Youn Sun Nah duo & Jacky Terrasson Trio à Saint-Gaudens

Deuxième soirée de la 22e édition du festival Jazz en Comminges avec « la famille ». Youn Sun Nah et Jacky Terrasson se sont déjà produits plusieurs fois à Saint-Gaudens. Et de nouveau, ils ont enchanté « leur » public.
1e partie : Youn Sun Nah duo
Youn Sun Nah (vx), Bojan Zulfikarpasic (p, Fender Rhodes)
Jeudi 29 mai 2025, Jazz en Comminges, Parc des expositions, Saint-Gaudens (31), 20h30

J’avais déjà entendu Youn Sun Nah l’année dernière au festival de San Sebastian en Espagne. Elle était alors accompagnée par Eric Legnini et Tony Paelenan qui alternaient au piano et au Fender. Le répertoire avait été exactement le même que celui que la chanteuse proposa au public saint-gaudinois. La comparaison fut donc aisée, et le moins que je puisse dire c’est que Bojan Z transfigura ce que j’ai entendu il y un peu moins d’un an. Quand Youn Sun Nah reste égale à elle-même – ce qu’elle réalise est toujours impeccable, et elle a véritablement enchantée l’auditoire –, Bojan Z cherche lui à s’emparer des espaces qui lui sont donnés pour s’aventurer en des lieux inattendus et pourtant toujours en cohérence avec l’esprit de la pièce jouée. Mais ce qui frappe avant tout, et toujours depuis le début de sa carrière, c’est cet alliage étonnant d’une sensibilité mélodique admirable et singulière avec une sauvagerie rythmique stupéfiante. Et puis, il est capable de jouer à la fois du Fender et du piano (une main posée sur chacun des instruments) d’une façon qui lui est absolument propre, avec des voicings et des contrepoints vraiment très éloignés du superficiel, ce qui transforme évidemment le monde bien réglé de Youn Sun Nah. Et lorsque cette dernière ne produit plus d’effets pour donner une interprétation sans fard, comme sur Just Sometimes, alors la musique s’élève à des hauteurs on ne peut plus poignante.
2e partie : Jacky Terrasson Trio
Jacky Terrasson (p, kb), Sylvain Romano (cb), Lukmil Perez (dr)
Jeudi 29 mai 2025, Jazz en Comminges, Parc des expositions, Saint-Gaudens (31), 22h30
La dernière fois où j’avais pu voir Jacky Terrasson en concert, c’était en… 2000 ! Je dois avouer ne plus avoir de souvenirs précis de ce concert-là, si ce n’est que j’avais pris du plaisir à l’écouter. Je dois dire que j’ai été de nouveau heureux de fréquenter de nouveau le pianiste né à Berlin en concert, et sans doute pour des raisons différentes de celles du début du millénaire. J’ai avant tout été ravi par le fait que Jacky Terrasson ne se soit nullement contenté de réciter une musique pré-mâchée. C’est même tout le contraire, en dépit du fait qu’il joua globalement le répertoire de son dernier album en date (« Moving On », Naïve 2024). Besame Mucho, I Will Wait For You de Michel Legrand, Take Five ou Misty se virent en effet traités dans le prolongement de ce que pouvait faire Ahmad Jamal, soit une sculpture de la matière réalisée sur le moment. Bien sûr, certains éléments d’arrangement étaient fixes, mais on sentait vraiment le pianiste chercher à sortir de lui-même, à rester éloigné de ses réflexes, à rompre des schémas devenant trop prévisibles. Pour cela, il put prendre appui sur des partenaires de jeu (« jeu » au sens plein du terme, précisément) ne lâchant pas d’un pouce les propositions de leur leader. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que Jacky Terrasson ait choisi de reprendre notamment une composition d’Erroll Garner, un pianiste fantasque et libre s’en en fut. Garner, Jamal, Keith Jarrett parfois, mais aussi Monk et Ellington (le trio joua Caravan en bis) : une filiation digne des plus grands. Le public de Saint-Gaudens ne s’y est pas trompé, qui donna une ovation méritée à ce trio de choc.

Ludovic Florin