Jazz live
Publié le 19 Juil 2016

Vitoria: 40e jazzifiant

Bizarre. Au sortir d’une heure et demie d’une musique lumineuse faite pour séduire les sens on tombe sur un « urgent » à peine le mobile rallumé. Violent, terrible, dément dans les chiffres affichés.  A  Nice, ville de festival, à Cimiez, jazz a toujours signifié fête. Chair de poule soudain à Vitoria.

Vitoria , Euskadi/Espagne, 14,15,16 juillet

Théâtre Principal

Gogo Penguin, Chris Illingworth (p), Nick Blacka (b), Rob Turner (dm)

Yaron Herman (p)

Rudresh Mahanthappa (as), John Mahanthappa (tp), Bob Avey (p), Thomson Kneeland (b), Rudy Royston (dm)

Polideportivo de Mendizorrotza

Tom Harrell (top, fog), Ralph Moore (ts, ss), Ugomma Okegwo (b), Adam Cruz (dm)

Joshua Redman (ts), Kevin Hays (p), Joe Sanders (b), Jorge Rossy (dm)

Kenny Barron (p), Dave Holland (b)

Jamie Cullum (p, voc), Tom Richards (ts, cl), Rory Simmons (tp), Chris Hill (b), Brad Webb (dm)

Path Metheny (elg, g), Ron Carter (b)

Cecile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul Wikivie (b), Laurence Leathers (dm)

Toujours solides les Gogos,avec une musique exécutée au carré. Le trio britannique possède un vrai son de groupe, reconnaissable dans son impact, sa force de caractère. La basse donne le ton et la mesure, sorte de « poteau mitan » comme on dit aux Antilles autour duquel tout s’articule, les figures rythmiques en particulier lancées puis répétées en crescendo en de longues séquences. Le pouvoir du dit power trio.

En piano solo cette fois Yaron Herman. Avec au bout du compte pas moins de trois rappels « Le public au Pays Basque est fantastique, je l’ai déjà vérifié » Sur scène Yaron parle peu,, ne donne pas beaucoup d’explications. Son truc à lui c’est de faire vivre au max le piano sous ses doigts. En solo, sans artifice il livre en vrac les variations de lumières apportées à ses notes, ses phrases, à la musique jouée sur l’instant. Ici et maintenant. A partir du choix  de folklores imaginaires (Ein Adir) ou non (You don’t know what love is) il modèle, façonne, mets en forme ou en relief, toujours concentré,  le regard rivé sur le  clavier. Désormais c’est clair, Yaron Herman est parvenu à une réelle maturité, de pianiste. De piano jazz.

Les Mahanthappa live et plein pot dans une course de vitesse sur des thèmes pris à cent à l’heure à partir de compositions du Bird. Le père au sax alto (virtuose, son épais, très typé) bien sur, son trompettiste de fils qui se plait à embrasser les suraiguës à pleine embouchure.  Résultat de la compèt au bout de la tournée, en plein JO de Rio.

Du jazz au menu

Ceci dit Vitoria nous aura donné aussi de purs plaisirs, des moments de bonheur de jazz comme on en entend pas aussi fréquemment, disons le. Et qu’on ne vienne pas refourguer l’argument bèta de la nostalgie de papys boomers, voire l’addiction à des produits datés d’hier ou d’avant hier. Non, je parle au présent, hic et nunc: quand plaisir il y’a de consommer, partager cette qualité de musique là, faut le dire, le crier sur les toits et l’émoi. Donc déjà, muchas gracias Monsieur Iñaki Añua de nous avoir fait ce cadeau pour le 40e anniversaire du festival. Et bien sur aux musiciens d’avoir joué le jeu.

Kenny Barron//Dave Holland pour commencer, avec des petits riens d’unisson, des instants de grande intensité. Plus des échanges, des chases ludiques à souhait, du partage quoi (dans l’esprit cette dédicace de Dave Holland à son pote disparu, le trompettiste Kenny Wheeler, Waltz for wheeler) Kenny Barron, c’est la délicatesse faite, un élan naturel sans jamais forcer le trait, du moelleux dans le toucher sur le clavier, des notes qui paraissent prendre un envol. Ajoutez-y une basse qui chante, juste dans le temps comme dans le tempo (Rain, composition bluesy dédiée à Ed Blackwell batteur originaire de la Nouvelle Orléans), un parfait soutien aux phases mélodiques. Facile d’apprécier le menu lorsque le curseur contrôle qualité monte ainsi dans les tours. Pas mal non plus le Trip (nom donné a son orchestre) de Tom Harrel. Le trompettiste « muet », confiné dans son autisme (maladie de toujours avérée) joue en simplicité (apparente), contrôle ses effets de sonorité avec minutie. Cette fois il n’a pas souhaité bénéficier du soutien d’un pianiste. Trompette ou bugle (son travaillé, magnifique) expriment des lignes musicales aériennes. Elles s’accordent avec le ténor plutôt sobre de Ralph Moore. Les deux cuivres trouvent ainsi un espace d’expression privilégié, épuré. 

