Jazz live
Publié le 12 Mai 2013

Wood à l'Improviste et histoires de caniches

 Hier, 11 mai, Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau présentaient leur duo Wood à Paris, sur la péniche l’Improviste qui se rapproche du centre de Paris. Désormais amarrée au quai de Loire à hauteur du numéro 34, elle devrait au cours de l’été gagner le quai Montebello, face à l’Ile de la Cité et à Notre Dame de Paris. Au même moment, on s’interrogeait sur la légion d’honneur requise pour Bob Dylan et quelques autres sujets gravissimes.

 

 

Péniche l’Improviste, Paris (75), le 11 mai 2013.


“WOOD” : Matthieu Donarier (clarinette, saxes soprano et ténor), Sébastien Boisseau (contrebasse).


Toujours des lentilles

Depuis que j’ai signalé ce phénomène dans mon blog du 24 mars, les sacs de lentilles à trier n’ont cessé de s’accumuler devant ma porte, livrés la nuit par de mystérieux commanditaires, chaque fois en un peu plus grande quantité que la précédente, m’interdisant désormais toute sortie. Même en admettant que leurs livraisons s’arrête, j’ai pris un tel retard qu’on ne me reverra hors de chez moi avant l’été. Si bien qu’à lire ce blog, où il n’y a plus que les “Provinciaux ”qui y racontent leurs concerts, on pourrait croire que Paris et sa région sont touchés par une grève des concerts.


Deux sets de « longueurs » inégales

Hier, cependant, je me suis échappé. Il y avait trop longtemps que je n’avais pas écouté en chair et en os Matthieu Donarier et Sébastien. De nouveaux sacs s’étant accumulés devant ma porte pendant mon absence, je serai bref et ne dirai que quelques mots des impressions des personnes que j’avais entraînées avec moi et qui écoutèrent ce concert peut-être avec un peu plus de recul que moi, dans la crise de manque de musique live où je me trouve ces temps-ci. Et qui partagèrent avec la moi la fascination pour le son individuel et collectif, pour la justesse, pour la beauté du geste (l’une d’elles interrogea longuement Sébastien Boisseau sur les multiples techniques de pince qui se succédèrent lors d’une longue séquence ostinato traversées de mille nuances, et sans jamais perdre de son intensité grâce justement à cette diversité du geste permettant de reporter chaque fois l’effort sur des muscles différents), mais qui trouvèrent des longueurs à la première partie, avant d’être constamment séduites par la seconde. Je crois que c’est encore Sébastien Boisseau qui, interrogé sur ce point, reconnut de bonne grâce ce déséquilibre et l’expliqua ainsi : le duo, tel qu’il s’est constitué (voir le papier qui lui est consacré dans notre numéro de mai encore en kiosque) et tel qu’il brille sur le disque “Wood” (Choc Jazz Magazine) qui fait se succéder des formats courts d’une admirable concision, n’est pas habitué au travail en club ni donc à jouer en deux sets. Dans ce nouveau cas de figure, en première partie, les deux musiciens, surpris par ce cadre qu’ils n’avaient jamais pratiqué avec Wood, se seraient laissés aller à tirer un peu en longueur sur des valeurs qui tendaient au monochrome. Mais conscients du problème, ils se sont rattrapés en seconde partie par un set beaucoup plus enlevé, ramassé et contrasté (notamment grâce à l’introduction du vif From Time to Time Free de Joachim Kühn et Daniel Humair), finalement plus fidèle à leur disque qui est un chef d’œuvre.


Un grave souci

Je n’en dirai pas plus, faute d’avoir pris des notes, mes préoccupations ayant altéré mes capacité de mémorisation. Car au souci causé par mes sacs de lentilles (voir plus haut), s’est ajoutée une grave question. Bob Dylan obtiendra-t-il la légion d’honneur que voudrait lui refuser la Grande Chancellerie ? L’auteur de Masters of War et The Times They Are A-Changin’, l’attend-il en tendant la patte comme un caniche ? Sait-il que s’il obtient ce que son pair, George Brassens, appelait « le fatal insigne », il partagera cet honneur avec des héros de guerre, de sciences et de culture, mais aussi avec Isabelle Balkany, condamnée pour prise illégales d’intérêt, Jacques Servier (mis en examen pour tromperie, escroquerie, homicides et blessures involontaires dans l’affaire du Médiator après avoir été fait Grand-Croix par le Président Sarkozy, son ancien avocat) et beaucoup d’autres… ? Connaît-il la liste de ceux qui l’on refusée : outre Brassens, Bourvil par modestie, Pierre et Marie Curie qui « n’en voyaient pas la nécessité », Gustave Courbet dans une lettre admirable au Ministre des Lettres se terminant ainsi : « J’ai cinquante ans, et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence, libre ; quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté !… ».


