoire, chacune étant en elle-même une petite histoire musicale que l’on verrait bien illustrée par quelque dessinateur de la ligne claire… avec un mélange d’acuité, de cocasserie et de tendresse. Fraîcheur : son saxophone ne se veut pas héroïque, cette figure d’anti-héros du saxophone ayant contribué à en faire un modèle pour une génération lassée du tout-coltranechanges et du tout-brecker. Le timbre n’est ni moelleux, ni enveloppant, ni brillant… De ce saxophone sans vernis, ni laque, ni lustre sort quelque chose de brut sans être rude, à l’image de son phrasé qui ne balaie pas la tessiture à grand renfort de gammes et arpèges, mais égraine en croches détachées sur des tempos plutôt mediums des mélodies ardemment narratives. Pierre Perchaud est à son aise dans cet univers composé pour être joué par Bill Frisell (voir “Keeper of the Eastern Door” publié en mai dernier), mais qu’il s’approprie à sa manière… Certes, il connaît son Bill Frisell, comme tout guitariste contemporain, mais il a d’autres références dont il a su faire son miel et il sait être chez lui dans l’univers du saxophoniste tout comme ses deux comparses, Nicolas Moreaux et Antoine Paganotti n’ayant quant à eux rien oublié de leurs précédentes aventures communes avec Chris Cheek. Un quartette attendu jeudi 3 juillet à 21h30 au Sunside.

La sortie du concert se faisant en plein cagnard, l’horaire de l’après-midi a été décalé et le public invité à rester à l’ombre des grands arbres et des quelques toiles de tente tendues ici et là, notamment vers la buvette où les distributeurs d’eau sont régulièrement alimentés et tandis qu’un porteur d’eau en propose la brumisation à qui le désire. Le Steinway du fameux Domaine musical de Pétignac, fournisseur habituel de Respire Jazz, a droit lui-même à tous les égards possibles, soit la protection d’un tivoli blanc qui la veille n’a pas suffi à le protéger d’un léger désaccord.

L’ombre ayant longuement glissé sur la scène, puis sur les rangées de balles de foin une à une, apparaissent enfin le pianiste Guillaume de Chassy et les comparses qu’il a choisi pour son hommage à Charle Trenet : André Minvielle et Géraldine Laurent. C’est une espèce de joie impatiente qui accompagnent leur entrée sur scène, joie de ceux du public qui connaissent déjà ce programme ne serait-ce que de réputation ou pour en avoir entendu des bribes à la radio, joie de ces trois-là de partager ce répertoire avec ce public et ce festival-là, Guillaume de Chassy commençant par saluer la générosité de ce musicien, Pierre Perchaud, qui, en plus de défendre sa carrière de musicien, trouve le temps et l’énergie de mobiliser sa famille et ses amis pour faire vivre la musique des autres. Arrive le piano, dont les touches, sans qu’on les voit, étincellent de joie sous des doigts éperdus à la promesse de cette voix terrienne et en apesanteur qui s’empare des mots, ces mots simples, ceux de Trenet. Son vocabulaire tiendrait dans le quart d’un dictionnaire de poche, et Minvielle se rit de ces beaux débits de lait, de ces elfes divinités de la nuit, de cet héritage d’un marchand de fromage et de ces abbés qui pédalent… Alors entre deux vers ou deux couplets, Géraldine Laurent se rit à son tour de ces mélodies aux harmonies toujours un peu les mêmes et toujours renouvelées, les caressant, les chatouillant, leur tordant les bras comme le ferait cette bonne pas très sage qui se donnait de la joie avec une passoire derière la porte de bois. Il faut cependant bien finir, mais Minvielle revient avec ses amis et enchaine son tube, ce vieux tube quintessence du musette parisien, Indifférence, puis enchaine encore sur les paroles qu’il écrivit au siècle dernier sur la valse de son ami Marc Peronne (De Dame et d’homme), occasion de signaler que ce vieil ami, dans son combat contre la sclérose en plaques, vient d’écrire avec un doigt, celui dont il garde encore suffisamment de contrôle pour taper sur l’écran d’un ordinateur : Tu vois, c’est ça qu’on cherche, en précommande à l’Humanité.
Le crépuscule approche, peinant à chasser l’excessive chaleur – et la sécheresse contre laquelle, sur les terres alentours, l’arrosage lutte en vain en arrosant les maïs en plein soleil, culture et méthode dont j’entendais dire l’aberration il y a déjà bien 30 ans et dont on commence à se dire que c’était une belle connerie, mais que, désolé, on ne peut revenir en arrière… Roulons gaiment et fonçons dans le mur –, la fraicheur tardant donc à s’inviter malgré l’ombre étendue, c’est l’heure du grand final, festif, chantant et dansant sous une chaleur africaine, avec “Bengue”, mot argotique d’Afrique de l’Ouest désignant l’Europe. Une idée, inspirée comme toujours, du tromboniste, arrangeur et compositeur Fidel Fourneyron autour de différents auteurs africains de différentes langues chantés par Cynthia Abraham, sur des compositions portées par la polyphonie chatoyantes du violon de Clément Janinet (à l’archet ou en pizz à la façon d’un n’goni), les percussions de Samuel Mastorakis (marimba), Melissa Hié (djembé, balafon), Ophelia Hié (balafon, doums, bara) et de la contrebasse de Sarah Murcia. C’est tellement rondement mené, joyeusement joué, admirablement dansant, qu’on s’autorise une petite réserve sur les textes en langue française, dont, sans savoir s’ils sont des originaux ou des traductions, on trouve l’expression trop fadement kitsch au regard du résultat d’ensemble et de ceux en d’autres langues.
After show, autour du bar, à l’écart de la scène, sous un petit auvent de pierre, de bois et de tuiles, confié chaque soir, comme chaque édition, à une formation du CMDL (Centre des musiques Didier Lockwood), avec cette année un sextette déjà rodé : Jolann Koelh (trombone), Jean-Baptiste Rannou (sax ténor), Timothée Weeger (clarinette basse), Malo Athouël (guitare), Rayan Besançon (basse électrique) et Pierre Bouchard (batterie). Charge à eux de présenter un bref aperçu de leur répertoire en ouverture de la jam au cours de laquelle se fit remarquer hier un autre jeune tromboniste déjà signalé lors des jam sessions de 2023 : Maxime Chevallier.
Plus cette vignette : Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! de Nino Ferrer par une partie de la famille Perchaud : Julia (14 ans) au chant, Noé (8 ans) à la batterie et leur père, Pierre, sans guitare, ce qui est rare. Franck Bergerot