On l’avait entendu  en trio + 1 l’été dernier déjà en accord avec Bad Plus. Cette fois Joshua Redman fait l’épreuve d’un vrai quartet, le sien, fort de la complicité, la cohésion surtout qui va avec. La musique produite n’en ressort que plus séduisante. On connaît ses qualités de saxophoniste, un son de ténor ou de soprano très personnel. Dans cette formule il y ajoute la patte du leader, celui qui pose les bases et conduit le groupe.  L’heure est au travail bien fait, aux problèmes harmoniques ou rythmiques bien posés dès le départ. Sans démonstration, sans outrance ni même virtuosité trop affichée. En ce sens Jorge Rossy cadre bien avec le décor, originalité dans le jeu mais soutien d’abord. Même chose chez  Kevin Hays. Le pianiste (et compositeur, trois thèmes dans le set) fait preuve de vista, d’une présence de tous les instants.

Le duo Carter/Metheny avait choisi lui d’explorer des standards, d’en  re-visiter une douzaine pour être exact (Manha de Carnaval, Freddie the Freeloader, St Thomas etc.) Là aussi la séduction (pour ne pas dire une certaine magie)  agit. Pat Metheny  guitariste électrique, acoustique, comment dire ? Quel que soit l’univers abordé il affiche une souplesse, une fluidité certaine dans les enchainements de notes, un sens de l’articulation dans ses parcours sur le manche des guitares (il faut voir le soin apporté à l’accord, dans la préparation et l’apport directement sur scène par la personne accréditée, Louise avec son sac à malice délices,  de la guitare utilisée pour chaque morceau) Ron Carter c’est un monument. Dans le duo, question de taille, de présence, de sonorité sur l’instrument bien entendu, sa personnalité n’en ressort que davantage. Par une élégance naturellement affichée, vestimentaire comme instrumentale. Dans un sabir patent sur les bonnes notes à jouer, le sens de la phrase exacte, la ponctuation apportée par la basse. Détail surprise: la façon du duo de se tenir sur l’immense scène de Mendizorrotza,. Face à face, quasi pressés l’un contre l’autre, manière de se centrer sur la musique jouée, d’additionner les forces au plus près de l’action…

Deux voix pour terminer. Une voix de femme d’abord, décidée, affirmée en tant que telle (Wild woman don’t have the blues, explicité en introduction avec un sourire entendu…) Une grande maîtrise vocale, une tessiture riche de graves autant que d’aiguës: Cecile McLorin Salvant a acquis désormais, c’est sur, une expérience marquée et qui se remarque. Une aisance dans l’expression aussi. Forte de ce registre vocal, cette personnalité étoffée, la chanteuse primée en France comme aux Etats Unis fait passer son message, Elle chante à dessein des petites histoires existentielles de tous les jours. Aaron Diehl son pianiste manifeste lui un vrai talent, dans  l’art de souligner le discours.

Le jazz avait donc donné rendez-vous à Vitoria. Dans une AOC certifiée qualité plus. Pour conclure pourtant, il fallait passer à autre chose, une bonne dose d’adrénaline directe, immédiate sinon de fun. Sur l’immense scène du Palais des Sports surchauffé, jouant, virevoltant, sautant  sur le piano et dans les airs, voici voilà Jamie Cullum…Un mot de remerciement d’abord histoire de montrer que l’on n’a pas affaire à un ingrat: « Vitoria est le premier festival  de ce pays qui m’ait  donné une chance de montrer ce que je savais faire.  Merci ! » Une déclaration ensuite, en mode de lucidité vis à vis de l’actualité immédiate « Rapport à Nice et bien avant, du Bataclan à Paris,  je mesure la chance aujourd’hui comme hier d’être là ce soir sur une scène à partager ce moment avec vous, » Le reste ? De la fougue, de la folie allumée au micro, au piano, avec des baguettes et des percussions au besoin. Deux heures de spectacle à rendre la foule folle. Histrion infatigable, au final il prie le public de venir près de lui au bord de la scène au grand dam de la sécurité qui n’en peut mais…A noter tout de même une séquence de piano solo construite, inspirée sur le Blackbird de Lennon Mc Cartney. Passage très jazz aussi tant qu’à faire, dans l’esprit et la lettre.

Certes on n’oublie pas le contexte pour autant. Mais n’ayons pas peur de le dire, Jazz à Vitoria-Gasteiz aura passé ses 40 ans de festival avec du plaisir conjugué  au pluriel.