Par le trou de la serrure

Madame la Ministre, Aurélie Filippetti a ce grave problème sur les épaules. Et une autre grande préoccupation. Y aura-t-il une femme à la tête du prochain ONJ ? Ce qui revient à regarder par le trou de la serrure pour observer le jazz et plus particulièrement cette curieuse usine à gaz qu’est devenu l’ONJ. Certes, Daniel Yvinec ne s’en est pas trop mal tiré… le pauvre qui n’a pu y jouer une note de basse et n’a pu écrire de musique que par procuration durant tout ce mandat. Il paraît que l’on va connaître le(a) futur(e) “directeur(ice) artistique » dans les jours qui viennent. On lui souhaite bien du courage et de l’abnégation. Car ce n’est pas un musicien que l’on attend, mais une espèce de programmateur, concepteur de projets, dans une institution désormais tenue par ce monde de la programmation qui ne sait plus faire jouer un orchestre régulier sauf à lui passer une commande spéciale et s’attribuer ainsi un rôle de créateur par procuration. Et si Madame la Ministre, quittait le trou de la serrure et ouvrait la porte toute grande pour regarder. Elle y trouverait peut-être dans la poubelle laissée par Frédéric Mitterand le rapport de la commission sur le jazz qu’il avait commandité.


Des femmes, des femmes…

Si l’on oubliait un peu le concept pour revenir à la qualité du geste musical. Si l’on donnait les moyens aux formations existantes de travailler. Si l’on ouvrait au jazz les portes des scènes nationales comme le suggérait Jean-Marie Machado dans le “Passe à table” de notre numéro de décembre. Madame Filippetti (qui ne l’a probablement jamais entendue, pas plus qu’elle ne connaît les musiques d’Hélène Labarrière, Sophia Domancich, Airelle Besson, Sylvaine Hélary, Alexandra Grimal, Joëlle Léandre, Sylvia Versini, Isabelle Olivier, Aurélie Tropez… qui me pardonneront de les réunir ici dans un ghetto, parce qu’elles savent que je les ai écoutées, sur disques et en concert, pour ce qu’elles sont, des artistes aux expressions très diverses) aurait certainement aimé voir à la tête de l’ONJ Sylvia Versini, seule femme en France, à ma connaissance, ayant une expérience durable d’écriture et de direction de grand orchestre de jazz. Pour représenter les femmes parmi les candidats au poste, un premier jury a préféré retenir l’excellente Airelle Besson pourtant  sans expérience équivalente connue. Mais la priorité n’est pas de confier ou non à Sylvia Versini une responsabilité (celle de diriger un ONJ) pour laquelle elle n’est probablement pas encore prête, mais plutôt de lui donner, à elle et à d’autres, les moyens de faire jouer son orchestre plus d’une fois par an.


Ouah! Ouha! Grrrr! Arf! Arf! Fido, Fido! Don’t eat the yellow snow!

Lorsqu’on lui proposa la Légion d’honneur (qu’il finit par accepter) en paiement de 3000 Francs promis pour son Requiem et que l’État n’avait plus en caisse, Berlioz se serait écrié : « Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! ». Quant au curé d’Ars, il aurait répondu au maire d’Ars venu lui annoncer sa décoration : « Dites à l’Empereur qu’il garde sa croix, puisque les pauvres n’auront rien à y gagner. » Et si tous nos jazzeux décorés de la légion d’honneur et de la multitude de breloques en circulation dans l’ordre des Arts, des Lettres et du mérite agricole renvoyaient leurs médailles et leurs colliers de caniche à la Ministre, puisque le jazz n’a jamais rien eu à y gagner ?


