Jazz live
Publié le 23 Juil 2018

Jazz à Junas 2: le luxe d’un jazz électrique dans les Carrières

La XXVe édition de Jazz à Junas s'est terminée en deux épisodes. Un orage juste en point d'orgue de l'Attica Blues Band d'Archie Shepp. Un feu d'artifice en clôture sous éclairs d'Electro Deluxe. Jazz à Junas embarque pour un nouveau voyage mais avec d'autres escales festivalières désormais, dans le Gard mais aussi l'Hérault. La reconnaissance d'un travail humain et artistique accompli.

« Ça y est, c’est désormais inscrit sur la plaque » Sous le regard conquis et admiratif des deux boss du festival Stéphane Pessina Dassonville et Fabrice Marcel, Archie Shepp a sa Place dans Junas « Il a marqué à sa façon, musique, création, philosophie de vie et l’histoire du jazz depuis plus d’un demi siècle… » Archie Shepp lève les yeux, regarde l’inscription. Sourit mais ne dit mot, émotion toute rentrée.

Archie Shepp Attica Blues Band: Archie Shepp (ts, ss), Jean Philippe Scali (direct, as), François Theberge, Virgil Lefebvre (ts), Thomas Savy (bs), Alexis Bourguignon, Olivier Miconi, Christophe Leloi (tp), Sébastien Llado, Simon Sieger, Michel Ballue (tb), Car-Henri Morrissey  (p), Pierre Durand (g), Alune Wade (elb), Steve McCraven (dm), Marion Rampal, Djany (voc)

Jazz à Junas, Carrières, Junas (30 250), 20 Juillet

 

Archie Shepp, Alune Wade

Un big band de quinze musiciens plus deux chanteuses: voilà l’équipage réuni par les soins d’Archie Shepp, 80 ans bien sonnés, pour rendre hommage aux victimes de la tragédie de la prison d’Attica, mutinerie réprimée dans le sang en septembre 1971 dans l’Etat de New York. Paru l’année suivante en pleine période free dans laquelle le saxophoniste s’est inscrit à plein, le disque, dans une sorte de contre pied historique, représente une manière de résumé de ce que les membres de l’AACM baptisèrent à Chicago, la « Great Black Music » A Junas c’est bien  cette matière qu’il s’agit de faire résonner  avec des sonorités bien d’aujourd’hui. Au menu proposé: gospel, blues, soul, be-bop, lignes contemporaines, le tout enveloppé dans une formule d’arrangements pour grand orchestre. Justement, cet aspect ressort en priorité. Chaque thème met en affichage d’abord la puissance de la masse orchestrale. Jean Philippe Scali, intronisé à cet effet par le leader à la tête de l’orchestre y veille scrupuleusement, auprès de la section rythmique comme des solistes désignés.

Song of my people: un gros son d’ensemble, un feeling intense sur une tonalité très gospel.  Steve Mc Craven fait rouler ses tambours, les deux voix s’unissent sur des refrains en mode choeur. Et la trompette d’Olivier Miconi, en solo, pousse d’épais accents de blues. Steam composé par Shepp en mémoire de son cousin abattu lá 16 ans lors d’ une rixe à Philadelphie. Les cuivres, à l’unisson sonnent de concert. La sonorité de Shepp n’est plus celle de son passé, évidemment. Moins de cri à vif, plus de langueur. Il le démontre en suivant, sur un tempo lent, à l’occasion de l’introduction d’un morceau de Duke Ellington, un de ses maîtres en écriture orchestrale. Pour produire de la “Grande Musique Noire” il faut de grands compositeurs, c’est logique. Mama Too Tight figure l’un des titres (composition et disque) phares du saxophoniste. Sur la scène de Junas  la  version qui sonne très actuelle, carrée, directe se dessine en contours très funky.  Shepp et le québécois agité, François Théberge forcent le trait à partir d’un son rauque au ténor. Avec aussi Alune Wade à la basse, en mode slap, dans un rôle de déclencheur question séquence de syncopes rythmiques. Grande Musique noire, signifie un passage par la tradition des balades bien sur, également : Ballad for a child, joué en quartet fait la part belle à la voix forte, couleurs, intonations, timbre de Marion Rampal. Pour terminer, alors que les éclairs zèbrent déjà le ciel lui aussi très noir, on revient à la soul music, aux rythmes pur funk sous les coups  claqués de basse et de batterie, rythmique chaude appuyée par les riffs de la guitare de Pierre Durand. Archie Shepp, un peu las, laisse son ténor de côté. L’heure est à l’échange chanté, voix alternées avec celle des deux chanteuses Marion Rampal et Djany. Derrière, en tableau final les cuivres, tous regroupés, font le boulot, imposants, solidaires, en section.