Robert Latxague

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Bizarre. Au sortir d’une heure et demie d’une musique lumineuse faite pour séduire les sens on tombe sur un « urgent » à peine le mobile rallumé. Violent, terrible, dément dans les chiffres affichés.  A  Nice, ville de festival, à Cimiez, jazz a toujours signifié fête. Chair de poule soudain à Vitoria.

Vitoria , Euskadi/Espagne, 14,15,16 juillet

Théâtre Principal

Gogo Penguin, Chris Illingworth (p), Nick Blacka (b), Rob Turner (dm)

Yaron Herman (p)

Rudresh Mahanthappa (as), John Mahanthappa (tp), Bob Avey (p), Thomson Kneeland (b), Rudy Royston (dm)

Polideportivo de Mendizorrotza

Tom Harrell (top, fog), Ralph Moore (ts, ss), Ugomma Okegwo (b), Adam Cruz (dm)

Joshua Redman (ts), Kevin Hays (p), Joe Sanders (b), Jorge Rossy (dm)

Kenny Barron (p), Dave Holland (b)

Jamie Cullum (p, voc), Tom Richards (ts, cl), Rory Simmons (tp), Chris Hill (b), Brad Webb (dm)

Path Metheny (elg, g), Ron Carter (b)

Cecile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul Wikivie (b), Laurence Leathers (dm)

Toujours solides les Gogos,avec une musique exécutée au carré. Le trio britannique possède un vrai son de groupe, reconnaissable dans son impact, sa force de caractère. La basse donne le ton et la mesure, sorte de « poteau mitan » comme on dit aux Antilles autour duquel tout s’articule, les figures rythmiques en particulier lancées puis répétées en crescendo en de longues séquences. Le pouvoir du dit power trio.

En piano solo cette fois Yaron Herman. Avec au bout du compte pas moins de trois rappels « Le public au Pays Basque est fantastique, je l’ai déjà vérifié » Sur scène Yaron parle peu,, ne donne pas beaucoup d’explications. Son truc à lui c’est de faire vivre au max le piano sous ses doigts. En solo, sans artifice il livre en vrac les variations de lumières apportées à ses notes, ses phrases, à la musique jouée sur l’instant. Ici et maintenant. A partir du choix  de folklores imaginaires (Ein Adir) ou non (You don’t know what love is) il modèle, façonne, mets en forme ou en relief, toujours concentré,  le regard rivé sur le  clavier. Désormais c’est clair, Yaron Herman est parvenu à une réelle maturité, de pianiste. De piano jazz.

Les Mahanthappa live et plein pot dans une course de vitesse sur des thèmes pris à cent à l’heure à partir de compositions du Bird. Le père au sax alto (virtuose, son épais, très typé) bien sur, son trompettiste de fils qui se plait à embrasser les suraiguës à pleine embouchure.  Résultat de la compèt au bout de la tournée, en plein JO de Rio.

Du jazz au menu

Ceci dit Vitoria nous aura donné aussi de purs plaisirs, des moments de bonheur de jazz comme on en entend pas aussi fréquemment, disons le. Et qu’on ne vienne pas refourguer l’argument bèta de la nostalgie de papys boomers, voire l’addiction à des produits datés d’hier ou d’avant hier. Non, je parle au présent, hic et nunc: quand plaisir il y’a de consommer, partager cette qualité de musique là, faut le dire, le crier sur les toits et l’émoi. Donc déjà, muchas gracias Monsieur Iñaki Añua de nous avoir fait ce cadeau pour le 40e anniversaire du festival. Et bien sur aux musiciens d’avoir joué le jeu.

Kenny Barron//Dave Holland pour commencer, avec des petits riens d’unisson, des instants de grande intensité. Plus des échanges, des chases ludiques à souhait, du partage quoi (dans l’esprit cette dédicace de Dave Holland à son pote disparu, le trompettiste Kenny Wheeler, Waltz for wheeler) Kenny Barron, c’est la délicatesse faite, un élan naturel sans jamais forcer le trait, du moelleux dans le toucher sur le clavier, des notes qui paraissent prendre un envol. Ajoutez-y une basse qui chante, juste dans le temps comme dans le tempo (Rain, composition bluesy dédiée à Ed Blackwell batteur originaire de la Nouvelle Orléans), un parfait soutien aux phases mélodiques. Facile d’apprécier le menu lorsque le curseur contrôle qualité monte ainsi dans les tours. Pas mal non plus le Trip (nom donné a son orchestre) de Tom Harrel. Le trompettiste « muet », confiné dans son autisme (maladie de toujours avérée) joue en simplicité (apparente), contrôle ses effets de sonorité avec minutie. Cette fois il n’a pas souhaité bénéficier du soutien d’un pianiste. Trompette ou bugle (son travaillé, magnifique) expriment des lignes musicales aériennes. Elles s’accordent avec le ténor plutôt sobre de Ralph Moore. Les deux cuivres trouvent ainsi un espace d’expression privilégié, épuré. 