Tout ça vite dit en passant. Mes lentilles m’attendent…

Franck Bergerot


Quelques sacs de lentilles (en plus de beaucoup d’autres à retrouver triés dans les pages ou dans les coulisses de Jazz Magazine et Muziq, dont un guide des festivals préparé par Jonathan Glusman à paraître dans la nouvelle maquette de notre numéro de juin): lentilles vertes du Puy, lentilles blondes de Saint-Flour

 

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 Hier, 11 mai, Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau présentaient leur duo Wood à Paris, sur la péniche l’Improviste qui se rapproche du centre de Paris. Désormais amarrée au quai de Loire à hauteur du numéro 34, elle devrait au cours de l’été gagner le quai Montebello, face à l’Ile de la Cité et à Notre Dame de Paris. Au même moment, on s’interrogeait sur la légion d’honneur requise pour Bob Dylan et quelques autres sujets gravissimes.

 

 

Péniche l’Improviste, Paris (75), le 11 mai 2013.


“WOOD” : Matthieu Donarier (clarinette, saxes soprano et ténor), Sébastien Boisseau (contrebasse).


Toujours des lentilles

Depuis que j’ai signalé ce phénomène dans mon blog du 24 mars, les sacs de lentilles à trier n’ont cessé de s’accumuler devant ma porte, livrés la nuit par de mystérieux commanditaires, chaque fois en un peu plus grande quantité que la précédente, m’interdisant désormais toute sortie. Même en admettant que leurs livraisons s’arrête, j’ai pris un tel retard qu’on ne me reverra hors de chez moi avant l’été. Si bien qu’à lire ce blog, où il n’y a plus que les “Provinciaux ”qui y racontent leurs concerts, on pourrait croire que Paris et sa région sont touchés par une grève des concerts.


Deux sets de « longueurs » inégales

Hier, cependant, je me suis échappé. Il y avait trop longtemps que je n’avais pas écouté en chair et en os Matthieu Donarier et Sébastien. De nouveaux sacs s’étant accumulés devant ma porte pendant mon absence, je serai bref et ne dirai que quelques mots des impressions des personnes que j’avais entraînées avec moi et qui écoutèrent ce concert peut-être avec un peu plus de recul que moi, dans la crise de manque de musique live où je me trouve ces temps-ci. Et qui partagèrent avec la moi la fascination pour le son individuel et collectif, pour la justesse, pour la beauté du geste (l’une d’elles interrogea longuement Sébastien Boisseau sur les multiples techniques de pince qui se succédèrent lors d’une longue séquence ostinato traversées de mille nuances, et sans jamais perdre de son intensité grâce justement à cette diversité du geste permettant de reporter chaque fois l’effort sur des muscles différents), mais qui trouvèrent des longueurs à la première partie, avant d’être constamment séduites par la seconde. Je crois que c’est encore Sébastien Boisseau qui, interrogé sur ce point, reconnut de bonne grâce ce déséquilibre et l’expliqua ainsi : le duo, tel qu’il s’est constitué (voir le papier qui lui est consacré dans notre numéro de mai encore en kiosque) et tel qu’il brille sur le disque “Wood” (Choc Jazz Magazine) qui fait se succéder des formats courts d’une admirable concision, n’est pas habitué au travail en club ni donc à jouer en deux sets. Dans ce nouveau cas de figure, en première partie, les deux musiciens, surpris par ce cadre qu’ils n’avaient jamais pratiqué avec Wood, se seraient laissés aller à tirer un peu en longueur sur des valeurs qui tendaient au monochrome. Mais conscients du problème, ils se sont rattrapés en seconde partie par un set beaucoup plus enlevé, ramassé et contrasté (notamment grâce à l’introduction du vif From Time to Time Free de Joachim Kühn et Daniel Humair), finalement plus fidèle à leur disque qui est un chef d’œuvre.


Un grave souci

Je n’en dirai pas plus, faute d’avoir pris des notes, mes préoccupations ayant altéré mes capacité de mémorisation. Car au souci causé par mes sacs de lentilles (voir plus haut), s’est ajoutée une grave question. Bob Dylan obtiendra-t-il la légion d’honneur que voudrait lui refuser la Grande Chancellerie ? L’auteur de Masters of War et The Times They Are A-Changin’, l’attend-il en tendant la patte comme un caniche ? Sait-il que s’il obtient ce que son pair, George Brassens, appelait « le fatal insigne », il partagera cet honneur avec des héros de guerre, de sciences et de culture, mais aussi avec Isabelle Balkany, condamnée pour prise illégales d’intérêt, Jacques Servier (mis en examen pour tromperie, escroquerie, homicides et blessures involontaires dans l’affaire du Médiator après avoir été fait Grand-Croix par le Président Sarkozy, son ancien avocat) et beaucoup d’autres… ? Connaît-il la liste de ceux qui l’on refusée : outre Brassens, Bourvil par modestie, Pierre et Marie Curie qui « n’en voyaient pas la nécessité », Gustave Courbet dans une lettre admirable au Ministre des Lettres se terminant ainsi : « J’ai cinquante ans, et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence, libre ; quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté !… ».