 

Marion Rampal, voix soul

Sous le flash des éclairs les premières gouttes ont commencé d’arroser les Carrières. Pierre Durand n’a pas encore rangé sa guitare. Mais malheureux comme une pierre, il sait déjà qu’il ne pourra pas présenter sur cette scène, ce soir, le travail de son quartet annoncé très roots. Dommage.

 

Sandra Nkaké (voc), Ji Dru (fl, voc), Tatiana Paris (g, voc), Mathilda Hayes (b), Anne Paceo (dm)

Electro Deluxe : James Copley (voc), Jérome Cotre (b), Gael Cadoux (clav), Arnaud Renaville (dm), Lucas St Criq, Christophe Allemand, Pierre Dessassis, David Fettman, Olivier Bernard (sax), Vinent Payen, Alexandre Hérichon, Laurent Taine, Alexis Bourguignon (tp), Cyril Dublin, Nicolas Grymomprez, Vincent Aubert, Jérome Berthelot (tb)

Jazz à Junas, Carrières, Junas (30 250), 21 Juillet

 

Sandra Nkake, Anne Paceo

Surprise ! ce soir Anne Paceo officie derrière les caisses de la batterie. Ce qui porte à quatre sur cinq la part féminine de l’orchestre. L’engagement, la dynamique, la précision également liés à son style de percussion représentent incontestablement un boost, une palette de couleurs supplémentaire au panorama musical incarné par Sandra Nkaké « C’est la première fois qu’Anne se joint à nous sur scène » Entrée en matière effectuée natrellement, n’était un court moment d’adaptation nécessaire  sur le répertoire,  tellement la griffe de sa batterie correspond à l’expression musicale de l’orchestre. Par rapport à l’album Tangerine Moon Wishes, la scène apporte au  son de l’orchestre un gros supplément  de niveau, de volume sonore. Sous l’impulsion de la basse électrique, sous la poussée de la batterie les mesures tombent drues. Il y a de l’expansivité dans l’air. Lâchée ainsi en live la voix de Sandra Nkake retrouve sa force naturelle. Les mots, les formules claquent. Son jeu de scène extraverti la fait se mouvoir, danser sur les rythmes intenses, bondissante, féline. Elle va chercher le public. En appels, en cris, très soulfull  (Change) appuyés par des contrechants, elle provoque son attention, arrache son adhésion (River) Dans ce contexte de tension seule la flûte très amplifiée, réverbérée de Ji Dru, au travers de mélopées à tonalité orientaliste lancées en flux direct dans cette sorte de fronton mur à gauche des Carrières, apporte quelques plages d’apaisement. Au delà des mots évoquant l’air,  le ciel, l’espace (Fly) et l’appel dans sa voix électrique « à manger la vie » les contours de la musique live de Sandra Nkaké, mode jungle musclée, peuvent évoquer aussi les aspérités d’un univers urbain.  Borné de murs abrupts bien différents des parois lisses des Carrières de Junas.

 

Sandra Nkaké, morde dans la vie

 

Feu d’artifice de luxe

 