On l’avait entendu  en trio + 1 l’été dernier déjà en accord avec Bad Plus. Cette fois Joshua Redman fait l’épreuve d’un vrai quartet, le sien, fort de la complicité, la cohésion surtout qui va avec. La musique produite n’en ressort que plus séduisante. On connaît ses qualités de saxophoniste, un son de ténor ou de soprano très personnel. Dans cette formule il y ajoute la patte du leader, celui qui pose les bases et conduit le groupe.  L’heure est au travail bien fait, aux problèmes harmoniques ou rythmiques bien posés dès le départ. Sans démonstration, sans outrance ni même virtuosité trop affichée. En ce sens Jorge Rossy cadre bien avec le décor, originalité dans le jeu mais soutien d’abord. Même chose chez  Kevin Hays. Le pianiste (et compositeur, trois thèmes dans le set) fait preuve de vista, d’une présence de tous les instants.

Le duo Carter/Metheny avait choisi lui d’explorer des standards, d’en  re-visiter une douzaine pour être exact (Manha de Carnaval, Freddie the Freeloader, St Thomas etc.) Là aussi la séduction (pour ne pas dire une certaine magie)  agit. Pat Metheny  guitariste électrique, acoustique, comment dire ? Quel que soit l’univers abordé il affiche une souplesse, une fluidité certaine dans les enchainements de notes, un sens de l’articulation dans ses parcours sur le manche des guitares (il faut voir le soin apporté à l’accord, dans la préparation et l’apport directement sur scène par la personne accréditée, Louise avec son sac à malice délices,  de la guitare utilisée pour chaque morceau) Ron Carter c’est un monument. Dans le duo, question de taille, de présence, de sonorité sur l’instrument bien entendu, sa personnalité n’en ressort que davantage. Par une élégance naturellement affichée, vestimentaire comme instrumentale. Dans un sabir patent sur les bonnes notes à jouer, le sens de la phrase exacte, la ponctuation apportée par la basse. Détail surprise: la façon du duo de se tenir sur l’immense scène de Mendizorrotza,. Face à face, quasi pressés l’un contre l’autre, manière de se centrer sur la musique jouée, d’additionner les forces au plus près de l’action…

Deux voix pour terminer. Une voix de femme d’abord, décidée, affirmée en tant que telle (Wild woman don’t have the blues, explicité en introduction avec un sourire entendu…) Une grande maîtrise vocale, une tessiture riche de graves autant que d’aiguës: Cecile McLorin Salvant a acquis désormais, c’est sur, une expérience marquée et qui se remarque. Une aisance dans l’expression aussi. Forte de ce registre vocal, cette personnalité étoffée, la chanteuse primée en France comme aux Etats Unis fait passer son message, Elle chante à dessein des petites histoires existentielles de tous les jours. Aaron Diehl son pianiste manifeste lui un vrai talent, dans  l’art de souligner le discours.

Le jazz avait donc donné rendez-vous à Vitoria. Dans une AOC certifiée qualité plus. Pour conclure pourtant, il fallait passer à autre chose, une bonne dose d’adrénaline directe, immédiate sinon de fun. Sur l’immense scène du Palais des Sports surchauffé, jouant, virevoltant, sautant  sur le piano et dans les airs, voici voilà Jamie Cullum…Un mot de remerciement d’abord histoire de montrer que l’on n’a pas affaire à un ingrat: « Vitoria est le premier festival  de ce pays qui m’ait  donné une chance de montrer ce que je savais faire.  Merci ! » Une déclaration ensuite, en mode de lucidité vis à vis de l’actualité immédiate « Rapport à Nice et bien avant, du Bataclan à Paris,  je mesure la chance aujourd’hui comme hier d’être là ce soir sur une scène à partager ce moment avec vous, » Le reste ? De la fougue, de la folie allumée au micro, au piano, avec des baguettes et des percussions au besoin. Deux heures de spectacle à rendre la foule folle. Histrion infatigable, au final il prie le public de venir près de lui au bord de la scène au grand dam de la sécurité qui n’en peut mais…A noter tout de même une séquence de piano solo construite, inspirée sur le Blackbird de Lennon Mc Cartney. Passage très jazz aussi tant qu’à faire, dans l’esprit et la lettre.

Certes on n’oublie pas le contexte pour autant. Mais n’ayons pas peur de le dire, Jazz à Vitoria-Gasteiz aura passé ses 40 ans de festival avec du plaisir conjugué  au pluriel.