Par le trou de la serrure

Madame la Ministre, Aurélie Filippetti a ce grave problème sur les épaules. Et une autre grande préoccupation. Y aura-t-il une femme à la tête du prochain ONJ ? Ce qui revient à regarder par le trou de la serrure pour observer le jazz et plus particulièrement cette curieuse usine à gaz qu’est devenu l’ONJ. Certes, Daniel Yvinec ne s’en est pas trop mal tiré… le pauvre qui n’a pu y jouer une note de basse et n’a pu écrire de musique que par procuration durant tout ce mandat. Il paraît que l’on va connaître le(a) futur(e) “directeur(ice) artistique » dans les jours qui viennent. On lui souhaite bien du courage et de l’abnégation. Car ce n’est pas un musicien que l’on attend, mais une espèce de programmateur, concepteur de projets, dans une institution désormais tenue par ce monde de la programmation qui ne sait plus faire jouer un orchestre régulier sauf à lui passer une commande spéciale et s’attribuer ainsi un rôle de créateur par procuration. Et si Madame la Ministre, quittait le trou de la serrure et ouvrait la porte toute grande pour regarder. Elle y trouverait peut-être dans la poubelle laissée par Frédéric Mitterand le rapport de la commission sur le jazz qu’il avait commandité.


Des femmes, des femmes…

Si l’on oubliait un peu le concept pour revenir à la qualité du geste musical. Si l’on donnait les moyens aux formations existantes de travailler. Si l’on ouvrait au jazz les portes des scènes nationales comme le suggérait Jean-Marie Machado dans le “Passe à table” de notre numéro de décembre. Madame Filippetti (qui ne l’a probablement jamais entendue, pas plus qu’elle ne connaît les musiques d’Hélène Labarrière, Sophia Domancich, Airelle Besson, Sylvaine Hélary, Alexandra Grimal, Joëlle Léandre, Sylvia Versini, Isabelle Olivier, Aurélie Tropez… qui me pardonneront de les réunir ici dans un ghetto, parce qu’elles savent que je les ai écoutées, sur disques et en concert, pour ce qu’elles sont, des artistes aux expressions très diverses) aurait certainement aimé voir à la tête de l’ONJ Sylvia Versini, seule femme en France, à ma connaissance, ayant une expérience durable d’écriture et de direction de grand orchestre de jazz. Pour représenter les femmes parmi les candidats au poste, un premier jury a préféré retenir l’excellente Airelle Besson pourtant  sans expérience équivalente connue. Mais la priorité n’est pas de confier ou non à Sylvia Versini une responsabilité (celle de diriger un ONJ) pour laquelle elle n’est probablement pas encore prête, mais plutôt de lui donner, à elle et à d’autres, les moyens de faire jouer son orchestre plus d’une fois par an.


Ouah! Ouha! Grrrr! Arf! Arf! Fido, Fido! Don’t eat the yellow snow!

Lorsqu’on lui proposa la Légion d’honneur (qu’il finit par accepter) en paiement de 3000 Francs promis pour son Requiem et que l’État n’avait plus en caisse, Berlioz se serait écrié : « Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! ». Quant au curé d’Ars, il aurait répondu au maire d’Ars venu lui annoncer sa décoration : « Dites à l’Empereur qu’il garde sa croix, puisque les pauvres n’auront rien à y gagner. » Et si tous nos jazzeux décorés de la légion d’honneur et de la multitude de breloques en circulation dans l’ordre des Arts, des Lettres et du mérite agricole renvoyaient leurs médailles et leurs colliers de caniche à la Ministre, puisque le jazz n’a jamais rien eu à y gagner ?


