Jazz live
Publié le 24 Déc 2024

You and The Night and The Music à la Salle Pleyel

Lundi 16 décembre 2024, la 21ème édition de la traditionnelle soirée de TSF Jazz battait son plein au cœur du 8ème arrondissement de Paris. Quatre générations d’artistes en osmose…

D’abord accueillie par le New Morning, puis l’Opéra-Comique et enfin l’Olympia, la soirée qui « consacre » le meilleur du jazz pose depuis 2017 ses valises et ses instruments Salle Pleyel. Il est environ 19h05, quand je pénètre dans cette mythique salle de concert qui accueille la 21e édition de « You and The Night and The Music », l’événement jazz de l’année, organisé par TSF JAZZ qui retransmettra l’intégralité du concert en direct via ses studios, pour celles et ceux qui se retrouvent privés de ce moment tant attendu. Pour Sébastien Vidal, directeur d’antenne de TSFJAZZ et co-animateur de la soirée avec Laure Albernhe, « le jazz c’est d’abord du kiff avant d’avoir du sens, c’est notre objectif, notrevocation. » Avec pour ligne directrice pour construire la soirée de choisir douze groupes pour douze mois. Oui, mais voilà, le cru 2024 est exceptionnel… Impossible de réduire à douze ! Ce seront donc dix-sept groupes qui se produiront avec pour mission de donner du plaisir et de partager des émotions.

Que la fête commence

19h30. Pleyel se remplit rapidement et une effervescence certaine bruisse devant et dernière le rideau…

19h55. Pleyel est pleine à craquer, plus une seule place de libre. 2036 aficionados installés dans leurs fauteuils en velours rouge trépignent d’impatience en attendant le lever de rideau.

20h00. La voix de Sébastien Vidal s’élève dans la nuit : « place à la musique et place au Jazz, bonne soirée. »

Lumière éteinte et rideau toujours baissé, un vibrant hommage est rendu à Martial Solal, véritable légende du jazz, pianiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre. Il vient de s’éteindre à l’âge magnifique de 97 ans.

Derrière le rideau retentit le son éclatant d’un big band ! Et me voilà projeté dans le passé, salle Pleyel il y a cinquante-deux ans, un certain 17 avril 1972 avec le Count Basie Orchestra, champion du monde du swing.

Ce soir sur cette même scène, les héritiers du Count s’appellent le Zoot Big Band, un collectif de seize jeunes musiciens inspirés, dont la moyenne d’âge n’excède pas 27 ans. Ils rendent un hommage à leurs illustres aînés. Bonne nouvelle, le Zoot Big Band sera l’orchestre de cérémonie de la soirée avec un répertoire et des arrangements composés spécialement pour la You and The Night and The Music.

Cerise sur le gâteau… à chaque changement de groupe, pendant que les techniciens s’affèrent, telles les abeilles ouvrières dans la ruche, un grand écran diffusera des extraits de documentaires, films, interviews ou concerts. L’occasion pour nous durant cet intermède de découvrir un documentaire exceptionnel sur la vie de Michel Legrand. Suivi d’une interview de Quincy Jones qui, tout comme Martial, a rejoint les étoiles.

Tous en scène, que le spectacle commence !

Sur les planches, les coups de cœur, les soubresauts de l’âme s’enchaînent au rythme des groupes venus de toutes les latitudes et longitudes, ils ont toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ils ont le voyage dans le sang et dans la musique. Et nous, on est là, on écoute, on savoure.

Daoud, un trompettiste franco-marocain de 34 ans entre sur scène accompagné de son quartette. Je l’avais découvert l’an dernier à Jammin’ Juan et je retrouve avec bonheur ses influences musicales qui nous baladent du jazz au RnB, en passant par le hip-hop ou la musique électro. Son jeu est puissant et mélodieux. Loin des clichés, il communie sur scène avec ses musiciens dans une sorte de danse tribale fusionnelle. Daoud s’inscrit dans la mouvance de Theo Croker et Christian Scott, mâtiné du charme oriental d’Ibrahim Maalouf. (Je conseille son dernier album “Good Boy”.)

Enchaînement parfait avec le superbe duo piano voix de la chanteuse Charlotte Planchou, accompagnée de Mark Priore au piano. Dans son dernier album “Le Carillon”, elle se balade avec allégresse du jazz à la pop en passant par la bossa. Place ensuite au talentueux pianiste gallois Joe Webb, véritable rock star de la scène londonienne, qui compose et joue en trio sa propre musique au piano ou à l’orgue Hammond. Après avoir collaboré avec des pointures comme Wynton Marsalis ou Jamie Cullum, Joe Webb s’est consacré à l’écriture de son premier album “Hamstings and Hurricanes”. Brad Mehldau dit de lui « il saitswinguer, il est mélodiqueet laisse les idées se développer sans l’arbitraire »…beau compliment !

Poursuivons donc ce voyage musical au Canada, pays d’origine de l’éclectique multi-instrumentiste JoweeHomicil, qui nous embarque dans son dernier projet “Spiritual Healing” vers ses racines haïtiennes.