Robert Latxague

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Bizarre. Au sortir d’une heure et demie d’une musique lumineuse faite pour séduire les sens on tombe sur un « urgent » à peine le mobile rallumé. Violent, terrible, dément dans les chiffres affichés.  A  Nice, ville de festival, à Cimiez, jazz a toujours signifié fête. Chair de poule soudain à Vitoria.

Vitoria , Euskadi/Espagne, 14,15,16 juillet

Théâtre Principal

Gogo Penguin, Chris Illingworth (p), Nick Blacka (b), Rob Turner (dm)

Yaron Herman (p)

Rudresh Mahanthappa (as), John Mahanthappa (tp), Bob Avey (p), Thomson Kneeland (b), Rudy Royston (dm)

Polideportivo de Mendizorrotza

Tom Harrell (top, fog), Ralph Moore (ts, ss), Ugomma Okegwo (b), Adam Cruz (dm)

Joshua Redman (ts), Kevin Hays (p), Joe Sanders (b), Jorge Rossy (dm)

Kenny Barron (p), Dave Holland (b)

Jamie Cullum (p, voc), Tom Richards (ts, cl), Rory Simmons (tp), Chris Hill (b), Brad Webb (dm)

Path Metheny (elg, g), Ron Carter (b)

Cecile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul Wikivie (b), Laurence Leathers (dm)

Toujours solides les Gogos,avec une musique exécutée au carré. Le trio britannique possède un vrai son de groupe, reconnaissable dans son impact, sa force de caractère. La basse donne le ton et la mesure, sorte de « poteau mitan » comme on dit aux Antilles autour duquel tout s’articule, les figures rythmiques en particulier lancées puis répétées en crescendo en de longues séquences. Le pouvoir du dit power trio.

En piano solo cette fois Yaron Herman. Avec au bout du compte pas moins de trois rappels « Le public au Pays Basque est fantastique, je l’ai déjà vérifié » Sur scène Yaron parle peu,, ne donne pas beaucoup d’explications. Son truc à lui c’est de faire vivre au max le piano sous ses doigts. En solo, sans artifice il livre en vrac les variations de lumières apportées à ses notes, ses phrases, à la musique jouée sur l’instant. Ici et maintenant. A partir du choix  de folklores imaginaires (Ein Adir) ou non (You don’t know what love is) il modèle, façonne, mets en forme ou en relief, toujours concentré,  le regard rivé sur le  clavier. Désormais c’est clair, Yaron Herman est parvenu à une réelle maturité, de pianiste. De piano jazz.

Les Mahanthappa live et plein pot dans une course de vitesse sur des thèmes pris à cent à l’heure à partir de compositions du Bird. Le père au sax alto (virtuose, son épais, très typé) bien sur, son trompettiste de fils qui se plait à embrasser les suraiguës à pleine embouchure.  Résultat de la compèt au bout de la tournée, en plein JO de Rio.

Du jazz au menu

Ceci dit Vitoria nous aura donné aussi de purs plaisirs, des moments de bonheur de jazz comme on en entend pas aussi fréquemment, disons le. Et qu’on ne vienne pas refourguer l’argument bèta de la nostalgie de papys boomers, voire l’addiction à des produits datés d’hier ou d’avant hier. Non, je parle au présent, hic et nunc: quand plaisir il y’a de consommer, partager cette qualité de musique là, faut le dire, le crier sur les toits et l’émoi. Donc déjà, muchas gracias Monsieur Iñaki Añua de nous avoir fait ce cadeau pour le 40e anniversaire du festival. Et bien sur aux musiciens d’avoir joué le jeu.

Kenny Barron//Dave Holland pour commencer, avec des petits riens d’unisson, des instants de grande intensité. Plus des échanges, des chases ludiques à souhait, du partage quoi (dans l’esprit cette dédicace de Dave Holland à son pote disparu, le trompettiste Kenny Wheeler, Waltz for wheeler) Kenny Barron, c’est la délicatesse faite, un élan naturel sans jamais forcer le trait, du moelleux dans le toucher sur le clavier, des notes qui paraissent prendre un envol. Ajoutez-y une basse qui chante, juste dans le temps comme dans le tempo (Rain, composition bluesy dédiée à Ed Blackwell batteur originaire de la Nouvelle Orléans), un parfait soutien aux phases mélodiques. Facile d’apprécier le menu lorsque le curseur contrôle qualité monte ainsi dans les tours. Pas mal non plus le Trip (nom donné a son orchestre) de Tom Harrel. Le trompettiste « muet », confiné dans son autisme (maladie de toujours avérée) joue en simplicité (apparente), contrôle ses effets de sonorité avec minutie. Cette fois il n’a pas souhaité bénéficier du soutien d’un pianiste. Trompette ou bugle (son travaillé, magnifique) expriment des lignes musicales aériennes. Elles s’accordent avec le ténor plutôt sobre de Ralph Moore. Les deux cuivres trouvent ainsi un espace d’expression privilégié, épuré. 