Tout ça vite dit en passant. Mes lentilles m’attendent…

Franck Bergerot


Quelques sacs de lentilles (en plus de beaucoup d’autres à retrouver triés dans les pages ou dans les coulisses de Jazz Magazine et Muziq, dont un guide des festivals préparé par Jonathan Glusman à paraître dans la nouvelle maquette de notre numéro de juin): lentilles vertes du Puy, lentilles blondes de Saint-Flour

 

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 Hier, 11 mai, Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau présentaient leur duo Wood à Paris, sur la péniche l’Improviste qui se rapproche du centre de Paris. Désormais amarrée au quai de Loire à hauteur du numéro 34, elle devrait au cours de l’été gagner le quai Montebello, face à l’Ile de la Cité et à Notre Dame de Paris. Au même moment, on s’interrogeait sur la légion d’honneur requise pour Bob Dylan et quelques autres sujets gravissimes.

 

 

Péniche l’Improviste, Paris (75), le 11 mai 2013.


“WOOD” : Matthieu Donarier (clarinette, saxes soprano et ténor), Sébastien Boisseau (contrebasse).


Toujours des lentilles

Depuis que j’ai signalé ce phénomène dans mon blog du 24 mars, les sacs de lentilles à trier n’ont cessé de s’accumuler devant ma porte, livrés la nuit par de mystérieux commanditaires, chaque fois en un peu plus grande quantité que la précédente, m’interdisant désormais toute sortie. Même en admettant que leurs livraisons s’arrête, j’ai pris un tel retard qu’on ne me reverra hors de chez moi avant l’été. Si bien qu’à lire ce blog, où il n’y a plus que les “Provinciaux ”qui y racontent leurs concerts, on pourrait croire que Paris et sa région sont touchés par une grève des concerts.


Deux sets de « longueurs » inégales

Hier, cependant, je me suis échappé. Il y avait trop longtemps que je n’avais pas écouté en chair et en os Matthieu Donarier et Sébastien. De nouveaux sacs s’étant accumulés devant ma porte pendant mon absence, je serai bref et ne dirai que quelques mots des impressions des personnes que j’avais entraînées avec moi et qui écoutèrent ce concert peut-être avec un peu plus de recul que moi, dans la crise de manque de musique live où je me trouve ces temps-ci. Et qui partagèrent avec la moi la fascination pour le son individuel et collectif, pour la justesse, pour la beauté du geste (l’une d’elles interrogea longuement Sébastien Boisseau sur les multiples techniques de pince qui se succédèrent lors d’une longue séquence ostinato traversées de mille nuances, et sans jamais perdre de son intensité grâce justement à cette diversité du geste permettant de reporter chaque fois l’effort sur des muscles différents), mais qui trouvèrent des longueurs à la première partie, avant d’être constamment séduites par la seconde. Je crois que c’est encore Sébastien Boisseau qui, interrogé sur ce point, reconnut de bonne grâce ce déséquilibre et l’expliqua ainsi : le duo, tel qu’il s’est constitué (voir le papier qui lui est consacré dans notre numéro de mai encore en kiosque) et tel qu’il brille sur le disque “Wood” (Choc Jazz Magazine) qui fait se succéder des formats courts d’une admirable concision, n’est pas habitué au travail en club ni donc à jouer en deux sets. Dans ce nouveau cas de figure, en première partie, les deux musiciens, surpris par ce cadre qu’ils n’avaient jamais pratiqué avec Wood, se seraient laissés aller à tirer un peu en longueur sur des valeurs qui tendaient au monochrome. Mais conscients du problème, ils se sont rattrapés en seconde partie par un set beaucoup plus enlevé, ramassé et contrasté (notamment grâce à l’introduction du vif From Time to Time Free de Joachim Kühn et Daniel Humair), finalement plus fidèle à leur disque qui est un chef d’œuvre.


Un grave souci

Je n’en dirai pas plus, faute d’avoir pris des notes, mes préoccupations ayant altéré mes capacité de mémorisation. Car au souci causé par mes sacs de lentilles (voir plus haut), s’est ajoutée une grave question. Bob Dylan obtiendra-t-il la légion d’honneur que voudrait lui refuser la Grande Chancellerie ? L’auteur de Masters of War et The Times They Are A-Changin’, l’attend-il en tendant la patte comme un caniche ? Sait-il que s’il obtient ce que son pair, George Brassens, appelait « le fatal insigne », il partagera cet honneur avec des héros de guerre, de sciences et de culture, mais aussi avec Isabelle Balkany, condamnée pour prise illégales d’intérêt, Jacques Servier (mis en examen pour tromperie, escroquerie, homicides et blessures involontaires dans l’affaire du Médiator après avoir été fait Grand-Croix par le Président Sarkozy, son ancien avocat) et beaucoup d’autres… ? Connaît-il la liste de ceux qui l’on refusée : outre Brassens, Bourvil par modestie, Pierre et Marie Curie qui « n’en voyaient pas la nécessité », Gustave Courbet dans une lettre admirable au Ministre des Lettres se terminant ainsi : « J’ai cinquante ans, et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence, libre ; quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté !… ».