Electro Delux, quinze cuivres

Jazz à Junas, c’est clair a fait le choix cette année du XXVe anniversaire du festival d’une soirée d’adieu placée sous l’effervescence  du rythme. Avec Electro Deluxe, en ce sens, le public s’en est trouvé bien servi. Funk, rythm and blues, soul, rasades de rock très cuivrées: le groupe récompensé par une Victoire du Jazz 2017, muté en big band pour ce final de Junas est taillé pour le rôle « S’i vous plait, aidez nous : après le premier concert prenez les chaises et regroupez les sur le côté avait demandé au public le présentateur de la soirée. Ainsi tout le monde pourra danser «  Autant dire que l’ambiance n’a cessé de monter de ton durant le concerert. Electro Deluxe c’est pour résumer, une rythmique au service de quinze cuivres, pas moins.  Un son énorme, tonitruant, explosif au bout de rythmes menés, c’est le cas de le dire, tambour battant. Un jazz en uppercut, flamboyant, décomplexé.  Et pour servir le menu dans son entier un crooner comme l’on en fait plus, une manière de cliché dans la conduite du public avec l’accent » so british  » qui va avec pour faire sonner en formules kitsch un français ramassé.  Showman terrible, James Copley, monté sur ressort  d’un bout de la scène à l’autre, exerce son art de chanteur “provoc” en mimiques exagérés, grimaces suggestives, Mais d’une voix performante à chaque instant, inflexions toujours en place dans le torrent de musique déversée par l’orchestre sous la baguette, le sax alto plutôt, d’Olivier Bernard. Dans la nuit sous les stroboscopes de traits lumineux en dernier décor imprimé aux Carrières, il a électrisé les têtes, les jambes et le reste en final de festival. Electro Deluxe dans son rôle,  feu d’artifice d’anniversaire tiré au final.

 

James Copley

 

 

Jazz à Junas est un festival connu et reconnu   Pourtant l’association du même nom gère désormais trois autres évènements musicaux: Après avoir investi Le Vigan et Vauvert, communes situées toujours dans le Gard, l’association a pris cette année l’organisation du festival  Pic Saint Loup, sur la commune Le Triadou, dans l’Hérault cette fois. Un festival de jazz qui existait depuis trois ans. Explications, perspectives de développement et philosophie de l’action avec le président de l’association, Stéphane Pëssina Dassonville.

 

Archie Shepp et Stéphene Pessina Dassonville, place Archie Shepp à Junas

 

« Le festival organisé sur la commune Le Triadou dans la Communauté de communes du Pic St Loup, donc dans le département de l’Hérault avait un caractère disons familial. Un petit festival auquel les élus ont souhaité donner plus envergure. Connaissant le travail effectué  à Junas mais aussi à Vauvert et Le Vigan  ils nous ont sollicité à cet effet. Ceci dit il ne faut pas voir dans notre action un effet, une pratique de modélisation. Nous cherchons à faire bien ce que nous savons faire en matière de festival de jazz. Pour que nous intervenions il faut que l’on sente chez nos interlocuteur un projet clair, de l’humain avant tout donc une envie partagée de rencontre. Ensuite sur le lieu choisi nous devenons le principal intervenant. C’est à dire que nous gérons tout de A à Z lorsqu’on nous confie les clefs d’une telle manifestation. A l’image de Junas d’ailleurs où, je le pense, nous avons développé un vrai savoir faire organisationnel en milieu rural. A partir de cela l’équipe s(‘adapte bien sur pour livrer  clefs en main un festival qui résonne avec le lieu et les personnes choisis. Une de ces clefs justement réside dans le rapport à instaurer avec les collectivités territoriales. Monter, faire vivre un évènement de ce genre requiert des moyens. Les gens ne s’en rendent pas compte mais ce point il faut le renégocier chaque année. Obtenir de l’argent public ou privé , je l’ai vérifié mille fois, ce n’est jamais gagné d’avance. Ceci dit, je le répète:  la réussite de notre action passe  par un élément moteur indispensable: l’aspect humain, l’échange, le vécu, l’investissement des membres de l’équipe. Un festival, Junas le prouve chaque année, c’est un évènement  musical sur lequel tout le monde se retrouve et y trouve son compte:  organisateurs, bénévoles, artistes, public, médias avec l’objectif d’une rencontre artistique et humaine.  Ceci posé, soyons réalistes: avec quatre évènements à gérer en quelque mois plus une programmation aussi dans l’année, l’association touche à ses  ses limites.  Et Junas doit rester la racine de notre action »

 

(Photo de couverture: : Objet du désir, oeuvre de Dumé, sculpteur et Arnaud « Nano » Méthivier, musicien créée pour une immersion musicale immersive dans un environnement  sonore en 3 D)

Robert Latxague