On l’avait entendu  en trio + 1 l’été dernier déjà en accord avec Bad Plus. Cette fois Joshua Redman fait l’épreuve d’un vrai quartet, le sien, fort de la complicité, la cohésion surtout qui va avec. La musique produite n’en ressort que plus séduisante. On connaît ses qualités de saxophoniste, un son de ténor ou de soprano très personnel. Dans cette formule il y ajoute la patte du leader, celui qui pose les bases et conduit le groupe.  L’heure est au travail bien fait, aux problèmes harmoniques ou rythmiques bien posés dès le départ. Sans démonstration, sans outrance ni même virtuosité trop affichée. En ce sens Jorge Rossy cadre bien avec le décor, originalité dans le jeu mais soutien d’abord. Même chose chez  Kevin Hays. Le pianiste (et compositeur, trois thèmes dans le set) fait preuve de vista, d’une présence de tous les instants.

Le duo Carter/Metheny avait choisi lui d’explorer des standards, d’en  re-visiter une douzaine pour être exact (Manha de Carnaval, Freddie the Freeloader, St Thomas etc.) Là aussi la séduction (pour ne pas dire une certaine magie)  agit. Pat Metheny  guitariste électrique, acoustique, comment dire ? Quel que soit l’univers abordé il affiche une souplesse, une fluidité certaine dans les enchainements de notes, un sens de l’articulation dans ses parcours sur le manche des guitares (il faut voir le soin apporté à l’accord, dans la préparation et l’apport directement sur scène par la personne accréditée, Louise avec son sac à malice délices,  de la guitare utilisée pour chaque morceau) Ron Carter c’est un monument. Dans le duo, question de taille, de présence, de sonorité sur l’instrument bien entendu, sa personnalité n’en ressort que davantage. Par une élégance naturellement affichée, vestimentaire comme instrumentale. Dans un sabir patent sur les bonnes notes à jouer, le sens de la phrase exacte, la ponctuation apportée par la basse. Détail surprise: la façon du duo de se tenir sur l’immense scène de Mendizorrotza,. Face à face, quasi pressés l’un contre l’autre, manière de se centrer sur la musique jouée, d’additionner les forces au plus près de l’action…

Deux voix pour terminer. Une voix de femme d’abord, décidée, affirmée en tant que telle (Wild woman don’t have the blues, explicité en introduction avec un sourire entendu…) Une grande maîtrise vocale, une tessiture riche de graves autant que d’aiguës: Cecile McLorin Salvant a acquis désormais, c’est sur, une expérience marquée et qui se remarque. Une aisance dans l’expression aussi. Forte de ce registre vocal, cette personnalité étoffée, la chanteuse primée en France comme aux Etats Unis fait passer son message, Elle chante à dessein des petites histoires existentielles de tous les jours. Aaron Diehl son pianiste manifeste lui un vrai talent, dans  l’art de souligner le discours.

Le jazz avait donc donné rendez-vous à Vitoria. Dans une AOC certifiée qualité plus. Pour conclure pourtant, il fallait passer à autre chose, une bonne dose d’adrénaline directe, immédiate sinon de fun. Sur l’immense scène du Palais des Sports surchauffé, jouant, virevoltant, sautant  sur le piano et dans les airs, voici voilà Jamie Cullum…Un mot de remerciement d’abord histoire de montrer que l’on n’a pas affaire à un ingrat: « Vitoria est le premier festival  de ce pays qui m’ait  donné une chance de montrer ce que je savais faire.  Merci ! » Une déclaration ensuite, en mode de lucidité vis à vis de l’actualité immédiate « Rapport à Nice et bien avant, du Bataclan à Paris,  je mesure la chance aujourd’hui comme hier d’être là ce soir sur une scène à partager ce moment avec vous, » Le reste ? De la fougue, de la folie allumée au micro, au piano, avec des baguettes et des percussions au besoin. Deux heures de spectacle à rendre la foule folle. Histrion infatigable, au final il prie le public de venir près de lui au bord de la scène au grand dam de la sécurité qui n’en peut mais…A noter tout de même une séquence de piano solo construite, inspirée sur le Blackbird de Lennon Mc Cartney. Passage très jazz aussi tant qu’à faire, dans l’esprit et la lettre.

Certes on n’oublie pas le contexte pour autant. Mais n’ayons pas peur de le dire, Jazz à Vitoria-Gasteiz aura passé ses 40 ans de festival avec du plaisir conjugué  au pluriel.