Par le trou de la serrure

Madame la Ministre, Aurélie Filippetti a ce grave problème sur les épaules. Et une autre grande préoccupation. Y aura-t-il une femme à la tête du prochain ONJ ? Ce qui revient à regarder par le trou de la serrure pour observer le jazz et plus particulièrement cette curieuse usine à gaz qu’est devenu l’ONJ. Certes, Daniel Yvinec ne s’en est pas trop mal tiré… le pauvre qui n’a pu y jouer une note de basse et n’a pu écrire de musique que par procuration durant tout ce mandat. Il paraît que l’on va connaître le(a) futur(e) “directeur(ice) artistique » dans les jours qui viennent. On lui souhaite bien du courage et de l’abnégation. Car ce n’est pas un musicien que l’on attend, mais une espèce de programmateur, concepteur de projets, dans une institution désormais tenue par ce monde de la programmation qui ne sait plus faire jouer un orchestre régulier sauf à lui passer une commande spéciale et s’attribuer ainsi un rôle de créateur par procuration. Et si Madame la Ministre, quittait le trou de la serrure et ouvrait la porte toute grande pour regarder. Elle y trouverait peut-être dans la poubelle laissée par Frédéric Mitterand le rapport de la commission sur le jazz qu’il avait commandité.


Des femmes, des femmes…

Si l’on oubliait un peu le concept pour revenir à la qualité du geste musical. Si l’on donnait les moyens aux formations existantes de travailler. Si l’on ouvrait au jazz les portes des scènes nationales comme le suggérait Jean-Marie Machado dans le “Passe à table” de notre numéro de décembre. Madame Filippetti (qui ne l’a probablement jamais entendue, pas plus qu’elle ne connaît les musiques d’Hélène Labarrière, Sophia Domancich, Airelle Besson, Sylvaine Hélary, Alexandra Grimal, Joëlle Léandre, Sylvia Versini, Isabelle Olivier, Aurélie Tropez… qui me pardonneront de les réunir ici dans un ghetto, parce qu’elles savent que je les ai écoutées, sur disques et en concert, pour ce qu’elles sont, des artistes aux expressions très diverses) aurait certainement aimé voir à la tête de l’ONJ Sylvia Versini, seule femme en France, à ma connaissance, ayant une expérience durable d’écriture et de direction de grand orchestre de jazz. Pour représenter les femmes parmi les candidats au poste, un premier jury a préféré retenir l’excellente Airelle Besson pourtant  sans expérience équivalente connue. Mais la priorité n’est pas de confier ou non à Sylvia Versini une responsabilité (celle de diriger un ONJ) pour laquelle elle n’est probablement pas encore prête, mais plutôt de lui donner, à elle et à d’autres, les moyens de faire jouer son orchestre plus d’une fois par an.


Ouah! Ouha! Grrrr! Arf! Arf! Fido, Fido! Don’t eat the yellow snow!

Lorsqu’on lui proposa la Légion d’honneur (qu’il finit par accepter) en paiement de 3000 Francs promis pour son Requiem et que l’État n’avait plus en caisse, Berlioz se serait écrié : « Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! ». Quant au curé d’Ars, il aurait répondu au maire d’Ars venu lui annoncer sa décoration : « Dites à l’Empereur qu’il garde sa croix, puisque les pauvres n’auront rien à y gagner. » Et si tous nos jazzeux décorés de la légion d’honneur et de la multitude de breloques en circulation dans l’ordre des Arts, des Lettres et du mérite agricole renvoyaient leurs médailles et leurs colliers de caniche à la Ministre, puisque le jazz n’a jamais rien eu à y gagner ?


Tout ça vite dit en passant. Mes lentilles m’attendent…

Franck Bergerot


Quelques sacs de lentilles (en plus de beaucoup d’autres à retrouver triés dans les pages ou dans les coulisses de Jazz Magazine et Muziq, dont un guide des festivals préparé par Jonathan Glusman à paraître dans la nouvelle maquette de notre numéro de juin): lentilles vertes du Puy, lentilles blondes de Saint-Flour

 

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 Hier, 11 mai, Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau présentaient leur duo Wood à Paris, sur la péniche l’Improviste qui se rapproche du centre de Paris. Désormais amarrée au quai de Loire à hauteur du numéro 34, elle devrait au cours de l’été gagner le quai Montebello, face à l’Ile de la Cité et à Notre Dame de Paris. Au même moment, on s’interrogeait sur la légion d’honneur requise pour Bob Dylan et quelques autres sujets gravissimes.

