Yonathan Avishai et les Romantiques

Les Romantiques, c’est-à-dire : Christophe Panzani et Pierre Perchaud. Tous trois donnaient leur premier concert hier soir 5 août au Sunside. Et ils y rejoueront ce soir, 6 août.
Un soir, en fin de concert, quelqu’un est venu trouver Yonathan Avishai et lui a dit (j’imagine une scène à la Sempé, un monsieur s’approchant du piano sitôt la fin des applaudissement, avec cette assurance de quelqu’un qui n’est pas sûr de lui, mais qui compte bien trouver réponse positive à ce qu’il croit savoir) : « Vous, vous êtes un romantique! » Yonathan Avishai dont la douceur… qui est un homme d’attention… Yonathan Avishai s’est dit « pourquoi pas ? » D’attention, attentif, qui fait attention, à l’autre, à son public, aux musiciens qui l’invitent ou qu’il invite, tout comme aux rumeurs du monde et aux lieux où il joue – c’est en tout cas ainsi que je l’imagine –, Yonathan Avishai s’est donc dit « pourquoi pas ? ».
Et pourquoi pas Christophe Panzani ? On se souvient, ou pas, des duos “Les Mauvais Tempéraments” et “Les Âmes perdues” où les pianistes se succédaient auprès du saxophoniste, et parmi eux Yonathan Avishai. On se souvient peut-être de “Fleur d’immortelle” créé il y a dix ans par le guitariste Pierre Perchaud avec Christophe Panzani, qui refleurissait en février dernier sur la scène du 104 de la Maison de la Radio. Panzani-Perchaud, deux vieux complices. Alors Yonathan Avishai s’est dit « pourquoi pas ? »
Qu’est-ce que le romantisme ? Le romantisme et le romantique sont-ils de la même essence ? Sujet de Bac de philo. Sujet casse-gueule ? Je revois le sourci froncé de mon germaniste de père et cet ouvrage que j’ai gardé de lui dans ma bibliothèque, sans l’avoir encore jamais même feuilleté, L’Allemagne romantique de Marcel Brion. Mais sujet libre, ouvert, à rêver. Ça aurait à voir avec le rêve, l’imaginaire, l’ouverture justement. Avishai, Panzani et Perchaud sont des artistes inclassables, ouverts et irréductibles. Prenez Avishai, mettez le avec le quartette d’Avishai Cohen (le trompettiste), il reste totalement lui-même, incomparable, portant un marque aussi inattendue qu’indélébile sur la musique de son hôte, mais sans jamais dénaturer la musique qu’il tire de son piano. C’est cela, cette douceur et cette attention qui me faisait hésiter quelque ligne plus haut.
Et c’est ce caractère inclassable, cette indélébilité, cette attention qu’il est allé chercher auprès de Panzani et Perchaud.
D’emblée, dès les premières secondes, c’est au rêve qu’ils nous invitent, un rêve qu’ils nous invitent à habiter, à partir d’une dissonance étrange dont Avishai ponctue les premières minutes comme un tocsin. Ses comparses semblent surgir de la brume, eux-mêmes comme rêvés, sonorités improbables, tintinabulli, sonnailles de troupeaux, saxophone de berger, cocottes de guitare, americana en errance entre Nashville et Memphis, un standard passe, comme évoqué dans un film de Woody Allen, mais ici tellement inattendu que l’on ne sait le nommer, interprété comme on fredonne, visité soudain par une figure pianistique de ragtime qui passe, comme un personnage traverserait par erreur la scène d’un théâtre, étranger à l’intrigue et à l’époque de la pièce que l’on y donne. On rêve donc. On rêve ce qu’on veut, comme nous y invite cet air de concertina qu’ânonnait Jorge Rossy en ouverture de Plaza Real et que fait renaître le saxophone de Christophe Panzani. Et ces bribes venues de l’album “Procession” de Weather Report évoquent moins le groupe de Joe Zawinul que la musique de son saxophoniste (et co-leader) Wayne Shorter, telle qu’il la rêvait dans son dernier quartette, rêvant son œuvre passée comme on tire les fils d’une tapisserie. D’autres mélodies seront ainsi abstraites de la mémoire collective, effilées pour être essentialisées, recombinées, sitôt abandonnées, quelques notes de la musique du Troisième Homme émergeant d’un reggae dont la ponctuation et les étranges doigtés de piano aux sonorités d’harmonium nous amène soudain vers quelque cabaret yiddish.
On reconnaitra Footprints du même Shorter dont l’ostinato part en dérive, Come Together dont l’arrangement est évoqué avec les moyens du bord – ah ! le fameux shhh de John Lennon ! –, les contours d’I Believe in Music de Donny Hathaway, l’ombre d’un Stevie Wonder que je n’ai pas assez fréquenté pour savoir le nommer…
Il y a quelque chose que, au risque du kitsch, on pourrait nommer la béatitude et qui voisine avec la désolation, la déploration. On sait Yonathan Avishai musicothérapeute et l’on sait comme il est tourmenté par la situation du pays où il a grandi, Israël. Il annonce un poème qu’il a écrit en hébreu, et qu’il dira en français sur fond orchestral, s’excusant de n’être ni poète ni rhéteur, une imploration à bien nommer les choses, une invitation à l’exactitude des mots : quoique vous fassiez, quoique vous disiez –énumère-t-il – soyez précis. Une musicothérapeutie offerte au grand n’importe quoi du monde contemporain.
Ce n’était qu’une première, avec quelques boulons à resserrer (ou desserrer), ce sera ce soir, au même endroit, une seconde qui sera plutôt une deuxième car on peut déjà noter la date du 19 févier 2026 à l’Espace culturel juif d’Europe dont Oliver Human imagine la programmation jazz tps://www.ecuje.fr/jazz-a-lecuje/
Demain soir, 7 août, je crois que je vais aller faire un tour au 38’Riv écouter le quartette d’Hélène Duret. Franck Bergerot