Robert Latxague

|

Bizarre. Au sortir d’une heure et demie d’une musique lumineuse faite pour séduire les sens on tombe sur un « urgent » à peine le mobile rallumé. Violent, terrible, dément dans les chiffres affichés.  A  Nice, ville de festival, à Cimiez, jazz a toujours signifié fête. Chair de poule soudain à Vitoria.

Vitoria , Euskadi/Espagne, 14,15,16 juillet

Théâtre Principal

Gogo Penguin, Chris Illingworth (p), Nick Blacka (b), Rob Turner (dm)

Yaron Herman (p)

Rudresh Mahanthappa (as), John Mahanthappa (tp), Bob Avey (p), Thomson Kneeland (b), Rudy Royston (dm)

Polideportivo de Mendizorrotza

Tom Harrell (top, fog), Ralph Moore (ts, ss), Ugomma Okegwo (b), Adam Cruz (dm)

Joshua Redman (ts), Kevin Hays (p), Joe Sanders (b), Jorge Rossy (dm)

Kenny Barron (p), Dave Holland (b)

Jamie Cullum (p, voc), Tom Richards (ts, cl), Rory Simmons (tp), Chris Hill (b), Brad Webb (dm)

Path Metheny (elg, g), Ron Carter (b)

Cecile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul Wikivie (b), Laurence Leathers (dm)

Toujours solides les Gogos,avec une musique exécutée au carré. Le trio britannique possède un vrai son de groupe, reconnaissable dans son impact, sa force de caractère. La basse donne le ton et la mesure, sorte de « poteau mitan » comme on dit aux Antilles autour duquel tout s’articule, les figures rythmiques en particulier lancées puis répétées en crescendo en de longues séquences. Le pouvoir du dit power trio.

En piano solo cette fois Yaron Herman. Avec au bout du compte pas moins de trois rappels « Le public au Pays Basque est fantastique, je l’ai déjà vérifié » Sur scène Yaron parle peu,, ne donne pas beaucoup d’explications. Son truc à lui c’est de faire vivre au max le piano sous ses doigts. En solo, sans artifice il livre en vrac les variations de lumières apportées à ses notes, ses phrases, à la musique jouée sur l’instant. Ici et maintenant. A partir du choix  de folklores imaginaires (Ein Adir) ou non (You don’t know what love is) il modèle, façonne, mets en forme ou en relief, toujours concentré,  le regard rivé sur le  clavier. Désormais c’est clair, Yaron Herman est parvenu à une réelle maturité, de pianiste. De piano jazz.

Les Mahanthappa live et plein pot dans une course de vitesse sur des thèmes pris à cent à l’heure à partir de compositions du Bird. Le père au sax alto (virtuose, son épais, très typé) bien sur, son trompettiste de fils qui se plait à embrasser les suraiguës à pleine embouchure.  Résultat de la compèt au bout de la tournée, en plein JO de Rio.

Du jazz au menu

Ceci dit Vitoria nous aura donné aussi de purs plaisirs, des moments de bonheur de jazz comme on en entend pas aussi fréquemment, disons le. Et qu’on ne vienne pas refourguer l’argument bèta de la nostalgie de papys boomers, voire l’addiction à des produits datés d’hier ou d’avant hier. Non, je parle au présent, hic et nunc: quand plaisir il y’a de consommer, partager cette qualité de musique là, faut le dire, le crier sur les toits et l’émoi. Donc déjà, muchas gracias Monsieur Iñaki Añua de nous avoir fait ce cadeau pour le 40e anniversaire du festival. Et bien sur aux musiciens d’avoir joué le jeu.

Kenny Barron//Dave Holland pour commencer, avec des petits riens d’unisson, des instants de grande intensité. Plus des échanges, des chases ludiques à souhait, du partage quoi (dans l’esprit cette dédicace de Dave Holland à son pote disparu, le trompettiste Kenny Wheeler, Waltz for wheeler) Kenny Barron, c’est la délicatesse faite, un élan naturel sans jamais forcer le trait, du moelleux dans le toucher sur le clavier, des notes qui paraissent prendre un envol. Ajoutez-y une basse qui chante, juste dans le temps comme dans le tempo (Rain, composition bluesy dédiée à Ed Blackwell batteur originaire de la Nouvelle Orléans), un parfait soutien aux phases mélodiques. Facile d’apprécier le menu lorsque le curseur contrôle qualité monte ainsi dans les tours. Pas mal non plus le Trip (nom donné a son orchestre) de Tom Harrel. Le trompettiste « muet », confiné dans son autisme (maladie de toujours avérée) joue en simplicité (apparente), contrôle ses effets de sonorité avec minutie. Cette fois il n’a pas souhaité bénéficier du soutien d’un pianiste. Trompette ou bugle (son travaillé, magnifique) expriment des lignes musicales aériennes. Elles s’accordent avec le ténor plutôt sobre de Ralph Moore. Les deux cuivres trouvent ainsi un espace d’expression privilégié, épuré. 