 

 

Péniche l’Improviste, Paris (75), le 11 mai 2013.


“WOOD” : Matthieu Donarier (clarinette, saxes soprano et ténor), Sébastien Boisseau (contrebasse).


Toujours des lentilles

Depuis que j’ai signalé ce phénomène dans mon blog du 24 mars, les sacs de lentilles à trier n’ont cessé de s’accumuler devant ma porte, livrés la nuit par de mystérieux commanditaires, chaque fois en un peu plus grande quantité que la précédente, m’interdisant désormais toute sortie. Même en admettant que leurs livraisons s’arrête, j’ai pris un tel retard qu’on ne me reverra hors de chez moi avant l’été. Si bien qu’à lire ce blog, où il n’y a plus que les “Provinciaux ”qui y racontent leurs concerts, on pourrait croire que Paris et sa région sont touchés par une grève des concerts.


Deux sets de « longueurs » inégales

Hier, cependant, je me suis échappé. Il y avait trop longtemps que je n’avais pas écouté en chair et en os Matthieu Donarier et Sébastien. De nouveaux sacs s’étant accumulés devant ma porte pendant mon absence, je serai bref et ne dirai que quelques mots des impressions des personnes que j’avais entraînées avec moi et qui écoutèrent ce concert peut-être avec un peu plus de recul que moi, dans la crise de manque de musique live où je me trouve ces temps-ci. Et qui partagèrent avec la moi la fascination pour le son individuel et collectif, pour la justesse, pour la beauté du geste (l’une d’elles interrogea longuement Sébastien Boisseau sur les multiples techniques de pince qui se succédèrent lors d’une longue séquence ostinato traversées de mille nuances, et sans jamais perdre de son intensité grâce justement à cette diversité du geste permettant de reporter chaque fois l’effort sur des muscles différents), mais qui trouvèrent des longueurs à la première partie, avant d’être constamment séduites par la seconde. Je crois que c’est encore Sébastien Boisseau qui, interrogé sur ce point, reconnut de bonne grâce ce déséquilibre et l’expliqua ainsi : le duo, tel qu’il s’est constitué (voir le papier qui lui est consacré dans notre numéro de mai encore en kiosque) et tel qu’il brille sur le disque “Wood” (Choc Jazz Magazine) qui fait se succéder des formats courts d’une admirable concision, n’est pas habitué au travail en club ni donc à jouer en deux sets. Dans ce nouveau cas de figure, en première partie, les deux musiciens, surpris par ce cadre qu’ils n’avaient jamais pratiqué avec Wood, se seraient laissés aller à tirer un peu en longueur sur des valeurs qui tendaient au monochrome. Mais conscients du problème, ils se sont rattrapés en seconde partie par un set beaucoup plus enlevé, ramassé et contrasté (notamment grâce à l’introduction du vif From Time to Time Free de Joachim Kühn et Daniel Humair), finalement plus fidèle à leur disque qui est un chef d’œuvre.


Un grave souci

Je n’en dirai pas plus, faute d’avoir pris des notes, mes préoccupations ayant altéré mes capacité de mémorisation. Car au souci causé par mes sacs de lentilles (voir plus haut), s’est ajoutée une grave question. Bob Dylan obtiendra-t-il la légion d’honneur que voudrait lui refuser la Grande Chancellerie ? L’auteur de Masters of War et The Times They Are A-Changin’, l’attend-il en tendant la patte comme un caniche ? Sait-il que s’il obtient ce que son pair, George Brassens, appelait « le fatal insigne », il partagera cet honneur avec des héros de guerre, de sciences et de culture, mais aussi avec Isabelle Balkany, condamnée pour prise illégales d’intérêt, Jacques Servier (mis en examen pour tromperie, escroquerie, homicides et blessures involontaires dans l’affaire du Médiator après avoir été fait Grand-Croix par le Président Sarkozy, son ancien avocat) et beaucoup d’autres… ? Connaît-il la liste de ceux qui l’on refusée : outre Brassens, Bourvil par modestie, Pierre et Marie Curie qui « n’en voyaient pas la nécessité », Gustave Courbet dans une lettre admirable au Ministre des Lettres se terminant ainsi : « J’ai cinquante ans, et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence, libre ; quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté !… ».