Puis, chaud devant avec le Jazz-Funk au féminin de la flûtiste LudivineIssambourg. Dotée d’une superbe énergie et très inspirée dans son dernier album “Above The Laws” par son maître, Hubert Laws, elle enchante avec son groove explosif. J’ai même retrouvé ici et là au détour de ses chorus, des envolées lyriques dignes de mon flutiste de cœur…Jethro Tull !

Autre coup de cœur avec un des pianistes les plus doués du jazz français, grand admirateur de Kenny Barron, le pianiste FredNardinet sa reprise du tube planétaire Nightcall de Kavinsky.

Poursuivons ce voyage musical en Italie avec l’album romantique du saxophoniste Stefano Di Battista “La Dolce Vita” avec pour fil rouge, les chansons italiennes populaires et les célèbres musiques de films de la Cinecittà.

Quittons Rome pour Tel-Aviv avec la star du jazz israélien, le contrebassiste Avishai Cohen qui bondit sur scène avec ses deux complices, la batteure Roni Kaspi et le pianiste Guy Moskovich, formant un trio de rêve pour présenter l’excellent “Brightlight”, leur dernier album en date.

Edouard Pennes présentait son “Bird Lives” en hommage aux deux albums “With Strings” de Charlie Parker. Il n’y aucune volonté de plagier chez Pennes, bien au contraire, il livre une très belle relecture de ces albums de légende, servis pour la circonstance par une petite section de cordes classiques et une section rythmique bebop.

Dans un registre différent, le bouillonnant Isaiah Collier, jeune saxophoniste de 26 ans, originaire de Chicago, illustre à sa façon la jeune garde Coltranienne et nous délivre un long monologue puissant et vibratoire dans un savoureux patchwork de gospel et de funk…fascinant !

Le pianiste espagnol Marco Mezquida qui nous illumine à chaque apparition en flirtant entre jazz et flamenco, nous dévoile son nouvel album plus intimiste « Letter to Milos », dans un format trio peu conventionnel mais qu’il adore avec Martín Meléndez au violoncelle et Alex Tobias au pandeiro, un large tambourin espagnol.

Nota bene : Dans cette quête de rencontres et de voyages, s’il y a bien un musicien de jazz en recherche permanente, c’est assurément Samy Thiébault ! Sa musique multicolore et son saxo sont de véritables remèdes contre la mélancolie…à savourer son album “In Waves”.

L’un des grands moments de la soirée fut la présence exceptionnelle, en sa qualité d’invité d’honneur, du légendaire pianiste jamaïcain Monty Alexander,un pianiste au swing exceptionnel et à l’incroyable dextérité à l’instar d’Oscar Peterson, son maître à jouer. Il était prévu qu’il joue ce soir pendant six minutes, mais il s’est senti tellement bien sur cette scène de Pleyel, qu’après avoir regardé sa montre, il nous a gratifié de huit minutes de bonheur supplémentaires… Merci Monsieur !

La suite des festivités révèle d’autres talents, avec le trio du saxophoniste Dimitri Baevsky qui débarque à New York à 19 ans pour ne jamais plus quitter la grosse pomme. II était accompagné par le contrebassiste David Wong et du formidable guitariste Peter Bernstein.

Sophye Soliveau, chanteuse et harpiste surdouée de 28 ans, prend place sur scène, avec au programme “Initiation” un premier album sublime aux couleurs, R&B, soul, jazz, et gospel.

Enfin, le jeune chanteur Tyreek McDole, 24 ans , étoile montante du jazz vocal, lauréat de nombreux prix, dont le concours international de Jazz Sarah Vaughan 2023 qu’il remporte avec trois reprises : Septemberin the Rain, Lush Life et EveryDay I Have the Blues. À suivre !

Vivement l’année prochaine…

23h15… le rideau se baisse, les lumières éclairent les visages réjouis de mes âmes sœurs d’un soir.

Comme au cinéma où je pars toujours le dernier pour lire jusqu’à l’ultime ligne du générique, je reste lové dans mon fauteuil carmin, histoire de regarder les derniers quitter la salle et d’attraper, peut-être, au vol quelques notes bleues flottant encore dans l’air.

Je ferme les yeux. Je revois tous les artistes de cette soirée exceptionnelle venus partager leur amour du Jazz et sa magie, qui a opéré une fois de plus. Je me félicite de ce passage de témoin tout en douceur. Et même si cette année a été marquée aussi par le départ du pianiste Martial Solal, du compositeur Quincy Jones, du batteur Roy Haynes, de l’arrangeur brésilien Sergio Mendes, du guitariste Sylvain Luc, du saxophoniste Lou Donaldson, du percussionniste indien Zakir Hussain… nous aurons assisté ce soir au miracle que seule la musique en général et le jazz en particulier sont capables de produire, l’osmose entre quatre générations.

Je n’ai qu’un seul désir à formuler… Que nous soyons tous au rendez-vous dans un an Salle Pleyel pour la 22e édition de You and The Night and The Music !

Jean-Loup Guest