On l’avait entendu  en trio + 1 l’été dernier déjà en accord avec Bad Plus. Cette fois Joshua Redman fait l’épreuve d’un vrai quartet, le sien, fort de la complicité, la cohésion surtout qui va avec. La musique produite n’en ressort que plus séduisante. On connaît ses qualités de saxophoniste, un son de ténor ou de soprano très personnel. Dans cette formule il y ajoute la patte du leader, celui qui pose les bases et conduit le groupe.  L’heure est au travail bien fait, aux problèmes harmoniques ou rythmiques bien posés dès le départ. Sans démonstration, sans outrance ni même virtuosité trop affichée. En ce sens Jorge Rossy cadre bien avec le décor, originalité dans le jeu mais soutien d’abord. Même chose chez  Kevin Hays. Le pianiste (et compositeur, trois thèmes dans le set) fait preuve de vista, d’une présence de tous les instants.

Le duo Carter/Metheny avait choisi lui d’explorer des standards, d’en  re-visiter une douzaine pour être exact (Manha de Carnaval, Freddie the Freeloader, St Thomas etc.) Là aussi la séduction (pour ne pas dire une certaine magie)  agit. Pat Metheny  guitariste électrique, acoustique, comment dire ? Quel que soit l’univers abordé il affiche une souplesse, une fluidité certaine dans les enchainements de notes, un sens de l’articulation dans ses parcours sur le manche des guitares (il faut voir le soin apporté à l’accord, dans la préparation et l’apport directement sur scène par la personne accréditée, Louise avec son sac à malice délices,  de la guitare utilisée pour chaque morceau) Ron Carter c’est un monument. Dans le duo, question de taille, de présence, de sonorité sur l’instrument bien entendu, sa personnalité n’en ressort que davantage. Par une élégance naturellement affichée, vestimentaire comme instrumentale. Dans un sabir patent sur les bonnes notes à jouer, le sens de la phrase exacte, la ponctuation apportée par la basse. Détail surprise: la façon du duo de se tenir sur l’immense scène de Mendizorrotza,. Face à face, quasi pressés l’un contre l’autre, manière de se centrer sur la musique jouée, d’additionner les forces au plus près de l’action…

Deux voix pour terminer. Une voix de femme d’abord, décidée, affirmée en tant que telle (Wild woman don’t have the blues, explicité en introduction avec un sourire entendu…) Une grande maîtrise vocale, une tessiture riche de graves autant que d’aiguës: Cecile McLorin Salvant a acquis désormais, c’est sur, une expérience marquée et qui se remarque. Une aisance dans l’expression aussi. Forte de ce registre vocal, cette personnalité étoffée, la chanteuse primée en France comme aux Etats Unis fait passer son message, Elle chante à dessein des petites histoires existentielles de tous les jours. Aaron Diehl son pianiste manifeste lui un vrai talent, dans  l’art de souligner le discours.

Le jazz avait donc donné rendez-vous à Vitoria. Dans une AOC certifiée qualité plus. Pour conclure pourtant, il fallait passer à autre chose, une bonne dose d’adrénaline directe, immédiate sinon de fun. Sur l’immense scène du Palais des Sports surchauffé, jouant, virevoltant, sautant  sur le piano et dans les airs, voici voilà Jamie Cullum…Un mot de remerciement d’abord histoire de montrer que l’on n’a pas affaire à un ingrat: « Vitoria est le premier festival  de ce pays qui m’ait  donné une chance de montrer ce que je savais faire.  Merci ! » Une déclaration ensuite, en mode de lucidité vis à vis de l’actualité immédiate « Rapport à Nice et bien avant, du Bataclan à Paris,  je mesure la chance aujourd’hui comme hier d’être là ce soir sur une scène à partager ce moment avec vous, » Le reste ? De la fougue, de la folie allumée au micro, au piano, avec des baguettes et des percussions au besoin. Deux heures de spectacle à rendre la foule folle. Histrion infatigable, au final il prie le public de venir près de lui au bord de la scène au grand dam de la sécurité qui n’en peut mais…A noter tout de même une séquence de piano solo construite, inspirée sur le Blackbird de Lennon Mc Cartney. Passage très jazz aussi tant qu’à faire, dans l’esprit et la lettre.

Certes on n’oublie pas le contexte pour autant. Mais n’ayons pas peur de le dire, Jazz à Vitoria-Gasteiz aura passé ses 40 ans de festival avec du plaisir conjugué  au pluriel.

Robert Latxague