Par le trou de la serrure

Madame la Ministre, Aurélie Filippetti a ce grave problème sur les épaules. Et une autre grande préoccupation. Y aura-t-il une femme à la tête du prochain ONJ ? Ce qui revient à regarder par le trou de la serrure pour observer le jazz et plus particulièrement cette curieuse usine à gaz qu’est devenu l’ONJ. Certes, Daniel Yvinec ne s’en est pas trop mal tiré… le pauvre qui n’a pu y jouer une note de basse et n’a pu écrire de musique que par procuration durant tout ce mandat. Il paraît que l’on va connaître le(a) futur(e) “directeur(ice) artistique » dans les jours qui viennent. On lui souhaite bien du courage et de l’abnégation. Car ce n’est pas un musicien que l’on attend, mais une espèce de programmateur, concepteur de projets, dans une institution désormais tenue par ce monde de la programmation qui ne sait plus faire jouer un orchestre régulier sauf à lui passer une commande spéciale et s’attribuer ainsi un rôle de créateur par procuration. Et si Madame la Ministre, quittait le trou de la serrure et ouvrait la porte toute grande pour regarder. Elle y trouverait peut-être dans la poubelle laissée par Frédéric Mitterand le rapport de la commission sur le jazz qu’il avait commandité.


Des femmes, des femmes…

Si l’on oubliait un peu le concept pour revenir à la qualité du geste musical. Si l’on donnait les moyens aux formations existantes de travailler. Si l’on ouvrait au jazz les portes des scènes nationales comme le suggérait Jean-Marie Machado dans le “Passe à table” de notre numéro de décembre. Madame Filippetti (qui ne l’a probablement jamais entendue, pas plus qu’elle ne connaît les musiques d’Hélène Labarrière, Sophia Domancich, Airelle Besson, Sylvaine Hélary, Alexandra Grimal, Joëlle Léandre, Sylvia Versini, Isabelle Olivier, Aurélie Tropez… qui me pardonneront de les réunir ici dans un ghetto, parce qu’elles savent que je les ai écoutées, sur disques et en concert, pour ce qu’elles sont, des artistes aux expressions très diverses) aurait certainement aimé voir à la tête de l’ONJ Sylvia Versini, seule femme en France, à ma connaissance, ayant une expérience durable d’écriture et de direction de grand orchestre de jazz. Pour représenter les femmes parmi les candidats au poste, un premier jury a préféré retenir l’excellente Airelle Besson pourtant  sans expérience équivalente connue. Mais la priorité n’est pas de confier ou non à Sylvia Versini une responsabilité (celle de diriger un ONJ) pour laquelle elle n’est probablement pas encore prête, mais plutôt de lui donner, à elle et à d’autres, les moyens de faire jouer son orchestre plus d’une fois par an.


Ouah! Ouha! Grrrr! Arf! Arf! Fido, Fido! Don’t eat the yellow snow!

Lorsqu’on lui proposa la Légion d’honneur (qu’il finit par accepter) en paiement de 3000 Francs promis pour son Requiem et que l’État n’avait plus en caisse, Berlioz se serait écrié : « Je me fous de votre croix. Donnez-moi mon argent ! ». Quant au curé d’Ars, il aurait répondu au maire d’Ars venu lui annoncer sa décoration : « Dites à l’Empereur qu’il garde sa croix, puisque les pauvres n’auront rien à y gagner. » Et si tous nos jazzeux décorés de la légion d’honneur et de la multitude de breloques en circulation dans l’ordre des Arts, des Lettres et du mérite agricole renvoyaient leurs médailles et leurs colliers de caniche à la Ministre, puisque le jazz n’a jamais rien eu à y gagner ?


Tout ça vite dit en passant. Mes lentilles m’attendent…

Franck Bergerot


Quelques sacs de lentilles (en plus de beaucoup d’autres à retrouver triés dans les pages ou dans les coulisses de Jazz Magazine et Muziq, dont un guide des festivals préparé par Jonathan Glusman à paraître dans la nouvelle maquette de notre numéro de juin): lentilles vertes du Puy, lentilles blondes de Saint-Flour